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Décisions

Cass. com., 12 juillet 2011, n° 10-14.821

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Favre

Avocats :

Me Rouvière, SCP Boré et Salve de Bruneton, SCP Boulloche, SCP Célice, Blancpain et Soltner

Paris, du 21 janv. 2010

21 janvier 2010

Attendu, selon l'arrêt attaqué, rendu sur renvoi après cassation (chambre commerciale, financière et économique, 30 septembre 2008, pourvois n° 07-11.944 et n° 07-15.133), que les sociétés Amada France et Amada Gmbh ont confié la prise en charge au Havre d'éléments industriels qu'elles importaient du Japon à la société Panalpina France transports internationaux (la société Panalpina) ; que des avaries ayant été constatées sur certains d'entre eux lors de leur stockage, que cette dernière avait délégué à la société Compagnie nouvelle de manutention et de transport (la société CNMT), les sociétés Amada France et Amada Gmbh ont assigné en indemnisation la société Panalpina qui a appelé en garantie la société CNMT ;

Sur le moyen unique du pourvoi incident, qui est préalable :

Attendu que la société Amada France fait grief à l'arrêt d'avoir limité la condamnation de la société Panalpina au profit de la société Amada France à la somme de 2 744,08 euros, alors, selon le moyen, que commet une faute lourde le prestataire de services qui s'abstient d'informer son cocontractant d'une évolution des conditions de stockage des marchandises qu'il avait la charge d'organiser, dont il sait qu'elle est de nature à porter atteinte à leur intégrité, tout en continuant à facturer la prestation supprimée ; qu'il résulte des propres constatations de l'arrêt que la société Panalpina connaissait la nature et la valeur du matériel stocké appartenant à la société Amada et, qu'ayant eu connaissance de l'arrêt de la prestation de bâchage destinée à protéger le matériel des intempéries, elle s'est abstenue d'en informer voire d'alerter son cocontractant tout en continuant à lui facturer cette prestation ; qu'en jugeant néanmoins que de tels agissements ne constituaient pas une faute lourde susceptible de priver la société Panalpina du droit de se prévaloir des limitations contractuelles de responsabilité dans ses rapports avec la société Amada France, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constations et violé l'article 1150 du code civil ;

Mais attendu que l'arrêt n'a pas dit que la société Panalpina était prestataire de services ; que le moyen manque en fait ;

Sur le deuxième moyen du pourvoi principal :

Attendu que la société CNMT fait grief à l'arrêt d'avoir refusé de faire application de la clause limitative de responsabilité prévue aux conditions générales de la société CNMT et de l'avoir condamnée à payer à la société Amada France la somme de 964 441,65 euros, outre intérêts, alors, selon le moyen :

1°/ que les clauses d'un contrat conclu par un mandataire dans la limite de ses pouvoirs s'imposent au mandant ; qu'il résulte des constatations de l'arrêt que la société Panalpina a contracté avec la société CNMT en qualité de mandataire de la société Amada ; qu'en écartant néanmoins les clauses limitatives de responsabilité prévues au contrat ainsi conclu au motif inopérant qu'il n'aurait pas été démontré que ces clauses avaient été portées à la connaissance de la société Amada, l'envoi de ces clauses et conditions à la société Panalpina n'ayant pas été répercutées par cette dernière, la cour d'appel a violé l'article 1984 du code civil ;

2°/ que le juge ne peut fonder sa décision sur des faits qui ne sont pas dans le débat ; qu'en se fondant, pour écarter le moyen de la société CNMT tiré de ce qu'elle ignorait la nature et la valeur de la marchandise, aucune déclaration écrite de valeur n'ayant été faite, et en déduire sa faute lourde, sur la présence sur les caisses d'un pictogramme de convention internationale, un parapluie indiquant que les machines devaient être stockées à l'abri de la pluie, bien qu'un tel pictogramme n'ait été invoqué par aucune des parties, la cour d'appel a violé l'article 7 du code de procédure civile ;

3°/ que la faute lourde du débiteur doit être écartée lorsqu'il se trouve dans l'impossibilité, portée à la connaissance de son cocontractant, d'exécuter sa prestation dans les conditions contractuellement prévues ; que la société CNMT soulignait dans ses conclusions qu'elle avait dû cesser le bâchage des caisses en raison du remplacement des caisses en bois par des emballages métalliques rendant impossible le cloutage des bâches et leur résistance au vent ; qu'en retenant néanmoins, pour écarter la clause limitative de responsabilité prévue au contrat, la faute lourde de la société CNMT en raison de l'arrêt de la prestation de bâchage, bien qu'il résultât de ses constatations que cet arrêt avait été porté à la connaissance du mandataire de la société Amada et sans rechercher si l'exécution de cette prestation dans les conditions contractuellement prévues n'avait pas été rendue impossible par la modification des emballages unilatéralement décidée par cette dernière, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 1150 du code civil ;

