Cass. com., 4 octobre 2023, n° 22-15.685
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Vigneau
Rapporteur :
Mme Guillou
Avocat général :
Mme Guinamant
Avocats :
SCP Bénabent, Me Bertrand
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Rouen, 3 mars 2022), en novembre 2017, la société Delisle a accepté un devis établi par la Société d'armatures spéciales (la société SAS) d'un montant de 80 456 euros, qu'elle a payé le 8 décembre 2017, portant sur la fabrication spécifique et la pose d'armatures en acier en vue de la construction d'une plate-forme logistique. Un nouveau devis, relatif au même chantier, a été émis le 8 janvier 2018 pour des quantités et prix différents mais n'a pas été accepté.
2. Soutenant que les conditions du contrat avait été unilatéralement modifiées, la société Delisle a invoqué sa résiliation et demandé le remboursement des sommes versées. La société SAS a adressé à cette dernière en réponse une lettre recommandée l'informant de ce qu'elle prenait acte de l'annulation de la commande et de ce qu'elle retenait une indemnité forfaitaire de 64 364,80 euros en application de l'article 4.6 des Usages professionnels des Armaturiers (APA), en y joignant un chèque de 16 091,20 euros.
3. Prétendant que ces usages professionnels et ces conditions générales lui étaient inopposables, la société Delisle a assigné la société SAS en remboursement de la somme retenue.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
5. La société Delisle fait grief à l'arrêt de déclarer que les Usages professionnels et conditions générales 2017 de l'APA lui sont opposables et, en conséquence, de dire que la société SAS dispose sur elle d'une créance de 64 364,80 euros et de rejeter sa demande en remboursement de cette somme, alors :
« 1°/ que les usages professionnels ne sont opposables à une partie que lorsque celle-ci est un commerçant ou professionnel du secteur d'activité concerné ; que le seul fait qu'une société holding acquiert des connaissances techniques sur ce secteur d'activité pour les besoins de l'opération contractuelle litigieuse ne suffit pas à la qualifier de professionnel dudit secteur d'activité ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté qu'il "ressort[ait] de l'acceptation de [...] charges techniques que la société Delisle s'[était] dotée des moyens lui permettant une compétence certaine en matière d'armatures" pour en déduire l'opposabilité des Usages professionnels et conditions générales 2017 de l'Association Professionnelle des Armaturiers ; qu'ainsi, elle a violé la règle susvisée, ensemble l'article 1194 nouveau du code civil, applicable à la cause ;
2°/ que les usages professionnels ne sont opposables à une partie que lorsque celle-ci est un commerçant ou professionnel du secteur d'activité concerné ; que lorsque tel n'est pas le cas, le professionnel doit établir qu'il a remis à son client les usages et conditions générales qu'il entend lui opposer et que ce dernier les a acceptés ; qu'en se contentant de constater, pour caractériser cette remise, que les devis et factures mentionnaient en bas de chaque page que toute commande était soumise "aux Usages professionnels et conditions générales 2017 de l'Association Professionnelle des Armaturiers déposés au Tribunal de commerce de Paris" et que, la société Delisle étant une société commerciale, elle "savait comment consulter le document", la cour d'appel a violé la règle énoncée, ensemble l'article 1119 nouveau du code civil, applicable à la cause. »
Réponse de la Cour
6. Il résulte de l'article 1194 du code civil que les usages élaborés par une profession ont vocation à régir, sauf convention contraire, non seulement les relations entre ses membres, mais aussi celles de ces derniers avec des personnes étrangères à cette profession dès lors qu'il est établi que celles-ci, en ayant eu connaissance, les ont acceptées.
7. L'arrêt retient, d'une part, que, bien que l'objet social de la société Delisle ne soit pas spécifique aux armatures, celle-ci avait commandé personnellement 50 tonnes d'armatures après avoir pris connaissance d'un devis laissant expressément à sa charge des prestations telles que le traçage des axes, le repiquage éventuel du béton et le redressage des armatures après un éventuel repiquage, les interventions sur les armatures de deuxième phase, de reprise ou sur élément préfabriqué, ce dont il ressortait que cette société disposait d'une compétence certaine en matière d'armatures.
8. Il énonce, d'autre part, que les parties ont la possibilité de soumettre leur contrat à des usages professionnels particuliers et relève que le devis du 15 novembre 2017, comme la facture pro-forma du 27 novembre suivant, rappellent que le contrat est soumis aux usages professionnels et conditions générales de l'APA, et mentionnent que ceux-ci ont été déposés au greffe du tribunal de commerce de Paris. Il retient, enfin, que la société Delisle, société commerciale immatriculée depuis 1991, disposant de dix établissements et réalisant un chiffre d'affaires important, savait comment consulter le document de l'APA et qu'elle avait effectué le paiement de la facture du 27 novembre 2017 sans avoir fait aucune observation sur la soumission du contrat à ces conditions générales.
9. De ces constatations et appréciations, la cour d'appel a pu déduire que la société Delisle avait accepté que sa commande soit soumise aux usages professionnels et conditions générales 2017 de l'APA.
10. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi.