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Décisions

CJUE, 3e ch., 26 octobre 2023, n° C-331/21

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

EDP – Energias de Portugal SA, EDP Comercial – Comercialização de Energia SA, MC retail SGPS SA, Modelo Continente Hipermercados SA

Défendeur :

Autoridade da Concorrência, Ministério Público

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

Mme Jürimäe (rapporteure)

Juges :

M. Piçarra, M. Safjan, M. Jääskinen, M. Gavalec

Avocat général :

M. Rantos

Avocats :

Me Botelho Moniz, Me Coelho Magalhães, Me Geraldo, Me Gouveia e Melo, Me Lima Cluny, Me Nascimento Ferreira, Me Gouveia, Me Rosas, Me Silva Ramalho, Me Vieira Peres

CJUE n° C-331/21

25 octobre 2023

LA COUR (troisième chambre),

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 101 TFUE et de l’article 1er, paragraphe 1, sous a) et c), du règlement (UE) no 330/2010 de la Commission, du 20 avril 2010, concernant l’application de l’article 101, paragraphe 3, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne à des catégories d’accords verticaux et de pratiques concertées (JO 2010, L 102, p. 1).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant EDP – Energias de Portugal SA (ci-après « EDP Energias »), EDP Comercial – Comercialização de Energia SA (ci-après « EDP Comercial »), MC retail SGPS SA (anciennement Sonae MC SGPS SA et, au moment des faits au principal, Sonae Investimentos SGSP SA et SONAE MC – Modelo Continente SGPS) (ci-après « MC retail ») ainsi que Modelo Continente Hipermercados SA (ci-après « Modelo Continente ») à l’Autoridade da Concorrência (ci-après l’« AdC ») au sujet d’amendes infligées en raison de la conclusion d’un accord anticoncurrentiel.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

Le règlement no 330/2010

3 L’article 1er du règlement no 330/2010, intitulé « Définitions », dispose :

« 1. Aux fins du présent règlement, on entend par :

a) “accord vertical”, un accord ou une pratique concertée entre deux ou plusieurs entreprises opérantes chacune, aux fins de l’accord ou de la pratique concertée, à un niveau différent de la chaîne de production ou de distribution, et relatif aux conditions auxquelles les parties peuvent acheter, vendre ou revendre certains biens ou services ;

b) “restriction verticale”, une restriction de concurrence dans un accord vertical entrant dans le champ d’application de l’article 101, paragraphe 1, [TFUE] ;

c) “entreprise concurrente”, un concurrent actuel ou potentiel ; “concurrent actuel”, une entreprise présente sur le même marché en cause ; “concurrent potentiel”, une entreprise qui, en l’absence de l’accord vertical, pourrait entreprendre, de façon réaliste et non selon une possibilité purement théorique, les investissements supplémentaires nécessaires ou supporter les autres coûts de transformation nécessaires pour pénétrer sur le marché en cause rapidement en cas d’augmentation légère, mais permanente, des prix relatifs ;

[...] »

Les lignes directrices sur les restrictions verticales

4 Les lignes directrices sur les restrictions verticales, contenues dans la communication de la Commission du 10 mai 2010 [SEC(2010) 411 final, ci-après les « lignes directrices sur les restrictions verticales »], précisent, notamment, le champ d’application du règlement no 330/2010.

5 Sous le titre II des lignes directrices sur les restrictions verticales, intitulé « Accords verticaux qui ne relèvent généralement pas de l’article 101, paragraphe 1[, TFUE] », figure un paragraphe 2, intitulé « Contrats d’agence », qui comprend, notamment, les points 12 à 17 de ces lignes directrices, ainsi libellés :

« (12) Un agent est une personne physique ou morale investie du pouvoir de négocier et/ou de conclure des contrats pour le compte d’une autre personne (le commettant), soit en son nom propre soit au nom du commettant en vue de :

– l’achat de biens ou de services par le commettant, ou de

– la vente de biens ou de services fournis par le commettant.

(13) Le facteur déterminant pour la définition d’un contrat d’agence aux fins de l’application de l’article 101, paragraphe 1, [TFUE] est le risque commercial ou financier que supporte l’agent en relation avec les activités pour lesquelles le commettant l’a désigné. À cet égard, le fait que l’agent agisse pour le compte d’un ou de plusieurs commettants est sans incidence, de même que la qualification donnée à l’accord par les parties ou par la législation nationale.

(14) Trois types de risques financiers ou commerciaux sont pertinents pour la définition d’un contrat d’agence aux fins de l’application de l’article 101, paragraphe 1, [TFUE]. Premièrement les risques propres à chaque contrat, qui sont directement liés aux contrats conclus et/ou négociés par l’agent pour le compte du commettant, comme le financement des stocks. Deuxièmement, les risques liés aux investissements propres au marché. Ces investissements sont ceux qu’exige le type d’activité pour lequel l’agent a été désigné par le commettant, c’est-à-dire ceux qui sont nécessaires pour que l’agent puisse conclure et/ou négocier ce type de contrat. Ces investissements sont généralement irrécouvrables, ce qui signifie que lors de l’abandon du domaine d’activité considéré, ils ne peuvent servir pour d’autres activités ou les actifs concernés ne peuvent être vendus que moyennant de lourdes pertes. Troisièmement, les risques liés à d’autres activités menées sur le même marché de produits, dans la mesure où le commettant demande à l’agent de se charger de ces activités non pas pour son compte, mais à ses propres risques.

(15) Aux fins de l’application de l’article 101, paragraphe 1, [TFUE], l’accord sera considéré comme un contrat d’agence si l’agent ne supporte aucun risque, ou n’en supporte qu’une partie négligeable, en rapport avec les contrats qu’il conclut et/ou négocie pour le compte du commettant, avec les investissements propres au marché pour ce domaine d’activité ou avec les autres activités que le commettant lui demande d’exercer sur le même marché de produits. Toutefois, les risques qui sont attachés aux prestations de services d’agence en général, comme le risque que les revenus de l’agent soient subordonnés à sa réussite en tant qu’agent ou les investissements généraux dans un local ou du personnel, par exemple, ne sont pas pertinents pour cette appréciation.

(16) Aux fins de l’application de l’article 101, paragraphe 1, [TFUE], un accord sera donc généralement considéré comme un contrat d’agence lorsque l’agent n’est pas investi de la propriété des biens contractuels achetés ou vendus ou lorsqu’il ne fournit pas lui-même les services contractuels et qu’il :

a) ne contribue pas aux coûts liés à la fourniture ou à l’achat des biens ou des services contractuels, y compris les coûts de transport des biens. Cela n’empêche pas l’agent d’effectuer le service de transport, sous réserve que les coûts soient couverts par le commettant ;

b) ne tient pas, à ses propres frais ou risques, de stocks de biens contractuels, et notamment ne supporte pas le coût de financement des stocks ni le coût lié à la perte des stocks, et peut retourner au commettant, sans frais, les invendus, à moins que sa responsabilité pour faute ne soit engagée (par exemple, pour ne pas avoir pris de mesures de sécurité suffisantes pour empêcher cette perte) ;

c) n’assume pas de responsabilité vis-à-vis des tiers pour les dommages causés par le produit vendu (responsabilité du fait des produits), sauf si sa responsabilité pour faute est engagée à cet égard ;

d) n’assume pas la responsabilité en cas de non-exécution du contrat par le client, à l’exception de la perte de sa commission, sauf si sa responsabilité pour faute est engagée (par exemple, pour ne pas avoir pris de mesures de sécurité ou contre le vol suffisantes ou de mesures raisonnables pour signaler un vol au commettant ou à la police, ou pour ne pas avoir communiqué au commettant toute information en sa possession concernant la fiabilité financière du client) ;

e) n’est pas tenu, directement ni indirectement, d’investir dans des actions de promotion des ventes, telles qu’une contribution au budget publicitaire du commettant ;

f) ne réalise pas d’investissements propres au marché dans des équipements, des locaux ou la formation du personnel (par exemple, dans un réservoir d’essence pour la vente au détail de carburant ou dans un logiciel spécialisé pour la vente de polices d’assurance dans le cas d’agents d’assurance), sauf si ces coûts lui sont intégralement remboursés par le commettant ;

g) ne se charge pas d’autres activités sur le même marché de produits à la demande du commettant, sauf si ces activités lui sont intégralement remboursées par ce dernier.

(17) Cette liste n’est pas exhaustive. Cependant, si l’agent assume un ou plusieurs des risques ou des coûts cités aux points 14, 15 et 16, l’accord entre l’agent et le commettant ne sera pas considéré comme un contrat d’agence. La question du risque doit être analysée cas par cas et en tenant compte de la réalité économique plutôt que de la forme juridique. Pour des raisons pratiques, l’analyse de risque peut débuter par l’appréciation des risques propres au contrat. Le fait que ces risques soient supportés par l’agent suffit à conclure que celui-ci est un distributeur indépendant. Au contraire, si l’agent ne supporte aucun des risques propres au contrat, il y a lieu de poursuivre l’analyse et d’apprécier les risques liés aux investissements propres au marché. Enfin, si l’agent ne supporte aucun des risques propres au contrat ni des risques liés aux investissements propres au marché, il y a lieu d’examiner les risques liés à d’autres activités menées sur le même marché de produits. »

6 Selon les points 24 et 25 desdites lignes directrices :

« (24) L’article 1er, paragraphe 1, point a), du règlement [no 330/2010] définit un accord vertical comme “un accord ou une pratique concertée entre deux ou plusieurs entreprises opérant chacune, aux fins de l’accord ou de la pratique concertée, à un niveau différent de la chaîne de production ou de distribution, et relatif aux conditions auxquelles les parties peuvent acheter, vendre ou revendre certains biens ou services”. »

(25) La définition d’“accord vertical” visée au point (24) contient quatre éléments principaux :

[...]

