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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 18 octobre 2023, n° 20/18056

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Partnaire les Herbiers (Sté), La Prestation Intellectuelle (SAS), Partnaire NPC (Sté), Sud Interim (SARL), Partnaire Métiers Techniques Ile-de-France Sud (Sté), In-tra-TT (SARL), Partnaire 59 (Sté)

Défendeur :

Bati Renov (SASU), Bouygues Bâtiment Sud Est (SASU), Brezillon (SAS), Bouygues Construction (SA), Bouygues Batiment Ile-de-France (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Dallery

Conseillers :

Mme Depelley, M. Richaud

Avocats :

Me Jougla, Me Boubée, Me Coulibaly, Me Boccon Gibod, Me Girard

T. com. Paris, 13e ch., du 28 sept. 2020…

28 septembre 2020

FAITS ET PROCÉDURE

La société Bouygues Construction est spécialisée dans le secteur d'activité de la construction d'ouvrages d'art. Elle est chargée de négocier pour le compte de ses filiales des contrats-cadres avec des entreprises spécialisées dans la mise à disposition de personnels intérimaires dans le secteur du BTP.

Les sociétés du Groupe Bouygues (Bouygues Construction, Bouygues Bâtiment Ile De France, Bati Renov, GFC Construction (désormais Bouygues Bâtiment Sud-Est) et Brézillon) ont fait appel aux entreprises de travail temporaire du Groupe Inter Conseil (Traveco (désormais Partnaire RLM), La Prestation Industrielle (LPI), Traveco Sud Est (désormais Partnaire MT), Sud Interim, la Nîmoise d'Interim, Intra TT [Localité 11] et Techwin Travail Temporaire).

Se prévalant de relations formalisées par des contrats cadres intérims successifs, renouvelés en dernier lieu le 18 septembre 2013 et ce, pour une durée de 34 mois avec les sociétés du groupe Bouygues et se plaignant d'avoir vu leur chiffre d'affaires avec ces dernières chuter à compter de l'exercice 2014, les sociétés du Groupe Inter Conseil (Partnaire RLM (anciennement Traveco), LPI La Prestation Industrielle, Partnaire MT (anciennement Traveco Sud Est), Sud Interim, la Nîmoise d'Interim, Intra TT [Localité 11] et Techwin Travail Temporaire) ont assigné les sociétés du groupe Bouygues (Bouygues Construction, Bouygues Bâtiment Ile-De-France, Bouygues Bâtiment International, Bouygues Travaux Publics, Bati Renov, Bouygues Bâtiment Sud-Est, Bouygues Travaux Publics Régions France, Brezillon) devant le tribunal de commerce de Paris, par acte des 13, 14, 15 et 21 décembre 2017, pour avoir rompu brutalement leurs relations commerciales établies.

Par jugement du 28 septembre 2020, le tribunal de commerce de Paris a :

- Débouté les défenderesses de leur fin de non-recevoir pour défaut de capacité à agir de la SARL Inter Conseil Holding,

- Débouté les défenderesses de leurs fins de non-recevoir pour défaut d'intérêt à agir,

- Débouté les demanderesses de leurs demandes au titre d'une rupture brutale de relations commerciales établies,

- Débouté la SAS LPI La prestation Industrielle au titre d'un préjudice inhérent à la fermeture de ses agences parisiennes,

- Débouté les demanderesses au titre d'un préjudice d'image,

- Condamné in solidum les demanderesses à payer aux défenderesses la somme de 12 000 euros au titre de l'article 700 du CPC,

- Débouté les parties de leurs autres demandes, fins et conclusions,

- Condamné in solidum les demanderesses aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 434,13 euros donc 72,14 euros de TVA.

Les sociétés du groupe Inter conseil ont interjeté appel de ce jugement.

