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Décisions

Cass. com., 18 octobre 2023, n° 20-17.092

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

L'Oréal (SA)

Défendeur :

Président de l'Autorité de la concurrence, Ministre chargé de l'Économie

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Vigneau

Rapporteur :

M. Regis

Avocats :

SCP Piwnica et Molinié, SCP Duhamel

Cass. com. n° 20-17.092

17 octobre 2023

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 18 juin 2020), rendu sur renvoi après cassation (Com., 27 mars 2019, pourvois n° 16-26.515, 16-26.470, 16-26.471, 16-26.586, 16-26.472, 16-26.473, 16-26.475, 16-26.479, 16-26.502, 16-26.480, 16-25.936), l'Autorité de la concurrence (l'Autorité) a, par une décision n° 14-D-19 du 18 décembre 2014, prononcé des sanctions pécuniaires, notamment contre la société L'Oréal SA (la société L'Oréal) et sa filiale, la société Lascad, au titre de pratiques anticoncurrentielles mises en œuvre dans le secteur des produits d'entretien et des insecticides et dans le secteur des produits d'hygiène et de soins pour le corps.

2. La société L'Oréal a formé un recours en annulation et en réformation de cette décision, en critiquant l'intégration, dans les éléments ayant servi à déterminer le montant de la sanction qui lui avait été infligée, des ventes réalisées par une autre de ses filiales, la société GMG, à laquelle aucun grief n'avait été notifié.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

3. La société L'Oréal fait grief à l'arrêt de rejeter ses moyens de réformation présentés, à l'exception, de celui tiré de la moindre participation de la société Lascad aux pratiques et de lui infliger, en conséquence, à titre personnel et en sa qualité de société mère de la société Lascad, une sanction pécuniaire de 189 494 000 euros, intégrant à hauteur de 40 784 000 euros le montant du paiement auquel la société Lascad pouvait être tenue, alors :

« 1°/ que le juge doit en toutes circonstances faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; que, dans ses conclusions devant la cour d'appel, l'Autorité s'est bornée à soutenir, pour dire que la valeur des ventes effectuées par la société GMG devait être intégrée dans l'assiette de la sanction infligée à la société L'Oréal, que la notion économique de l'"entreprise", au sens du point 33 du communiqué sanctions, l'autorise à prendre en compte, pour déterminer l'assiette de la sanction de la société faîtière d'un groupe, les ventes réalisées en France par l'ensemble des sociétés du groupe dans le secteur concerné par l'infraction, peu important que les filiales aient ou non participé à l'infraction ; qu'en relevant d'office, pour dire que la décision de l'Autorité était justifiée, le moyen tiré de ce que la politique commerciale de la société GMG aurait été fixée sur la base des échanges d'informations constitutifs de la pratique anticoncurrentielle, partant que les produits vendus par la société GMG auraient été "en relation avec l'infraction", sans inviter préalablement les parties à présenter leurs observations, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile, ensemble l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

2°/ qu'à l'issue de l'enquête, le rapporteur général ou le rapporteur général adjoint doit notifier aux entreprises ou organismes concernés les griefs qui leur sont reprochés ; que, si, en présence d'un groupe de sociétés, le comportement anticoncurrentiel d'une filiale peut être imputé à sa société mère, à raison de l'absence, présumée ou avérée, d'autonomie de la filiale, partant si la sanction infligée à la société mère peut être déterminée au regard d'une assiette incluant la valeur des ventes des produits en relation avec l'infraction réalisée par la filiale, encore faut-il que des griefs aient effectivement été notifiés à la filiale ; que la cour d'appel a constaté qu'après enquête, aucun grief n'avait été notifié à la société GMG ; qu'en incluant cependant, dans l'assiette de la sanction infligée à la société L'Oréal, la valeur des produits vendus par la société GMG aux motifs, inopérants, que les participants des sociétés Lascad et L'Oréal, appartenant à une direction transversale du groupe, auraient représenté l'ensemble des sociétés du groupe et que "l'entente reprochée à la société mère du groupe, L'Oréal, et à sa filiale, Lascad, a eu des effets sur les prix de vente des produits Gemey Maybelline et Garnier commercialisés par le groupe L'Oréal au travers de la société GMG", la cour d'appel n'a pas déduit les conséquences légales de ses constatations, en violation des articles L. 463-1, L. 463-2 et L. 464-2 du code de commerce, ensemble le principe d'autonomie de la personne morale ;

