Livv
Décisions

CA Grenoble, ch. com., 19 octobre 2023, n° 23/00097

GRENOBLE

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Projet Elektronik Sanayi Ve Ticaret Anonim Sirketi (Sté)

Défendeur :

Markem Imaje (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Figuet

Conseillers :

Mme Blanchard, M. Bruno

Avocats :

Me Mihajlovic, Me Schwab-Gyss, Me Rivoire, Me Terdjman

T. com. Romans-sur-Isère, du 6 déc. 2002…

6 décembre 2002

Faits et procédure :

1. La société Imaje conçoit et commercialise des systèmes de marquage et de codage. La société Projet Elekronik Sanayi Ve Ticaret Anonim Sirketi, dite Projet As, de droit turc, est spécialisée dans la vente de matériels de marquage et de codage et dans la prestation de services associés. En 1991, la société Imaje a confié la distribution non exclusive de ses produits à la société Projet As. En 2009, suite à un rapprochement avec la société américaine Markem, la société Imaje est devenue la Sas Markem-Imaje. Son siège est situé à [Localité 4].

2. Dans le cadre d'une refonte globale des accords existants avec la société Projet As, le groupe Markem-Imaje a vendu à des affiliés de la société Projet As 100% des titres de la société Eta, par l'intermédiaire de laquelle la société Markem-Imaje distribuait ses produits en Turquie. La société Projet As est ainsi devenue le seul distributeur de produits Markem-Imaje sur le territoire turc. La transaction a eu lieu pour un montant de deux millions de dollars. Elle a également concédé à la société Projet As, par contrat du 16 septembre 2009, une exclusivité de distribution des produits Markem-Imaje sur les territoires de la République turque et de la République turque de Chypre du Nord. Ce contrat a depuis été renouvelé d'année en année.

3. Selon assignation signifiée le 25 août 2022, la société Projet As a saisi le président du tribunal de commerce de Romans sur Isère statuant en référé, afin notamment :

- de constater la violation de la clause d'exclusivité par la société Markem-Imaje';

- d'ordonner l'exécution du contrat de distribution exclusive aux conditions contractuelles initiales ;

- en conséquence, d'interdire à la société Markem-Imaje de maintenir ou désigner tout autre distributeur que la société Projet As sur le territoire concédé à titre exclusif et pendant la durée de l'exclusivité';

- d'ordonner à la société Markem-Imaje de retirer toute mention de la société Tekomark comme distributeur des produits Markem-Imaje sur tout support de communication du groupe Markem-Imaje';

- d'ordonner à la société Markem-Imaje de publier un communiqué sur le site internet du groupe Markem-Imaje indiquant que la société Tekomark n'est plus un distributeur autorisé sur le territoire turc sous astreinte de 3.000 euros par jour de manquement constaté à l'une quelconque de ces obligations, sous 48 heures à compter de la signification à la société Markem-Imaje de l'ordonnance à venir, et se réserver le droit de liquider l'astreinte;

- de condamner par provision la société Markem-Imaje à régler à la société Projet As un montant de 500.000 euros au titre de son préjudice financier;

- de condamner par provision la société Markem-Imaje à régler à la société Projet As un montant de 50.000 euros au titre de son préjudice moral;

- de condamner la société Markem-Imaje à communiquer à la société Projet As les états comptables retraçant le chiffre d'affaires réalisé avec la société Tekomark ainsi qu'un listing chiffré des commandes en cours jusqu'au jour de la fin des relations en contravention avec la clause d'exclusivité dont bénéficie la société Projet As.

4. Par ordonnance du 6 décembre 2022, le président du tribunal de commerce de Romans sur Isère a':

- constaté que la société Markem-Imaje a licitement dénoncé l'exclusivité auprès de la société Projet As';

- en conséquence, débouté la société Projet As de sa demande de reprendre l'exécution du contrat de distribution exclusive aux conditions contractuelles initiales';

- débouté la société Projet As de sa demande de provision en vertu d'un préjudice financier et moral faute pour elle d'apporter la preuve de ce préjudice';

- rejeté toute autre demande, fin et conclusions contraires';

- liquidé les dépens visés à l'articIe 701 du code de procédure civile à la somme de 33,85 euros, soit la somme totale de 40,66 euros TTC dont 6,78 euros TVA pour être mis à la charge de la société Projet As.