Vu les conclusions des sociétés Partnaire RLM (anciennement Traveco), LPI La Prestation Industrielle, Partnaire MT (anciennement Traveco Sud Est), Sud Interim, la Nîmoise d'Interim, In-Tra-Tt [Localité 11] et Techwin Travail Temporaire déposées et notifiées le 10 mars 2021 par lesquelles il est demandé à la cour de :

Vu les articles L. 442-6 I 5°, devenu L. 442-1, et suivants du Code de commerce ;

Vu les articles 699, 700 et suivants du Code de procédure civile ;

Vu la jurisprudence constante ;

Vu les éléments versés aux débats ;

Infirmer le jugement en ce qu'il a :

- débouté les appelantes de leurs demandes au titre d'une rupture brutale de relations commerciales établies ;

- débouté la société LPI La Prestation Industrielle de sa demande au titre d'un préjudice inhérent à la fermeture de ses agences parisiennes ;

- débouté les appelantes de leur demande au titre du préjudice d'image ;

- condamné in solidum les appelantes à payer aux défenderesses la somme de 12000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de l'instance ;

Dire et juger que les sociétés du Groupe Inter Conseil et les sociétés du Groupe Bouygues entretenaient des relations commerciales établies au sens de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce ;

Dire et juger que les sociétés du Groupe Bouygues se sont rendues coupables d'une rupture brutale des relations commerciales établies qu'elles entretenaient avec les sociétés du Groupe Inter Conseil depuis 2000 ;

Dire et juger que les sociétés du Groupe Bouygues ont rompu brutalement les relations commerciales établies qu'elles ont entretenues avec les sociétés du Groupe Inter Conseil, et ce alors qu'elles auraient dû concéder dans ce cadre un préavis de 12 mois ;

En conséquence :

Condamner la société Bouygues Bâtiment Ile De France à payer les sommes suivantes correspondant à la perte de marge sur coûts variables au titre du chiffre d'affaires qui aurait dû être réalisé durant le préavis, et ce au titre de la rupture des relations commerciales intervenues dès le mois de janvier 2014 :

- 1 538 899,75 € HT à la société LPI La Prestation Industrielle ; et

- 4 592,54 € HT à la société TRAVECO (devenue Partnaire RLM).

Condamner la société Brezillon à payer les sommes suivantes correspondant à la perte de marge sur coûts variables au titre du chiffre d'affaires qui aurait dû être réalisé durant le préavis, et ce au titre de la rupture des relations commerciales intervenues dès le mois de janvier 2014 :

- 103 868,98 € HT à la société LPI La Prestation Industrielle ;

- 17 519,50 € HT à la société Traveco (devenue Partnaire RLM) ;

Condamner la société Bouygues Bâtiment Sud-Est, venant aux droits de la société GFC Construction à payer les sommes suivantes correspondant à la perte de marge sur coûts variables au titre du chiffre d'affaires qui aurait dû être réalisé durant le préavis, et ce au titre de la rupture des relations commerciales intervenues dès le mois de janvier 2014 :

- 13 392,55 € HT à la société Sud Interim ;

- 78 156,91 € HT à la société Traveco Sud Est (devenue Partnaire MT) ;

- 4 735,66€ HT à la société Nimoise d'Interim Sni Traveco ;

- 5 547,96 € HT à la société Techwin Travail Temporaire ;

Condamner la société Bati Renov à payer la somme de 3 570,08 € HT à la société LPI La Prestation Industrielle correspondant à la perte de marge sur coûts variables au titre du chiffre d'affaires qui aurait dû être réalisé durant le préavis, et ce au titre de la rupture des relations commerciales intervenues dès le mois de janvier 2014 :

Condamner la société Bouygues Construction à payer la somme de 292,66 € HT à la société IN-TRA-TT [Localité 11] correspondant à la perte de marge sur coûts variables au titre du chiffre d'affaires qui aurait dû être réalisé durant le préavis, et ce au titre de la rupture des relations commerciales intervenues dès le mois de janvier 2014 :

Condamner in solidum les sociétés du Groupe Bouygues Construction au paiement de la somme forfaitaire de 350.000 € à la société LPI La Prestation Industrielle en réparation des préjudices inhérents à la fermeture des agences parisiennes LPI La Prestation Industrielle rendue nécessaire consécutivement à la brusque rupture des relations commerciales ;

Condamner in solidum les sociétés du Groupe Bouygues Construction au paiement de la somme forfaitaire de 250.000 € aux sociétés du Groupe Inter Conseil : LPI La Prestation Industrielle ; Traveco (devenue Partnaire RLM) ; Sud Interim ; Traveco Sud Est (devenue Partnaire MT) ; Nimoise d'Interim Sni Traveco ; Techwin Travail Temporaire ; IN-TRA-TT [Localité 11] en réparation de leur préjudice moral ;

En tout état de cause :

Condamner in solidum les sociétés défenderesses à devoir payer aux sociétés du Groupe Inter Conseil la somme 35.000 € en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Condamner in solidum les sociétés du Groupe Bouygues aux entiers dépens.

