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Décisions

CA Paris, 14e ch. B, 27 février 2009, n° 09/00669

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Sci Raflo

Défendeur :

Garage Service Chauvelot (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Schoendoerffer

Conseillers :

Mme Provost-Lopin, Mme Darbois

Avoués :

SCP Goirand, SCP Monin - d'Auriac de Brons

Avocats :

Me Panepinto, Me Conseil

TGI Paris, du 7 janv. 2009, n° 08/16389

7 janvier 2009

Vu l'appel formé par la SCI Raflo de l'ordonnance de référé rendue le 7 janvier 2009 par le président du tribunal de grande instance de Paris qui a :

- modifié l'ordonnance sur requête en date du 10 juin 2008 de la façon suivante : 'désignons en qualité de séquestre prévu par l'article L145-29 du code de commerce le séquestre juridique de l'Ordre des avocats près la cour d'appel de Paris, à l'effet de recevoir l'indemnité d'éviction due par la SCI Raflo à la société Garage Service Chauvelot comprenant la somme de 311 600 euros, sans préjudice des intérêts courus, et le montant des frais de licenciement des salariés du Garage Service Chauvelot, sous déduction, mais seulement lorsque le montant des frais de licenciement sera connu et justifié, des compléments d'indemnités d'occupation dus par la société Garage Service Chauvelot à la SCI Raflo',

- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la SCI Raflo aux dépens ;

Vu l'autorisation d'assigner à jour fixe en date du 19 janvier 2009 et l'assignation délivrée à cette fin le 23 janvier 2009 à la société Garage Service Chauvelot aux fins de voir, au visa des articles 1289,1290 et 1291 du code civil, L 145-28, L145-29 et L 145-30 du code de commerce, infirmer l'ordonnance entreprise et de :

- constater que l'indemnité d'éviction due à la société Garage Service Chauvelot, fixée par jugement, confirmé par arrêt, à ce jour définitif, à la somme de 311 600 € se compense avec l'indemnité d'occupation fixée par jugement, confirmé par arrêt, à ce jour définitif, à la somme annuelle de 81 000 € à compter du 1er juin 2005, dès lors que les deux dettes sont nécessairement liquides, certaines et exigibles,

- dire que l'ordonnance obtenue sur requête du 10 juin 2008 en qualité de séquestre prévu par l'article L 145-29 du code de commerce le séquestre juridique de l'Ordre des avocats près la cour d'appel de Paris à l'effet de recevoir l'indemnité d'éviction sous déduction des compléments d'indemnités d'occupation dus par la SCI Raflo produit ses pleins et entiers effets,

- condamner la société Garage Service Chauvelot, outre aux dépens, au paiement de la somme de 7500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Vu les conclusions en date du 5 février 2009 par lesquelles la SCI Raflo demande à la cour, au visa des articles1289, 1290 et 1291 du code civil, L145-28, L145- 29 et L145-30 du code de commerce, de :

- dire que la saisine de la cour est nécessairement limitée à l'appréciation au jour de la désignation du séquestre du montant de la somme à consigner, compte tenu des condamnations prononcées par la cour,

- dire qu'au jour de la consignation entre les mains du séquestre juridique, la créance 'd'indemnité de licenciement' dont excipe la société Garage Service Chauvelot n'est ni liquide ni exigible,

- infirmer l'ordonnance en ce qu'elle a modifié l'ordonnance sur requête du 10 juin 2008 et indiqué que le séquestre juridique avait mission '1°) de recevoir l'indemnité d'éviction due par la SCI Raflo à la société Garage Service Chauvelot comprenant la somme de 311 600 euros sans préjudice des intérêts courus et le montant des frais de licenciement des salariés du Garage Service Chauvelot, sous déduction, mais seulement lorsque le montant des frais de licenciement sera connu et justifié, des compléments d'indemnités d'occupation dus par la société Garage Service Chauvelot à la SCI Raflo',

