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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 18 octobre 2023, n° 21/16096

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

T&G Distribution (SAS)

Défendeur :

Milesi Vernis (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Brun-Lallemand

Conseillers :

M. Richaud, Mme Lehmann

Avocats :

Me Roine, Me Galline Castel, Me Levy

T. com. Bordeaux, 7e ch., du 25 juin 202…

25 juin 2021

FAITS ET PROCÉDURE

La société Milesi vernis, fabricant de peinture, vernis et laques pour bois, comptait parmi ses distributeurs la société Ouest Vernis Services (OVS).

A compter du 17 novembre 2014, la société T&G distribution, acquéreur des parts de cette société, s'est substituée à cette dernière dans l'achat des produits.

Le volume d'affaires a baissé de 12 % en 2018, année au cours de laquelle des dissensions sont apparues.

Le 24 mars 2020, la société T&G distribution, estimant que la société Milesi vernis avait unilatéralement modifié de façon substantielle les conditions contractuelles en imposant le paiement comptant de ses factures, en confiant la distribution de ses produits à trois concurrents dans son secteur et en imposant des tarifs dissuasifs, a assigné son partenaire devant le tribunal de commerce de Bordeaux pour rupture brutale des relations commerciales établies.

La société Milesi a formulé une demande reconventionnelle sur le même fondement en soutenant que sa partenaire était à l'origine de la rupture en baissant progressivement le volume de ses commandes et en annulant sans préavis la commande de 90 tonnes de produit diluant.

Par jugement du 25 juin 2021, le tribunal de commerce de Bordeaux a :

- débouté la société T&G distribution de l'ensemble de ses demandes,

- débouté la société Milesi vernis de l'ensemble de ses demandes,

- dit n'y avoir lieu à l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné solidairement la société T&G distribution et la société Milesi vernis aux dépens, dont frais de greffe liquidés à la somme de 74,54 € (dont TVA 12,42 €).

Par déclaration reçue au greffe de la Cour le 1er septembre 2021 à la société T&G distribution a interjeté appel de ce jugement.

Un appel incident a également été formé par la société Milesi vernis.

Une médiation judiciaire a été ordonnée le 26 octobre 2921, mais n'a pas abouti.

Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 12 avril 2023 la société T&G distribution demande à la Cour de :

Vu les dispositions des articles L. 442-1, L. 442-4 et D. 442-3 du code de commerce et 1104 du code civil,

- réformer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Bordeaux le 25 juin 2021, et faire droit à l'intégralité des demandes de la Société T&G distribution,

- Condamner la société Milesi vernis à payer à la société T&G distribution la somme de 979.957 € au titre du préjudice financier causé par la brutalité de la rupture partielle sans préavis,

- La condamner à lui payer la somme de 34.436,90 € au titre du remboursement du stock de produits Milesi,

- La condamner à lui payer la somme de 62.191 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi au titre du coût salarial,

- La condamner à lui payer la somme de 26.106,20 € en remboursement du paiement des loyers et charges de l'agence de Rennes,

- La condamner à lui payer la somme de 161,31 € HT en remboursement des frais de notification du congé par voie d'huissier de justice,

- La condamner à lui payer la somme de 20.000 € de dommages et intérêts en indemnisation du préjudice subi par l'atteinte à son image,

- Ordonner la publication, la diffusion ou l'affichage de la décision à venir,

- Condamner la société Milesi vernis à payer à la société T&G distribution la somme de 4.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, au titre de l'instance devant le tribunal de commerce de Bordeaux, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance,

- Confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Bordeaux le 25 juin 2021 en ce qu'il a débouté la société Milesi vernis de l'ensemble de ses demandes,

- Débouter la société Milesi vernis de l'intégralité de ses demandes,

- Condamner la société Milesi vernis à payer à la société T&G distribution la somme de 10.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour l'instance d'appel, outre les entiers dépens d'appel.

Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 9 mai 2023, la société Milesi vernis demande à la Cour de :

Vu l'article 548 du code de procédure civile,

Vu les articles L. 442-1 et suivants du code de commerce,

Vu les articles D. 442-3 et suivants du code de commerce,

Vu l'article L. 442-6 ancien du code de commerce,

Vu les articles L. 151-4 et suivants du code du commerce,

Vu l'article 1240 du code civil,

Vu l'article 1134 du code civil,

Vu les articles 132 et suivants du code de procédure civile,

A titre principal,

- Confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Bordeaux du 25 juin 2021 en ce qu'il a débouté T&G distribution de l'ensemble de ses demandes ;

- Constater que la relation commerciale entre les sociétés Milesi vernis et T&G distribution ne date que depuis novembre 2014 ;

- Dire que la relation commerciale entre les sociétés Milesi vernis et T&G distribution n'est soumise à aucune exclusivité ni à aucune dépendance économique ;

- Dire que la rupture des relations commerciales entre les sociétés Milesi vernis et T&G distribution n'est pas imputable à Milesi vernis ;

- Dire que la société T&G distribution ne démontre ni l'existence, ni le quantum d'un quelconque préjudice ;

- Débouter la société T&G distribution de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions à l'encontre de la société Milesi vernis ;

A titre incident,

- Réformer le jugement du tribunal de commerce de Bordeaux du 25 juin 2021 en ce qu'il a débouté Milesi vernis de l'ensemble de ses demandes ;

- Dire que la rupture des relations commerciales entre les sociétés Milesi vernis et T&G distribution est imputable à la société T&G distribution ;

- Condamner T&G distribution à payer à Milesi la somme de 713.956 € à titre d'indemnisation pour la rupture partielle des relations commerciales au titre du désengagement progressif depuis 2018 ;

- La condamner à lui payer la somme de 25.000 € à titre d'indemnisation pour l'utilisation de menaces de rupture des relations commerciales pour tenter d'obtenir des avantages sans contrepartie ;

- La condamner à lui payer la somme de 25.000 € à titre d'indemnisation pour l'obtention, l'utilisation et la divulgation illicite d'un secret d'affaires ;

- La condamner à lui payer la somme de 100.000 € au titre du dénigrement commercial et de l'atteinte à l'image et à la renommée de Milesi vernis ;

- La condamner à lui payer la somme de 50.000 € au titre de la réparation des préjudices matériels et moraux consécutifs aux pratiques commerciales déloyales parasitaires ;

- La condamner à faire publier, à ses frais, la décision à intervenir au sein de cinq publications, écrites ou internet, au choix de la société Milesi vernis, dans la limite d'un montant de 3.000 euros H.T. par publication, dans un délai de 15 jours à compter de la notification à intervenir et sous astreinte de 300 euros par jour de retard passé ce délai ;

- Ordonner la publication judiciaire du dispositif de la décision à intervenir sur la page d'accueil des sites Internet de T&G distribution, accessibles à l'adresse https://www.tgfrance.com/ou tout autre adresse qui leur serait substituée, dans une police de taille similaire au reste de ce site pour une durée de trois (3) mois et ce, dans les quinze (15) jours suivants la date de la notification du jugement à intervenir sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard passé ce délai ;

Dans tous les cas,

- Condamner la société T&G distribution à payer à la société Milesi vernis la somme de 20.000 euros au titre des frais irrépétibles ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 23 mai 2023.

La Cour renvoie à la décision attaquée et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIVATION

La Cour rappelle que les ruptures brutales des relations commerciales établies intervenues avant le 26 avril 2019 sont soumises à l'ancien article L. 442-6-I, 5e du code de commerce, lequel dispose :

"Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé par le fait, pour tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au registre des métiers :

(...) 5° de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels."