(c) chacune des entreprises participant à l’accord ou à la pratique concertée agit, aux fins de l’accord, à un niveau différent de la chaîne de production ou de distribution. À titre d’exemple, une entreprise produit une matière première que l’autre entreprise utilise comme bien intermédiaire, ou la première est un fabricant, la deuxième un grossiste et la troisième un détaillant ; ceci n’exclut pas les cas où une entreprise est présente à plus d’un niveau de la chaîne de production ou de distribution ;

[...] »

7 Le point 27 des mêmes lignes directrices précise :

« L’article 2, paragraphe 4, du règlement [no 330/2010] exclut expressément de son champ d’application les “accords verticaux conclus entre entreprises concurrentes”. Les accords verticaux entre concurrents sont traités, quant à leurs éventuels effets de collusion, dans les [lignes directrices sur les accords de coopération horizontale]. Les aspects verticaux de ces accords doivent toutefois être appréciés au regard des présentes lignes directrices. L’article 1er, paragraphe 1, point c), du [règlement no 330/2010] définit une entreprise concurrente comme “un concurrent actuel ou potentiel”. Deux entreprises sont considérées comme des concurrents actuels si elles sont présentes sur le même marché en cause. Une entreprise est considérée comme un concurrent potentiel d’une autre entreprise si, en l’absence d’accord, en cas de hausse légère mais permanente des prix relatifs, il est probable que, dans un bref délai, normalement inférieur à un an, elle procéderait aux investissements supplémentaires nécessaires ou engagerait les autres coûts de transformation nécessaires pour pénétrer sur le marché en cause sur lequel l’autre entreprise est présente. Cette évaluation doit être réaliste, une possibilité d’entrée sur le marché n’étant pas suffisante si elle est purement théorique. Un distributeur qui fournit des caractéristiques techniques à un fabricant pour la production d’un bien donné sous sa marque de distributeur ne saurait être considéré comme le fabricant de ces biens. »

Le droit portugais

8 L’article 9, paragraphe 1, de la Lei no 19/2012 – Aprova o novo regime jurídico da concorrência, revogando as Leis nos 18/2003, de 11 de junho, e 39/2006, de 25 de agosto, e procede à segunda alteração à lei no 2/99, de 13 de janeiro (loi no 19/2012, qui approuve le nouveau régime juridique de la concurrence, révoque les lois nos 18/2003, du 11 juin, et 39/2006, du 25 août, et apporte la deuxième modification à la loi no 2/99, du 13 janvier), du 8 mai 2012 (Diário da República, série I, no 89/2012, du 8 mai 2012, ci-après le « NRJC »), dispose :

« Sont interdits les accords entre entreprises, les pratiques concertées entre entreprises et les décisions d’associations d’entreprises qui ont pour objet ou pour effet d’empêcher, de fausser ou de restreindre sensiblement le jeu de la concurrence sur tout ou partie du marché national [...] »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

9 Il ressort de la demande de décision préjudicielle que Modelo Continente et MC retail font partie d’un ensemble de sociétés présentes dans de multiples secteurs d’activité, notamment la distribution de détail, les télécommunications et l’audiovisuel, les centres commerciaux, les produits à base de bois, le tourisme et l’énergie, avec une organisation sous l’égide de holdings et de sous-holdings, structurées par secteur d’activité et/ou domaine d’affaires (ci-après le « Groupe Sonae »).

10 Au sein de ce groupe, Modelo Continente est active dans le secteur de la distribution de produits alimentaires et de grande consommation au Portugal. Elle exploite directement ou indirectement, par l’intermédiaire de participations, un ensemble de magasins opérant sous les enseignes Continente, Continente Modelo et Continente Bom Dia. MC retail, qui avait pour objet la gestion de parts sociales, était active, au moment des faits au principal, dans le secteur de la distribution au détail. Elle détenait 100 % du capital de Modelo Continente Hipermercados.

11 EDP Energias et EDP Comercial font partie d’un conglomérat portugais dont la société mère est EDP Energias, active, notamment, dans le secteur de la production et de la fourniture d’électricité et de gaz naturel au Portugal (ci-après le « Groupe EDP »). Le Groupe EDP est l’acteur portugais le plus important sur les marchés de la production, de la distribution et de la fourniture d’électricité, le troisième acteur pour la production d’électricité et l’un des plus grands distributeurs de gaz dans la péninsule Ibérique.

12 Le 5 janvier 2012, EDP Comercial et Modelo Continente ont conclu un accord de partenariat qui définissait les termes et les conditions du « Plan EDP Continente ». Cet accord visait à attirer des clients, à stimuler les ventes et à offrir des réductions aux consommateurs. À la date de la conclusion dudit accord, ces deux sociétés n’étaient pas en situation de concurrence effective sur les marchés distincts de la vente au détail de produits alimentaires et de grande consommation ainsi que de la fourniture d’électricité et de gaz naturel au Portugal.

13 La clause 2.1 de l’accord de partenariat définissait l’objet et la portée de celui-ci en prévoyant, en substance, de favoriser le développement des activités de fourniture d’électricité par EDP Comercial, et de distribution au détail de produits alimentaires par Modelo Continente dans différents hypermarchés et supermarchés ainsi que dans des établissements commerciaux exploités par d’autres sociétés affiliées au Groupe Sonae.

14 D’un point de vue commercial, le « Plan EDP Continente » prévoyait des réductions sur les prix de l’électricité qui étaient réservées aux clients détenteurs de la « carte Continente », carte de réduction émise par Modelo Continente dans le cadre d’un programme de fidélité.

15 Outre la détention de cette carte, les clients souhaitant souscrire au « Plan EDP Continente » devaient signer un contrat de fourniture d’électricité à basse tension avec EDP Comercial en régime libéralisé au Portugal. Ces clients bénéficiaient alors d’une réduction de 10 % sur leur consommation d’électricité. Cette réduction se traduisait par l’émission de bons de réduction correspondant au montant de cette réduction et crédités sur la carte Continente des clients concernés. Ces derniers pouvaient alors les utiliser pour effectuer des achats dans les établissements visés dans la clause 2.1 de l’accord de partenariat en cause au principal.

16 Initialement, le montant des réductions était entièrement supporté par EDP Comercial. Modelo Continente devait émettre chaque mois une note de débit pour le montant des bons émis et effectivement activés au cours du mois précédent, laquelle note devait être payée à la fin du mois d’émission de chaque facture. Toutefois, en fonction de l’augmentation du trafic dans les établissements du Groupe Sonae et de l’augmentation du chiffre d’affaires résultant du « Plan EDP Continente », il était prévu que Modelo Continente prenne à sa charge une partie des réductions accordées.

17 Les autres coûts du partenariat, liés à la publicité, au marketing, à la communication et à la défense dans les procédures, étaient supportés à parts égales par EDP Comercial et Modelo Continente.

18 La clause 12.1 de l’accord de partenariat en cause au principal, intitulée « Exclusivité », stipulait :

« Pendant la durée du présent accord, et pendant une période de 1 an après sa résiliation, Modelo Continente s’engage à :

a.  ne pas développer, directement ou par l’intermédiaire d’une société dans laquelle Sonae Investimentos SGPS SA détient une participation majoritaire, l’activité de fourniture d’électricité et de gaz naturel au Portugal continental ;

b.  ne pas négocier ou établir, avec tout fournisseur d’électricité ou de gaz naturel qui n’est pas en relation de contrôle ou de groupe avec EDP Comercial [...], des accords de partenariat, des coentreprises, des accords de principe, des campagnes publicitaires ou autres, qui aient pour objet ou pour effet l’octroi de remises ou d’autres avantages financiers liés à l’électricité ou au gaz naturel, quelles que soient leurs modalités.

[...] »

19 En vertu de la clause 12.2 de cet accord, EDP Comercial s’engageait à des obligations symétriques pour le marché de la distribution au détail de produits alimentaires au Portugal continental.

20 L’accord de partenariat en cause au principal est demeuré en vigueur jusqu’au 31 décembre 2012, bien que l’adhésion des consommateurs au « Plan EDP Continente » n’ait été ouverte qu’entre le 9 janvier 2012 et le 4 mars 2012.

21 La souscription de contrats de fourniture d’électricité a été ouverte dans un réseau de 180 espaces commerciaux exploités par Modelo Continente, dont l’approvisionnement était partagé par EDP Comercial et Modelo Continente. 146 775 clients ont souscrit au « Plan EDP Continente », dont 137 144 sont restés contractuellement liés à EDP Comercial pendant et après la fin de la campagne.

22 La somme des réductions dont ont bénéficié les membres du « Plan EDP Continente » s’est élevée à 6 907 354 euros, le taux d’activation total des bons atteignant environ 6 024 252 euros. Sur ce montant, 1 795 912 euros ont été supportés par Modelo Continente.

23 La juridiction de renvoi indique que l’accord de partenariat en cause au principal a coïncidé avec une phase cruciale du processus de libéralisation du marché de la fourniture d’électricité, les tarifs régulés pour la basse tension normale s’éteignant à la fin de l’année 2012. Le Groupe EDP aurait donc cherché à capter un nombre important de clients sur le marché national libéralisé, en profitant d’une période où ce marché n’avait pas encore subi le pic de la transition des clients basse tension.

24 À cet égard, il ressort de la demande de décision préjudicielle que le processus de libéralisation de la fourniture d’électricité s’est déroulé au Portugal de manière progressive à partir de l’année 1995. Le cadre réglementaire portugais applicable à la commercialisation de l’énergie électrique favoriserait, depuis cette même année 1995, un régime de libre concurrence dans ce secteur en simplifiant les conditions légales d’accès et d’exercice de l’activité de fourniture d’électricité, celle-ci n’étant soumise qu’à un enregistrement plutôt qu’à une licence, favorisant ainsi l’entrée d’opérateurs indépendants.

25 La juridiction de renvoi précise que, au cours de l’année 2006, le Portugal a mis en place une période transitoire au cours de laquelle les consommateurs ont pu choisir entre le marché réglementé et le marché libéralisé sur la seule base de l’incitation et de l’attractivité commerciale des offres, sans aucune charge ou contrainte du point de vue réglementaire.