3°/ que la faculté d'adaptation de la méthode de détermination du montant de base de la sanction n'est pas de nature à permettre d'inclure dans l'assiette de la sanction la valeur des ventes réalisées par une entreprise à laquelle aucun grief n'a été notifié ; qu'en ce qu'elle s'est fondée, pour inclure dans l'assiette de la sanction infligée à la société L'Oréal la valeur des ventes réalisées par la société GMG, sur la circonstance que la méthode de détermination du montant de base de la sanction pouvait être adaptée, quand cette possibilité a uniquement pour objet d'adapter le chiffrage de la valeur des ventes des entreprises concernées durant leur participation à l'infraction et n'était donc pas de nature à pallier l'absence de notification de grief à la société GMG, partant à retenir que les ventes de produits réalisées par cette société étaient des ventes de produits "en lien avec l'infraction", la cour d'appel a encore violé les articles L. 463-1, L. 463-2 et L. 464-2 du code de commerce, ensemble le principe d'autonomie de la personne morale. »

Réponse de la Cour

4. L'arrêt énonce d'abord que, dans le point 23 du communiqué du 16 mai 2011 relatif aux sanctions, l'Autorité retient, comme montant de base de la sanction pécuniaire, une proportion de la valeur des ventes, réalisées par chaque « entreprise ou organisme en cause », de produits ou de services en relation avec l'infraction, et qu'à son point 33, elle ajoute que la référence prise pour donner une traduction chiffrée à son appréciation de la gravité des faits et de l'importance du dommage causé à l'économie est la valeur de l'ensemble des catégories de produits ou de services en relation avec l'infraction, vendues par « l'entreprise concernée » durant son dernier exercice comptable complet de participation à celle-ci.

5. Il retient ensuite que si la notion d'entreprise à laquelle se réfère ce communiqué, employée au sens du droit de la concurrence, comprend toute entité exerçant une activité économique, indépendamment de son statut juridique, et se traduit par une unité économique constituée de plusieurs personnes physiques ou morales, elle n'implique pas pour autant que, pour fixer les sanctions à infliger aux sociétés qui la composent, il soit tenu compte de la valeur des ventes réalisées par les sociétés appartenant au même groupe, au sens du droit comptable, mais qui ne sont pas impliquées dans la pratique anticoncurrentielle en cause, en ce que cette notion ne saurait, en effet, permettre de présumer que les ventes réalisées par une autre filiale du groupe, qui n'a pas concouru aux pratiques illicites, sont en relation avec cette infraction.

6. L'arrêt relève que, néanmoins, l'assiette de la sanction doit, avant tout, donner une traduction chiffrée à l'appréciation de la gravité des faits et de l'importance du dommage causé à l'économie, ainsi qu'il ressort du « communiqué sanctions », et que le point 39 de ce dernier prévoit que la méthode peut être adaptée si la référence retenue aboutissait à un résultat ne reflétant manifestement pas de façon appropriée l'ampleur économique de l'infraction ou le poids relatif de chaque entreprise ou organisme qui y a pris part.