Sur l'ancienneté de relations commerciales et leur caractère établi,

Moyens des parties,

T&G distribution soutient que la SA Milesi vernis a confié la distribution de ses produits à la société OVS en 1993 et que celle-ci était le distributeur unique des produits de la société Milesi vernis pour toute la région Bretagne, lesquels représentaient près de 80 % de ses achats. Elle ajoute que cette première relation, qui avait duré 22 ans, s'est poursuivie suite au rachat, par la société T&G distribution, des parts sociales de la société OVS, la relation privilégiée s'amplifiant par ailleurs par l'acquisition d'autres sociétés distributrices des produits Milesi vernis. Elle fait valoir que l'absence de relation d'exclusivité entre ces deux sociétés et la radiation de la société OVS postérieurement au rachat des parts de cette dernière ne sont pas de nature à remettre en cause l'ancienneté de la relation commerciale. De même, l'absence de contrat écrit n'a pas d'effet sur le caractère réel de cette relation ou sur sa stabilité.

Milesi vernis répond que la relation commerciale avec la société T&G distribution ne saurait être qualifiée de relation ancienne et continue car l'identité de l'acheteur des produits a été modifiée. La lettre envoyée par la société T&G distribution le 18 septembre 2014 (informant la société Milesi vernis de la reprise de la société OVS par cette dernière) n'a qu'une vertu purement informative et ne permet pas de caractériser une intention réciproque de la société Milesi vernis de poursuivre les relations antérieures.

Elle ajoute qu'aucun contrat cadre de distribution entre les sociétés Milesi Vernis et OVS puis T&G distribution n'a jamais été conclu, les entreprises ayant toujours procédé à leurs achats sur la base des conditions générales de vente de la société Milesi. Le caractère ancien mais aussi établi des relations commerciales lui parait donc contestable, les bases nouées leur conférant une nature instable.

Réponse de la Cour,

La Cour constate, en premier lieu, qu'aucune pièce versée aux débats ne permet de faire débuter la relation commerciale qui a existé entre les sociétés OVS et Milesi vernis à l'exercice 1993. Il ressort seulement de ces dernières qu'à la date du rachat d'OVS par T&G distribution, le chiffre d'affaires entre cette société et Milesi venis s'élevait à 559 000 euros et que le stock de produits Milesi était valorisé dans les comptes d'OVS à hauteur de 89 648, 50 euros (pièce T&G n° 50 et 51).

Le 18 septembre 2014, la société T&G distribution a informé Milesi Vernis de son acquisition et de ses liens capitalistiques avec le groupe Berkam, dans un courrier intitulé "reprise de la société OVS par T&G distribution" (pièce T&G n° 60), lequel ne manifeste pas explicitement la volonté pour ce distributeur de s'inscrire dans la continuité de la relation initiale, contrairement à une acquisition postérieure ayant donné lieu à un courrier similaire, adressé à Milesi venis le 9 juin 2016 (pièce T&G n° 53 "nous souhaitons que les relations d'affaires conclues entre votre société et la société Balas Martinot puissent perdurer"). Faute de pouvoir identifier une telle volonté, la relation initiale a donc cessé au profit d'une relation nouvelle.

La Cour retient, en second lieu, qu'il ressort des bons de commandes, des factures et du tableau récapitulant les chiffres d'affaires et volumes T&G/Milesi (pièces Milesi n° 4, 9 et 9 bis) que la relation commerciale a, de 2014 à 2018, revêtu entre ces deux partenaires un caractère suivi, stable et habituel.

Le jugement attaqué est en conséquence confirmé en ce qu'il a dit qu'il existait, en 2019, une relation commerciale établie de cinq ans entre les parties.

Sur la rupture brutale des relations commerciales établies,

Moyens des parties,

En premier lieu, T&G distribution, à l'appui de sa demande tendant à la condamnation de Milesi vernis sur le fondement de l'article L. 442-6 ancien du code de commerce, soutient qu'à compter de 2018, la société Milesi Vernis a entrepris une stratégie déloyale destinée à éviter les conséquences indemnitaires qu'aurait eu une notification écrite de la rupture des relations commerciales avec préavis à la société T&G distribution.

