CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 25 octobre 2023, n° 20/06055
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Vinologic (SAS)
Défendeur :
Guillaume Lefèvre (EARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Brun-Lallemand
Conseillers :
Mme Depelley, M. Richaud
Avocats :
Me Gusdorf, Me Fouilland-Milleret, Me Blanchemanche, Me de Maintenant
FAITS ET PROCEDURE
La SAS Vinologic, qui a pour activité principale la distribution de vins, notamment dans la région de [Localité 5], a entretenu dès 2009 des relations commerciales avec l'EARL Guillaume Lefèvre, société familiale agricole qui exploite à [Localité 4] le lieu-dit [Adresse 3] où elle cultive des vignes, du blé et de l'orge en respectant les principes de l'agriculture biologique, la première achetant en gros du vin auprès de la seconde pour les revendre à des détaillants ou à des hôteliers et des restaurateurs.
Lors d'une réunion organisée courant février 2018, l'EARL Guillaume Lefèvre précisait à la SAS Vinologic, qui bénéficiait jusqu'alors d'encours réguliers que, à raison de la perte de la moitié de sa récolte et de ses investissements, les commandes devaient systématiquement être payées comptant, un virement de 10 000 euros devant en outre accompagner chaque règlement de plus de 3 000 euros pour réduire le solde des encours antérieurs.
Entre le 10 octobre et le 5 décembre 2018, la SAS Vinologic a commandé du vin pour un montant total de 6 853,46 euros (factures n° 1801180, 1801264, 1801295, 1801357 et 1801398), sans toutefois régler les sommes dues.
Par courriel circulaire du 8 janvier 2019 adressé en copie à la SAS Vinologic le lendemain, l'EARL Guillaume Lefèvre indiquait à ses différents acheteurs qu'elle assurerait directement la commercialisation et l'expédition des vins du [Adresse 3] "d'ici la fin du mois" de janvier, la SAS Vinologic n'en assurant plus la distribution.
Tandis que, par courrier de son conseil du 22 janvier 2019, la SAS Vinologic dénonçait la brutalité de la rupture des relations commerciales et sollicitait le paiement d'une somme de 35 000 euros en réparation de son préjudice, l'EARL Guillaume Lefèvre, par lettre du 31 janvier 2019, contestait toute faute et offrait de poursuivre la relation sous la double condition du règlement des factures impayées et de l'envoi aux détaillants d'une carte des vins actualisée. Cette dernière n'étant pas remplie, l'EARL Guillaume Lefèvre a notifié la rupture, par courriel du 15 février 2019, la rupture des relations commerciales avec un préavis de trois mois.
C'est dans ces circonstances que l'EARL Guillaume Lefèvre a, par acte d'huissier signifié le 19 février 2019, assigné la SAS Vinologic devant le tribunal de commerce de Marseille en paiement de ses factures.
Par jugement du 13 février 2020, le tribunal de commerce de Marseille a statué en ces termes :
"Condamne la société VINOLOGIC SAS à payer à la société EARL GUILLAUME LEFEVRE la somme de 6.853,46 € en principal avec intérêts de retard calculés au taux de 1,5 fois l'intérêt légal à compter de la demande en justice et celle de 1.800 € au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Déboute la société VINOLOGIC SAS de toutes ses demandes reconventionnelles, fins et conclusions ;
Condamne la société VINOLOGIC SAS aux dépens toutes taxes comprises de la présente instance tels qu'énoncés par l'article 695 du Code de procédure civile, étant précisé que les droits, taxes et émoluments perçus par le secrétariat-greffe de la présente juridiction sont liquidés à la somme de 74,18 € [']".
Par déclaration reçue au greffe le 17 avril 2020, la SAS Vinologic a interjeté appel de ce jugement.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 6 janvier 2021, la SAS Vinologic demande à la cour, au visa des articles L 442-6 et suivants du code de commerce :
- de recevoir la SAS Vinologic en son appel et le déclarer recevable ;
- d'infirmer le jugement du tribunal de commerce de Marseille du 13 février 2020 en ce qu'il a rejeté les demandes formées par la SAS Vinologic ;
- statuant à nouveau, de juger la rupture des relations commerciales décidée par l'EARL Guillaume Lefèvre injustifiée et abusive ;
- en conséquence :
* de condamner l'EARL Guillaume Lefèvre à verser à la SAS Vinologic la somme de 53 000 euros à titre de dommages et intérêts ;
* d'ordonner la publication de la décision à intervenir dans deux journaux et deux sites internet spécialisés en matière de vins ;
* de rejeter l'appel incident formé par l'EARL Guillaume Lefèvre et de rejeter sa demande de dommages et intérêts ;
* de condamner l'EARL Guillaume Lefèvre à payer à la SAS Vinologic la somme de 6 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
* de condamner l'EARL Guillaume Lefèvre aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître Audrey Gusdorf.