26 À compter du 1er janvier 2011, les tarifs régulés applicables aux clients finals pour la fourniture d’électricité à très haute, haute et moyenne tensions ainsi qu’à basse tension spécifique, auraient été supprimés. Les tarifs régulés applicables à la fourniture d’électricité à basse tension (petits commerces/ménages) auraient été supprimés, à compter du 1er juillet 2012, pour les clients finals dont la puissance contractuelle est supérieure ou égale à 10,35 kVA et, à compter du 1er janvier 2013, pour des clients dont la puissance contractuelle est inférieure à 10,35 kVA. Après ces dates, la conclusion de nouveaux contrats n’aurait été possible que sur le marché libéralisé. Cependant, des mécanismes tarifaires transitoires auraient été établis pour les consommateurs n’ayant pas choisi, à ces dernières dates, de passer à un contrat sur le marché libéralisé. Des tarifs définis par l’Entidade Reguladora dos Serviços Energéticos (autorité de régulation des services énergétiques, Portugal) s’appliqueraient à ces consommateurs, avec des prix majorés pour favoriser la transition vers le marché libéralisé. Le dernier de ces régimes transitoires aurait expiré le 31 décembre 2017.

27 Selon la juridiction de renvoi, dans ce contexte, le Groupe Sonae a développé entre les années 2002 et 2008 une activité sur le marché de la fourniture d’électricité au Portugal, au moyen d’un partenariat avec Endesa, acteur historique en Espagne sur le marché de la production et de la fourniture d’électricité. Ce partenariat aurait pris la forme d’une société commune, créée le 1er mai 2002, Sodesa – Comercialização de Energia SA (ci-après « Sodesa »), détenue à 50 % par chacune des sociétés participantes, dans le but de fournir de l’électricité et des services sur le marché libéralisé portugais.

28 Au mois de mai 2007, le groupe EDP aurait perdu des parts de marché sur le marché libéralisé de la fourniture d’électricité au Portugal. Ses concurrents, tels que Sodesa et Unión Fenosa, seraient parvenus à des parts de marché cumulées supérieures à 50 % des clients ayant choisi de changer de fournisseur. Cette perte de parts de marché aurait néanmoins été limitée au segment industriel.

29 De plus, depuis l’année 2004, Modelo Continente et Petróleos de Portugal – Petrogal SA, un opérateur présent, notamment, sur le marché de la fourniture d’électricité au Portugal et sur le marché de la fourniture de carburants, auraient développé un partenariat accordant des rabais aux clients communs. En outre, le Groupe Sonae serait actif, depuis l’année 2009, sur le marché de la production d’électricité au moyen de panneaux photovoltaïques installés sur les toits des locaux exploités.

30 Par une décision du 4 mai 2017, l’AdC a infligé aux requérantes au principal des amendes pour infraction à l’article 9 du NRJC, qui reproduit, en substance, l’article 101 TFUE.

31 Selon l’AdC, l’infraction au droit de la concurrence aurait consisté en la conclusion d’un accord de partenariat entre ces entreprises ayant pour objet un partage de marchés, sous la forme d’une clause de non-concurrence, sur les marchés de la fourniture d’électricité, de gaz naturel et de la distribution au détail de denrées alimentaires, tous trois situés au Portugal continental. En outre, cet accord aurait été mis en œuvre à un moment crucial du processus de libéralisation du marché national de la fourniture d’électricité, ce qui aurait renforcé le caractère anticoncurrentiel de l’accord.

32 Par ailleurs, l’AdC a estimé, notamment, que l’accord de partenariat en cause au principal ne constitue ni un contrat d’agence ni un accord vertical aux fins de l’application des règles de concurrence, et qu’il ne pouvait être exclu que la clause 12.1, sous a), et la clause 12.2 de cet accord relèvent d’une « coopération horizontale ». Ainsi, la clause de non-concurrence contenue dans cet accord devait être qualifiée de restriction par objet et constituait une violation de l’interdiction énoncée à l’article 9 du NRJC.

33 À la suite d’un recours formé par les requérantes au principal, le Tribunal da Concorrência, Regulação e Supervisão (tribunal de la concurrence, de la régulation et du contrôle, Portugal) a confirmé, par un jugement du 30 septembre 2020, la décision de sanction en cause au principal, mais a réduit de 10 % le montant des amendes infligées. Afin de constater l’existence d’une restriction de la concurrence par objet, cette juridiction a pris en compte, notamment, les activités du Groupe Sonae sur les marchés de la production et de la fourniture d’électricité avant et pendant la mise en œuvre de l’accord de partenariat.

34 Les requérantes au principal ainsi que l’AdC ont fait appel de ce jugement devant le Tribunal da Relação de Lisboa (cour d’appel de Lisbonne, Portugal), la juridiction de renvoi.

35 La juridiction de renvoi nourrit des doutes quant au point de savoir si l’accord de partenariat en cause au principal et plus particulièrement la clause de non-concurrence qu’il contient ont pu avoir un impact négatif sur la concurrence pour les marchés concernés. À cet égard, elle souligne que les requérantes au principal n’étaient pas en situation de concurrence effective sur ces marchés. De plus, elle constate l’absence d’éléments susceptibles de démontrer l’existence de préparatifs ou d’investissements significatifs et suffisants par Modelo Continente ou par les sociétés faisant partie du Groupe Sonae.

36 La juridiction de renvoi s’interroge également sur les conditions requises pour qu’un tel accord puisse être qualifié de restriction de concurrence par objet, par opposition à une restriction de la concurrence par effet, étant donné le fait que les consommateurs en ont tiré certains avantages.

37 Elle rappelle que, selon la jurisprudence récente de la Cour, il est possible d’écarter la présomption selon laquelle certaines pratiques suffisamment restrictives par leur objet pour être gravement préjudiciables à la concurrence produisent des effets anticoncurrentiels lorsque les accords visent des objectifs légitimes et proportionnels ou lorsque des objectifs ou des effets proconcurrentiels sont démontrés. Elle se demande, en outre, si l’accord de partenariat en cause au principal pourrait être qualifié de contrat d’agence et ainsi échapper, en application de la disposition nationale équivalente à l’article 101, paragraphe 3, TFUE, à l’interdiction prévue au paragraphe 1 de cette disposition.

38 Dans ces conditions, le Tribunal da Relação de Lisboa (cour d’appel de Lisbonne) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) L’article 101 [TFUE], duquel s’inspire l’article 9 [du NRJC], doit-il être interprété en ce sens qu’il permet de qualifier une clause de non-concurrence, ayant la teneur des articles 12, paragraphe 1, et 12, paragraphe 2, [...] de l’accord de partenariat [en cause au principal], d’accord constituant une restriction par objet, conclu entre un fournisseur d’électricité et un détaillant alimentaire exploitant des hypermarchés et des supermarchés, visant à accorder des réductions aux clients qui à la fois souscrivent un plan tarifaire d’énergie donné du fournisseur d’électricité, disponible sur le territoire continental du Portugal, et sont titulaires d’une carte de fidélité du détaillant alimentaire, ces réductions ne pouvant être accordées que sur des achats de marchandises dans les établissements de ce dernier ou de sociétés qui lui sont apparentées, alors que l’accord contient d’autres clauses précisant que son objectif était de favoriser le développement des activités des sociétés concernées [...] et qu’il est prouvé que les consommateurs en tirent des avantages [...], sans examiner les effets concrets nuisibles à la concurrence résultant de ces clauses 12, paragraphe 1, et 12, paragraphe 2 ?

2) L’article 101, paragraphe 1, TFUE peut-il être interprété en ce sens qu’un accord de ne pas exercer certaines activités économiques correspondant à un prétendu partage des marchés entre deux entreprises peut être qualifié de restriction de la concurrence par objet lorsqu’il est conclu entre des entités qui ne sont pas des concurrents réels ou potentiels, et ce sur aucun des marchés couverts par cette obligation, même si les marchés couverts par celle-ci peuvent être considérés comme libéralisés ou dépourvus de barrières légales insurmontables à l’entrée ?

3) L’article 101, paragraphe 1, TFUE doit-il être interprété en ce sens qu’un fournisseur d’électricité et un détaillant alimentaire exploitant des hypermarchés et des supermarchés qui ont conclu un accord entre eux, en vue de promouvoir mutuellement leur activité et d’augmenter les ventes de la contrepartie (et, dans le cas du détaillant alimentaire, des sociétés détenues majoritairement par [...] sa société mère), doivent être considérés comme des concurrents potentiels, alors que le détaillant alimentaire et les sociétés qui lui sont apparentées n’exerçaient pas, à la date de la conclusion de l’accord, une activité de fourniture d’électricité sur le marché géographique pertinent ni sur aucun autre marché, et qu’il n’a pas été démontré dans le cadre de la procédure qu’ils avaient l’intention d’y exercer cette activité ou qu’ils avaient entamé de quelconques diligences préparatoires à l’exercice de cette activité ?

4) La réponse à la question précédente demeure-t-elle la même si une autre société détenue majoritairement par une société mère du détaillant alimentaire partie à l’accord (mais sans qu’aucune de ces deux entités n’ait été mise en cause ou condamnée par l’[AdC] ni été partie à la procédure devant la présente juridiction), qui n’était pas couverte par le champ d’application subjectif de l’obligation de non-concurrence, avait détenu 50 % d’une entité tierce qui exerçait des activités de fourniture d’électricité au Portugal qui se sont arrêtées trois ans et demi avant la conclusion de l’accord à la suite de la dissolution de cette dernière entité ?

5) La réponse à la question précédente sera-t-elle identique si l’entreprise de commerce de détail partie à l’accord produit de l’électricité au moyen d’installations de minigénération et de microgénération situées sur les toits de ses établissements, alors que toute l’énergie produite est livrée, à des prix réglementés, au fournisseur de dernier recours ?