Vu les dernières conclusions des sociétés Bouygues Construction, Bouygues Bâtiment Ile De France, Bati Renov, GFC Construction (désormais Bouygues Bâtiment Sud-Est) et Brezillon, déposées et notifiées le 10 juin 2021, par lesquelles il est demandé à la cour de :

Vu l'article L. 442-6-I 5° du Code de commerce,

Vu le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 28 septembre 2020

I. A titre principal,

- Confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 28 septembre 2020 en tout point et notamment en ce qu'il a :

"Débouté les demanderesses de leurs demandes au titre d'une rupture brutale de relations commerciales établies,

Débouté la SAS La LPI Prestation Industrielle au titre d'un préjudice inhérent à la fermeture de ses agences parisiennes,

Débouté les demanderesses au titre d'un préjudice d'image"

II. En cas d'infirmation du jugement,

A. A titre principal

- Constater que les Demanderesses ne démontrent pas avoir entretenu avec les Demanderesses de relations commerciales établies ;

- Constater que les Défenderesses avaient recours de manière systématique à des procédures d'appel d'offres pour la sélection des Entreprises de Travail Temporaire ;

En conséquence,

- Dire et juger que la relation commerciale entre les Demanderesses et les Défenderesses n'était pas établie au sens de l'article L. 442-6-I 5° du Code de commerce ;

- Débouter les Demanderesses de l'intégralité de leurs demandes, fins et conclusions ;

B. A titre subsidiaire

- Constater qu'un préavis écrit a été notifié par les Défenderesses aux Demanderesses à l'occasion de la mise en place de la procédure d'appel d'offres pour la période 2017-2019 ;

- Constater que les Demanderesses ont bénéficié d'un préavis de rupture de 11 mois ;

En conséquence,

- Dire et juger que le préavis de rupture est suffisant et raisonnable au regard de la durée de la relation commerciale entre les Parties ;

- Dire et juger que les Demanderesses ne justifient pas des préjudices qu'elles allèguent ;

- Débouter les Demanderesses de l'intégralité de leurs demandes, fins et conclusions ;

III. En tout état de cause,

- Débouter les Demanderesses de l'intégralité de leurs demandes, fins et conclusions ;

- Condamner les Demanderesses à verser aux Défenderesses la somme de 35.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi que les entiers dépens dont distraction au profit de la Selarl Lexavoue Paris-Versailles.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 24 mai 2022.

L'affaire a été plaidée à l'audience du 16 mai 2023 et mise en délibéré à l'audience du 6 septembre 2023.

A cette date, la cour, par mention au dossier, a invité les appelantes a régularisé leurs écritures au regard des K-bis produits et ordonné la réouverture des débats à l'audience du 10 octobre 2023 à 14 heures sans révocation de l'ordonnance de clôture.

Par des conclusions déposées et notifiées le 21 septembre 2023, les sociétés Partnaire Les Herbiers venant aux droits de Partnaire RLM (anciennement Traveco), Partnaire NPC venant aux droits de Partnaire MT (anciennement Traveco Sud Est), Partnaire Métiers Techniques Ile de France Sud venant aux droits de la société Nimoise d'Intérim (anciennement Société Nimoise d'Intérim SNI Traveco) et Partnaire 59 venant aux droits de la société Techwin Travail Temporaire, intervenantes volontaires aux côtés de la société LPI La Prestation Industrielle, de la société Sud Intérim et de la société In-Tra-It [Localité 11] ont demandé à la Cour :

Vu les articles L. 442-6 I 5°, devenu L. 442-1, et suivants du Code de commerce ;

Vu les articles325 et suivants, 699, 700 et suivants du Code de procédure civile ;

Vu la jurisprudence constante ;

Vu les éléments versés aux débats ;

Prendre acte de l'intervention volontaire des sociétés suivantes :

- la société Partnaire Les Herbiers venant aux droits de Partnaire RLM (anciennement Traveco),