En réponse, dans ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 7 octobre 2020, l'EARL Guillaume Lefèvre demande à la cour, au visa des articles 1103 du code civil, L 442-1 du code de commerce et 515 et 700 du code de procédure civile :
- de dire et juger l'EARL Guillaume Lefèvre recevable et bien fondée en ses demandes ;
- de confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Marseille en ce qu'il a :
* condamné la SAS Vinologic à payer à l'EARL Guillaume Lefèvre la somme de 6 853,46 euros en principal avec intérêts de retard calculés au taux de 1,5 fois l'intérêt légal ;
* condamné la SAS Vinologic à payer à l'EARL Guillaume Lefèvre la somme 1 800 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
* débouté la SAS Vinologic de toutes ses demandes reconventionnelles ;
* condamné la SAS Vinologic aux dépens ;
- de débouter la SAS Vinologic de l'ensemble de ses demandes formulées en cause d'appel ;
- y ajoutant à titre incident et subsidiairement à la demande de condamnation à paiement de la somme de 6 853,46 euros, de condamner la SAS Vinologic à remettre à l'EARL Guillaume Lefèvre les marchandises vendues avec réserve de propriété et impayées ;
- y ajoutant et à titre incident :
* de condamner la SAS Vinologic à payer à l'EARL Guillaume Lefèvre la somme 16 250 euros de dommages-intérêts au titre du non-respect du préavis de résiliation ;
* de condamner la SAS Vinologic au paiement des intérêts de retard à compter de la mise en demeure du 31 janvier 2019 ;
* d'ordonner la capitalisation des intérêts ;
* de condamner la SAS Vinologic à payer à l'EARL Guillaume Lefèvre la somme 1 500 euros de dommages-intérêts au titre de la résistance abusive à paiement ;
- en tout état de cause, de :
* condamner la SAS Vinologic à payer à l'EARL Guillaume Lefèvre la somme 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civil pour l'appel ;
* condamner la SAS Vinologic aux dépens d'appel.
Conformément à l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions visées pour un exposé détaillé du litige et des moyens des parties.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 20 juin 2023. Les parties ayant régulièrement constitué avocat, l'arrêt sera contradictoire en application de l'article 467 du code de procédure civile.
MOTIVATION
1°) Sur le périmètre de l'appel
a) Sur l'effet dévolutif
Conformément à l'article 562 du code de procédure civile, l'appel défère à la cour la connaissance des chefs de jugement qu'il critique expressément et de ceux qui en dépendent. La dévolution ne s'opère pour le tout que lorsque l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible.
Et, il résulte des articles 542 et 954 du code de procédure civile que l'appelant, comme l'intimé en application de l'article 909 du même code, doit, dans le dispositif de ses conclusions, mentionner qu'il demande l'infirmation des chefs du dispositif du jugement dont il recherche l'anéantissement ou l'annulation du jugement. En cas de non-respect de cette règle, la cour d'appel ne peut que confirmer le jugement, sauf la faculté qui lui est reconnue à l'article 914 du code de procédure civile de relever d'office la caducité de l'appel. Néanmoins, l'appelant qui sollicite, dans le dispositif de ses conclusions, la réformation de la décision entreprise et formule plusieurs prétentions, n'est pas tenu de reprendre, dans celui-ci, les chefs de dispositif du jugement dont il sollicite l'infirmation (en ce sens, 2ème Civ., 3 mars 2022, n° 20-20.017).
Dans son jugement du 13 février 2020, le tribunal de commerce de Marseille, saisi par l'EARL Guillaume Lefèvre d'une demande de condamnation de la SAS Vinologic au paiement de ses factures avec intérêts de retard à compter de la mise en demeure, a accueilli cette prétention en faisant néanmoins courir ces derniers à compter de l'assignation (pages 2 et 8 du jugement).
