Cass. com., 30 juin 2015, n° 13-28.846
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Rapporteur :
Mme Vallansan
Avocat général :
M. Le Mesle
Avocats :
SCP Delaporte, Briard et Trichet, SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, SCP Waquet, Farge et Hazan
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 29 octobre 2013), que la société Biomérieux a confié à la société Geodis Wilson France (la société Geodis), en qualité de commissionnaire, l'organisation du transport , depuis ses entrepôts en France jusqu'à ses laboratoires à Saint-Laurent (Canada), de huit colis de produits pharmaceutiques, qui devaient rester congelés à une température comprise entre -31° et -19°C ; que la société Geodis en a confié le transport aérien par conteneur envirotainer à la société Air France KLM (la société Air France) selon lettre de transport aérien (LTA) du 27 décembre 2005, désignant la société Affiliated comme destinataire à l'aéroport de Dorval ; que, lors de l'enlèvement de la marchandise par cette dernière, le lendemain de l'arrivée à l'aéroport, auprès de la société Air France cargo Montréal, agent de handling auquel le conteneur avait été confié, les marchandises étaient décongelées ; que la société Biomérieux et ses assureurs, les sociétés Generali lARD, Axa Corporate solutions assurances, Mutuelles du Mans assurances mutuelles et Allianz Global Corporate & Spéciality (les assureurs), qui l'ont indemnisée pour moitié, ont assigné la société Geodis, et l'assureur de celle-ci, la société Helvetia, en paiement de la somme de 42 845,50 euros chacun, la société Géodis assignant en garantie la société Air France ;
Sur le premier moyen du pourvoi principal :
Attendu que les sociétés Geodis et Helvetia font grief à l'arrêt de retenir une faute personnelle à la charge de la première, alors, selon le moyen :
1°/ que le commissionnaire de transport qui a transmis à ses substitués des consignes suffisantes pour assurer la conservation de la marchandise ne peut voir sa faute personnelle retenue en raison du dommage résultant de l'absence de respect de ces instructions par l'un de ses substitués ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que le commissionnaire avait donné comme instruction à tous ses substitués de conserver la marchandise à une température comprise entre - 19 et - 31°C ; qu'en particulier, elle a relevé que le commissionnaire avait indiqué sur la lettre de transport aérien que le transporteur devait assurer une conservation de la marchandise au congélateur entre - 19° et - 31°C dès son arrivée à l'aéroport de Montréal ; que la cour d'appel a retenu que le défaut de respect de ces consignes par le transporteur aérien était à l'origine du dommage ; qu'en décidant cependant, par des motifs inopérants, que le commissionnaire de transport avait commis une faute personnelle dans l'organisation du transport, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations desquelles il résultait que le respect des consignes données par le commissionnaire était suffisant pour éviter le dommage, et a ainsi violé les articles L. 133-5 du code de commerce et 1147 du code civil ;
2°/ que la cour d'appel a relevé que la lettre de transport aérien mentionnait la nécessité de conserver l'expédition au congélateur entre - 19° et - 31°C dès son arrivée à l'aéroport de Montréal ; que, pour imputer une faute personnelle au commissionnaire de transport, elle a cependant retenu que celui-ci n'avait « pris aucune mesure pour pallier la prise en charge tardive des marchandises par la société Affiliated et pour organiser ou faire organiser le maintien de la chaîne du froid » ; qu'en statuant ainsi par des motifs contradictoires, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
Mais attendu qu'après avoir relevé que, la société Affiliated, chargée par le commissionnaire de transport de la livraison finale entre l'aéroport de Dorval et les entrepôts de Saint-Laurent, n'ayant pas réceptionné la marchandise le jour de son arrivée le 28 décembre à 17 heures 53 mais seulement le lendemain, bien qu'elle eût été aussitôt informée de l'arrivée des marchandises à l'aéroport, la société Geodis n'a pris aucune mesure pour pallier cette prise en charge tardive et pour organiser ou faire organiser le maintien de la chaîne du froid, qu'elle n'a pas donné les instructions nécessaires pour que ces marchandises soient prises en charge dans des délais brefs qui auraient réduit les risques de non-conservation de la température requise, ni avisé spécifiquement la société Air France que la société Affiliated ne prendrait livraison des marchandises que le lendemain de leur arrivée à l'aéroport et qu'il lui faudrait nécessairement prévoir un rechargement du conteneur en neige carbonique ; que de ces constatations et appréciations, la cour d'appel a pu, sans se contredire, déduire que la société Geodis avait commis une faute personnelle ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le second moyen du même pourvoi :
