Cass. 3e civ., 22 juin 2022, n° 20-20.844
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Société d'économie mixte de construction et de rénovation de la ville de Saint-Ouen (SEMISO), Office public de l'habitat Saint-Ouen habitat public
Défendeur :
Total marketing services (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Teiller
Rapporteur :
Mme Andrich
Avocat général :
Mme Morel-Coujard
Avocats :
SCP Boullez, SCP Piwnica et Molinié
1. En raison de leur connexité, les pourvois n° 20-20.844 et 21-11.168 sont joints.
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 8 juillet 2020), l'établissement public à caractère industriel et commercial Saint-Ouen habitat public - office public de l'habitat (l'EPIC) a notifié, le 29 mai 2009, à la société Total marketing services, devenue la société Total énergie marketing services (la locataire), un congé à effet au 31 décembre 2009, avec refus de renouvellement du bail commercial consenti à compter du 1er décembre 1970 pour l'exploitation d'une station-service de distribution de produits pétroliers et vente d'accessoires automobiles.
3. La locataire a assigné l'EPIC en paiement d'une indemnité d'éviction par acte du 30 décembre 2011, remis au tribunal le 9 janvier 2012.
4. La société d'économie mixte de construction et de rénovation de la ville de Saint-Ouen (la SEMISO), qui a acquis les locaux commerciaux donnés à bail, le 31 août 2016, est intervenue à l'instance.
Examen des moyens
Sur le moyen du pourvoi n° 21-11.168 et sur le deuxième moyen du pourvoi n° 20-20.844, pris en ses deuxième et troisième branches, ci-après annexés
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen du pourvoi n° 20-20.844, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
6. La SEMISO et l'EPIC font grief à l'arrêt de fixer à une certaine somme le montant de l'indemnité d'éviction due par l'office à la société locataire, outre les frais de licenciement des salariés sur justificatifs et les frais de diagnostics, d'études et de travaux de dépollution et éventuellement de retrait des réservoirs, sur justificatifs, alors « que seule la saisine du tribunal par l'enrôlement de l'assignation peut interrompre le délai imparti au preneur pour agir en paiement d'une indemnité d'éviction ; qu'en l'état d'un congé en date du 31 décembre 2009, la seule délivrance d'une assignation signifiée le 30 décembre 2011 n'a pas interrompu le délai imparti au preneur pour agir en paiement de l'indemnité d'éviction, dès lors que le tribunal n'en a été saisi que par sa remise au greffe, le 9 janvier 2012, soit après l'expiration du délai ayant commencé à courir le 31 décembre 2009 ; qu'en décidant, à l'inverse, que le délai de prescription a été valablement interrompu par la seule délivrance d'une assignation dans les délais de deux ans de la délivrance du congé par le bailleur, depuis que l'article 45 de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 a décidé que le délai biennal n'est plus imparti au preneur à peine de forclusion, la cour d'appel a violé l'article L. 145-9 du code de commerce, ensemble l'article 757 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
7. Il résulte de l'article 2241 du code civil, applicable en matière de bail commercial, que la délivrance d'une assignation interrompt le délai de prescription de l'action en paiement de l'indemnité d'éviction prévue à l'article L. 145-9 du code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008, applicable au litige.
8. Ayant relevé que le délai pour agir qui avait commencé à courir le 31 décembre 2009, date d'effet du congé, avait été interrompu par la délivrance de l'assignation au bailleur, le 30 décembre 2011, la cour d'appel, en a exactement déduit que l'action de la locataire n'était pas prescrite.
9. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le deuxième moyen du pourvoi n° 20-20.844, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
10. La SEMISO et l'EPIC font grief à l'arrêt de fixer à une certaine somme le montant de l'indemnité d'éviction, outre les frais de licenciement des salariés de la locataire sur justificatifs et les frais de diagnostics, d'études et de travaux de dépollutions et éventuellement de retrait des réservoirs, sur justificatifs, et d'écarter leurs demandes tendant à ce que la locataire soit condamnée à respecter ses obligations de dépollution, alors « que l'obligation légale de dépollution pesant sur l'exploitant d'une installation classée à la cessation de l'activité sur un site est liée aux conditions d'exercice de cette activité ; qu'il s'ensuit qu'en cas de délivrance d'un congé avec refus de renouvellement au preneur exploitant une installation classée dans un local commercial, le coût de la dépollution et de la remise en état ne constitue pas un préjudice imputable à son éviction, de sorte que le preneur ne peut en demander le remboursement au bailleur au titre des indemnités accessoires qui pourraient lui être alloués en application de l'article L. 145-14 du code de commerce ; qu'en décidant que les frais de mise en sécurité ou de dépollution, et éventuellement de retrait des réservoirs et de remise en état figurent au nombre des préjudices que l'indemnité d'éviction a pour objet de réparer, au titre des indemnités accessoires, par cela seul qu'ils « sont directement liés à l'éviction avec arrêt d'exploitation », après avoir constaté qu'il avait été mis fin à l'exploitation de la station-essence par la délivrance par le bailleur d'un congé portant refus de renouvellement, la cour d'appel a violé la disposition précitée, ensemble l'article L. 512-12-2 du code de l'environnement, l'article R. 512-66-1 du même code, l'article 18 de l'arrêté du 22 juin 1998 et l'article 2.10 de l'annexe I de l'arrêté du 15 avril 2010. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 512-12-1 du code de l'environnement, 18 de l'arrêté du 22 juin 1998 relatif aux réservoirs enterrés de liquides inflammables ou combustibles et de leurs équipements annexes, et 2.10 de l'annexe I de l'arrêté du 15 avril 2010 relatif aux prescriptions générales applicables aux stations service relevant du régime de l'enregistrement au titre de la rubrique n° 1435 de la nomenclature des installations classées pour la protection de l'environnement :
11. Il résulte de ces textes que le preneur à bail dont le renouvellement est refusé, dernier exploitant d'une installation classée pour la protection de l'environnement, est tenu de prendre, en application de l'article L. 512-12-1 du code de l'environnement, toutes les dispositions utiles pour la mise en sécurité du site et, s'agissant des réservoirs de carburant et de leurs équipements annexes, de les neutraliser conformément aux dispositions de l'article 18 de l'arrêté du 22 juin 1998 et de l'article 2.10 de l'annexe I de l'arrêté du 15 avril 2010.
