CA Caen, 2e ch. civ., 31 mars 2016, n° 13/00610
CAEN
Arrêt
Infirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme BRIAND
Conseillers :
Mme BEUVE, Mme BOISSEL DOMBREVAL
ARRÊT prononcé publiquement le 31 mars 2016 par prorogation du délibéré initialement fixé au 24 mars 2016 à 14h00 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour et signé par Madame BRIAND, président, et Madame LE GALL, greffier
Par arrêt en date du 16 janvier 2014, auquel il est expressément fait référence pour l'exposé du litige opposant la SCI P. Investissements à la SARL B., la cour a :
- confirmé le jugement rendu le 27 octobre 2011 par le tribunal de grande instance d'Argentan en ce qu'il a prononcé la nullité du commandement visant la clause résolutoire délivré le 8 juin 2009 par la SCI P. Investissements à la SARL B..
- débouté la SCI P. Investissements de sa demande de résiliation judiciaire du bail.
- réformé le jugement en ce qu'il a prononcé la nullité du congé sans offre de renouvellement délivré le 8 juin 2009.
- Et statuant à nouveau
- dit que l'absence de mise en demeure régulière laisse subsister le refus de renouvellement et ouvre droit à indemnité d'éviction.
- ordonné une mesure d'expertise confiée à M. Jean-Michel T. aux fins d'évaluer le préjudice subi par la SARL B. du fait du refus de renouvellement de son bail.
- condamné la SARL B. à payer à la SCI P. Investissements une indemnité d'occupation d'un montant égal au montant du loyer et des charges à compter du 15 mai 2011.
- sursis à statuer sur les autres demandes dans l'attente du dépôt du rapport d'expertise.
Par conclusions en date du 26 janvier 2016, la SARL B. demande à la cour de :
A titre principal,
- fixer le montant de l'indemnité d'éviction en principal à la somme de 370 000 €, plus indemnités accessoires telles que fixées dans le rapport d'expertise et telles qu'actualisées au jour de l'audience.
A titre subsidiaire,
- fixer le montant de l'indemnité d'éviction à la somme de 275 000 € plus indemnités accessoires telles que fixées dans le rapport d'expertise et telles qu'actualisées au jour de l'audience, et condamner la SCI P. Investissements au paiement de la somme de 95 000 € à titre de dommages et intérêts sur le fondement de l'article 1382 du code civil,
- condamner la SCI P. Investissements à lui rembourser le trop perçu au titre de l'indemnité d'occupation soit la somme de 20 920 €.
- débouter la SCI P. Investissements de l'ensemble de ses demandes.
- condamner la SCI P. Investissements au paiement d'une somme de 3 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens et aux frais d'expertise.
Par conclusions en date du 7 janvier 2016, la SCI P. Investissements demande à la cour de :
A titre principal,
- dire et juger que la SARL B. a perdu son droit au paiement de l'indemnité d'éviction en raison des manquements graves à ses obligations dans le cadre de son droit au maintien dans les lieux.
A titre subsidiaire,
- dire et juger que l'indemnité d'éviction en principal doit être déterminée sur la base d'une indemnité de transfert.
- fixer, en ce cas, l'indemnité d'éviction en principal à la somme de 201 040 €.
A titre infra subsidiaire,
- fixer l'indemnité de remplacement en principal à la somme de 234 000 € valeur du fonds de commerce retenue par la SARL B. dans son bilan du 30 juin 2015.
A titre plus subsidiaire,
- fixer l'indemnité de remplacement en principal en tenant compte de la moyenne des chiffesd'affaires réalisée sur les trois derniers exercices et d'un pourcentage de 81,81 %.
- limiter les indemnités accessoires aux seuls frais de licenciement et frais d'installation non amortis dans leur montant ressortant du bilan clos au titre de l'exercice 2014-2015.
- débouter la SARL B. de sa demande d'indemnisation complémentaire à hauteur de 95 000 € sur le fondement de l'article 1382 du code civil.
En toute hypothèse,
- condamner la SARL B. à restituer les locaux en bon état d'entretien et de réparation locative.
- condamner, en tant que de besoin, la SARL B. à lui payer la somme de 71 676,67 € TTC au titre des travaux de remise en état, à défaut d'exécution des dits travaux sous un mois après la libération des lieux.
- déclarer la SARL B. irrecevable en sa demande de réduction du montant de l'indemnité d'occupation ou, à tout le moins, l'en débouter.
- débouter la SARL B. de toutes ses demandes contraires.
- condamner la SARL B. au paiement d'une somme de 3 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
SUR CE,
La SCI P. Investissements soutient que la SARL B. ne peut prétendre au paiement d'une indemnité d'éviction au motif que la SARL B. ne respecte plus le règlement de ses loyers et charges suivant les modalités prévues au bail.