5. La société Projet As a interjeté appel de cette décision le 29 décembre 2022, en toutes ses dispositions détaillées dans son acte d'appel. L'instruction de cette procédure a été clôturée le 8 juin 2023.

Prétentions et moyens de la société Projet As':

6. Selon ses conclusions remises le 25 mai 2023, elle demande à la cour':

- de la déclarer recevable et bien fondée en son appel';

- y faisant droit, de réformer l'ordonnance déférée en ce qu'elle a constaté que l'intimée a licitement dénoncé l'exclusivité auprès de la concluante'; en ce qu'elle a débouté la concluante de sa demande de reprendre l'exécution du contrat de distribution exclusive aux conditions contractuelles initiales'; en ce qu'elle a débouté la concluante de sa demande de provision en vertu d'un préjudice financier et moral faute pour elle d'apporter la preuve de ce préjudice'; en ce qu'elle a rejeté toute autre demande, fin et conclusion contraires'; en ce qu'elle a liquidé les dépens pour être mis à la charge de la concluante';

- statuant à nouveau, d'ordonner l'exécution du contrat de distribution exclusive aux conditions contractuelles initiales ;

- en conséquence, d'interdire à l'intimée de maintenir ou désigner tout autre distributeur que la concluante sur le territoire concédé à titre exclusif et pendant la durée de l'exclusivité';

- d'ordonner à l'intimée de retirer toute mention de la société Tekomark comme distributeur des produits Markem-Imaje sur tout support de communication du groupe Markem-Imaje';

- d'ordonner à la société Markem-Imaje de publier un communiqué sur le site internet du groupe Markem-Imaje indiquant que la société Tekomark n'est plus un distributeur autorisé sur le territoire turc, sous astreinte de 3.000 euros par jour de manquement constaté à l'une quelconque de ces obligations, sous 48 heures à compter de la signification à la société Markem-Imaje de l'ordonnance du président du tribunal de commerce de Romans sur Isère à venir, et se réserver le droit de liquider l'astreinte ;

- de condamner par provision la société Markem-Imaje à régler à la concluante un montant de 500.000 euros au titre de son préjudice financier;

- de condamner par provision la société Markem-Imaje à régler à la concluante un montant de 50.000 euros au titre de son préjudice moral ;

- de condamner la société Markem-Imaje à communiquer à la concluante les états comptables retraçant le chiffre d'affaires réalisé avec la société Tekomark ainsi qu'un listing chiffré des commandes en cours jusqu'au jour de la fin des relations en contravention avec la clause d'exclusivité dont bénéficie la concluante';

- de condamner la société Markem-Imaje à payer à la concluante une somme de 20.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile';

- de condamner la société Markem-Imaje aux dépens de l'instance et de ses suites.

Elle expose':

7. - qu'elle a obtenu en 1996 la distribution exclusive des produits Imaje, alors que par contrat du 16 septembre 2009, elle s'est vue concédée l'exclusivité de la distribution des produits sur les territoires de la République turque et de Chypre du Nord, cette convention étendant l'exclusivité accordée initialement pour les seuls produits Imaje aux produits Markem, en contrepartie de l'acquisition des titres de la société Eta pour deux millions de dollars'; que la présente procédure repose sur l'exécution de ce dernier contrat';

8. - que début 2022, la concluante a constaté la violation de cette exclusivité avec l'arrivée de la société Tekomark sur le territoire turque, se présentant comme un nouveau distributeur exclusif des produits Imaje-Markem, et usant de procédés relevant de la concurrence déloyale (dénigrement, diffusion de fausses informations, tentative de désorganisation de la concluante)'; que lorsque la concluante a saisi l'intimée de ce problème, il lui a été répondu qu'elle avait dénoncé la clause d'exclusivité et qu'elle était libre de confier la distribution de ses produits à d'autres sociétés, dénonciation qui aurait été effectuée par courrier du 3 avril 2018'; que cependant la concluante a, à l'époque, refusé le changement des conditions contractuelles et de signer le contrat de distribution non exclusive, de sorte que le contrat de 2009 a continué à produire ses effets';

9. - que l'article 17.1 du contrat a stipulé qu'il sera en vigueur jusqu'à la fin de l'année civile au cours de laquelle il a été signé, puis automatiquement renouvelé par périodes successives de douze mois, sauf résiliation par l'une des parties, moyennant un préavis écrit d'au moins trois mois, avant l'expiration du premier terme, ou de toute autre période ultérieure de douze mois'; que la clause d'exclusivité est limitée à la durée du contrat et à ses renouvellement';