12. L'obligation particulière de dépollution du site d'une installation classée pour la protection de l'environnement doit, à l'arrêt définitif de l'exploitation, être exécutée par le dernier exploitant, qui en est seul tenu, indépendamment de tout rapport de droit privé.
13. Pour retenir que les frais de diagnostics, d'études et de travaux de dépollutions et éventuellement de retrait des réservoirs, seront dus à la locataire évincée sur justificatifs, au titre des indemnités accessoires, l'arrêt énonce que les frais de mise en sécurité ou de dépollutions et éventuellement de retrait des réservoirs sont directement liés à l'éviction avec arrêt de l'exploitation.
14. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Et sur le troisième moyen du pourvoi n° 20-20.844
Enoncé du moyen
15. La SEMISO et l'EPIC font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes relatives à l'indexation annuelle de l'indemnité d'occupation, aux intérêts au taux légal à compter de chaque échéance contractuelle et à la compensation, alors « que la juridiction du second degré est saisie des demandes figurant dans le dispositif des conclusions des parties, même si leurs prétentions ne sont étayées par aucun moyen figurant dans la partie "discussion" des conclusions ; que la société Semiso et l'Epic Saint-Ouen habitat public-Office public de l'habitat avaient présenté plusieurs demandes relatives à l'indexation annuelle de l'indemnité d'occupation, aux intérêts au taux légal à compter de chaque échéance contractuelle et à la compensation dans le dispositif de leurs dernières conclusions ; qu'en décidant qu'elle n'en était pas saisie, pour la raison qu'elles n'étaient étayées par aucun développement dans la partie "discussion" des dites conclusions, la cour d'appel a déduit un motif inopérant, en violation de l'article 954 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 954, alinéas 1er et 2, du code de procédure civile :
16. Il résulte de ce texte que les conclusions d'appel doivent formuler expressément les prétentions des parties et les moyens de fait et de droit sur lesquels chacune de ses prétentions est fondée, et que la cour ne statue que sur les prétentions récapitulées énoncées sous forme de dispositif.
17. Pour rejeter le surplus des demandes dont celles relatives à l'indexation annuelle de l'indemnité d'occupation, aux intérêts au taux légal à compter de chaque échéance contractuelle et à la compensation, l'arrêt retient que la cour d'appel, en application de l'article 954 du code de procédure civile, n'est pas saisie de ces demandes figurant au dispositif des conclusions du bailleur dans la mesure où elles ne sont pas développées dans la partie discussion des écritures.
18. En statuant ainsi, tout en rejetant ces demandes, la cour d'appel, qui a méconnu l'étendue de sa saisine, a violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation prononcée sur le deuxième moyen du pourvoi n° 20-20.844, pris en sa première branche
19. La portée de la cassation prononcée sur ce moyen, qui ne conteste que l'inclusion des frais de diagnostics, d'études et de travaux de dépollutions et éventuellement de retrait des réservoirs, sur justificatifs, dans le calcul du préjudice réparable de la locataire, doit être limitée à cette seule inclusion et à la disposition rejetant les demandes en condamnation de la société Total marketing services à respecter ses obligations de dépollution qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il :
- ajoute au montant de l'indemnité d'éviction calculé et fixé à la somme de 1 072 170 euros, due par l'établissement public à caractère industriel et commercial Saint-Ouen habitat public - office public de l'habitat à la société Total marketing services, devenue Total énergie marketing services, les frais de diagnostics, d'études et de travaux de dépollutions et éventuellement de retrait des réservoirs ;
- rejette les demandes de l'établissement public à caractère industriel et commercial Saint-Ouen habitat public - office public de l'habitat et de la société d'économie mixte de construction et de rénovation de la ville de Saint-Ouen en condamnation de la société Total marketing services, devenue Total énergie marketing services, à respecter ses obligations de dépollution ;
- rejette les demandes de l'établissement public à caractère industriel et commercial Saint-Ouen habitat public - office public de l'habitat et de la société d'économie mixte de construction et de rénovation de la ville de Saint-Ouen en condamnation de la société Total marketing services, devenue Total énergie marketing services, relatives à l'indexation annuelle de l'indemnité d'occupation, aux intérêts au taux légal à compter de chaque échéance contractuelle et à la compensation ;
l'arrêt rendu entre les parties, le 8 juillet 2020, par la cour d'appel de Paris ;
Remet sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles ;
Condamne la société Total énergie marketing services aux dépens :
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-deux juin deux mille vingt-deux.