Elle expose avoir fait délivrer le 31 octobre 2015 à la SARL B. un commandement de payer visant la clause résolutoire, pour avoir paiement des sommes de :
- 1 827,95 € au titre de la contribution sur les revenus locatifs
- 350 € au titre de la taxe d'ordures ménagères,
et que la SARL B. ne se serait acquittée que partiellement de cette somme sans fournir la moindre explication, de sorte que la clause résolutoire serait acquise au 30 novembre 2015.
Elle ajoute que la SARL B. ne réglerait plus son indemnité d'occupation depuis le mois de novembre 2015, et que ces défauts de paiement sont autant de violation grave de ses obligations justifiant la perte de son droit au maintien dans les lieux et de son droit à indemnité d'éviction.
Le commandement délivré à la SARL B. fait référence à deux courriers recommandés des 5 décembre 2014 et 26 septembre 2015 qui ne sont pas produits aux débats. Aucun décompte n'est joint à cet acte.
La SCI P. Investissements ne justifie pas de la période pour laquelle la contribution sur les revenus locatifs serait due, ni de son caractère exigible.
Dans le contrat de bail du 21 octobre 2002, il est stipulé que le preneur doit rembourser au bailleur la part lui incombant dans cette contribution. La SCI P. investissement ne justifie pas de ce qu'elle a acquitté cette taxe. Elle ne peut donc en réclamer le paiement au preneur.
L'extrait de compte produit aux débats en pièce 32 par la SCI P. Investissements est particulièrement abscons.
Il ne permet pas de déterminer que la somme de 350 € due au titre de la taxe d'ordures ménagères n'aurait pas été réglée avant le 30 novembre 2015 alors que la bailleresse admet que les sommes réclamés au titre du commandement ont été partiellement payées.
Le commandement ne vise pas l'absence de règlement de l'indemnité d'occupation.
Il n'est produit aucun décompte des sommes qui seraient dues à ce titre par la SARL B..
La clause résolutoire n'a donc pas pu jouer, et il n'est justifié d'aucun motif grave et légitime qui seul pourrait priver la SARL B. du bénéfice d'une indemnité d'éviction.
S'agissant du montant de l'indemnité d'éviction, si la SCI P. Investissements prétend que le fonds de commerce de boulangerie de la SARL B. est transférable, elle ne produit aucune pièce de nature à l'établir.
L'expert a au contraire relevé que les références qui lui ont été suggérées par la bailleresse ne permettaient pas d'envisager sérieusement le déplacement du fonds, le premier local étant à vendre et non à louer, ses demandes d'explications quant aux deux adresses suivantes n'ayant pas été suivies d'effet, et le dernier local était moins bien placé.
Il convient en outre de relever que la SARL B. précise dans écrits qu'elle n'a pas l'intention de se réinstaller.
Dans ces conditions l'indemnité d'éviction doit être évaluée sur la base d'une indemnité de remplacement.
La SARL B. demande que l'indemnité d'éviction soit fixée à la somme de 370 000 €, correspondant à la valeur du fond au jour du congé, cette somme ressortant du compromis de cession de leur fonds à la SARL L., dont la réitération devait intervenir le 15 juin 2008, et qui n'a pu être régularisé du fait de la SCI P. Investissements qui leur a fait délivrer le 8 juin 2009 un commandement visant la clause résolutoire pour défaut à entretien des lieux, et un congé sans offre de renouvellement ni indemnité d'éviction fondé sur les mêmes motifs.
La SARL B. ayant bénéficié du droit au maintien dans les lieux, la valorisation du fond ne peut toutefois se faire qu'à la date de l'arrêt, qui correspond à la date la plus proche de l'éviction.
A cette date, il ressort de l'examen des bilans des trois dernières années de la SARL B. que ses chiffres d'affaires ont connu une baisse.
Pour les bilans clos au 30 juin 2013, 30 juin 2014 et 30 juin 2015 les chiffres d'affaires de l'appelante sont respectivement de 286 375 €, 275 294 € et 263 389 €.
Le chiffre d'affaires moyen arrondi sur ces trois dernières années est donc de 275 000 €.
Compte tenu de la rentabilité en baisse du fonds, il convient de l'affecter d'un coefficient de 95 % de sorte que l'indemnité d'éviction doit être fixé à 261 250 €.
S'agissant des indemnités accessoires, la SARL B. ne peut prétendre aux indemnités de remploi et de trouble commercial dès lors qu'elle a pris la décision d'arrêter son activité, et que ces indemnités ne sont dues qu'en cas d'acquisition d'un nouveau fonds de commerce pour couvrir les frais de mutation, et pour couvrir le préjudice né de la diminution d'activité en lien avec la réinstallation.
La SARL B. subit en revanche un préjudice en lien avec l'obligation de procéder au licenciement de ses salariés justement évalué par l'expert à la somme de 25 165,95 €, ainsi que celui résultant de ses frais d'installation non amortis s'élevait à 8 743 €.