10. - que si l'intimée soutient qu'elle n'est plus liée par la clause d'exclusivité au motif que l'article 2.2 du contrat lui permettait d'y mettre un terme, simplement après en avoir informé la concluante, ce qu'elle aurait fait en 2018, cette clause constitue une condition purement discrétionnaire en permettant au distributeur de mettre fin à l'exclusivité avec une simple information préalable et sans motif ni contrepartie ; que l'intimée modifie ainsi unilatéralement son obligation au préjudice de la concluante qui a réglé une somme considérable pour acquérir cette exclusivité'et qui a investi afin de développer son réseau'; que ce sont ainsi les conditions du contrat qui sont unilatéralement modifiées et non sa durée ;

11. - subsidiairement, que cet article 2.2 vide de sa substance l'obligation de distribution exclusive et doit être considéré comme non écrit'au titre de l'article 1170 du code civil, puisque l'exclusivité est une condition essentielle du contrat conclu en 2009';

12. - que le courrier du 3 avril 2018 n'a pas visé l'article 2.2, mais a invoqué une insuffisance dans l'accomplissement des objectifs, bien qu'à aucun moment les performances de la concluante n'étaient été remises en cause'; que ce courrier n'a donné aucun élément précis, de sorte que l'intimée tente de justifier a posteriori la modification unilatérale du contrat'; qu'ainsi, ce courrier n'a pas été perçu par la concluante comme une dénonciation de l'exclusivité, laquelle s'est poursuivie';

13. - que l'intimée ne peut invoquer une acceptation de cette dénonciation'; que la proposition de signature d'un contrat de distribution non exclusif a été rejetée par la concluante'; que le contrat conclu en 2009 a été renouvelé plusieurs fois depuis 2018';

14. - que le juge des référés a constaté, à tort, que la dénonciation de l'exclusivité est licite, sur la base d'échanges entre les parties, puisqu'il aurait dû écarter l'application de l'article 2.2 en raison de son caractère manifestement potestatif';

15. - que la mise en place d'un nouveau distributeur par l'intimée en 2022 viole la clause d'exclusivité, toujours applicable'; qu'au titre des mesures de remise en état, le juge des référés peut ordonner l'exécution forcée du contrat en raison d'un trouble manifestement illicite ou d'un dommage imminent'; que la modification unilatérale de la relation contractuelle constitue un tel trouble'; que la concluante a contesté immédiatement l'arrivée d'un nouveau distributeur usant en outre de manoeuvres déloyales, sans action de l'intimée, alors que celle-ci a présenté la société Tekomark comme le nouveau distributeur de ses produits'; que l'intimée a augmenté le prix des produits qu'elle revend à la concluante sans explication, alors qu'il ne semble pas que ces modifications tarifaires soient appliquées à la société Tekomark'; que l'intimée apporte ainsi un soutien abusif à cette société';

16. - que la violation de la clause d'exclusivité et de l'obligation de bonne fois expose la concluante à un dommage imminent, en raison d'une perte de clientèle et de marge à hauteur des commandes récupérées par la société Tekomark, puisque le nouveau concurrent dispose des données commerciales et du soutien abusif de l'intimée'; que de manière inexplicable, le juge des référés a considéré que cette concurrence aurait permis à la concluante de développer son chiffre d'affaires et non de lui causer un préjudice justifiant des dommages et intérêts'; que la concluante a ainsi perdu 10'% des commandes qu'elle passait à l'intimée, constituant un préjudice de 400.000 euros'; qu'elle a été contrainte de mettre en oeuvre des efforts commerciaux supplémentaires pour conserver ou récupérer ses clients'; qu'elle subit une atteinte à son image et est abandonnée par son fournisseur';

17. - en réponse aux moyens de l'intimée, qu'il n'est pas demandé au juge des référés d'interpréter l'article 2.2 du contrat, mais d'écarter cette clause purement potestative; qu'il n'existe aucune contestation sérieuse'; que l'urgence résulte de la nécessité de faire cesser la violation de l'exclusivité et le soutien abusif apporté à la société Tekomark';

18. - que le préjudice de la concluante ne pourra être fixé qu'au vu des commandes passées par la société Tekomark, de sorte que la production de pièces comptables est légitime.