6) La réponse à la quatrième question reste-t-elle la même si l’entreprise de commerce de détail partie à l’accord a conclu huit ans avant celui-ci un autre contrat de coopération commerciale (qui était encore en vigueur au moment de la signature de l’accord) avec un tiers, à savoir un fournisseur de carburants liquides, visant à octroyer des réductions croisées pour l’achat de ces produits et des produits vendus dans les hypermarchés et supermarchés de l’entreprise, dans lequel l’entreprise cocontractante était non seulement un fournisseur de combustibles liquides, mais aussi un fournisseur d’électricité au Portugal continental, et alors qu’il n’est pas établi que, au moment de la conclusion de l’accord, les parties aient eu l’intention ou aient fait des démarches préparatoires pour étendre ledit contrat à la fourniture d’électricité ?

7) La réponse à la quatrième question reste-t-elle la même si une autre société, détenue majoritairement par une société mère du détaillant alimentaire partie à l’accord (sans qu’aucune de ces deux entités n’ait été mise en cause ou condamnée par l’[AdC] ni été partie à la procédure devant cette juridiction), qui n’était pas couverte par le champ d’application subjectif de l’obligation de non-concurrence, produisait de l’électricité dans une centrale de cogénération et que toute l’électricité produite était livrée, à des prix réglementés, au fournisseur de dernier ressort ?

8) En cas de réponse affirmative aux questions précédentes, l’article 101, paragraphe 1, TFUE doit-il être interprété en ce sens qu’une clause qui empêche ce détaillant alimentaire, pendant la période de validité de l’accord et pendant l’année qui la suit immédiatement, d’exercer des activités de fourniture d’électricité, soit lui-même, soit par l’intermédiaire d’une société dont la majorité des parts est détenue par une société mère visée par la procédure, sur le territoire couvert par l’accord, est susceptible d’être considérée comme une restriction par objet ?

9) La notion de “concurrent potentiel”, au sens de l’article 101 TFUE [et] de l’article 1er, paragraphe 1, sous c), du règlement [no 330/2010], doit-elle être interprétée comme couvrant une entreprise liée par une clause de non-concurrence qui est présente sur un marché de produits entièrement distinct de celui de l’autre partie à l’accord, lorsqu’il n’existe pas dans le dossier devant la juridiction nationale d’indices concrets (tels que des projets, des investissements ou d’autres démarches préparatoires) du fait que, avant et en l’absence de cette clause, l’entreprise en question était susceptible, dans un court laps de temps, d’entrer sur le marché de l’autre partie, et qu’il n’a pas davantage été démontré que cette entreprise était, avant et en l’absence de cette clause, perçue par l’autre partie à l’accord comme un concurrent potentiel sur le marché en question ?

10) L’article 101, paragraphe 1, TFUE doit-il être interprété en ce sens que le seul fait qu’un accord de partenariat [en cause au principal], entre une entreprise active sur le marché de la fourniture d’électricité et une entreprise active sur le marché du commerce de détail de produits alimentaires et non alimentaires destinés à être consommés à domicile, pour la promotion croisée de leurs activités respectives (dans le cadre duquel, notamment, la première entreprise accorde à ses clients des réductions sur leur consommation d’électricité que la seconde entreprise déduit du prix des achats effectués par ces clients dans ses points de vente au détail), contienne une clause par laquelle les deux parties s’engagent à ne pas se faire concurrence et à ne pas conclure d’accords similaires avec les concurrents de l’autre partie, signifie que cette clause a pour objet de restreindre la concurrence au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, alors que :

– la portée temporelle de la clause en question (un an à partir de la signature de l’accord, plus une année supplémentaire) coïncide avec la période, définie dans ce même accord, pendant laquelle les parties ne sont pas autorisées à utiliser des secrets commerciaux ou un savoir-faire acquis au cours de la mise en œuvre du partenariat dans le cadre de projets avec des tiers ;

– la portée géographique de la clause est limitée à la portée géographique de l’accord ;

– le champ d’application subjectif de la clause est limité aux parties à l’accord et aux sociétés dont elles détiennent une participation majoritaire ainsi qu’aux autres sociétés du même groupe qui possèdent et/ou exploitent également des établissements de vente au détail couverts par l’accord ;

– la portée subjective de la clause exclut la grande majorité des entreprises appartenant au même groupe économique que les parties, lesquelles ne sont donc pas liées par la clause et peuvent entrer en concurrence avec le cocontractant pendant et après la durée du contrat ;

– les entreprises couvertes par la clause de non–concurrence sont présentes sur des marchés de produits entièrement distincts et il n’a pas été démontré qu’au moment de la conclusion de l’accord, elles avaient élaboré des plans ou des projets, ou réalisé des investissements ou effectué d’autres démarches préparatoires, en vue d’entrer sur le marché de produits de l’autre partie ?

11) La notion d’“accord vertical”, au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE [et] de l’article 1er, paragraphe 1, sous a), du règlement [no 330/2010], doit-elle être interprétée comme couvrant un accord présentant les caractéristiques décrites dans les questions précédentes, dans le cadre duquel les parties sont présentes sur des marchés de produits entièrement distincts et alors qu’il n’a pas été démontré qu’elles aient fait, avant et en l’absence de l’accord, des projets, des investissements ou des plans visant à entrer sur le marché de produits de l’autre partie, mais dans le cadre duquel les parties, aux fins de l’accord en question, mettent à la disposition l’une de l’autre leurs réseaux de vente, leurs forces de vente et leur savoir-faire respectifs afin d’attirer, de gagner et de développer la clientèle et les affaires de l’autre partie ? »

Sur la compétence de la Cour et la recevabilité des questions préjudicielles

39 S’agissant, premièrement, de la compétence de la Cour, il y a lieu de relever que les requérantes au principal ont été condamnées en application du droit portugais, à savoir sur le fondement du NRJC, et non pas en vertu d’une disposition du droit de l’Union. La juridiction de renvoi fait néanmoins observer que les dispositions nationales pertinentes reproduisent, en substance, l’article 101 TFUE et qu’elles sont interprétées de la même manière que cette disposition du droit de l’Union, à la lumière de la jurisprudence de la Cour.

40 Selon une jurisprudence constante, dans le cadre de la procédure prévue à l’article 267 TFUE, la Cour n’est pas compétente pour interpréter le droit national, cette mission incombant exclusivement à la juridiction de renvoi [voir, en ce sens, arrêts du 1er décembre 1965, Dekker, 33/65, EU:C:1965:118, p. 1116, ainsi que du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C 307/18, EU:C:2020:52, point 25].

41 La Cour est toutefois compétente pour statuer sur une demande de décision préjudicielle portant sur des dispositions du droit de l’Union, dans des situations dans lesquelles, même si les faits au principal ne relèvent pas directement du champ d’application de ce droit, les dispositions dudit droit ont été rendues applicables par le droit national en raison d’un renvoi opéré par ce dernier au contenu de celles-ci [voir, en ce sens, arrêts du 18 octobre 1990, Dzodzi, C 297/88 et C 197/89, EU:C:1990:360, points 41 et 42, ainsi que du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C 307/18, EU:C:2020:52, point 26].

42 En effet, lorsqu’une législation nationale se conforme, pour les solutions qu’elle apporte à des situations purement internes, à celles retenues par le droit de l’Union, afin, par exemple, d’éviter d’éventuelles distorsions de concurrence, ou encore d’assurer une procédure unique dans des situations comparables, il existe un intérêt certain de l’Union à ce que, pour éviter des divergences d’interprétation futures, les dispositions ou les notions reprises du droit de l’Union reçoivent une interprétation uniforme, quelles que soient les conditions dans lesquelles elles sont appelées à s’appliquer [voir, en ce sens, arrêts du 18 octobre 1990, Dzodzi, C 297/88 et C 197/89, EU:C:1990:360, point 37, ainsi que du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C 307/18, EU:C:2020:52, point 27].

43 Or, en l’occurrence, ainsi qu’il ressort des informations communiquées par la juridiction de renvoi, l’article 9 du NRJC reprend la substance de l’article 101 TFUE et est appliqué par les autorités nationales compétentes ainsi que par les juridictions nationales d’une manière conforme à cette dernière disposition.

44 Il s’ensuit que la Cour est compétente pour répondre aux questions préjudicielles.

45 S’agissant, deuxièmement, de la recevabilité des questions préjudicielles, il importe de rappeler que le renvoi préjudiciel, instrument de coopération entre la Cour et les juridictions nationales, repose sur un dialogue de juge à juge. S’il appartient à la juridiction de renvoi d’apprécier si l’interprétation d’une règle de droit de l’Union est nécessaire pour lui permettre de résoudre le litige qui lui est soumis, eu égard au mécanisme de la procédure prévue à l’article 267 TFUE, il incombe également à ladite juridiction de décider de quelle manière ces questions doivent être formulées. Si la même juridiction est libre d’inviter les parties au litige dont elle est saisie à suggérer des formulations susceptibles d’être retenues pour l’énoncé des questions préjudicielles, c’est toutefois à elle seule qu’il incombe de décider en dernier lieu tant la forme que le contenu de celles-ci (arrêt du 29 juin 2023, Super Bock Bebidas, C 211/22, EU:C:2023:529, point 21 et jurisprudence citée).

46 Les questions relatives à l’interprétation du droit de l’Union posées par le juge national dans le cadre réglementaire et factuel qu’il définit sous sa responsabilité, et dont il n’appartient pas à la Cour de vérifier l’exactitude, bénéficient d’une présomption de pertinence. Le refus de la Cour de statuer sur une demande formée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (arrêt du 29 juin 2023, Super Bock Bebidas, C 211/22, EU:C:2023:529, point 22 et jurisprudence citée).