- dire en conséquence que l'ordonnance sur requête du 10 juin 2008 en ce qu'elle a désigné le séquestre juridique près la cour d'appel de Paris, à l'effet de recevoir l'indemnité d'éviction sous déduction des compléments d'indemnité d'occupation dus à la SCI Raflo, produit ses pleins et entiers effets,

- débouter la société Garage Service Chauvelot de toutes ses demandes,

- la condamner, outre aux dépens, au payement de la somme de 7 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Vu les conclusions en date du 5 février 2009 par lesquelles la société Garage Service Chauvelot demande à la cour de :

à titre principal,

- débouter la SCI Raflo de toutes ses demandes, fins et conclusions,

- confirmer l'ordonnance entreprise,

à titre subsidiaire,

- dire qu'après compensation provisoire arrêtée au 31 décembre 2008, la SCI Raflo doit consigner entre les mains du séquestre de l'Ordre des avocats la somme de 317 054,58 euros,

en tout état de cause,

- condamner la SCI Raflo, outre aux dépens, au paiement de la somme de 8 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

LA COUR

Considérant que selon acte sous seing privé du 5 juillet 1993, la société GARRAUD, administrateur de biens, agissant en qualité de gérant des locaux appartenant à une société civile particulière non dénommée (devenue la SCI Raflo) a donné à bail à la société Garage Service Chauvelot des locaux sis à [...] pour 12 années à compter du 1er juin 1993 et moyennant un loyer annuel initial en principal hors charges de 210 000 francs soit 32 014,29 euros ;

Que le 21 juillet 2003, elle a fait délivrer à la société preneuse un congé pour le 31 mai 2005 avec refus de renouvellement du bail et offre de paiement d'une indemnité d'éviction ;

Que par jugement du 5 septembre 2006, le tribunal de grande instance de Paris a fixé l'indemnité d'éviction due par la SCI Raflo à la société Garage Service Chauvelot à la somme de 311.600 euros à laquelle s'ajoutera les frais de licenciement sur justificatifs et l'indemnité d'occupation due par la société Garage Service Chauvelot à la SCI Raflo à la somme annuelle de 81.000 euros jusqu'à libération effective des lieux ;

Que par arrêt rendu le 28 novembre 2007, la cour d'appel a confirmé le jugement et, y ajoutant, a dit qu'à défaut de constat actuel de désaccord des parties, les conditions légales de désignation d'un séquestre n'étaient pas réunies ;

Que, par ordonnance en date du 10 juin 2008, le juge des requêtes du tribunal du tribunal de grande instance de Paris a désigné, à la demande de la SCI Raflo, le séquestre juridique de l'Ordre des avocats près la cour d'appel de Paris à effet de recevoir l'indemnité d'éviction sous déduction des compléments d'indemnité d'occupation due par la société Garage Service Chauvelot à la SCI Raflo, de procéder aux formalités de publicité et de recevoir les oppositions ou saisies des créanciers ;

Que la SCI Raflo a, le 26 septembre 2008, consigné la somme de 148.200 euros entre les mains du séquestre désigné correspondant au montant de l'indemnité d'éviction déduction faite des compléments d'indemnités d'occupation du 1er juin 2005 au 31 décembre 2008 ;

Que cette consignation a été signifiée le même jour à la société Garage Service Chauvelot, qui a été également sommée de quitter les lieux dans les trois mois, soit au plus tard le 27 décembre 2008, délai après lequel elle serait débitrice, conformément aux dispositions de l'article L145-30 du code de commerce d'une somme correspondant à 1 % du montant de l'indemnité d'éviction par jour de retard ;

Que le 26 novembre 2008, la société Garage Service Chauvelot a assigné la SCI Raflo en rétractation de l'ordonnance du 10 juin 2008, en désignation du même séquestre juridique pour recevoir l'intégralité de l'indemnité d'éviction soit la somme de 311 600 euros ;