Elle allègue, tout d'abord, de modifications unilatérales et substantielles des conditions contractuelles. Ainsi par courriel du 22 mars 2018 la société Milesi vernis a bloqué les livraisons en cours et imposé un paiement comptant avec escompte de 0,3 % au prétexte d'un encours important. Ceci lui paraît une modification substantielle des relations contractuelles établies, puisque l'encours de la société OVS auprès de la société Milesi vernis était en 2013 de 74.698,73 € et en 2014, de 103.925,60 €. En mars 2018, l'encours de la Société T&G distribution était bien plus modeste, puisque de 52.737 €. T&G distribution fait valoir avoir, par ailleurs, bénéficié des mêmes facilités de paiement de 2014 à 2018, auxquelles il a été mis fin par lettre du 12 avril 2018 en raison d'impayés de la société T&G distribution, alors qu'il ne s'agissait que d' "écarts relatifs à des délais de paiement" (pièce T&G n° 21), que l'ensemble des factures a été intégralement payé, que la débitrice bénéficiait de garanties octroyées par la société Berkem développement (pièce T&G n° 58) et que l'encours litigieux représentait à peine 3,7 % du chiffre d'affaires de la Société Milesi vernis. Ce changement brutal des conditions de paiement est selon elle constitutif d'une rupture partielle des relations commerciales de la part de la société Milesi vernis.

T&G distribution soutient, ensuite, qu'à la fin de l'année 2018, Milesi vernis a décidé de confier la distribution de ses produits à trois concurrents de T&G distribution (les sociétés Vpi, Taylux et Foussier), ce qu'elle a critiqué par courriel du 29 janvier 2019. Elle considère qu'il s'agit d'une modification substantielle des relations commerciales établies puisque la société OVS puis la société T&G distribution bénéficiaient d'une exclusivité de fait a minima pour le secteur de la Bretagne. Elle ajoute que Milesi s'est mise à vendre ses produits en direct, en détournant les deux plus gros clients de l'agence de Rennes de la société T&G distribution (pour respectivement 60 000 et 59 000 euros de chiffre d'affaires annuel). Elle s'est aussi tournée vers d'autres clients de la société T&G distribution en proposant des tarifs préférentiels très en deçà de ceux proposés à son partenaire. Les concurrents directs et locaux de la société T&G distribution ont ainsi selon elle bénéficié d'avantages commerciaux, l'empêchant d'être compétitive.

Elle prétend que c'est cette modification unilatérale des conditions contractuelles qui a provoqué une baisse brutale du chiffre d'affaires de la société T&G distribution, alléguant qu'en septembre 2019, le chiffre d'affaires réalisé avec les produits Milesi vernis a chuté à 275.000 € et qu'elle a perdu 555.000 € de chiffre d'affaires par rapport à l'année 2016 et 375.000 € supplémentaires par rapport à l'année 2018.

En second lieu, s'agissant de la demande reconventionnelle de Milesi vernis lui imputant la rupture, elle fait valoir que si elle a effectivement réduit ses commandes, c'est uniquement en raison du nouveau positionnement de son partenaire, lequel a augmenté ses tarifs et bloqué ses livraisons pour l'agence de Bretagne. Elle ajoute avoir également lancé un appel d'offres auquel Milesi vernis a répondu par des prix exorbitants, contraignant T&G à cesser de s'approvisionner chez elle. Elle considère enfin que la circonstance qu'elle soit en relation avec d'autres fournisseurs est une circonstance totalement indifférente dès lors que les produits Milesi ne sont, de son point de vue, pas substituables à ceux d'autres fournisseurs.

Milesi vernis répond qu'en 2016, T&G distribution a amorcé une politique de diversification pour devenir un distributeur multi-marque. Cela s'est, dans les faits, traduit par une baisse annuelle des volumes commandés à la société Milesi vernis (de 1.078.474 € en 2017 à 444.279 € en 2019 selon les pièces de la société T&G distribution) qui a été reléguée de la 2ème à la 5ème position de ses fournisseurs. Cette attitude caractérise un désengagement progressif de la société T&G distribution assimilable à une rupture partielle des relations commerciales et constitutif d'une faute au titre de l'article L. 442-1 II du code de commerce.

