Cass. com., 18 octobre 2023, n° 22-18.724
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Tazar (Sté), Picot (SARL), Dawa (Sté), Selarl BRMJ (ès qual.)
Défendeur :
France BKR (SAS), Agaquick (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Vigneau
Rapporteur :
M. Regis
Avocats :
SCP Alain Bénabent, SCP Spinosi
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 20 avril 2022) et les productions, les sociétés Dawa, Picot et Tazar, dirigées par M. [E], exploitaient des restaurants sous l'enseigne « Quick », situés à [Localité 5], respectivement dans les zones d'activité dites [Adresse 6], [Adresse 8] et [Adresse 7], au titre d'un contrat de franchise conclu entre la société Dawa et la société France Quick, devenue la société France BKR, d'un contrat de location-gérance conclu entre la société Picot et la société Agaquick, filiale de la société France BKR, et de contrats de location-gérance et de franchise conclus entre la société Tazar et la société France Quick.
2. Le 22 janvier 2011, à la suite du décès d'un adolescent qui avait pris un repas dans le restaurant situé dans la zone [Adresse 6], exploité par la société Dawa, le préfet du Vaucluse a décidé la fermeture provisoire de cet établissement, puis a autorisé sa réouverture le 10 février 2011.
3. Le 14 février 2011, la société France Quick et la société Agaquick ont notifié aux sociétés Dawa, Picot et Tazar la résiliation immédiate des contrats de franchise et de location-gérance pour les trois restaurants.
4. Les sociétés Dawa, Picot et Tazar et M. [E] ont assigné les sociétés France Quick et Agaquick en réparation des préjudices nés de la rupture de ces contrats.
5. Les 9 septembre 2015 et 6 avril 2016, d'une part, et les 20 décembre 2017 et 21 mars 2018, d'autre part, les sociétés Tazar et Dawa ont été respectivement mises en redressement puis liquidation judiciaire. La société BRMJ, prise en la personne de M. [F], et la société [M] [X], prise en la personne de M. [M], sont intervenues à la procédure en qualité de liquidateurs judiciaires respectifs de ces sociétés.
Examen du moyen
Sur le moyen, en ce qu'il reproche à l'arrêt de confirmer le jugement en ce qu'il a constaté la résiliation, aux torts partagés des parties, du contrat de franchise conclu entre la société Dawa et la société France Quick
6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le moyen, pris en sa première branche, en ce qu'il reproche à l'arrêt de confirmer le jugement en ce qu'il a constaté la résiliation, aux torts partagés des parties, des contrats de franchise et de location-gérance conclus, d'une part, entre la société Picot et la société Agaquick, d'autre part, entre la société Tazar et la société France Quick
Enoncé du moyen
7. M. [E], la société Picot et la société BRGM, ès qualités, font grief à l'arrêt de constater la résiliation des contrats liant les parties, aux torts partagés entre les parties en cause, alors « que la résiliation d'un contrat synallagmatique aux torts partagés des parties ne peut être constatée par le juge que si les parties ont, chacune, commis un manquement contractuel suffisamment grave ; qu'en constatant la résiliation des contrats de franchise et de location-gérance notamment aux torts partiels des sociétés Picot et Tazar, sans avoir nullement caractérisé un manquement contractuel commis par ces dernières, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1147 et 1184 du code civil, dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, applicable au litige ».
Réponse de la Cour
Vu les articles 1134 et 1184 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 :
8. Il résulte de ces textes qu'une partie peut résilier unilatéralement le contrat à ses risques et périls en cas de faute de son cocontractant d'une gravité suffisante ou en mettant en œuvre une clause résolutoire stipulée au contrat, pour les causes qu'elle prévoit.
9. Pour rejeter les demandes de M. [E] et des sociétés Picot et Tazar, tirées du caractère fautif de la résiliation, par les sociétés France Quick et Agaquick, des contrats de franchise et de location-gérance, l'arrêt relève que le contrat de franchise conclu avec la société Tazar stipulait, au profit du franchiseur, la faculté de résilier le contrat de plein droit, sans préavis et sans indemnité, par signification d'huissier de justice ou par simple lettre recommandée avec demande d'avis de réception, notamment, en cas de non-respect des normes d'hygiène et d'atteinte grave à l'image du franchiseur. Il précise que le contrat de location-gérance conclu avec cette même société prévoyait la résiliation de plein droit de ce contrat, sans formalité ni indemnité, en cas de résiliation du contrat de franchise. L'arrêt ajoute que le contrat de location-gérance conclu avec la société Picot stipulait la faculté pour le bailleur de résilier le contrat par lettre recommandée avec accusé de réception, après mise en demeure restée sans effet dans un délai de trente jours, en cas de manquement par le locataire-gérant à ses obligations ou à la suite d'agissements de nature à porter préjudice au loueur de fonds.