- la société Partnaire NPC venant aux droits de Partnaire MT (anciennement Traveco Sud Est),

- la société Partnaire Métiers Techniques Ile de France Sud venant aux droits de la société Nimoise d'Intérim (anciennement Société Nimoise d'Intérim SNI Traveco),

- la société Partnaire 59 venant aux droits de la société Techwin Travail Temporaire ;

Infirmer le jugement en ce qu'il a :

- débouté les appelantes de leurs demandes au titre d'une rupture brutale de relations commerciales établies ;

- débouté la société LPI La Prestation Industrielle de sa demande au titre d'un préjudice inhérent à la fermeture de ses agences parisiennes ;

- débouté les appelantes de leur demande au titre du préjudice d'image ;

- condamné in solidum les appelantes à payer aux défenderesses la somme de 12000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de l'instance ;

Dire et juger que les sociétés du Groupe Inter Conseil et les sociétés du Groupe Bouygues entretenaient des relations commerciales établies au sens de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce ;

Dire et juger que les sociétés du Groupe Bouygues se sont rendues coupables d'une rupture brutale des relations commerciales établies qu'elles entretenaient avec les sociétés du Groupe Inter Conseil depuis 2000 ;

Dire et juger que les sociétés du Groupe Bouygues ont rompu brutalement les relations commerciales établies qu'elles ont entretenues avec les sociétés du Groupe Inter Conseil, et ce alors qu'elles auraient dû concéder dans ce cadre un préavis de 12 mois ;

En conséquence :

Condamner la société Bouygues Bâtiment Ile De France à payer les sommes suivantes correspondant à la perte de marge sur coûts variables au titre du chiffre d'affaires qui aurait dû être réalisé durant le préavis, et ce au titre de la rupture des relations commerciales intervenues dès le mois de janvier 2014 :

- 1 538 899,75 € HT à la société LPI La Prestation Industrielle ; et

- 4 592,54 € HT à la société Partnaire Les Herbiers venant aux droits de Partnaire RLM (anciennement Traveco) ;

Condamner la société Brezillon à payer les sommes suivantes correspondant à la perte de marge sur coûts variables au titre du chiffre d'affaires qui aurait dû être réalisé durant le préavis, et ce au titre de la rupture des relations commerciales intervenues dès le mois de janvier 2014 :

- 103 868,98 € HT à la société LPI La Prestation Industrielle ;

- 17 519,50 € HT à la société Partnaire Les Herbiers venant aux droits Partnaire RLM (anciennement Traveco) ;

Condamner la société Bouygues Bâtiment Sud-Est, venant aux droits de la société GFC Construction à payer les sommes suivantes correspondant à la perte de marge sur coûts variables au titre du chiffre d'affaires qui aurait dû être réalisé durant le préavis, et ce au titre de la rupture des relations commerciales intervenues dès le mois de janvier 2014 :

- 13 392,55 € HT à la société Sud Interim ;

- 78 156,91 € HT à la société Partnaire NPC venant aux droits de Partnaire MT(anciennement Traveco) ;

- 4 735,66€ HT à la société Partnaire Métiers Techniques Ile de France Sud venant aux droits de la société Nimoise d'Intérim (anciennement Société Nimoise d'Intérim SNI Traveco) ;

- 5 547,96 € HT à la société Partnaire 59 venant aux droits de la société Techwin Travail Temporaire ;

Condamner la société Bati Renov à payer la somme de 3 570,08 € HT à la société LPI La Prestation Industrielle correspondant à la perte de marge sur coûts variables au titre du chiffre d'affaires qui aurait dû être réalisé durant le préavis, et ce au titre de la rupture des relations commerciales intervenues dès le mois de janvier 2014 :

Condamner la société Bouygues Construction à payer la somme de 292,66 € HT à la société IN-TRA-TT [Localité 11] correspondant à la perte de marge sur coûts variables au titre du chiffre d'affaires qui aurait dû être réalisé durant le préavis, et ce au titre de la rupture des relations commerciales intervenues dès le mois de janvier 2014 :

Condamner in solidum les sociétés du Groupe Bouygues Construction au paiement de la somme forfaitaire de 350.000 € à la société LPI La Prestation Industrielle en réparation des préjudices inhérents à la fermeture des agences parisiennes LPI La Prestation Industrielle rendue nécessaire consécutivement à la brusque rupture des relations commerciales ;