Prétentions et moyens de la société Markem-Imaje':

19. Selon ses conclusions remises le 2 mai 2023, elle demande à la cour, au visa des articles 145, 872 et 873 du code de procédure civile, s'agissant des demandes de l'appelante tendant à ordonner le rétablissement de l'exclusivité de distribution à son profit:

- de juger que la concluante a licitement dénoncé l'exclusivité en application de l'article 2.2 du contrat de distribution conclu en 2009';

- de juger qu'aucun acte de concurrence déloyale ne peut être imputé à la concluante';

- de juger qu'aucune violation d'une obligation de bonne foi ne peut être imputée à la concluante';

- de juger que l'appelante ne justifie d'aucun trouble manifestement illicite ou d'aucun dommage imminent ;

- en conséquence, de confirmer l'ordonnance déférée en ce qu'elle a jugé que la concluante a licitement dénoncé l'exclusivité auprès de la société Projet As, et en ce qu'elle a débouté la société Projet As de sa demande de reprendre l'exécution du contrat de distribution exclusive aux conditions contractuelles initiales';

- en tout tout état de cause, de juger qu'il n'y a pas lieu à référé sur le fondement des articles 872 et 873 alinéa du code de procédure civile ;

- de débouter la société Projet As de l'ensemble des demandes formées sur ces fondements.

20. Elle demande, s'agissant de la demande de provision formée par la société Projet As:

- de juger que cette demande se heurte à des contestations sérieuses ;

- en conséquence, de confirmer l'ordonnance du tribunal de commerce de Romans du 6 décembre 2022 en ce qu'elle a débouté la société Projet As de sa demande de provision faute pour elle d'apporter la preuve de tout préjudice ;

- en tout état de cause, de juger qu'il n'y a pas lieu à référé sur le fondement des articles 872 et 873 alinéa 2 du code de procédure civile ;

- de débouter la société Projet As de l'ensemble des demandes formées sur ces fondements.

21. Elle demande, en tout état de cause':

- de juger que la demande de communication d'éléments au visa de l'article 145 du code de procédure civile est injustifiée et par conséquent, de la rejeter ;

- de débouter la société Projet As de toutes ses demandes ;

- de confirmer l'ordonnance déférée en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'elle a refusé de faire droit à la demande de la concluante de condamnation de la société Projet As sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens ;

- de condamner la société Projet As à payer à la concluante la somme de 20.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- de condamner la société Projet As aux entiers dépens.

Elle soutient':

22. - que lors d'un séminaire tenu en 2015 à Barcelone, la concluante a annoncé la cessation de toute exclusivité en cas de distribution indirecte de ses produits par des revendeurs locaux, la possibilité de nommer plusieurs distributeurs locaux, l'augmentation du nombre des distributeurs sur la zone Europe, Moyen-Orient et Afrique, dont fait partie la Turquie, l'absence de dérogation à cette réorganisation'effectuée sur le plan mondial'; que ce contexte a été rappelé à l'appelante par courriel du mois d'avril 2017'; que l'appelante ne conteste pas avoir eu connaissance de cette nouvelle stratégie'; ainsi, qu'au cours de l'année 2017, la concluante lui a transmis un projet de nouveau contrat, prévoyant notamment la fin de l'exclusivité, mais qui n'a pas abouti, de sorte que la concluante est revenue au projet initial présenté en 2015, et a dénoncé l'exclusivité prévue dans le contrat de 2009, par courrier du 3 avril 2018 rappelant les principes développés lors du séminaire tenu à Barcelone, en application de l'article 2.2 du contrat de distribution, en accordant cependant un préavis de neuf mois afin de permettre à l'appelante d'anticiper les conséquences de la fin de l'exclusivité ; que ce courrier a bien été reçu par l'appelante, étant en outre doublé d'un mail du 15 avril 2018 dont il a été accusé réception'; que par la suite, l'appelante n'a formé aucune contestation jusqu'en 2022'; que ce n'est qu'en 2021 que la concluante a signé un contrat de distribution non exclusive avec la société Tekomark';

23. - qu'il n'existe pas de trouble manifestement illicite, puisque la cessation de l'exclusivité est prévue par le contrat conclu en 2009, pour quelque raison que ce soit'; qu'il n'y a pas ainsi de modification de cet accord, puisqu'il ne s'agit que de la mise en oeuvre d'une prérogative contractuelle prévue et librement acceptée';