10. L'arrêt retient, ensuite, qu'à la suite du décès survenu dans le restaurant exploité par la société Dawa et la fermeture administrative de ce restaurant, la direction départementale de la protection de la population du Vaucluse a relevé, au titre des premières constatations faites dans ce restaurant, plusieurs non-conformités aux normes d'hygiène. Il ajoute que la société France Quick avait, à la demande de M. [E], assuré la gestion de la situation administrative, judiciaire et médiatique dans les jours qui ont suivi le décès, mais que, contre tout attente, ce dernier avait refusé de régulariser cet état de fait et de signer les mandats de gestion provisoire qui lui avaient été proposés par la société France Quick, sans justifier, ni des raisons de ce refus, ni d'avoir fait état d'autres propositions immédiates de sortie de crise. L'arrêt en déduit que les conditions étaient réunies, d'une part, pour que les sociétés France Quick et Agaquick mettent en œuvre les clauses de résiliation de plein droit des contrats de franchise et de location-gérance, pour manquement aux obligations en matière d'hygiène et d'atteinte grave à l'image de marque du franchiseur, s'agissant de la société Dawa, et pour atteinte grave à l'image de marque de la société France Quick, s'agissant de la société Tazar, d'autre part, pour que la société Agaquick résilie le contrat de location-gérance conclu avec la société Picot, du fait d'agissements portant préjudice à son loueur de fonds.
11. L'arrêt retient, enfin, qu'il ne ressort pas des éléments produits par la société France Quick que celle-ci a tenté de poursuivre les négociations avec M. [E] au-delà d'une matinée, cependant que les circonstances n'obligeaient pas cette société à formaliser dans les 24 ou 48 heures une gestion déjà engagée et qui n'était pas expressément exigée par les arrêtés préfectoraux de fermeture et de réouverture, que la relation commerciale existait entre les parties depuis une quinzaine d'années sans reproche fait au franchisé, lequel avait obtenu, trois mois avant l'accident, le label qualité du groupe à 100 %. Il ajoute que la société Picot était seulement liée par un contrat de location-gérance conclu avec la société Agaquick, dont les clauses ne permettaient pas, dans ces circonstances, une résiliation immédiate sans mise en demeure. L'arrêt en conclut que la signification, dès le 14 février 2011, de la résiliation immédiate de l'ensemble des contrats de franchise et de location gérance liant les parties était également fautive de la part du groupe Quick et justifiait un partage de responsabilité, à hauteur de 80 % pour M. [E] et de 20 % pour les sociétés France Quick et Agaquick.
12. En se déterminant ainsi, sans caractériser, d'une part, une faute imputable à la société Tazar au titre de l'atteinte grave à l'image de son cocontractant, telle que prévue par la clause résolutoire de son contrat de franchise, d'autre part, un comportement fautif de la part de la société Picot, suffisamment grave pour justifier la résiliation immédiate de son contrat de location-gérance, dès lors que les conditions de mise en oeuvre de la clause résolutoire prévue par ce contrat n'étaient pas réunies, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
Portée et conséquences de la cassation
13. La cassation prononcée n'atteint que les chefs de dispositif de l'arrêt consécutifs à l'imputation aux sociétés Picot et Tazar de fautes contractuelles, ainsi qu'au partage des torts et responsabilités, et, par application de l'article 624 du code de procédure civile, les dispositions de l'arrêt qui se rattachent à ces chefs par un lien de dépendance nécessaire, dont les dispositions condamnant la société BRMJ, prise en la personne de M. [F], en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Tazar, la société Picot et M. [E] aux dépens et frais irrépétibles exposés en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il constate la résiliation des contrats conclus entre les sociétés Tazar, Picot, France Quick et Agaquick, aux torts partagés des parties, condamne la société France Quick à payer à la société Tazar, représentée par M. [F], en sa qualité de liquidateur judiciaire, la somme de 39 719 euros au titre de son préjudice résultant de la résiliation de son contrat de franchise, condamne la société France Quick à payer à M. [E] la somme de 52 440 euros à titre de dommages et intérêts au titre de ses préjudices de salaires au sein de la société Tazar, condamne la société Agaquick à payer à la société Picot la somme de 63 911 euros au titre de son préjudice résultant de la résiliation de son contrat de franchise, condamne la société Agaquick à payer à M. [E] la somme de 21 559 euros à titre de dommages et intérêts au titre de ses préjudices de salaires au sein de la société Picot, condamne la société France Quick à payer à M. [E] la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel, l'arrêt rendu le 20 avril 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.