7. L'arrêt retient également que, pour répondre à cet objectif, encore faut-il établir, en l'espèce, que les ventes réalisées par la société GMG ont été en lien avec l'infraction, relation qui ne peut se déduire du seul fait qu'elles soient intervenues dans le secteur concerné par l'entente, c'est-à-dire celui de l'approvisionnement en produits d'hygiène et de soins pour le corps des enseignes de la grande distribution. Il observe à cet effet que les pratiques concertées, mises en oeuvre par la société L'Oréal, ont consisté en des échanges d'informations relatives à la stratégie commerciale et à la performance non seulement des sociétés Lascad et L'Oréal mais également de la société GMG, par l'intermédiaire de salariés des deux premières qui se comportaient comme des représentants de l'ensemble du groupe, dont notamment le responsable commercial au sein de la division « produits grand public » (DPGP) en France. Il ajoute, se référant aux faits relevés dans la décision, que cette division, au sein de la société L'Oréal, était « en charge de la commercialisation de l'ensemble des produits du groupe L'Oréal à la grande distribution » et de l'« homogénéisation des accords commerciaux pour toutes les affaires du groupe », et était donc transversale aux trois sociétés du groupe. L'arrêt en déduit que l'existence, au sein de la société mère, de cette « DPGP France » a ainsi eu pour effet de rendre les frontières entre les différentes affaires du groupe particulièrement poreuses. Il retient aussi qu'il résulte de la décision de l'Autorité que les entreprises, parties aux pratiques, se sont alignées sur la hausse mise en oeuvre par d'autres entreprises, ce qui relevait d'une forme aboutie de concertation, le niveau de hausse affiché par les gros opérateurs du secteur constituant le point de convergence de l'ensemble des acteurs, et qu'il a été constaté, s'agissant du groupe L'Oréal, que la hausse s'élevait à 6,30 % pour la société Lascad, 7,40 % pour la société L'Oréal Paris (OAP) et 6,41 % pour la société GMG, les prix de cette dernière s'étant alignés sur la même convergence à la hausse. L'arrêt en déduit que la politique commerciale appliquée aux produits grand public d'hygiène et de soins du corps du groupe L'Oréal, incluant les produits de marques Garnier et Gemey Maybelline vendus par la société GMG, a été définie au sein de la « DPGP France », sur la base d'échanges d'informations sensibles relatives aux politiques commerciales et au déroulement des négociations avec les enseignes de la grande distribution de toutes les sociétés du groupe, de sorte que l'entente reprochée à la société mère, la société L'Oréal, et à sa filiale, la société Lascad, a eu des effets sur les prix de vente des produits Gemey Maybelline et Garnier commercialisés par le groupe L'Oréal par l'intermédiaire de la société GMG. Il observe que cette dernière détient une part de marché non négligeable, de l'ordre de 9,6 %, restée constante sur toute la durée de l'entente, dont il doit être tenu compte.

8. L'arrêt retient enfin qu'il n'est pas approprié, dans ce contexte spécifique, qui justifie l'aménagement de la méthodologie applicable pour refléter au mieux l'importance économique de l'infraction ainsi que le poids relatif de l'entreprise participant à l'infraction, d'exclure de l'assiette de la sanction les ventes réalisées par la société GMG, société en nom collectif, membre du groupe L'Oréal et filiale de la société L'Oréal, dès lors qu'elles sont en lien avec l'entente, et qu'il serait porté atteinte à l'objectif poursuivi par le « communiqué sanctions » si, dans une telle situation, le chiffre d'affaires de référence pour définir l'assiette de la sanction s'entendait comme ne visant que le chiffre d'affaires réalisé par les seules entités du groupe impliquées dans l'entente, sans tenir compte des autres ventes en lien avec l'infraction, dont a tiré profit la société L'Oréal, qui détient directement 66,61 % du capital de la société GMG et indirectement 33,39 %, à travers d'autres filiales du groupe L'Oréal.

9. En l'état de ces énonciations, constatations et appréciations, résultant d'un examen concret des particularités de l'affaire, faisant ressortir que si la société GMG n'avait pas participé à l'infraction par ses moyens propres, les ventes qu'elle avait réalisées pendant la période de l'entente avaient été affectées par l'infraction mise en oeuvre par sa société mère et du fait de cette dernière, c'est à juste titre et sans méconnaître le principe de la contradiction que la cour d'appel, qui s'est fondée sur le communiqué relatif aux sanctions dont l'Autorité avait indiqué faire application et sur les éléments de fait qui figuraient dans la décision de cette dernière, a décidé que les ventes réalisées par la société GMG étaient en relation avec l'infraction, au sens de ce communiqué, lequel prévoit lui-même les possibilités d'adaptation au cas particulier, sans que celles-ci soient enserrées dans les limites invoquées par la troisième branche, et devaient, dès lors, peu important que la société GMG n'ait pas fait l'objet d'une notification des griefs, entrer dans l'assiette de la sanction de sa société mère.