Condamner in solidum les sociétés du Groupe Bouygues Construction au paiement de la somme forfaitaire de 250.000 € aux sociétés du Groupe Inter Conseil : Partnaire Les Herbiers venant aux droits de Partnaire RLM (anciennement Traveco), LPI La Prestation Industrielle, Partnaire NPC venant aux droits de Partnaire MT(anciennement Traveco), Sud Interim, Partnaire Métiers Techniques Ile de France Sud venant aux droits de la société Nimoise d'Intérim (anciennement Société Nimoise d'Intérim SNI Traveco), Nimoise d'Interim Sni Traveco, IN-TRA-TT [Localité 11] et Partnaire 59 venant aux droits de la société Techwin Travail Temporaire, en réparation de leur préjudice moral ;

En tout état de cause :

Condamner in solidum les sociétés défenderesses à devoir payer aux sociétés du Groupe Inter Conseil la somme 35.000 € en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Condamner in solidum les sociétés du Groupe Bouygues aux entiers dépens.

MOTIVATION

Les sociétés Partnaire Les Herbiers venant aux droits de Partnaire RLM (anciennement Traveco), Partnaire NPC venant aux droits de Partnaire MT (anciennement Traveco Sud Est), Partnaire Métiers Techniques Ile de France Sud venant aux droits de la société Nimoise d'Intérim (anciennement Société Nimoise d'Intérim SNI Traveco) et Partnaire 59 venant aux droits de la société Techwin Travail Temporaire sont reçues en leur intervention volotaire.

Sur la rupture brutale des relations commerciales établies

Les sociétés du Groupe Inter Conseil soutiennent :

- que les parties entretenaient des relations établies depuis 2000, soit depuis près de 14 ans en moment de la première rupture survenue en janvier 2014 et de 17 ans au moment où le flux résiduel d'activité a définitivement cessé,

- que la rupture était d'autant moins prévisible qu'un contrat cadre a été formalisé le 18 septembre 2013 et courait jusqu'au 31 décembre 2015, reconduit pour une durée de 12 mois, puis de 2 mois,

- que les relations commerciales constantes entretenues par les parties entre 2000 et 2014 ne se sont jamais inscrites dans le cadre de procédures systématiques d'appel d'offres ayant pour effet de conférer à cette relation un caractère précaire,

- que les sociétés du groupe Bouygues ont rompu brutalement les relations commerciales établies, sans respecter le moindre préavis puisqu'à compter de 2014, elles ont enregistré une baisse de 79,4 % du chiffre d'affaires réalisé avec ces sociétés, leur chiffre d'affaires étant passé de 15.474.941 € en 2013 à seulement 3.171.700 € en 2014, puis à 340 964 € en 2015 et à 490 455 € en 2016,

- qu'un préavis de 12 mois aurait dû leur être accordé au regard de 14 ans de relation commerciale, de la part de leur chiffre d'affaires de 2013 réalisé avec les sociétés défenderesses (15.474.941 €) rapporté à leur chiffre d'affaires global (54.192.414 €), soit 28,6 %, étant observé que la société LPI qui réalisait à elle seule 14.389.096 € sur les 15.474.941 € réalisés avec Bouygues Construction en 2013 (soit 92,98 % du volume d'affaires), était en situation de très forte dépendance économique, de la très nette progression des relations d'affaires (1.000.000 € HT en2006 ; 12.000.000 € HT en 2011 ; 15.474.941 € HT en 2013), que le renouvellement des relations commerciales, et de la formalisation des relations commerciales le 18 septembre 2013, dix semaines seulement avant la rupture.