47 À ce dernier égard, il importe de rappeler que, en vertu d’une jurisprudence constante, désormais reflétée à l’article 94, sous a) et b), du règlement de procédure de la Cour, la nécessité de parvenir à une interprétation du droit de l’Union qui soit utile pour le juge national exige que celui-ci définisse le cadre factuel et réglementaire dans lequel s’insèrent les questions qu’il pose ou que, à tout le moins, il explique les hypothèses factuelles sur lesquelles ces questions sont fondées. Ces exigences valent tout particulièrement dans le domaine de la concurrence, qui est caractérisé par des situations de fait et de droit complexes (arrêt du 29 juin 2023, Super Bock Bebidas, C 211/22, EU:C:2023:529, point 23 et jurisprudence citée).

48 En outre, il est indispensable, comme l’énonce l’article 94, sous c), du règlement de procédure, que la demande de décision préjudicielle contienne l’exposé des raisons qui ont conduit la juridiction de renvoi à s’interroger sur l’interprétation ou la validité de certaines dispositions du droit de l’Union, ainsi que le lien qu’elle établit entre ces dispositions et la législation nationale applicable au litige au principal.

49 En l’occurrence, dans l’esprit de coopération inhérent au dialogue de juge à juge et pour permettre à la Cour de rendre une décision la plus utile possible, il aurait été souhaitable que la juridiction de renvoi expose, de manière plus synthétique et claire, sa propre compréhension du litige dont elle est saisie ainsi que des questions de droit sous-tendant sa demande de décision préjudicielle plutôt qu’elle reproduise, de manière excessivement longue, de nombreux extraits des pièces du dossier qui lui a été soumis.

50 De la même manière, comme le relèvent, en substance, la Commission et le gouvernement portugais, si la juridiction de renvoi a exposé les raisons l’ayant conduite à saisir la Cour à titre préjudiciel, il aurait été dans l’intérêt d’une coopération utile qu’elle procède également à une reformulation des questions qui lui ont été suggérées par les parties au principal, afin d’éviter des recoupements inutiles entre ces questions et qu’elle clarifie les prémisses juridiques et factuelles sur lesquelles ces questions reposent.

51 En outre, il convient de relever que la décision de renvoi distingue, parmi les faits pertinents, ceux qui sont considérés comme étant établis de ceux qui ne le sont pas. Or, la deuxième question se fonde sur des hypothèses factuelles qui sont identifiées comme n’étant pas établies en ce qu’elle part de la prémisse d’une absence de concurrence potentielle alors même que l’une des principales questions de droit qui justifient le renvoi préjudiciel porte sur cette notion.

52 De même, la neuvième question pose l’hypothèse qu’il n’existe pas de preuve que l’entreprise présente sur le marché de la fourniture d’électricité percevait son co-contractant, détaillant de produits alimentaires, comme étant un concurrent potentiel. Cette hypothèse ne relève pourtant pas des faits établis tels qu’ils sont exposés par la juridiction de renvoi. Il ressort, au contraire, de la demande de décision préjudicielle que le Tribunal da Concorrência, Regulação e Supervisão (tribunal de la concurrence, de la régulation et du contrôle) a tenu compte, pour statuer en première instance, du fait que les requérantes au principal se considéraient mutuellement et réciproquement comme des concurrents potentiels.

53 Enfin, l’hypothèse factuelle de la dixième question selon laquelle la portée de la clause de non-concurrence coïncide avec la période pendant laquelle les parties à l’accord de partenariat en cause au principal n’étaient pas autorisées à utiliser des secrets commerciaux ou un savoir-faire acquis au cours de la mise en œuvre de ce partenariat relève non pas des faits établis mais, au contraire, des faits non prouvés.

54 Compte tenu de ce qui précède, il y a lieu de considérer la deuxième question comme étant irrecevable. S’agissant des neuvième et dixième questions, elles doivent être considérées comme étant irrecevables en ce qu’elles se fondent sur les hypothèses évoquées aux points précédents.

Sur les questions préjudicielles

55 À titre liminaire, il y a lieu de faire observer que les questions préjudicielles se recoupent partiellement en ce qu’elles portent sur l’interprétation d’un nombre limité de notions de droit de l’Union, tout en variant les hypothèses factuelles.

56 À cet égard, selon une jurisprudence constante de la Cour, dans le cadre de la procédure de coopération entre les juridictions nationales et la Cour instituée à l’article 267 TFUE, il appartient à celle-ci de donner au juge national une réponse utile qui lui permette de trancher le litige dont il est saisi. Dans cette optique, il incombe, le cas échéant, à la Cour de reformuler les questions qui lui sont soumises. Il appartient, à cet égard, à la Cour d’extraire de l’ensemble des éléments fournis par la juridiction nationale, et notamment de la motivation de la décision de renvoi, les éléments du droit de l’Union qui appellent une interprétation compte tenu de l’objet du litige (voir, en ce sens, arrêts du 29 novembre 1978, Redmond, 83/78, EU:C:1978:214, point 26, ainsi que du 20 avril 2023, Blue Air Aviation, C 775/21 et C 826/21, EU:C:2023:307, point 58).

57 En l’occurrence, à l’instar de ce que suggère M. l’avocat général aux points 33 et 34 de ses conclusions, il y a lieu de reformuler les questions posées en les regroupant lorsqu’elles portent sur une problématique commune sur laquelle la juridiction de renvoi cherche à obtenir des clarifications.

58 À cet égard, les troisième à septième et neuvième questions portent sur les critères pertinents pour déterminer si deux entreprises présentes sur des marchés de produits distincts sont en situation de concurrence potentielle. La onzième question a trait aux notions de « contrat d’agence » et d’« accord vertical ». La dixième question concerne les conditions dans lesquelles une restriction à la concurrence peut être considérée comme étant l’accessoire d’un accord dont l’objectif n’est pas anticoncurrentiel. Les première et huitième questions peuvent également être traitées ensemble car elles portent sur la distinction entre la notion de « restriction de concurrence par objet » et celle de « restriction de concurrence par effet ».

Sur les troisième à septième et neuvième questions, relatives à la notion de « concurrence potentielle »

59 Par ses troisième à septième et neuvième questions, la juridiction de renvoi demande, en substance, si et à quelles conditions l’article 101, paragraphe 1, TFUE doit être interprété en ce sens qu’une entreprise gérant un réseau de détaillants de produits de grande consommation est susceptible d’être considérée comme étant, sur le marché de l’électricité, un concurrent potentiel d’un fournisseur d’électricité avec lequel elle a conclu un accord de partenariat contenant une clause de non-concurrence, quand bien même cette entreprise n’exercerait aucune activité sur ce marché de produit.

60 Selon une jurisprudence constante, afin d’apprécier si une entreprise absente d’un marché se trouve dans un rapport de concurrence potentielle avec une ou plusieurs entreprises déjà présentes sur ce marché, il convient de déterminer s’il existe des possibilités réelles et concrètes que cette première intègre ledit marché et concurrence la ou les secondes [arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C 307/18, EU:C:2020:52, point 36 ainsi que jurisprudence citée].

61 Ainsi, lorsqu’est en cause un accord ayant pour conséquence de maintenir temporairement hors du marché une entreprise, il y a lieu de déterminer s’il avait existé, en l’absence de cet accord, des possibilités réelles et concrètes que cette entreprise accède audit marché et concurrence les entreprises qui y sont établies [arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C 307/18, EU:C:2020:52, point 37].

62 Un tel critère exclut que le constat d’un rapport de concurrence potentielle puisse découler de la seule possibilité, purement hypothétique, d’une telle entrée ou encore d’une simple volonté de l’entreprise qui n’est pas présente sur le marché concerné. À l’inverse, il ne requiert nullement qu’il soit démontré avec certitude que cette entreprise entrera effectivement sur ce marché et, plus encore, qu’il sera en mesure, par la suite, de s’y maintenir [arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C 307/18, EU:C:2020:52, point 38].

63 Ainsi, la démonstration d’une situation de concurrence potentielle doit être étayée par un ensemble d’éléments factuels concordants tenant compte de la structure du marché ainsi que du contexte économique et juridique régissant son fonctionnement, tendant à établir que l’entreprise concernée aurait eu, en l’absence d’accord, des possibilités réelles et concrètes d’accéder au marché concerné [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C 307/18, EU:C:2020:52, point 39].

64 Dans l’arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a. (C 307/18, EU:C:2020:52, point 58), la Cour a ainsi tenu compte des spécificités du marché des médicaments ainsi que du contexte économique et juridique propre à ce marché pour juger, en substance, qu’un fabricant de médicaments génériques doit être considéré comme un concurrent potentiel d’un fabricant de médicaments princeps, titulaire de brevets pharmaceutiques sur le médicament concerné, lorsqu’il a effectivement la détermination ferme ainsi que la capacité propre d’entrer sur le marché concerné.

65 Ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 55 de ses conclusions et contrairement à ce que soutiennent les requérantes au principal, l’interprétation de la notion de « concurrence potentielle » donnée par la Cour dans l’arrêt mentionné au point précédent ne saurait être considérée comme ayant une portée générale. En effet, un tel niveau de preuve requis pour démontrer que l’entreprise concernée aurait eu, en l’absence d’accord, des possibilités réelles et concrètes d’accéder au marché concerné repose sur une analyse propre aux marchés de médicaments en cause dans l’affaire ayant donné lieu audit arrêt.

66 En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi que l’accord de partenariat en cause au principal a coïncidé avec une phase cruciale du processus de libéralisation du marché de la fourniture d’électricité, les tarifs régulés pour la basse tension normale s’éteignant à la fin de l’année 2012. Il n’était alors plus nécessaire d’obtenir une autorisation pour développer une activité sur ce marché. Le Groupe EDP aurait cherché à capter un nombre important de clients sur le marché national libéralisé, en profitant d’une période où ce marché n’avait pas encore subi le pic de la transition des clients basse tension. Il ressort donc d’une telle description que, sous couvert des vérifications qui relèvent de la seule compétence de la juridiction de renvoi, le contexte économique et juridique particulier à ce marché ne saurait être comparé au marché de médicaments, lequel est hautement régulé et présente des barrières à l’entrée telles que des brevets protégeant ces médicaments.