Attendu les sociétés Géodis et Helvetia font encore grief à l'arrêt de les condamner in solidum à payer à la société Biomérieux la somme principale de 42 845,50 euros et aux assureurs la même somme alors, selon le moyen, que, lorsque le commissionnaire de transport doit répondre à l'égard du commettant non seulement de ses fautes personnelles, mais aussi de celles du transporteur qu'il s'est substitué et que ce dernier bénéficie d'une limitation de responsabilité, il y a lieu de tenir compte dans la condamnation du commissionnaire, au titre de la part du préjudice provenant de la faute du transporteur, des limitations de responsabilité applicables à ce dernier ; qu'ayant retenu que les fautes de la société Géodis, commissionnaire de transport, et la société Air France, transporteur, avaient concouru par moitié à la réalisation de l'entier dommage et que la responsabilité du transporteur était limitée à la somme de 3 469,70 DTS, la cour d'appel ne pouvait pas condamner le commissionnaire de transport sans tenir compte de la limitation de responsabilité applicable au transporteur substitué pour la part du préjudice résultant de la faute de ce dernier, sauf à violer l'article L. 132-6 du code de commerce et l'article 22-3 de la convention de Montréal ;
Mais attendu que le commissionnaire reconnu personnellement responsable de l'entier dommage ne peut opposer à la victime les plafonds d'indemnisation qu'il pourrait opposer en sa qualité de garant du fait de ses substitués ; que la cour d'appel, qui a condamné les sociétés Geodis et Helvetia à réparer l'intégralité du préjudice subi par la société Biomérieux, a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le premier moyen du pourvoi incident de la société Air France :
Attendu que la société Air France fait grief à l'arrêt de la condamner à payer, in solidum avec les sociétés Geodis Wilson et Helvetia, mais dans la limite de la contre-valeur en euros de 3 469,40 DTS, la somme de 42 845,50 euros à la société Biomérieux et celle de 42 845, 50 euros à ses assureurs, alors, selon le moyen :
1°/ que la réception sans réserve de la marchandise par le destinataire permet de présumer du caractère conforme de la marchandise au moment de la livraison ; que dans ses conclusions, la société Air France-KLM faisait valoir que lors de la réception des marchandises à l'aéroport de Dorval, le 29 décembre 2005, le destinataire, la société Affiliated, n'avait émis aucune réserve alors même qu'il lui était possible de contrôler la température des marchandises transportées qui était affichée sur les envirotainers ; qu'elle en déduisait que la réception des marchandises par le destinataire sans réserves faisaient présumer que les marchandises n'étaient affectés d'aucun dommage apparent au moment de la livraison ; qu'en retenant la responsabilité de la société Air France-KLM sans s'expliquer, comme elle y avait été invitée, sur la réception sans réserve des marchandises par leur destinataire, la société Affiliated, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard des articles 18 et 31 de la Convention de Montréal du 28 mai 1999 ;
2°/ que le transport aérien prend fin à partir du moment où le transporteur a mis les marchandises transportées à la disposition du destinataire et l'en a informé ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que la société Air France-KLM a mis la marchandise transportée à la disposition de son destinataire, la société Affiliated, à la date et à l'heure prévues, mais que cette dernière n'a estimé devoir la réceptionner que le lendemain, et ce, alors même qu'elle avait été aussitôt informée de l'arrivée des marchandises à l'aéroport ; qu'en reprochant à la société Air France-KLM de ne pas avoir pris les mesures propres à assurer la conservation de la marchandise à un moment où elles étaient désormais à la disposition de leur destinataire, la cour d'appel a méconnu l'étendue de la présomption de responsabilité qui pèse sur le transporteur aérien, et violé l'article 18 de la Convention de Montréal du 28 mai 1999 ;
3°/ que le commissionnaire est seul responsable de l'organisation du transport ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a relevé que la société Geodis, qui avait la qualité de commissionnaire, n'a pris aucune mesure pour pallier la prise en charge tardive des marchandises par la société Affiliated et pour organiser ou faire organiser le maintien de la chaîne du froid ; qu'elle n'a pas non plus donné les instructions nécessaires pour que ces marchandises soient prises en charge dans des délais brefs qui auraient réduit les risques de non conservation de la température requise, ni avisé spécifiquement la société Air France KLM que la société Affiliated ne prendrait livraison des marchandises que le lendemain de leur arrivée à l'aéroport et qu'il lui faudrait nécessairement prévoir un re-icing de l'envirotainer ; qu'en reprochant à la société Air France-KLM de ne pas avoir pris, de sa seule initiative, des mesures propres à assurer la conservation de marchandises au-delà de la période de transport, à une époque où elles étaient désormais à la disposition de leur destinataire et ce, alors qu'elle n'avait reçu aucune instruction en ce sens de la part du commissionnaire ou du destinataire, la cour d'appel a violé l'article 18 de la Convention de Montréal du 28 mai 1999 ;