Elle fait valoir n'avoir bénéficié d'aucun préavis pour anticiper la baisse du volume de commandes. Ainsi, la société T&G distribution a annoncé à la société Milesi vernis l'annulation d'une commande de 90 tonnes de produits diluants vendus sous marque du distributeur, ce qui a généré une perte de volume de commande à hauteur de 25 tonnes par an sans l'octroi du moindre délai pour se retourner, étant observé que l'article L. 442-6 ancien du code de commerce, applicable au moment des faits, prévoit une durée minimale de préavis doublée dans un tel cas.

Milesi vernis conteste toute modification unilatérale et substantielle des conditions contractuelles, rappelant que son partenaire a toujours acheté les produits de la marque Milesi vernis sur la base des conditions générales de vente de cette dernière, lesquelles prévoient que le tarif applicable est celui en vigueur au jour de la livraison des biens. Il n'y a donc eu qu'application des conditions générales de vente de la société Milesi vernis. Cette dernière observe que, de surcroit, les deux sociétés sont fournisseurs l'une de l'autre pour différents produits. Elle renvoie au courrier en date du 19 décembre 2016, par lequel T&G distribution a notifié à Milesi vernis de manière unilatérale et sans préavis la hausse de ses tarifs de 4 %, cette hausse étant motivée par une simple actualisation des tarifs applicable à tous ses clients. Elle ne conteste pas avoir aussi pratiqué des augmentations. Elle considère que la reconnaissance, par la Cour, d'une modification unilatérale par une des parties aboutirait nécessairement à la reconnaissance d'une modification unilatérale par l'autre. La société Milesi vernis justifie la hausse de ses tarifs par l'augmentation du prix de certaines matières premières, ce qui ne saurait constituer une faute qui lui serait imputable ou encore une pratique discriminatoire. Elle soutient que les documents utilisés par la société T&G distribution pour prouver qu'elle pratiquerait des tarifs désavantageux à son détriment sont couverts par le secret des affaires et que rien ne l'empêche de pratiquer des remises tarifaires différentes en distinguant les grossistes et les détaillants ou différentes zones géographiques. Enfin la pratique des ventes par palettes, reprochée par la société T&G distribution, lui permet en réalité de bénéficier de tarifs plus bas.

La société Milesi vernis indique ne pas être non plus à l'origine d'effets négatifs sur les commandes et d'une perte de clients potentiels. Elle pointe l'absence de compétitivité de la société T&G distribution qui a selon elle pour origine les marges brutes excessives qu'elle pratique (multiplication des prix des produits par deux entre l'achat auprès de la société Milesi vernis et la vente des produits aux clients). La pratique du "dépotage" des vernis ne suffit pas expliquer cette hausse. De plus entre 2017 et 2018 l'activité globale de la société T&G distribution a augmenté de 22,1 % ce qui ne prouve pas une perte d'activité. Milesi vernis ajoute que l'analyse des comptes sociaux de la société T&G distribution montre par ailleurs que ses pertes sont globales et indépendantes de sa relation commerciale avec la société Milesi vernis. Les pertes de commandes et les problèmes d'écoulement du stock ne peuvent dont lui être imputables.

Elle fait valoir que la demande de paiement des créances échues effectuée par la société Milesi vernis constituait un acte de bonne gestion. L'accroissement progressif de l'encours de la société T&G distribution représentait un risque pour la société Milesi vernis en raison de l'opacité de ses comptes. Elle ne disposait d'aucune visibilité en octroyant cet encours et a pris un risque financier en maintenant la relation commerciale qui la liait à la société T&G distribution. Les encours précédemment accordés à la société OVS étaient justifiés par la transparence de leurs relations financières. La lettre de caution du groupe Berkem n'était pas, en outre, de nature à rassurer la société Milesi vernis. En effet les comptes sociaux du groupe Berkem n'étaient pas non plus publiés et les impayés se sont poursuivis après la signature de cette lettre. De plus, la société Milesi vernis indique avoir été contrainte par la société T&G distribution de lui consentir des conditions d'escompte particulières. Elle a aussi dû renoncer à lui appliquer des pénalités de retard et lui a accordé un taux d'escompte non rentable pour elle. Elle conteste également avoir exigé un paiement comptant de la part de la société T&G distribution dès lors qu'elle était prête à lui accorder des délais de paiement à 60 jours. Elle relève également qu'elle n'a pas appliqué la déchéance du terme pour les factures non échues.