67 Dans ce contexte, la juridiction de renvoi interroge la Cour, en substance, sur la pertinence d’un certain nombre d’indices probatoires susceptibles d’être pris en compte pour démontrer l’existence d’une situation de concurrence potentielle. En particulier, elle demande à la Cour s’il doit être tenu compte de l’intention ou de la perception que les parties à cet accord de partenariat avaient des activités des entités du groupe, dans lequel est intégrée l’entreprise qui n’est pas présente sur le marché concerné, ou encore des activités de ladite entreprise sur ce marché et sur les marchés amont ou connexes avant la signature de l’accord en cause au principal ainsi que des diligences préparatoires de la même entreprise pour entrer sur ce marché.

68 S’il revient à la juridiction de renvoi d’apprécier la pertinence, dans le cas d’espèce, des éléments dont elle dispose, la Cour peut néanmoins lui fournir certaines indications utiles à cet égard.

69 S’agissant, en premier lieu, de la pertinence d’éléments de preuve subjectifs, la Cour a déjà jugé, conformément à ce qui a été rappelé au point 63 du présent arrêt, que la démonstration d’une situation de concurrence potentielle doit être étayée par un ensemble d’éléments factuels concordants tenant compte de la structure du marché ainsi que du contexte économique et juridique régissant son fonctionnement. Dès lors, un indice de nature subjective, tel que la simple volonté de l’entreprise qui n’est pas présente sur le marché concerné d’y entrer ou encore la perception qu’a de celle-ci l’entreprise qui est déjà active sur ce marché, ne saurait constituer un indice autonome, décisif ou indispensable pour démontrer une situation de concurrence potentielle.

70 Cela étant, ainsi que l’a, en substance, relevé M. l’avocat général au point 66 de ses conclusions, rien n’interdit qu’un tel élément subjectif soit pris en compte pour étayer des indices objectifs concordants et, ainsi, renforcer la démonstration de l’existence de possibilités réelles et concrètes d’entrer sur le marché concerné.

71 Pour ce qui concerne, plus particulièrement, la perception que l’entreprise qui est déjà présente sur le marché a de l’entreprise avec laquelle elle a conclu un accord prévoyant de maintenir cette dernière en dehors de ce marché, il y a lieu de faire observer, comme l’a relevé M. l’avocat général au point 73 de ses conclusions, que la conclusion d’un tel accord représente un indice fort de l’existence d’une situation de concurrence potentielle. En effet, si les parties à un accord de non-concurrence ne se percevaient pas comme des concurrents potentiels, elles n’auraient, en principe, aucune raison de conclure un tel accord. Un tel indice peut donc venir étayer utilement des éléments objectifs tendant à démontrer les possibilités réelles et concrètes pour l’entreprise qui n’est pas présente sur le marché d’entrer dans celui-ci.

72 S’agissant, en deuxième lieu, des activités des entités du groupe dans lequel est intégrée cette entreprise ainsi que des activités de cette entreprise sur le marché concerné ainsi que sur les marchés amont et connexes avant la signature de l’accord en cause, il y a lieu de considérer que de tels éléments sont également susceptibles d’être pris en compte pour l’identification d’une situation de concurrence potentielle. Certes, l’existence de possibilités réelles et concrètes d’entrer sur le marché concerné doit s’apprécier à la date de conclusion de l’accord en cause, de sorte que sont logiquement exclus les indices relatifs à des circonstances postérieures à la conclusion de cet accord. Toutefois, il n’en va pas de même pour les activités économiques antérieures sur le marché concerné ou sur les marchés amont ou connexes des entités du groupe de l’entreprise qui n’est pas présente sur ce marché ou de cette entreprise sur ces marchés. En effet, de telles activités peuvent notamment s’avérer pertinentes pour déterminer les éventuelles barrières à l’entrée ou la structure du marché, ou encore constituer des indices d’une potentielle stratégie économique viable d’entrée sur le marché concerné.

73 En l’occurrence, la juridiction de renvoi rapporte que Sodesa, contrôlée conjointement par le Groupe Sonae et par Endesa, l’acteur historique en Espagne sur le marché de la production et de la fourniture d’électricité, était active au Portugal sur le marché de la fourniture d’électricité de 2002 à 2008. De même, le Groupe Sonae aurait, par l’une de ses entités, acquis une entreprise qui détenait et exploitait une centrale de cogénération d’électricité. En outre, Modelo Continente produisait, au moment de l’accord de partenariat en cause au principal, de l’électricité au moyen d’installations de minigénération et de microgénération situées sur les toits de ses établissements et revendait cette électricité au fournisseur de dernier recours. Enfin, s’agissant de marchés connexes, la juridiction fait mention également du fait que Modelo Continente a conclu avec un fournisseur de carburants liquides un contrat de réductions croisées, similaire à l’accord de partenariat en cause au principal.

74 À cet égard, comme l’a relevé M. l’avocat général au point 78 de ses conclusions, il y a lieu de considérer que, indépendamment de la question de savoir si le Groupe Sonae pouvait être considéré comme étant une seule et même entreprise, au sens du droit de la concurrence, les activités économiques des différentes entités du groupe sur le marché concerné avant la signature de l’accord de partenariat en cause au principal peuvent être prises en compte dès lors qu’elles constituent des éléments factuels pertinents pour caractériser une situation de concurrence potentielle. Outre la possible constitution ou transmission d’un savoir-faire utile pour entrer sur le marché concerné, de tels éléments peuvent notamment être pertinents pour apprécier si l’entreprise concernée était susceptible d’avoir une stratégie économique viable pour entrer sur ce marché. Tel pourrait notamment être le cas si cette entreprise avait déjà démontré sa capacité d’utiliser sa forte présence sur un marché géographique donné pour s’engager dans de nouveaux secteurs d’activité au moyen de partenariats avec des entreprises qui sont déjà actives sur les marchés de produits concernés. De la même façon, les activités de l’entreprise en cause sur des marchés connexes au marché concerné sont susceptibles d’être prises en compte si elles permettent d’étayer la démonstration des possibilités réelles et concrètes de cette entreprise d’entrer sur ce marché.

75 S’agissant, en troisième lieu, de la pertinence des diligences préparatoires de l’entreprise concernée en vue d’entrer sur le marché concerné, celles-ci ne sauraient constituer, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 69 de ses conclusions, une exigence autonome aux fins de démontrer l’existence d’une situation de concurrence potentielle. En effet, de telles diligences ne sont pertinentes que pour autant qu’elles peuvent être utiles pour démontrer que l’entreprise concernée avait des possibilités réelles et concrètes d’entrer sur le marché concerné. Il ne saurait donc être considéré qu’il doit nécessairement être établi que l’entreprise concernée a engagé des diligences préparatoires pour être considérée comme étant un concurrent potentiel sur le marché concerné.

76 En tout état de cause, l’éventuelle importance de telles démarches aux fins d’entrer sur le marché concerné dépend notamment de la structure de ce marché ainsi que du contexte économique et juridique régissant son fonctionnement. Ainsi, la Cour a, en substance, jugé que de telles démarches peuvent s’avérer importantes lorsque ce marché présente, à l’instar d’un marché de médicament, de nombreuses barrières à l’entrée [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C 307/18, EU:C:2020:52, point 43].

77 Compte tenu de l’ensemble des motifs qui précèdent, il convient de répondre aux troisième à septième et neuvième questions que l’article 101, paragraphe 1, TFUE doit être interprété en ce sens qu’une entreprise gérant un réseau de détaillants de produits de grande consommation doit être considérée comme étant, sur le marché de l’électricité, un concurrent potentiel d’un fournisseur d’électricité avec lequel elle a conclu un accord de partenariat contenant une clause de non-concurrence, quand bien même cette entreprise n’exercerait aucune activité sur ce marché au moment de la conclusion de cet accord, pour autant qu’il est démontré, sur la base d’un ensemble d’éléments factuels concordants tenant compte de la structure du marché ainsi que du contexte économique et juridique régissant son fonctionnement, qu’il existe des possibilités réelles et concrètes que ladite entreprise intègre ledit marché et concurrence ce fournisseur.

Sur la onzième question, relative à la distinction entre un accord vertical et un accord horizontal

78 Par sa onzième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 101, paragraphe 3, TFUE, lu en combinaison avec l’article 1er, paragraphe 1, sous a), du règlement no 330/2010, doit être interprété en ce sens que relève des catégories des « accords verticaux » et des « contrats d’agence » un accord de partenariat commercial conclu entre deux entreprises actives sur des marchés de produits différents, lesquels marchés ne se situent pas en amont ou en aval l’un de l’autre, lorsque cet accord consiste à favoriser le développement des ventes des produits de ces deux entreprises au moyen d’un mécanisme de promotion et de réductions croisées, chacune de ces entreprises assumant une part des coûts liés à la mise en œuvre de ce partenariat.

79 À titre liminaire, d’une part, il convient de faire observer, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 98 de ses conclusions, qu’il reviendra à la juridiction de renvoi d’apprécier le caractère anticoncurrentiel de la clause de non-concurrence, indépendamment de la nature de l’accord de partenariat en cause au principal, en particulier au regard de son caractère accessoire à cet accord. C’est donc uniquement dans la perspective de cette dernière hypothèse qu’il convient de répondre à cette question.

80 D’autre part, l’article 101, paragraphe 3, TFUE prévoit une exemption à l’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE pour les accords qui produisent des avantages suffisants pour compenser les effets anticoncurrentiels. Aux fins de l’application de cette première disposition, le règlement no 330/2010 fixe, pour certaines catégories d’accords, les conditions dans lesquelles l’exemption prévue par ladite disposition peut être mise en œuvre. Il reviendra donc à la juridiction de renvoi de vérifier non seulement si l’accord de partenariat en cause au principal relève de l’une des catégories d’accords ainsi identifiées, mais encore, le cas échéant, si toutes les conditions prévues par ledit règlement sont effectivement remplies pour que l’accord de partenariat en cause au principal bénéficie de l’exception prévue à la même disposition.