La SARL B. sollicite en outre sur le fondement de l'article 1382 du code civil une indemnité de 95 000 € destinée à compenser le préjudice résultant de la perte de valeur du fonds de commerce depuis la cession envisagée en 2009 au prix de 370 000 € et empêchée par le commandement visant la clause résolutoire et le congé sans offre de renouvellement ni indemnité d'éviction délivrés par la SCI P. Investissements le 8 juin 2009.
Il est constant, ainsi que l'ont souligné les premiers juges que M. P., gérant de la SCI P. Investissements avait mené les négociations en 2008 entre la SARL B. et la société Franck L. ayant abouti à la signature du compromis de cession du fonds de commerce en date du 30 juillet 2008 au prix de 370 000 €, la réitération par acte authentique devant intervenir le 15 juin 2009.
La SCI P. Investissements devenue propriétaire des murs commerciaux, par acte du 13 mai 2009, ne pouvait donc ignorer ni l'état du lieu loué ni les transactions en cours.
Le commandement visant la clause résolutoire et le congé sans offre de renouvellement ni indemnité d'éviction ont été délivrés seulement quatre jours avant la signature de l'acte authentique en l'étude de Me M. notaire, le 12 juin 2009.
Au vu du constat d'huissier établi le 15 mai 2009, la SCI Piou Investissements avait pu se convaincre que l'état des lieux était du à la vétusté générale de l'immeuble, qui ne pouvait être imputée au preneur.
Il ressort de l'attestation de M. L. en date du 5 janvier 2016 que si la vente était soumise à une condition suspensive d'obtention d'un prêt par l'acquéreur, il disposait des fonds nécessaires pour la réitération de l'acte et la prise de possession des lieux au 1er juillet 2009.
Il est également établi par l'attestation de M. et Mme L. du 28 octobre 2009 qu'ils n'ont renoncé à l'acquisition du fonds que compte tenu du risque créé par la délivrance du commandement et du congé par la SCI P. Investissements.
Il ressort en outre de l'attestation de Mme P., qui avait envisagé d'acquérir le fonds, que M. P. lui a clairement exprimé son désir d'empêcher les époux B. de vendre leurs fonds sans contrepartie financière importante, et sans l'obtention d'une forte augmentation du loyer.
Ce souhait est confirmé par la production aux débats des deux projets de bail commercial proposés à la signature de la SARL B. portant le loyer annuel à 25 200 € ou 21 600 €.
Il s'infère de ces éléments que la SCI P. Investissements n'a délivré ces actes que dans le but de bloquer la vente du fonds de commerce, en connaissance de l'état de vétusté générale de l'immeuble, à seule fin d'obtenir d'eux des compensations financières et la signature immédiate d'un nouveau bail emportant une augmentation du loyer, de plus du double de celui pratiqué à laquelle elle ne pouvait prétendre.
Ce comportement abusif a empêché la SARL B. de procéder à la vente de son fonds de commerce au prix de 370 000 € et lui a causé un bénéfice égal au différentiel existant entre le prix convenu en 2009 et le montant de l'indemnité d'éviction à laquelle ils peuvent prétendre aujourd'hui.
La SARL B. limitant sa demande à la somme de 95 000 €, c'est cette somme qui sera retenue à titre d'indemnisation de son préjudice.
La SCI P. Investissements ne peut utilement prétendre à la condamnation de la SARL B. à la remise en état des lieux alors que la cour a d'ores et déjà retenue dans son précédent arrêt que l'état de l'immeuble n'est que la conséquence du vieillissement généralisé du bien loué, et par motifs adoptés que les travaux réalisés ne sont pas le fait de la SARL B..
S'agissant de la demande reconventionnelle de la SARL B. tendant à une réduction de l'indemnité d'occupation, il ne peut y être fait droit dès lors que la cour a d'ores et déjà statué sur cette demande dans son arrêt du 16 janvier 2014.
Il serait inéquitable que la SARL B. supporte l'intégralité des frais non compris dans les dépens qu'elle a du exposer en cause d'appel, il lui sera en conséquence alloué la somme de 3 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La SCI P. Investissement succombant sera condamnée aux dépens en ce compris les frais d'expertise.
PAR CES MOTIFS
Vu l'arrêt du 16 janvier 2014.
Réforme le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la SCI P. Investissements à payer à la SARL B. la somme de 30 000 € à titre de dommages et intérêts.
Condamne la SCI P. Investissements à payer à la SARL B. la somme de 261 250 € au titre de l'indemnité d'éviction et celle de 33 908,95 € au titre des indemnités accessoires.
Condamne la S. Priou Investissement à payer à la SARL B. la somme de 95 000 € à titre de dommages et intérêts.
Déboute la SCI P. Investissements de sa demande de remise en état des lieux.
Déboute la SARL B. de sa demande de remboursement partiel de l'indemnité d'occupation.
Confirme le jugement pour le surplus.
Condamne la SCI P. Investissements à payer à la SARL B. la somme de 3 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Condamne la SCI P. Investissements aux dépens qui comprendront les frais d'expertise et seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.