Concernant, enfin, l'hypothétique exclusivité de la relation commerciale la liant à la société T&G distribution, la société Milesi vernis relève qu'elles n'étaient pas liées par un contrat écrit et qu'aucune clause d'exclusivité n'avait jamais été stipulée. L'absence de clause expresse empêche donc la société T&G de se prévaloir de toute exclusivité territoriale à son bénéfice et la société Milesi vernis était donc libre de vendre ses produits à d'autres distributeurs du secteur.

Réponse de la Cour,

S'agissant de la demande de T&G distribution que Milesi vernis soit désignée responsable de la rupture brutale des relations commerciales établies, la Cour retient que le tribunal a à raison considéré, dans la décision attaquée, après analyse des pièces produites, que la société T&G distribution, soit ne prouvait pas la réalité de ses allégations (comportement du directeur général de Milesi vernis, exclusivité territoriale, discrimination vis-à-vis des concurrents), soit ne démontrait pas que le paiement au comptant qui lui a été imposé n'est pas la conséquence de ses retards de paiement.

La Cour constate en outre qu'alors que le tribunal relevait que T&G distribution n'avait pas précisé la date de la rupture brutale qu'elle allègue et n'indiquait pas que cette rupture résultait d'un refus de Milesi vernis de donner suite à ses commandes, aucune précision complémentaire n'est fournie sur ces points à hauteur d'appel.

S'agissant de l'imputabilité de la rupture partielle des relations commerciales à T&G distribution, alléguée par Milesi vernis dans sa demande reconventionnelle, la Cour retient que le tribunal a de façon pertinente estimé, à la lecture du tableau des volumes de vente à la société OVS puis à la société T&G distribution sur la période 2012 à 2018, qu'il ressort que le volume d'affaires est resté stable jusqu'en 2017, s'élevant à 482 000 euros en moyenne, et n'a baissé que de 12 % en 2018, étant relevé que T&G explique sa décision de ne pas commander en 2018 le produit diluant à Milesi vernis car elle n'était pas en capacité de payer comptant, l'absence de cette commande n'ayant en toute hypothèse eu qu'un effet modéré sur le volume d'affaires réalisé entre les parties.

La Cour ajoute que :

- le constat du tribunal est en cohérence avec les tableaux (des volumes et des chiffres d'affaires sur la période 2012 à 2018) versés aux débats en appel sous le n° 4 par Milesi vernis ;

- les pièces produites au soutien des allégations factuelles portées de part et d'autre se limitent à des échanges de mails ou courriers entre les partenaires datées du 22 mars 2018 au juin 2019, lesquels évoquent les difficultés que chacun estime rencontrer ; ces échanges ne permettent pas d'identifier de points faisant l'objet d'un constat partagé -mis à part les retards de paiement de T&G- et ne peuvent par eux-mêmes valoir démonstration des faits allégués ;

- le point de départ des tensions sont les retards de paiements de T&G distribution et le refus de Milesi vernis de procéder à un étalement qui aurait pour effet d'augmenter l'encours global, le but affiché de Milési étant de "définir un encours autorisé cohérent avec la situation financière de T&G" (pièce T&G n° 5) ; des divergences croissantes se sont manifestées postérieurement, chacun des partenaires estimant que certains paramètres de la relation commerciale lui étaient désormais défavorables.