10. Le moyen n'est donc pas fondé.

Et sur le second moyen

Enoncé du moyen

11. La société L'Oréal fait le même grief à l'arrêt, alors :

« 1°/ que l'Autorité est, sauf circonstances particulières ou motif d'intérêt général dont elle doit justifier, tenue de respecter les termes du communiqué relatif à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires, publié le 16 mai 2011, qui constitue une directive, au sens administratif du terme et qui lui est opposable ; que le communiqué retient, comme assiette de la sanction, la "valeur des ventes" des produits ou services en relation avec l'infraction ; qu'en affirmant, pour débouter la société L'Oréal de son recours, qu'"en l'absence de dispositions légales ou de précisions dans le communiqué sanctions sur la méthode comptable à appliquer au chiffre d'affaires de référence pour déterminer l'assiette de la sanction, l'Autorité était libre d'adopter la méthode qui lui semblait la plus appropriée pour répondre aux principes d'individualisation et de proportionnalité de la sanction et ainsi faire le choix des règles comptables françaises comme norme de référence", quand l'Autorité était tenue, pour déterminer le chiffre d'affaires de référence, d'appliquer la méthode comptable permettant d'estimer au mieux la "valeur des ventes", partant d'appliquer de la manière la plus appropriée les critères légaux de la sanction, la cour d'appel a violé l'article L. 464-2 du code de commerce ;

2°/ que la "valeur des ventes" correspond au prix effectif du produit ou service vendu multiplié par le nombre de ventes ; qu'il ressort des dispositions de l'article L. 441-3 du code de commerce, modifié par l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019, que, dans les relations entre fournisseurs et distributeurs, le prix effectif des produits est le prix "triple net", tel qu'issu du tarif, déduction faite des remises, ristournes et sommes versées au titre de la coopération commerciale ou autres obligations destinées à favoriser la relation commerciale, aboutissant à un chiffre d'affaires "triple net" ; que la cour d'appel a constaté que l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019, réécrivant les articles L. 441-3 et suivants du code de commerce, inclut, désormais, dans la notion de prix convenu le coût des services de coopération commerciale, lequel en était exclu aux termes de la loi ancienne ; qu'en déboutant cependant la société L'Oréal de sa demande tendant à voir retenir, au titre de l'assiette de la sanction, le chiffre d'affaires "triple net" des produits en relation avec l'infraction, aux motifs, inopérants, que les pratiques en cause ne constituent pas "un manquement aux obligations définies à l'article L. 441-3 du code de commerce" et que "l'article L. 441-3 du code de commerce, qui tend à accroître la transparence commerciale, n'est pas le support nécessaire de l'application de l'article L. 464-2 du code de commerce", quand il ressortait du texte, nouveau, la confirmation que le prix effectif des produits était un prix triple net, partant que la "valeur des ventes" était constituée par le chiffre d'affaires "triple net" des produits en relation avec l'infraction, la cour d'appel a violé l'article L. 464-2 du code de commerce, ensemble et par refus d'application l'article L. 441-3 du même code ;

3°/ que l'Autorité est, sauf circonstances particulières ou motif d'intérêt général dont elle doit justifier, tenue de respecter les termes du communiqué relatif à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires, publié le 16 mai 2011, qui constitue une directive, au sens administratif du terme et qui lui est opposable ; que le communiqué retient, comme assiette de la sanction, la "valeur des ventes" des produits ou services en relation avec l'infraction ; que la cour d'appel a constaté que " "le chiffre d'affaires dit "triple net", en ce qu'il exclut le coût des services de coopération commerciale supporté par les sociétés L'Oréal et Lascad, reflète la valeur économique réelle des ventes qu'elles ont réalisées pendant la période de l'infraction davantage que ne le fait le chiffre d'affaires "double net" " ; qu'en approuvant cependant l'Autorité d'avoir retenu, comme assiette de la sanction, le chiffre d'affaires "double net", la cour d'appel n'a pas déduit les conséquences légales de ses constatations, en violation de l'article L. 464-2 du code de commerce ;