81 Cela étant précisé, il y a lieu de relever que l’article 1er, paragraphe 1, sous a), du règlement no 330/2010 définit l’« accord vertical » comme étant un accord ou une pratique concertée entre deux ou plusieurs entreprises opérant chacune, aux fins de l’accord ou de la pratique concertée, à un niveau différent de la chaîne de production ou de distribution, et relatif aux conditions auxquelles les parties peuvent acheter, vendre ou revendre certains biens ou services.

82 Or, les lignes directrices sur les restrictions verticales font figurer les contrats d’agence parmi les accords verticaux qui ne relèvent généralement pas de l’article 101, paragraphe 1, TFUE et les définissent comme des contrats par lesquels un agent est investi du pouvoir de négocier et/ou de conclure des contrats pour le compte d’une autre personne, le commettant, en vue, notamment, de la vente de biens ou de services fournis par ce commettant. Le point 13 de ces lignes directrices précise que le facteur déterminant pour la définition d’un contrat d’agence aux fins de l’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE est le risque commercial ou financier que supporte l’agent en relation avec les activités pour lesquelles le commettant l’a désigné. En d’autres termes, aux fins de l’application de cette disposition, un accord sera considéré comme étant un contrat d’agence si l’agent ne supporte aucun risque, ou n’en supporte qu’une partie négligeable dans le cadre des contrats qu’il négocie ou qu’il conclut pour le compte du commettant.

83 En l’occurrence, les requérantes au principal soutiennent que l’accord de partenariat en cause au principal doit s’analyser comme étant deux contrats d’agence croisés, chacun des cocontractants étant chargé de la promotion des ventes de l’autre cocontractant. Il ressort cependant de la décision de renvoi que les coûts de mise en œuvre du « Plan EDP Continente » ont été supportés à parts égales par les parties à cet accord de partenariat.

84 À cet égard, il découle des points 81 et 82 du présent arrêt que ne saurait être qualifié de contrat d’agence un accord qui partage entre les cocontractants les risques liés aux opérations qu’il prévoit. De même, lorsque les cocontractants n’opèrent pas, aux fins de l’accord ou de la pratique concertée considérés, au sein d’une même chaîne de production ou de distribution, une telle qualification ne saurait être retenue.

85 Il revient néanmoins à la seule juridiction de renvoi de qualifier l’accord de partenariat en cause au principal en tenant compte de l’ensemble des précisions qui précèdent.

86 Compte tenu de ce qui précède, il y a lieu de répondre à la onzième question que l’article 101, paragraphe 3, TFUE, lu en combinaison avec l’article 1er, paragraphe 1, sous a), du règlement no 330/2010, doit être interprété en ce sens que ne relève pas des catégories des « accords verticaux » et des « contrats d’agence » un accord de partenariat commercial conclu entre deux entreprises actives sur des marchés de produits différents, lesquels marchés ne se situent pas en amont ou en aval l’un de l’autre, lorsque cet accord consiste à favoriser le développement des ventes des produits de ces deux entreprises au moyen d’un mécanisme de promotion et de réductions croisées, chacune de ces entreprises assumant une part des coûts liés à la mise en œuvre de ce partenariat.

Sur la dixième question, relative à la notion de « restriction accessoire »

87 Par sa dixième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 101, paragraphe 1, TFUE doit être interprété en ce sens qu’une clause de non-concurrence contenue dans un accord de partenariat commercial conclu entre deux entreprises actives sur des marchés de produits différents et visant à favoriser le développement des ventes des produits de ces deux entreprises par un mécanisme de promotion et de réductions croisées peut être considérée comme étant une restriction accessoire à cet accord de partenariat.

88 Selon une jurisprudence constante, si une opération ou une activité déterminée ne relève pas du principe d’interdiction prévu à l’article 101, paragraphe 1, TFUE, en raison de sa neutralité ou de son effet positif sur le plan de la concurrence, une restriction de l’autonomie commerciale d’un ou de plusieurs des participants à cette opération ou à cette activité ne relève pas non plus dudit principe d’interdiction si cette restriction est objectivement nécessaire à la mise en œuvre de ladite opération ou de ladite activité et est proportionnée aux objectifs de l’une ou de l’autre (voir, en ce sens, arrêts du 11 septembre 2014, MasterCard e.a./Commission, C 382/12 P, EU:C:2014:2201, point 89, ainsi que du 23 janvier 2018, F. Hoffmann-La Roche e.a., C 179/16, EU:C:2018:25, point 69).

89 Ainsi, lorsqu’il n’est pas possible de dissocier une telle restriction de l’opération ou de l’activité principale sans compromettre l’existence et l’objet de cette opération ou de cette activité, il y a lieu d’examiner la compatibilité avec l’article 101 TFUE de cette restriction conjointement avec la compatibilité de l’opération ou de l’activité principale dont elle constitue l’accessoire, et cela bien que, prise isolément, pareille restriction puisse paraître, à première vue, relever du principe d’interdiction de l’article 101, paragraphe 1, TFUE (voir, en ce sens, arrêts du 11 septembre 2014, MasterCard e.a./Commission, C 382/12 P, EU:C:2014:2201, point 90, ainsi que du 23 janvier 2018, F. Hoffmann-La Roche e.a., C 179/16, EU:C:2018:25, point 70).

90 Lorsqu’il s’agit de déterminer si une restriction anticoncurrentielle peut échapper à la prohibition prévue à l’article 101, paragraphe 1, TFUE au motif qu’elle constitue l’accessoire d’une opération principale dépourvue d’un tel caractère anticoncurrentiel, il convient de rechercher si la réalisation de cette opération serait impossible en l’absence de la restriction en question. Le fait que ladite opération soit simplement rendue plus difficilement réalisable, voire moins profitable, en l’absence de la restriction en cause ne saurait être considéré comme conférant à cette restriction le caractère « objectivement nécessaire » requis afin de pouvoir être qualifiée d’accessoire. En effet, une telle interprétation reviendrait à étendre cette notion à des restrictions qui ne sont pas strictement indispensables à la réalisation de l’opération principale. Un tel résultat porterait atteinte à l’effet utile de l’interdiction prévue à l’article 101, paragraphe 1, TFUE (voir, en ce sens, arrêts du 11 septembre 2014, MasterCard e.a./Commission, C 382/12 P, EU:C:2014:2201, point 91, ainsi que du 23 janvier 2018, F. Hoffmann-La Roche e.a., C 179/16, EU:C:2018:25, point 71).

91 En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi que chacun des cocontractants à l’accord de partenariat en cause au principal s’est engagé, en vertu de la clause de non-concurrence y figurant, pour une durée de deux ans, soit une année de plus que la durée prévue pour cet accord de partenariat, à ne pas développer, directement ou indirectement, d’activité sur le marché sur lequel l’autre cocontractant opérait. S’agissant, plus spécifiquement, du marché de la fourniture d’électricité, cette clause de non-concurrence n’était pas limitée à la seule fourniture d’électricité basse tension comme ledit accord de partenariat mais couvrait également la fourniture d’électricité pour les moyenne et haute tensions destinées aux clients industriels. Ladite clause interdisait également à Modelo Continente de négocier ou d’établir avec un autre fournisseur d’électricité un accord ayant pour objet ou pour effet d’octroyer des réductions ou d’autres avantages monétaires liés à la fourniture d’électricité.

92 Les requérantes au principal font valoir que la clause de non-concurrence figurant dans l’accord de partenariat en cause au principal visait simplement à empêcher les parties à cet accord d’utiliser à leur profit des informations commercialement sensibles échangées aux fins de la mise en œuvre du « Plan EDP Continente », et que ces informations portaient, notamment, sur le schéma de consommation d’électricité des clients ayant adhéré au « Plan EDP Continente ». Or, les clauses de confidentialité et de protection de la propriété intellectuelle et des données n’auraient pas été suffisantes pour protéger les investissements engagés ainsi que le savoir-faire partagé. La clause de non-concurrence en cause au principal aurait donc permis de couvrir ce risque.

93 À cet égard, il reviendra à la juridiction de renvoi d’apprécier si cette clause de non-concurrence était objectivement nécessaire à la mise en œuvre de l’accord de partenariat en cause au principal et si elle était proportionnée aux objectifs visés par cet accord. Pour ce faire, il conviendra notamment de vérifier s’il n’existait pas de solution moins restrictive de concurrence, à laquelle les parties audit accord auraient pu recourir au moment de sa conclusion, pour atteindre ces objectifs. À cette fin, la juridiction de renvoi pourra notamment prendre en compte la portée de la clause de non-concurrence pour vérifier si elle correspond à l’objet et à la portée spatio-temporelle de l’accord de partenariat en cause au principal.

94 Il résulte de ce qui précède qu’il convient de répondre à la dixième question que l’article 101, paragraphe 1, TFUE doit être interprété en ce sens qu’une clause de non-concurrence contenue dans un accord de partenariat commercial conclu entre deux entreprises actives sur des marchés de produits différents et visant à favoriser le développement des ventes des produits de ces deux entreprises par un mécanisme de promotion et de réductions croisées ne peut être considérée comme étant une restriction accessoire à cet accord de partenariat, sauf si la restriction engendrée par cette clause est objectivement nécessaire à la mise en œuvre dudit accord de partenariat et proportionnée aux objectifs de celui-ci.

Sur les première et huitième questions, relatives à la distinction entre une « restriction de la concurrence par objet » et une « restriction de la concurrence par effet »

95 Par ses première et huitième questions, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 101, paragraphe 1, TFUE doit être interprété en ce sens que constitue un accord ayant pour objet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence une clause de non-concurrence qui consiste notamment, dans le cadre d’un accord de partenariat commercial, à interdire à l’une des parties à cet accord d’entrer sur le marché national de la fourniture d’électricité sur lequel l’autre partie audit accord est un acteur majeur, et ce au moment des dernières phases de la libéralisation de ce marché, quand bien même les consommateurs tirent certains avantages dudit accord et que cette clause de non-concurrence est limitée dans le temps.