La Cour retient en conséquence qu'au cas présent, les parties, qui n'étaient liées par aucune clause d'exclusivité, ont l'une et l'autre, pour des raisons différentes, estimé courant 2018 qu'elles pouvaient ne pas avoir intérêt à la poursuite des relations commerciales nouées, lesquelles ne reposaient sur aucun contrat mentionnant par écrit les obligations respectives de chacune.

Une précarité s'est instaurée en conséquence, chacune anticipant la possibilité d'une non-pérennité de la relation, et prenant certaines mesures préventives en lien.

Aucune décision unilatérale bouleversant suffisamment l'économie générale des relations entre les partenaires pour être consécutive d'une rupture brutale des relations commerciales, fusse-t-elle partielle, n'étant caractérisée, les conditions d'application de l'article L. 442-6-I, 5e du code de commerce ne sont pas réunies.

Le jugement est confirmé.

Sur les autres demandes,

Moyens des parties,

Milesi vernis soutient que :

- les menaces de rupture des relations commerciales opérées par son partenaire pour obtenir des avantages commerciaux (en l'espèce des conditions d'escompte préférentielles) sont de nature à engager sa responsabilité au titre de l'article L. 442-1-2 2° du Code de commerce ;

- la divulgation illicite d'un secret d'affaires par T&G distribution (en l'espèce une pièce relative aux tarifs des produits Milesi vernis) est de nature à engager sa responsabilité conformément aux dispositions des articles L. 151-6 et suivant du Code de commerce ;

- le déréférencement des produits Milesi vernis dans les catalogues de la société T&G distribution de 2020 et 2021 est à l'origine d'une dégradation de l'image de marque de la société Milesi vernis ;

- la société T&G distribution est à l'origine d'une pratique commerciale parasitaire en divulguant une pièce relative aux tarifs des produits Milesi sans l'accord de cette dernière et en développant, puis en commercialisant, une gamme identique de produits à celle proposée par la société Milesi vernis ;

- la société T&G distribution a successivement racheté tous les distributeurs de la marque Milesi sur le marché français pour ensuite remplacer les produits Milesi par sa propre gamme de produits identiques, ce qui constitue un détournement caractérisé des clients et des commandes de la société Milesi vernis conduisant à une désorganisation de ses ventes.

T&G distribution conteste en réponse avoir exercé toute pression sur la société Milesi Vernis pour obtenir des tarifs préférentiels. Elle soutient que le développement de sa propre marque de produits postérieurement à la rupture des relations commerciales n'est pas déloyal. Les produits concernés étaient soit produits par les entreprises rachetées par la société T&G distribution (pour les produits Adler) ou n'existaient que postérieurement à la rupture des relations commerciales (pour le produit B'Lineo). Elle dit n'avoir fait que se défendre des agressions répétées de la société Milesi vernis. Elle ajoute, s'agissant de la prétendue divulgation illicite d'un secret d'affaires la société, que la demande est infondée, injustifiée et chiffrée de manière fantaisiste. S'agissant de la demande au titre de la dégradation de l'image de marque de la société Milesi, elle fait valoir que le préjudice n'est pas fondé et qu'il n'est apporté aucun élément justificatif pour le prouver.

Réponse de la Cour,

Il appartient à Milesi vernis de démontrer les faits nécessaires au succès de sa prétention. Or aucune pièce pertinente n'est versée à l'appui de ses allégations.

Le jugement est confirmé.

Sur l'application de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens

La société T&G distribution, appelante principale, qui succombe en ses prétentions, sera condamnée aux dépens d'appel.

Elle sera condamnée à verser à Milesi vernis la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

T&G distribution est déboutée de sa demande à ce titre.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Confirme le jugement du tribunal de commerce de Bordeaux en date du 25 juin 2021 en l'ensemble des dispositions qui lui sont soumises,

Y ajoutant ;

Condamne la société T&G distribution à verser à la société Milesi vernis la somme de 4 000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur d'appel,

Condamne la société T&G distribution aux dépens d'appel.