4°/ qu'en tout état de cause, si l'absence de prévision par la loi d'une méthode de détermination de la sanction autorise l'Autorité à appliquer la méthode qui lui paraît la plus appropriée aux faits de l'espèce, ce n'est qu'à la condition de vérifier que le résultat de son application est conforme aux règles définies à l'article L. 464-2 du code de commerce et de respecter les termes du communiqué ; qu'en affirmant cependant qu'"en l'absence de dispositions légales ou de précisions dans le communiqué sanctions sur la méthode comptable à appliquer au chiffre d'affaires de référence pour déterminer l'assiette de la sanction, l'Autorité était libre d'adopter la méthode qui lui semblait la plus appropriée" et que "dès lors, il appartient à la société L'Oréal de démontrer que l'utilisation du chiffre d'affaires "double net" conduit à un résultat qui ne reflète pas de manière appropriée l'importance économique de l'infraction et le poids relatif de chaque entreprise participante, conformément au principe énoncé au paragraphe 23 du communiqué sanction", quand il appartenait à l'Autorité d'établir que l'utilisation du chiffre d'affaires "double net", pour déterminer l'assiette de la sanction, conduisait à un résultat plus approprié, au regard des critères légaux, que le chiffre d'affaires "triple net", la cour d'appel a inversé la charge de la preuve, en violation de l'article 1353, anciennement 1315, du code civil ;

5°/ que dans ses conclusions, la société L'Oréal faisait valoir, en tout état de cause, que le chiffre d'affaires "double net" ne reflétait pas de manière appropriée l'importance économique de l'infraction et le poids de chaque entreprise participante dès lors qu'il ne prenait pas en compte les sommes versées par les fournisseurs au titre de la coopération commerciale alors même que l'infraction reprochée couvrait "tout le champ de la négociation (tarif, demande de dérive, offre de dérive, état d'avancement des négociations) et donc l'ensemble des critères impactant la formation du prix triple net" ; qu'en affirmant cependant, pour débouter la société L'Oréal de sa demande, que cette dernière ne rapportait pas la preuve de ce que le chiffre d'affaires "double net", issu des normes comptables françaises, ne constituait pas une référence adaptée pour parvenir à une sanction proportionnée, sans s'expliquer sur le moyen tiré de ce que le chiffre d'affaires "double net" ne prenait pas en compte l'ensemble des paramètres de l'infraction dont la coopération commerciale, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;

6°/ que l'assiette de la sanction ne se confond pas avec la sanction ; qu'en affirmant, pour approuver l'Autorité d'avoir retenu, comme assiette de la sanction, le chiffre d'affaires "double net", partant débouter la société L'Oréal de son recours, que "la sanction ne doit pas refléter la valeur économique réelle des ventes réalisées par l'entreprise en cause, mais l'ampleur économique de l'infraction qui a été commise", la cour d'appel, qui a confondu assiette de la sanction et sanction, a statué par un motif inopérant et privé sa décision de toute base légale au regard du communiqué relatif à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires, publié le 16 mai 2011, ensemble l'article L. 464-2 du code de commerce ;