Que c'est dans ces conditions que l'ordonnance entreprise a été rendue ; que le premier juge, relevant que la compensation ne pourra intervenir qu'une fois connu et justifié, le montant total de l'indemnité d'éviction en ce compris les frais de licenciement et estimant que l'indemnité d'éviction n'était pas entièrement liquidée, a modifié l'ordonnance sur requête et désigné le séquestre juridique de l'Ordre des avocats près la cour d'appel de Paris, à l'effet de :

° l) recevoir l'indemnité d'éviction due par la SCI Raflo à la société Garage Service Chauvelot comprenant la somme de 311.600 euros, sans préjudice des intérêts courus, et le montant des frais de licenciement des salariés du Garage Service Chauvelot, sous déduction, mais seulement lorsque le montant des frais de licenciement sera connu et justifié, des compléments d'indemnité d'occupation due par la société Garage Service Chauvelot à la SCI Raflo,

° 2) procéder aux formalités de publicité,

° 3) recevoir les oppositions ou saisies des créanciers ;

Considérant qu'au soutien de son appel, la SCI Raflo fait valoir que la compensation légale joue de plein droit même à l'insu des débiteurs comme le prévoient les dispositions de l'article 1291 du code civil dès lors que les indemnités d'éviction et d'occupation ont été définitivement fixées et que ces deux dettes sont certaines, liquides et exigibles ;

Qu'elle indique que l'indemnité d'éviction, arrêtée à la somme de 311 600 euros, est donc déterminée dans son montant et connue ; que le fait que les frais de licenciement seraient ajoutés sur justificatifs au montant dû ne permet pas d'en déduire que l'indemnité d'éviction n'était pas entièrement liquidée ; qu'elle soutient que c'est à tort que le premier juge a différé le jeu de la compensation légale au jour où seront connus les frais de licenciements et l'a fait dépendre de la seule volonté de la société Garage Service Chauvelot de justifier de ces frais alors même qu'il ne peut être exclu que cette créance n'existe jamais ;

Qu'elle conclut à l'infirmation de l'ordonnance entreprise ;

Considérant que la société Garage Service Chauvelot réplique que l'indemnité d'éviction doit être intégralement versée, qu'elle ne peut entreprendre de licenciements tant que l'indemnité de 311 600 euros n'a pas été consignée ; que les dispositions des articles L 145-28 et suivants dérogent au code civil et interdisent toute compensation préalable au séquestre effectif ; que le bailleur ne peut procéder à une compensation prématurée et unilatérale ; qu'elle affirme qu'en matière de baux commerciaux, le payement de l'indemnité d'éviction doit précéder la remise des clés et les licenciements ; que les comptes à établir entre les parties ne dispensent pas la SCI Raflo de la consignation de l'indemnité d'éviction à hauteur de 311 600 euros augmentés de intérêts au taux légal ;

Qu'elle considère à titre subsidiaire qu'après compensation provisoire arrêtée au 31 décembre 2008, la SCI Raflo doit consigner entre les mains du séquestre la somme de 317 054,58 euros ;

Considérant qu'aux termes de l'article L145-28 du code de commerce, aucun locataire pouvant prétendre à une indemnité d'éviction ne peut être obligé de quitter les lieux avant de l'avoir reçue ; que jusqu'au paiement de cette indemnité, il a droit au maintien dans les lieux aux conditions et clauses du contrat de bail expiré ;

Que l'article L145-29 du même code dispose qu'en cas d'éviction, les lieux doivent être remis au bailleur à l'expiration d'un délai de trois mois suivant la date du versement de l'indemnité d'éviction au locataire lui-même ou de la notification à celui-ci du versement de l'indemnité à un séquestre ; que l'alinéa 2 de ce même article prévoit que l'indemnité est versée par le séquestre au locataire sur sa seule quittance, s'il n'y a pas d'opposition des créanciers et contre remise des clés du local vide, sur justificatifs du paiement des impôts, des loyers et sous réserve des réparations locatives ;

Considérant que sans le remettre en cause, le principe du versement de l'intégralité de l'indemnité d'éviction, qui est due, n'est pas exclusif du jeu de la compensation légale dès lors que les conditions de sa mise en oeuvre sont réunies conformément aux dispositions des articles 1289 et suivants du code civil ;