24. - que l'article 2.2 ne constitue pas une clause potestative au sens de l'article 1304-2 du code civil, ne conditionnant pas l'existence de l'obligation à un fait dépendant de l'une des parties, mais aménageant une faculté unilatérale permettant de mettre fin à l'obligation; que cette obligation n'est pas ainsi affectée dans son existence, mais uniquement dans sa durée, ce qui est licite, même sans contrepartie, alors que la condition potestative vient sanctionner le défaut d'engagement';

25. - que l'appelante a librement accepté cette clause et ne peut plus la remettre en cause'; qu'elle ne prive pas de sa substance l'obligation essentielle, puisque cette notion concerne la portée de l'obligation et non sa durée';

26. - que l'appelante était informée de la nouvelle stratégie commerciale depuis 2015, outre le courrier adressé le 3 avril 2018'; que la dénonciation de l'exclusivité ne nécessitait pas l'acceptation de l'appelante, s'agissant d'une faculté unilatérale'; que l'appelante n'a pas contesté la cessation de cette exclusivité avant le mois de janvier 2022, suite à l'arrivée de la société Tekomark';

27. - qu'il n'est pas justifié d'actes de concurrence déloyale ou d'une violation d'une obligation de bonne foi imputables à la concluante, puisque les éléments produits par l'appelante concernant la société Tekomark sont postérieurs à la mise en demeure adressée le 28 juin 2022'; qu'aucun des actes énoncés ne sont imputables à la concluante'; qu'il n'est pas établi que la concluante ait participé aux actes imputés à la société Tekomark en divulguant des informations commerciales confidentielles'; que l'appelante n'a pas fait l'objet d'un traitement discriminatoire en raison d'un soutien abusif apporté à la société Tekomark, ce qu'a retenu le juge des référés ;

28. - qu'il n'existe pas de dommage imminent, ni d'urgence, puisque les relations commerciales perdurent, sauf concernant la cessation de l'exclusivité, qui est intervenue il y a plus de cinq ans, sans contestation, alors que suite à la survenue du litige en janvier 2022, l'appelante a attendu neuf mois pour engager l'instance'; que cette action porte atteinte à la force obligation du contrat signé licitement avec la société Tekomark'; qu'aucun soutien abusif n'est caractérisé';

29. - qu'il n'est pas justifié de l'existence d'un préjudice, puisqu'il n'est pas démontré que la société Tekomark disposerait déloyalement de données commerciales ou d'un soutien abusif'; que la prétendue perte de clientèle, l'atteinte à l'image et la perte de marge ne sont pas corroborées, d'autant que depuis le début de l'année 2022, l'activité de l'appelante est en augmentation, après des résultats sur l'année 2009 dépassant déjà ses objectifs; que celle-ci ne communique pas le montant des ventes qu'elle a réalisé auprès de ses clients';

30. - que les demandes de provision se heurtent à des contestations sérieuses, au regard de l'article 2.2 du contrat et du montant de ces demandes'; que l'incertitude sur la licéité ou la portée d'une clause contractuelle constitue une contestation sérieuse'; qu'aucun des chefs de préjudice n'est démontré;

31. - que la demande de production d'éléments comptables, sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, n'est pas plus justifiée que les autres prétentions de l'appelante'; qu'elle tend en réalité à demander la communication d'éléments confidentiels sur l'activité commerciale du concurrent de l'appelante, la société Tekomark, et porte atteinte, de manière disproportionnée, au secret des affaires de cette société et de la concluante.

*****

32. Il convient en application de l'article 455 du code de procédure civile de se référer aux conclusions susvisées pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties.

MOTIFS DE LA DECISION':

33. Selon l'ordonnance déférée, l'article 2.2 du contrat de distribution conclu en 2009 stipule que l'exclusivité prendra fin immédiatement dès la date de réception par le distributeur d'une notification de résiliation envoyée par la société Markem-Imaje pour quelque raison que ce soit et dans tous les cas expressément prévus dans l'accord. En l'espèce, la société Markem-Imaje a modifié sa stratégie de distribution à l'échelle mondiale et a décidé de mettre fin à toute exclusivité dont pouvait bénéficier certains distributeurs avec pour objectif de lui laisser une marge de manoeuvre pour adapter sa stratégie en fonction des spécificités locales. Le juge des référés a constaté qu'au vu des échanges de mails, cette stratégie a été présentée à la société Projet As dès 2015 lors d'un séminaire et que par la suite, en 2017, un nouveau contrat a été envoyé à la société Projet As en vue de mettre en place une nouvelle relation entre les parties. Il a retenu qu'il résulte des pièces versées au débat que c'est suite à l'absence de signature du projet de contrat envoyé en 2017 que la société Markem-Imaje a mis fin au contrat d'exclusivité, en le dénonçant selon les règles, avec un préavis de neuf mois. Le président du tribunal a déclaré qu'il n'y a pas de violation de la clause d'exclusivité.