7°/ que le communiqué relatif à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires, publié le 16 mai 2011 par l'Autorité, définit la valeur des ventes comme "la valeur de l'ensemble des catégories de produits ou de services en relation avec l'infraction, ou s'il y a lieu avec les infractions, vendues par l'entreprise ou l'organisme concerné durant son dernier exercice comptable complet de participation à celle (s)-ci" ; qu'il écarte, ce faisant, toute prise en compte, au stade de la détermination de l'assiette de la sanction, des conséquences économiques de l'infraction sur des marchés distincts de celui sur lequel l'infraction a été commise ; qu'en l'espèce, l'infraction retenue à l'encontre des sociétés L'Oréal et Lascad consiste dans la participation "à une entente unique, complexe et continue sur le marché français de l'approvisionnement en produits d'hygiène et de soins du corps orchestrée entre le 22 janvier 2003 et le 3 février 2006" ; qu'il en résulte que la "valeur des ventes" des produits en relation avec l'infraction, assiette de la sanction de cette infraction, est constituée par le chiffre d'affaires effectivement réalisé par le fournisseur à raison des ventes de produits au distributeur, peu important les conséquences pouvant en être résulté sur le marché aval de la revente par le distributeur au consommateur ; qu'en affirmant, cependant, pour approuver l'Autorité d'avoir retenu, comme assiette de la sanction, le chiffre d'affaires "double net", partant débouter la société L'Oréal de son recours, que la circonstance que "les pratiques commises par les sociétés L'Oréal et Lascad concernaient leurs relations avec leurs distributeurs, ne peut conduire à limiter l'appréciation de l'ampleur économique de l'infraction sur le seul marché de l'approvisionnement dès lors qu'une telle analyse conduirait à ignorer les effets de ces pratiques sur le marché aval, dans les relations entre les distributeurs et les consommateurs, alors qu'il existe un lien indéniable entre ces deux marchés et que les deux ont été affectés par les pratiques concertées", que "les pratiques de concertation sanctionnées ont eu pour effet de faire échec à la baisse des prix de détail aux consommateurs, qui sont le reflet des prix "double net", que "le prix de vente fournisseur issu des conditions générales de vente concourait à la fixation du prix de revente au consommateur", que "la hausse des tarifs pratiqués par les fournisseurs induite par les pratiques, avait ainsi un impact sur les prix de revente au consommateur, puisque le seuil de revente à perte constituait pour le distributeur un prix plancher" et que "ces pratiques ont donc abouti à ce que les prix de détail aux consommateurs, alignés sur le "double net", augmentent à un niveau supra concurrentiel", quand ces éléments, s'ils permettent de déterminer l'importance du dommage économique causé par l'infraction, partant la proportion de la valeur des ventes devant servir de montant de base de la sanction, sont indifférents pour la détermination de l'assiette de la sanction, la cour d'appel a méconnu les dispositions du communiqué relatif à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires, publié le 16 mai 2011, ensemble l'article L. 464-2 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

12. En premier lieu, l'arrêt retient que l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019, invoquée par la société L'Oréal, a modifié les articles L. 441-3 et suivants du code de commerce, pour y inclure, désormais, dans la notion de prix convenu, le coût des services de coopération commerciale. Il observe que les pratiques en cause constituent des infractions aux dispositions de l'article 81, paragraphe 1, du traité CE, devenu l'article 101, paragraphe 1, du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, et de l'article L. 420-1 du code de commerce, et non un manquement aux obligations définies à l'article L. 441-3 du code précité. Il ajoute que l'article L. 441-3 de ce code, qui tend à accroître la transparence commerciale, n'est pas le support nécessaire de l'application de l'article L. 464-2 du même code, relatif à la sanction de pratiques anticoncurrentielles, lequel n'opère aucun renvoi aux dispositions de ce texte. L'arrêt en déduit que la société L'Oréal n'est pas fondée à invoquer le principe de rétroactivité de la loi plus douce pour justifier une interprétation différente de la méthode de comptabilisation de la valeur des ventes et que le chiffre d'affaires « double net », issu des normes comptables françaises, constitue une référence adaptée pour parvenir à une sanction proportionnée à l'égard des sociétés L'Oréal et Lascad et reflétant de façon appropriée l'ampleur économique de l'infraction.

13. En l'état de ces constatations et appréciations, c'est à juste titre que la cour d'appel a écarté le moyen tiré de l'application rétroactive d'une loi pénale plus douce soulevé par la société L'Oréal, dès lors que l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 n'avait ni pour objet ni pour effet de modifier les conditions d'incrimination et de sanction des pratiques anticoncurrentielles prévues au titre I du livre IV du code de commerce.

14. En second lieu, la cour d'appel s'étant, pour le surplus, conformée à la doctrine de la Cour de cassation résultant de l'arrêt de cassation du 27 mars 2019 qui l'avait saisie, le moyen, pris en toutes ses autres branches, est irrecevable.

15. Pour partie inopérant, le moyen n'est pas fondé pour le surplus.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.