Mais attendu, en premier lieu, que l'article 31.1 de la Convention de Montréal du 28 mai 1999 pour l'unification de certaines règles relatives au transport aérien international, qui établit une présomption de livraison conforme en l'absence de réserves, autorise la preuve du contraire ; qu'ayant relevé, au vu notamment d'un courriel adressé par l'agent de handling du transporteur aérien à la société Biomérieux, que la température indiquée sur le conteneur était de 5° C au moment de sa livraison à la société Affiliated, la cour d'appel en exactement déduit que la marchandise n'avait pas été livrée conformément au titre de transport ;
Attendu, en second lieu, qu'il résulte de l'article 18.3 de la Convention de Montréal que le transporteur aérien est de plein droit responsable du dommage si le fait qui l'a causé s'est produit pendant le transport aérien, celui-ci comprenant la période pendant laquelle la marchandise se trouve sous sa garde ; qu'ayant relevé que l'élévation de température à l'origine du dommage s'était produite avant la livraison, qui seule marque la fin de la période de garde du transporteur, la cour d'appel, par ce seul motif rendant inopérantes les critiques des deuxième et troisième branches, a légalement justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le second moyen du même pourvoi :
Attendu que la société Air France fait le même grief à l'arrêt alors, selon le moyen, que dans le transport de marchandises, la responsabilité du transporteur, en cas de destruction, perte, d'avarie ou de retard, est limitée à la somme de dix-sept droits de tirage spéciaux par kilogramme, sauf déclaration spéciale d'intérêt faite par l'expéditeur ; que cette limitation est absolue ; qu'en condamnant la société Air France à payer à la société Biomérieux et à ses assureurs la somme de deux fois 42 845,50 euros dans la limite de 3 469,40 DTS, et en la condamnant encore à garantir la société Geodis Wilson et la société Helvetia des condamnations prononcées à leur encontre dans la limite de 3 469,40 DTS, la cour d'appel, qui a conféré à sa condamnation un caractère cumulatif excédant le plafond fixé par la Convention de Montréal du 28 mai 1999, a violé les articles 21 § 3 et 30 § 2 de cette Convention ;
Mais attendu qu'en condamnant la société Air France, in solidum avec les sociétés Geodis et Helvetia, à payer à la société Biomérieux la somme de 42 945,50 euros et la même somme aux assureurs de celle-ci, mais dans la limite de la contre-valeur en euros de 3 469,40 droits de tirage spéciaux (DTS), et en la condamnant à garantir les sociétés Géodis et Helvetia pour le montant total de 42 845, 50 euros, dans la même limite, la cour d'appel n'a pas prononcé de condamnation du transporteur aérien excédant le plafond d'indemnisation fixé par la Convention de Montréal ; que le moyen n'est pas fondé ;
Et sur le moyen unique du pourvoi incident de la société Biomérieux et de ses assureurs :
Attendu que la société Biomérieux et ses assureurs font grief à l'arrêt de limiter, en application de la Convention de Montréal, la condamnation prononcée à leur profit alors, selon le moyen, que l'application des dispositions de l'article 22 de la Convention de Montréal du 28 mai 1999 pour l'unification de certaines règles relatives au transport aérien international n'est pas exclusive de celles de l'article 1150 du code civil ; que le principe selon lequel le dol échappe à toutes les règles dans la mesure où il tient en échec toutes les clauses limitatives de responsabilité qu'elles soient d'origine légale ou contractuelle, présente un caractère d'ordre public et s'impose au juge ; qu'en énonçant que la gravité de la faute du transporteur aérien est sans incidence sur la réparation lorsque le transport aérien est soumis à la Convention de Montréal dès lors que cette convention n'écarte pas la limitation de l'indemnité en cas de faute inexcusable du transporteur, la cour d'appel a violé par refus d'application l'article 1150 du code civil ;
Mais attendu que selon l'article 22 de la Convention de Montréal, l'acte ou l'omission du transporteur aérien fait avec l'intention de provoquer un dommage ou témérairement et avec conscience qu'un dommage en résulterait probablement n'a pas pour effet d'exclure l'application des limites d'indemnisation prévues par ce texte pour la réparation des dommages subis par des marchandises transportées par voie aérienne ; que la cour d'appel en a exactement déduit que le dol ou la faute inexcusable du transporteur aérien de marchandises ne permettaient pas de mettre à sa charge la réparation intégrale du préjudice ; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE les pourvois tant principal qu'incidents.