34. Concernant les demandes de provision, le premier juge a indiqué que les deux sociétés turques sont traitées à égalité par la société Markem-Imaje comme il est relevé sur le site internet de cette dernière pour la Turquie, et qu'il résulte des pièces versées au débat que le chiffre d'affaires de la société Projet As a connu une importante progression entre 2019 et 2021 malgré la crise sanitaire et devrait connaître une forte progression également pour l'année 2022. Il a constaté que la société Projet As ne justifie pas que la société Tekomark lui porte un préjudice au regard de l'augmentation de son chiffre d'affaires depuis 3 ans, et que la nouvelle concurrence a permis à la société Projet As d'accroître son chiffre d'affaire et non de lui causer un préjudice justifiant l'octroi de dommages et intérêts. Il a conclu que la société Projet As n'apporte pas la preuve d'un préjudice financier et moral depuis l'arrivée sur le marché de la société Tekomark.

35. La cour rappelle que selon les articles 872 et 873 du code de procédure civile, dans tous les cas d'urgence, le président du tribunal de commerce peut, dans les limites de la compétence du tribunal, ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend. Le président peut, dans les mêmes limites, et même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite. Dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, il peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.

36. En l'espèce, l'article 17 du contrat de distribution exclusive signé en 2009 a stipulé qu'il a été conclu jusqu'à la fin de cette année civile, et qu'il sera automatiquement reconduit pour des périodes successives de 12 mois, sauf résiliation par l'une ou l'autre des parties, moyennant un préavis écrit d'au moins trois mois avant l'expiration du premier terme ou de toute période ultérieure de 12 mois. La validité de cet article 17 n'est pas remis en cause par l'appelante. Il en résulte que la société Markem-Imaje peut valablement mettre un terme au contrat, moyennant ce préavis.

37. L'article 2.2 dont la validité est contestée par l'appelante indique seulement que l'exclusivité prendra fin immédiatement dès la date de réception par la société Markem-Imaje d'une notification de résiliation envoyée par elle, pour quelque raison que ce soit et dans tous les cas expressément prévus par cet accord. A la lecture de l'article 17 du contrat, il ne résulte pas, sans contestation sérieuse, que cet article 2.2 constitue une condition purement potestative, dès lors que les conditions d'application de l'article 17 sont remplies, sachant que le cadre de la procédure est celui du référé. Ainsi que soutenu par l'intimée, il ne s'agit pas d'une condition affectant l'obligation elle-même, mais sa durée. La cour rappelle en outre la prohibition de tout engagement perpétuel. Il n'est pas contesté par l'appelante qu'elle a accepté librement ce contrat en 2009, y compris les clauses permettant à la société Markem-Imaje de le résilier, moyennant préavis. L'appréciation de la validité de l'article 2.2 en ce qu'il viderait de sa substance l'obligation de distribution exclusive échappe à la compétence de la juridiction des référés, et constitue un problème à apprécier au fond.

38. Ainsi que relevé par le juge des référés, la nouvelle stratégie de la société Markem-Imaje a été présentée à ses affiliés lors d'un congrès en 2015, et le 4 avril 2017, la société Markem-Imaje a adressé à la société Projet As , par mail, un projet de nouveau contrat dans la suite du développement de sa nouvelle stratégie, excluant toute exclusivité. Il est acquis que ce projet n'a pas été ratifié par l'appelante, de sorte que le contrat de 2009 a continué de produire ses effets. Par courrier du 3 avril 2018, la société Markem-Imaje a ainsi informé la société Projet As de la fin de l'exclusivité à partir du 1er janvier 2019.

39. Il résulte de ces éléments que les demandes de l'appelante fondée sur la résiliation de la clause d'exclusivité sont affectées de contestations sérieuses, excédant les pouvoirs du juge des référés, alors qu'il n'est pas justifié d'un trouble manifestement illicite résultant de l'application des articles 2.2 et 17 du contrat.