Les sociétés du Groupe Bouygues rétorquent :

- que la preuve de relations d'une durée désormais de 14 ans au lieu de 8 revendiquée dans l'assignation, de l'an 2000 au mois de janvier 2014 n'est pas rapportée, seul le contrat-cadre du 18 septembre 2013 conclu à l'issue de l'appel d'offres, prorogé jusqu'au 28 février 2017 pour permettre la mise en place d'un nouvel appel d'offres, étant produit, et l'existence de contrat ne pouvant être à lui seul suffisant pour justifier d'une relation commerciale établie,

- que les attestations de la société Sofico sont de simples tableaux établis par les appelantes sur lesquelles a été apposé le cachet du cabinet d'expertise-comptable,

- que le tableau des sociétés appelantes ne donne que des indications chiffrées pour 4 années (2008 à 2011) ne démontre pas des relations commerciales de 14 ans mais démontre que le CA entre LPI et Brezillon a été divisé par 2 en 2010, de sorte qu'il n'existait aucune stabilité dans ces relations,

- qu'en tout état de cause, la relation entre les parties était précaire par suite du recours à la procédure d'appel d'offres de 2005 à 2007, de 20010 à 2012, puis de 20015 à 2017, outre une nouvelle appel d'offres lancé en mars 2016,

- qu'aucune rupture n'est caractérisée, puisque le Groupe Bouygues Construction entretient des relations commerciales avec le Groupe Partnaire qui a absorbé en mars 2018 le groupe Inter-Conseil,

- à titre subsidiaire, que le caractère brutal de la rupture n'est pas prouvé, la fin de la relation contractuelle nouée entre les parties par le contrat du 18 septembre 2013 ayant été notifiée à la société Inter Conseil par écrit en mars 2016 dans le cadre d'une procédure d'appel d'offres pour la période 2017-2019,

- que la baisse du chiffre d'affaires alléguée dès 2014 puis en 2015 résulte exclusivement du contexte conjoncturel de l'époque, le secteur du BTP ayant subi une sévère crise en 2014 qui a directement impacté le recours à l'intérim dans ce secteur, et qu'en vertu de l'article 2 du contrat, il n'y avait aucune obligation de volume de chiffres d'affaires à la charge des entreprises utilisatrices

- que les appelantes ont bénéficié d'un délai de préavis raisonnable et suffisant de 11 mois, pour une relation commerciale qui ne saurait excéder 4 ans.

Réponse de la Cour

L'article L. 442-6, I 5° du code de commerce dans sa version antérieure à l'ordonnance n°2019-359 du 24 avril 2019 applicable au litige dispose qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé, le fait pour le producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée en référence aux usages du commerce ou par des accords interprofessionnels.

La relation, pour être établie au sens des dispositions susvisées doit présenter un caractère suivi, stable et habituel. Le critère de la stabilité s'entend de la stabilité prévisible, de sorte que la victime de la rupture devait pouvoir raisonnablement anticiper une certaine continuité de flux d'affaires avec son partenaire commercial. L'absence de contrat écrit n'est pas incompatible avec l'existence d'une relation établie.

La brutalité de la rupture résulte de l'absence de préavis écrit ou de l'insuffisance de ce dernier.

Le délai de préavis, qui s'apprécie au moment de la notification de la rupture, doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser en fonction de la durée de la relation commerciale et de ses spécificités, du produit ou du service concerné.

Les principaux critères à prendre en compte sont l'ancienneté des relations, le degré de dépendance économique, le volume d'affaires réalisé, la progression du chiffre d'affaires, les investissements effectués, les relations d'exclusivité et la spécificité des produits ou services en cause.

Le préavis doit se présenter sous la forme d'une notification écrite.

En l'espèce, l'existence de relations commerciales entre les parties est justifiée au moins à compter de l'année 2013 par la production d'un contrat cadre du 18 septembre 2013 entre la société Bouygues Construction et la société Inter Conseil Holding, contrat prolongé jusqu'au 31 décembre 2015, puis du 28 février 2017 par deux avenants (pièces 3, 4 et 7 des appelantes).

Les sociétés du groupe Bouygues ne démontrent pas l'existence d'appels d'offres antérieurs à l'année 2013.

En effet, le courrier daté du 22 novembre 2004 de Bouygues Construction relatif à un appel d'offres "pour le référencement en 2005 pour les Entreprises de Travail Temporaire" non signé et le contrat cadre régional intérim entre Bouygues Construction et la société La Prestation Industrielle (LPI) conclu le 31 mai 2005, à effet du 1er juin 2005 au 28 février 2007, prolongé au 30 avril suivant ((leurs pièces 13, 14, 15 et 16) sont insuffisants.