Considérant que selon l'article 1289 du code civil, lorsque deux personnes se trouvent débitrices l'une envers l'autre, il s'opère entre elles une compensation qui éteint les deux dettes, de la manière et dans les cas ci-après exprimés ;

Que l'article 1290 du même code précise que la compensation s'opère de plein droit par la seule force de la loi, même à l'insu des débiteurs, les deux dettes s'éteignent réciproquement, à l'instant même où elles se trouvent exister à la fois, jusqu'à concurrence de leurs quotités respectives ;

Qu'enfin, l'article 1291 prévoit que la compensation n'a lieu qu'entre deux dettes qui ont également pour objet une somme d'argent ou une certaine quantité de choses fongibles de la même espèce et qui sont également liquides et exigibles ;

Considérant qu'il est acquis que le tribunal de grande instance de Paris a, par jugement du 5 septembre 2006 confirmé par arrêt rendu par la 16ème chambre de la cour d'appel le 28 novembre 2007, à ce jour définitif, fixé :

° l'indemnité d'éviction due par la SCI Raflo à la société Garage Service Chauvelot à la somme de 311.600 euros, 'somme à laquelle il conviendra d'ajouter, sur justificatifs, les frais de licenciement qui seront à la charge de la société locataire',

° l'indemnité d'occupation due par la société Garage Service Chauvelot à la SCI Raflo, à la somme annuelle de 81.000 euros, et ce, à compter du 1er juin 2005 et jusqu'à libération effective des lieux dans les conditions fixées par les articles L 145-28 à L 145-30 du code de commerce ;

Que la SCI Raflo et la société Garage Service Chauvelot sont donc débitrices l'une envers l'autre, que les deux indemnités litigieuses sont certaines et déterminées dans leur montant dès lors qu'elles ont été judiciairement et définitivement fixées ;

Que le fait que le jugement du 5 septembre 2006 ait évalué l'indemnité d'éviction à 311 600 euros avec cette précision qu'à cette somme devront s'ajouter les frais de licenciement sur justificatifs ne permet pas de déduire que l'indemnité d'éviction n'est pas liquide et que le jeu de la compensation légale doit être différé au jour où unilatéralement la société locataire justifiera du coût des licenciements à supposer qu'elle licencie du personnel ;

Que dès lors, abstraction faite de tout autre moyen surabondant, le versement de l'indemnité d'éviction entre les mains du séquestre s'entend du montant total de l'indemnité après compensation légale au profit du bailleur pour les sommes qui lui sont dues par le locataire notamment les compléments d'indemnités d'occupation fixées par le jugement définitif du 5 septembre 2006, le séquestre ne devant remettre cette indemnité à la société locataire sur sa seule quittance que contre remise des clés du local vide, sur justification du payement des impôts et indemnités d'occupation, en l'absence d'opposition des créanciers et sous réserve des réparations locatives et ce conformément aux dispositions de l'article L 145-29 du code de commerce ; qu'il n'entre pas dans les pouvoirs du juge de la rétractation de faire le compte entre les parties et de déterminer la somme devant être effectivement consignée ;

Que l'ordonnance entreprise doit être infirmée en ce qu'elle a modifié l'ordonnance sur requête du 10 juin 2008 ;

Considérant que l'équité ne commande pas de prononcer une condamnation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Considérant que compte tenu de la solution du litige, la société Garage Service Chauvelot doit supporter les dépens de première instance et d'appel ;

PAR CES MOTIFS

Infirme l'ordonnance entreprise à l'exception de ses dispositions relatives à l'article 700 du code de procédure civile ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Dit n'y avoir lieu à rétractation ou à modification de l'ordonnance sur requête du 10 juin 2008 ;

Dit n'y avoir à référé sur le surplus des demandes ;

Dit n'y avoir lieu à condamnation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société Garage Service Chauvelot aux dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du même code.