40. S'agissant de la prévention d'un dommage imminent, la cour note qu'un préavis de neuf mois a été respecté par la société Markem-Imaje dans la dénonciation de l'exclusivité, alors que le contrat prévoit un préavis de trois mois. Il en résulte que la société Projet As a bénéficié d'un temps suffisant afin d'apprécier les mesures à mettre en oeuvre suite à la cessation de l'exclusivité. En outre, suite à cette dénonciation, la société Projet As ne justifie pas avoir formulé une protestation jusqu'en 2022. Elle ne justifie pas ainsi d'un dommage imminent résultant de l'expiration de l'exclusivité, effective depuis le premier janvier 2019. Il n'est pas ainsi justifié également de la compétence du juge des référés pour trancher sur ce point.

41. Concernant les faits de concurrence déloyale invoqués par la société Projet As, résultant de l'activité de la société Tekomark, la cour constate que ces faits remontent à l'année 2022, puisque cette société a développé ses activités à partir du début de cette année. A cette date, la société Projet As ne justifie pas, sans contestation sérieuse, qu'elle était toujours titulaire de l'exclusivité de la distribution des produits Markem-Imaje. La seule intervention de ce concurrent ne peut ainsi fonder ses demandes.

42. En outre, il appartient à la société Projet As de démontrer, sans contestation sérieuse, que la société Markem-Imaje a usé de manoeuvres déloyales à son encontre, et non de seulement invoquer le comportement de la société Tekomark. A ce titre, si l'appelante produit une attestation de monsieur [V] indiquant que la société Markem-Imaje favorisait inexplicablement la société Tekomark par rapport à la société Projet As en terme de prix et de soutien, la cour constate que cette attestation émane d'un ancien salarié de la société Tekomark, devenu salarié de l'appelante, alors que son affirmation n'est pas circonstanciée. La société Projet As ne produit aucun autre élément corroborant son argumentation sur des manoeuvres de la société Markem-Imaje constituant des actes de concurrence déloyale à son égard. La cour relève à ce titre que de nombreux documents sont en langue turque, et qu'ils ne comportent qu'une traduction en anglais, et non en français, ce qui pose le problème de leur appréciation. En conséquence, il ne saurait y avoir lieu à référé également à ce titre.

43. Il en résulte d'une part que la société Projet As ne peut ainsi solliciter de la juridiction des référés l'exécution de la clause d'exclusivité, avec ses conséquences visées dans ses demandes, alors qu'elle ne justifie pas d'une obligation non sérieusement contestable, de sorte que ses demandes de provision ne peuvent également prospérer.

44. Concernant la demande de condamnation de la société Markem-Imaje de communiquer sous astreinte des éléments comptables, il résulte de l'article 145 du code de procédure civile que s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.

45. En la cause, la société Projet As ne justifie pas d'un motif légitime permettant la communication d'éléments comptables, le problème de la résiliation de la clause d'exclusivité se heurtant à des contestations sérieuses, alors qu'il a été dit plus haut que la démonstration d'actes de concurrence déloyale se heurte au même problème, en raison de la faiblesse des preuves apportées par l'appelante. En l'état de ces éléments de preuve, une action de la société Projet As est manifestement vouée à l'échec. Cette demande de communication excède ainsi également les pouvoirs du juge des référés.

46. En conséquence, si le président du tribunal de commerce a valablement apprécié les données de l'espèce, son ordonnance sera cependant infirmée en toutes ses dispositions, exceptée celle concernant les dépens mis à la charge de la société Projet As, puisqu'il appartenait seulement au juge de dire n'y avoir lieu à référer, et non de se prononcer sur la licéité de la dénonciation de l'exclusivité, sur la reprise du contrat à ses conditions initiales, sur les provisions. Statuant à nouveau, la cour dira n'y avoir lieu à référé.

47. Succombant en son appel, la société Projet As sera condamnée à payer à la société Markem-Imaje la somme de 5.000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel, outre les dépens exposés à l'occasion de son recours.

PAR CES MOTIFS

La Cour statuant publiquement, contradictoirement, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile, après en avoir délibéré conformément à la loi,

Vu les articles 145, 872 et 873 du code de procédure civile;

Infirme l'ordonnance déférée en toutes ses dispositions à l'exception de celle ayant liquidé et mis les dépens à la charge de la société Projet As ;

statuant à nouveau';

Dit n'y avoir lieu à référé';

Condamne la société Projet As à payer à la société Markem-Imaje la somme de 5.000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile';

Condamne la société Projet As aux dépens exposés en cause d'appel.