Mais attendu, en premier lieu, que les premiers juges ayant constaté qu'il était établi que le conditionnement des marchandises présentait des pictogrammes, ce fait était dans les débats ;

Attendu, en second lieu, que l'arrêt constate que bien que la société Amada ait demandé que les caisses soient bâchées lors de leur stockage, la société CNMT n'a pas procédé au bâchage contractuellement prévu ; qu'il retient que le dommage résulte d'une inexécution délibérée des clauses du contrat, d'autant plus fautive que la société CNMT ne pouvait ignorer l'importance de cette prestation en raison de la présence sur les caisses des pictogrammes de convention internationale, en l'espèce un parapluie indiquant que les machines devaient être stockées à l'abri de la pluie ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui n'était pas tenue d'effectuer des recherches qui ne lui étaient pas demandées, a, abstraction faite des motifs surabondants critiqués par la première branche, légalement justifié sa décision ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le troisième moyen du pourvoi principal :

Attendu que la société CNMT fait grief à l'arrêt de l'avoir condamnée à garantir la société Panalpina à hauteur de 75 % de la condamnation prononcée contre elle et au profit de la société Amada Gmbh, alors, selon le moyen, que la cassation entraîne sans qu'il y ait lieu à une nouvelle décision, l'annulation par voie de conséquence de toute décision qui est la suite, l'application ou l'exécution du jugement cassé ou qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire ; que pour condamner la société CNMT à garantir la société Panalpina à hauteur de 75 % de la condamnation prononcée contre elle et au profit de la société Amada Gmbh, la cour d'appel s'est fondée sur la responsabilité prépondérante de la société CNMT dans la survenance du sinistre ; que la cassation, qui interviendra sur le premier moyen qui reproche à l'arrêt d'avoir écarté la faute lourde de la société Panalpina ou/et la cassation qui interviendra sur les deux dernières branches du second moyen qui reprochent à l'arrêt d'avoir retenu la faute lourde de la société CNMT, entraînera la cassation du chef de dispositif qui a condamné la société CNMT à garantir la société Panalpina à hauteur de 75 % de la condamnation prononcée au profit de la société Amada Gmbh en application de l'article 625 du code de procédure civile ;

Mais attendu, en premier lieu, que les griefs des deux dernières branches du deuxième moyen ayant été rejetés, le moyen qui invoque la cassation par voie de conséquence est devenu sans objet ;

Attendu, en second lieu, que le dispositif qui prononce le partage de responsabilité entre les sociétés CNMT et Panalpina à l'égard de la société Amada Gmbh ne se rattache pas par un lien de dépendance nécessaire au dispositif limitant la condamnation de la société Panalpina ;

D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;

Mais sur le premier moyen du pourvoi principal :

Sur la recevabilité du moyen, contestée par la défense :

Attendu que la société Panalpina soutient que le moyen est irrecevable en ce que la société CNMT ne justifie d'aucun intérêt à la cassation de l'arrêt limitant la condamnation de la société Panalpina au profit de la société Amada France et en ce qu'il est nouveau ;

Mais attendu, d'une part, que la société CNMT est condamnée à payer à la société Amada la somme de 964 441,65 euros tandis que la condamnation in solidum de la société Panalpina est limitée à la somme de 2 744,08 euros ; que la société CNMT justifie d'un intérêt à obtenir la cassation de l'arrêt sur ce point ;

Attendu, d'autre part, que la société CNMT demandait la confirmation du jugement en ce qu'il avait prononcé un partage pour moitié entre elle et la société Panalpina, et donc nécessairement en ce qu'il a rejeté la demande de cette société relative à l'application de la limitation de responsabilité stipulée dans ses conditions générales de vente ; que le moyen n'est pas nouveau ;

D'où il suit que le moyen est recevable ;

Et sur le moyen :

Vu l'article 1150 du code civil ;

Attendu que pour limiter la condamnation de la société Panalpina au profit de la société Amada France à la somme de 2 744,08 euros, l'arrêt retient qu'il n'est pas démontré que la faute commise, quoique réelle, soit le résultat d'une tromperie délibérée et constitue une faute lourde susceptible de priver la société Panalpina du droit de se prévaloir des limitations contractuelles de responsabilité dans ses relations avec la société Amada ;

Attendu qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher ainsi qu'elle y était invitée, si la société Panalpina, malgré sa connaissance de la nature de la marchandise, en l'espèce des machines à commande numérique, et la demande de bâchage de la société Amada France, n'avait pas été prévenue du changement des conditions de stockage et de l'absence de bâchage à compter de juillet 2000, sans en informer son mandant tout en continuant à lui facturer cette prestation, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le pourvoi incident éventuel :

REJETTE le pourvoi incident ;

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a limité la condamnation de la société Panalpina au profit de la société Amada France à la somme de 2 744,08 euros, l'arrêt rendu le 21 janvier 2010, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.