En outre, le contrat cadre national n° 4869 conclu entre Bouygues Construction et la société Réseau Domitis de 2010 non signé et le contrat Intérim Référencement national BIP du 1er mars 2017 au 29 février 2019 entre le GIE Bouygues Construction Purshasing et la SAS Réseau Domitis dont "Partenaire" serait membre en 2017 (leurs pièces17,18,19) sont inopérants, peu important à cet égard que le groupe d'intérim Partenaire ait absorbé en juin 2018 la société Inter-Conseil ainsi qu'il résulte des articles de presse produits alors que la société Bouygues Construction a informé Inter-Conseil par courriel du 13 janvier 2017 que sa proposition n'avait pas été retenue dans le cadre de l'appel d'offres intérim 2017-2019.

En revanche, il est justifié à suffisance d'un appel d'offres Intérim 2013-2015 par Bouygues Construction par la pièce 29 des intimées ayant pour objet la réunion de lancement ainsi que par le contrat cadre du 18 septembre 2013 conclu entre la société Bouygues Construction et la société Inter Conseil Holding qui a suivi, auquel a fait suite, après sa prolongation par deux avenants, l'appel d'offres de mars 2016 (pièce 5 des intimées) pour lequel la proposition de la société Inter conseil n'a pas été retenue ainsi que celle-ci en a été informée le 31 janvier 2017 (pièce 12 des appelantes).

Ces appels d'offres ont eu pour effet de rendre précaire la relation commerciale entre les parties.

En conséquence l'existence d'une relation commerciale établie au sens de l'article L. 442-6, I 5° du code de commerce ne peut être retenue.

Il sera ajouté de surcroît que les sociétés appelantes ne peuvent se prévaloir d'une rupture brutale au début de l'année 2014 alors que les relations commerciales se sont poursuivies entre les parties jusqu'au 28 février 2017 et que le contrat cadre conclu entre les sociétés Bouygues Construction et Inter conseil du 1er mars 2013 au 31 décembre 2015, stipulait (article 2) : "( ')Le contrat cadre ne comporte aucune obligation en terme de volume de chiffre d'affaires à la charge des entreprises utilisatrices, ".

Il sera en outre observé que la lettre de mise en demeure pour rupture brutale est datée du 10 mai 2017, soit après la perte du nouvel appel d'offres par la société Inter conseil

Enfin, et en tout état de cause, même à admettre ainsi que le prétendent les sociétés appelantes que le premier appel d'offres est celui de 2017 perdu par Inter conseil, et ainsi l'existence de relations commerciales établies, le préavis a commencé à courir dès le mois de mars 2016, date du lancement de l'appel d'offres (pièce 5 des intimées), qui a précarisé les relations, jusqu'au 31 janvier 2017, date à laquelle Inter Conseil a été informée du résultat de l'appel d'offres, de sorte qu'un préavis de 11 mois lui a été accordé, préavis suffisant même pour des relations commerciales qui auraient duré14 ans comme il est allégué.

Dès lors, le jugement est confirmé en ce qu'il a rejeté les demandes formées au titre d'une rupture brutale des relations commerciales établies, du préjudice d'image et de la demande de la société LPI au titre d'un préjudice inhérent à la fermeture de ses agences parisiennes.

Les sociétés appelantes sont en conséquence déboutées de leurs demandes.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile.

Les sociétés appelantes qui succombent sont condamnées aux dépens d'appel dans les termes de l'article 699 du code de procédure civile et déboutées de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Elles sont condamnées in solidum à verser aux sociétés intimées la somme globale de 15 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Reçoit les sociétés Partnaire Les Herbiers venant aux droits de Partnaire RLM (anciennement Traveco), Partnaire NPC venant aux droits de Partnaire MT (anciennement Traveco Sud Est), Partnaire Métiers Techniques Ile de France Sud venant aux droits de la société Nimoise d'Intérim (anciennement Société Nimoise d'Intérim SNI Traveco) et Partnaire 59 venant aux droits de la société Techwin Travail Temporaire en leur intervention volotaire ;

Confirme le jugement en ses dispositions qui lui sont soumises ;

Déboute les sociétés appelantes de leurs demandes ;

Les Condamne in solidum aux dépens d'appel dans les termes de l'article 699 du code de procédure civile,

Les condamne in solidum à payer la somme de 15 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.