96 En vertu de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, sont incompatibles avec le marché intérieur et interdits tous les accords conclus entre les entreprises, toutes les décisions d’associations d’entreprises et toutes les pratiques concertées, susceptibles d’affecter le commerce entre les États membres et qui ont pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché intérieur.

97 Pour relever de l’interdiction énoncée à cette disposition, un accord doit avoir « pour objet ou pour effet » d’empêcher, de restreindre ou de fausser la concurrence dans le marché intérieur. Selon une jurisprudence constante de la Cour depuis l’arrêt du 30 juin 1966, LTM (56/65, EU:C:1966:38), le caractère alternatif de cette condition, marqué par la conjonction « ou », conduit d’abord à la nécessité de considérer l’objet même de l’accord (voir, en ce sens, arrêts du 26 novembre 2015, Maxima Latvija, C 345/14, EU:C:2015:784, point 16 et jurisprudence citée, ainsi que du 18 novembre 2021, Visma Enterprise, C 306/20, EU:C:2021:935, points 54 et 55 ainsi que jurisprudence citée). Ainsi, lorsque l’objet anticoncurrentiel d’un accord est établi, il n’y a pas lieu de rechercher ses effets sur la concurrence (arrêt du 29 juin 2023, Super Bock Bebidas, C 211/22, EU:C:2023:529, point 31 et jurisprudence citée).

98 Par ailleurs, la notion de « restriction de concurrence par objet » doit être interprétée de manière restrictive. Ainsi, cette notion ne peut être appliquée qu’à certains types de coordination entre des entreprises révélant un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence pour qu’il puisse être considéré que l’examen de leurs effets n’est pas nécessaire (arrêt du 29 juin 2023, Super Bock Bebidas, C 211/22, EU:C:2023:529, point 32 et jurisprudence citée).

99 En effet, certaines pratiques collusoires entre entreprises révèlent, en elles-mêmes et compte tenu de la teneur de leurs dispositions, des objectifs qu’elles visent ainsi que du contexte économique et juridique dans lequel elles s’insèrent, un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence pour qu’il puisse être considéré que l’examen de leurs effets n’est pas nécessaire, dès lors que certaines formes de coordination entre entreprises peuvent être considérées, par leur nature même, comme nuisibles au bon fonctionnement du jeu normal de la concurrence [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C 307/18, EU:C:2020:52, point 67 ainsi que jurisprudence citée].

100 Parmi ces pratiques collusoires qui sont susceptibles de relever de la catégorie des restrictions par objet figurent les accords de répartition de marchés. En effet, de tels accords constituent des violations particulièrement graves de la concurrence (voir, en ce sens, arrêts du 5 décembre 2013, Solvay Solexis/Commission, C 449/11 P, EU:C:2013:802, point 82, ainsi que du 4 septembre 2014, YKK e.a./Commission, C 408/12 P, EU:C:2014:2153, point 26), puisqu’ils ont un objet restrictif de la concurrence en eux-mêmes et relèvent d’une catégorie d’accords expressément interdite par l’article 101, paragraphe 1, TFUE, un tel objet ne pouvant être justifié au moyen d’une analyse du contexte économique dans lequel le comportement anticoncurrentiel en cause s’inscrit (voir, en ce sens, arrêt du 20 janvier 2016, Toshiba Corporation/Commission, C 373/14 P, EU:C:2016:26, point 28 et jurisprudence citée).

101 Il en est de même des accords d’exclusion de marchés, ceux-ci ayant pour objet de supprimer la concurrence potentielle et d’empêcher le libre jeu de la concurrence en maintenant un concurrent potentiel hors du marché concerné.

102 Dans une telle hypothèse, l’analyse du contexte économique et juridique dans lequel s’insère un tel accord peut se limiter à ce qui s’avère strictement nécessaire en vue de conclure à l’existence d’une restriction de la concurrence par objet (voir, en ce sens, arrêt du 20 janvier 2016, Toshiba Corporation/Commission, C 373/14 P, EU:C:2016:26, point 29). À cet égard, l’objet anticoncurrentiel d’un accord de cette nature peut être ainsi confirmé par la circonstance qu’il intervient dans un contexte particulier de libéralisation du marché qui correspond à la dissolution d’importantes barrières à l’entrée.

103 De même, la Cour a jugé que, lorsque les parties à un accord se prévalent d’effets proconcurrentiels attachés à celui-ci, ces effets doivent, en tant qu’éléments du contexte de cet accord, être dûment pris en compte aux fins de sa qualification de « restriction par objet », dans la mesure où ils sont susceptibles de remettre en cause l’appréciation globale du degré suffisamment nocif de la pratique collusoire concernée à l’égard de la concurrence et, en conséquence, sa qualification de « restriction par objet » (arrêt du 12 janvier 2023, HSBC Holdings e.a./Commission, C 883/19 P, EU:C:2023:11, point 139 ainsi que jurisprudence citée).

104 Toutefois, la simple existence d’effets proconcurrentiels ne saurait suffire à écarter une telle qualification. En effet, ce n’est que si ces effets sont avérés, pertinents, propres à l’accord concerné, suffisamment importants et qu’ils peuvent permettre de raisonnablement douter du caractère suffisamment nocif à l’égard de la concurrence de cet accord que la qualification de restriction par objet doit être écartée [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C 307/18, EU:C:2020:52, points 103, 105 à 107].

105 En l’occurrence, il revient à la juridiction de renvoi de tenir compte de la circonstance, relevée par elle dans la décision de renvoi, que l’application de la clause de non-concurrence en cause au principal a coïncidé avec le contexte particulier de la dernière phase de libéralisation du marché de la fourniture d’électricité au Portugal. De même, il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier, dans l’hypothèse où la clause de non-concurrence n’aurait pas été l’accessoire de l’accord de partenariat en cause au principal, si les effets proconcurrentiels dont se prévalent les requérantes au principal étaient effectivement propres à cette clause et non pas simplement liés à cet accord.

106 Compte tenu de l’ensemble des motifs qui précèdent, il convient de répondre aux première et huitième questions que l’article 101, paragraphe 1, TFUE doit être interprété en ce sens que constitue un accord ayant pour objet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence une clause de non-concurrence qui consiste notamment, dans le cadre d’un accord de partenariat commercial, à interdire à l’une des parties à cet accord d’entrer sur le marché national de la fourniture d’électricité sur lequel l’autre partie audit accord est un acteur majeur, et ce au moment des dernières phases de la libéralisation de ce marché, quand bien même les consommateurs tirent certains avantages dudit accord et que cette clause de non-concurrence est limitée dans le temps, pour autant qu’il ressort d’une analyse de la teneur de cette clause ainsi que de son contexte économique et juridique que ladite clause présente un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence pour qu’il puisse être considéré que l’examen de ses effets n’est pas nécessaire.

Sur les dépens

107 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit :

1) L’article 101, paragraphe 1, TFUE

doit être interprété en ce sens que :

une entreprise gérant un réseau de détaillants de produits de grande consommation doit être considérée comme étant, sur le marché de l’électricité, un concurrent potentiel d’un fournisseur d’électricité avec lequel elle a conclu un accord de partenariat contenant une clause de non-concurrence, quand bien même cette entreprise n’exercerait aucune activité sur ce marché de produit au moment de la conclusion de cet accord, pour autant qu’il est démontré, sur la base d’un ensemble d’éléments factuels concordants tenant compte de la structure du marché ainsi que du contexte économique et juridique régissant son fonctionnement, qu’il existe des possibilités réelles et concrètes que ladite entreprise intègre ledit marché et concurrence ce fournisseur.

2) L’article 101, paragraphe 3, TFUE, lu en combinaison avec l’article 1er, paragraphe 1, sous a), du règlement (UE) no 330/2010 de la Commission, du 20 avril 2010, concernant l’application de l’article 101, paragraphe 3, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne à des catégories d’accords verticaux et de pratiques concertées,

doit être interprété en ce sens que :

ne relève pas des catégories des « accords verticaux » et des « contrats d’agence » un accord de partenariat commercial conclu entre deux entreprises actives sur des marchés de produits différents, lesquels marchés ne se situent pas en amont ou en aval l’un de l’autre, lorsque cet accord consiste à favoriser le développement des ventes des produits de ces deux entreprises au moyen d’un mécanisme de promotion et de réductions croisées, chacune de ces entreprises assumant une part des coûts liés à la mise en œuvre de ce partenariat.

3) L’article 101, paragraphe 1, TFUE

doit être interprété que :

une clause de non-concurrence contenue dans un accord de partenariat commercial conclu entre deux entreprises actives sur des marchés de produits différents et visant à favoriser le développement des ventes des produits de ces deux entreprises par un mécanisme de promotion et de réductions croisées ne peut être considérée comme étant une restriction accessoire à cet accord de partenariat, sauf si la restriction engendrée par cette clause est objectivement nécessaire à la mise en œuvre dudit cet accord de partenariat et proportionnée aux objectifs de celui-ci.

4) L’article 101, paragraphe 1, TFUE

doit être interprété en ce sens que :

constitue un accord ayant pour objet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence une clause de non-concurrence qui consiste notamment, dans le cadre d’un accord de partenariat commercial, à interdire à l’une des parties à cet accord d’entrer sur le marché national de la fourniture d’électricité sur lequel l’autre partie audit accord est un acteur majeur, et ce au moment des dernières phases de la libéralisation de ce marché, quand bien même les consommateurs tirent certains avantages dudit accord et que cette clause de non-concurrence est limitée dans le temps pour autant qu’il ressort d’une analyse de la teneur de cette clause ainsi que de son contexte économique et juridique que ladite clause présente un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence pour qu’il puisse être considéré que l’examen de ses effets n’est pas nécessaire.