Aux termes de sa déclaration d'appel et de ses dernières écritures, la SAS Vinologic sollicite l'infirmation de cette décision exclusivement en ce qu'il a rejeté ses demandes (i.e. ses demandes reconventionnelles de condamnation de l'EARL Guillaume Lefèvre à lui payer 53 000 euros en réparation du préjudice causé par la rupture brutale des relations commerciales établies, de compensation judiciaire avec le montant de la facture non contesté et de publication judiciaire ainsi que ses prétentions au titre des frais irrépétibles et des dépens). Or, dans ses dernières conclusions d'intimée, l'EARL Guillaume Lefèvre poursuit la confirmation du jugement entrepris, notamment en ce qu'il a "condamné la société VINOLOGIC SAS à payer à la société EARL GUILLAUME LEFEVRE la somme de 6.853,46 € en principal avec intérêts de retard calculés au taux de 1,5 fois l'intérêt légal". Ce n'est qu' "y ajoutant et à titre incident" qu'elle demande la condamnation de la SAS Vinologic à lui payer les intérêts moratoires de sa créance à compter de la mise en demeure du 31 janvier 2019, le corps de ses écritures adoptant la même logique et ne comportant d'ailleurs aucune critique du jugement sur ce point.
Dès lors, en l'absence de demande d'infirmation de ce chef de dispositif, la cour n'est saisie à son endroit d'aucun appel principal ou incident : l'effet dévolutif n'ayant pas joué, tant la demande de confirmation du jugement au titre de paiement des factures que celle relative au point de départ des intérêts moratoires ne peuvent être examinées, ce qui sera constaté dans le dispositif de l'arrêt.
b) Sur les demandes nouvelles
Moyens des parties
Au soutien de sa fin de non-recevoir, la SAS Vinologic explique que la demande indemnitaire à hauteur de 16 250 euros n'était pas présentée devant les premiers juges et est ainsi nouvelle en cause d'appel.
L'EARL Guillaume Lefèvre n'a pas répondu à cette fin de non-recevoir.
Réponse de la cour,
En application des articles 564 à 566 du code de procédure civile, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait. Néanmoins, les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent, les parties ne pouvant ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.
L'EARL Guillaume Lefèvre sollicite la condamnation de la SAS Vinologic à lui payer les sommes de 16 250 euros de dommages-intérêts au titre du non-respect du préavis de résiliation et de 1 500 euros de dommages-intérêts au titre de la résistance abusive à paiement, ainsi que la capitalisation des intérêts moratoires de sa créance (factures impayées). Ces prétentions n'étaient pas formulées devant les premiers juges et sont de ce fait nouvelles : elles seront déclarées irrecevables, et ce, malgré l'absence de défense en ce sens de la SAS Vinologic, sans réouverture des débats concernant la seconde au regard de l'évidence de la solution et de l'automaticité de ses conséquences au sens des dispositions combinées des articles 12, 16 et 564 du code de procédure civile.
Surabondamment, la Cour rappelle que l'indemnisation sollicitée au titre de la résistance abusive au paiement correspond à la réparation d'un préjudice distinct de celui né du seul retard de paiement, qui est déjà indemnisé par le versement des intérêts moratoires de la créance, et que le succès d'une telle demande suppose au sens de l'article 1231-6 du code civil, outre la caractérisation de la mauvaise foi du débiteur, la démonstration de son principe et de sa mesure, preuve que ne rapporte pas l'EARL Guillaume Lefèvre.
Si la demande d'anatocisme n'était pas non plus présentée devant le tribunal de commerce, ce que ne relève pas la SAS Vinologic, elle est l'accessoire de la demande en paiement des intérêts moratoires de la créance. La capitalisation des intérêts ne supposant, à défaut de convention, qu'une demande judiciairement formée et des intérêts dus pour une année entière, celle-ci sera ordonnée conformément à l'article 1343-2 du code civil.
2°) Sur la rupture brutale des relations commerciales établies,
Moyens des parties,
Au soutien de ses prétentions, la SAS Vinologic expose que la relation commerciale établie nouée avec l'EARL Guillaume Lefèvre dès 2009 a été rompue sans préavis par cette dernière par courriel du 9 janvier 2019, la proposition tardive de poursuite des relations formulée le 31 janvier 2019 n'étant pas de nature à faire obstacle à cette rupture consommée et comportant par ailleurs des conditions inacceptables. Elle conteste toute faute, les factures impayées étant récentes et le délai de règlement étant conforme aux encours antérieurement pratiqués, et les vins du domaine ayant toujours été correctement mis en valeur auprès des clients, les fluctuations des quantités commandées s'expliquant en outre par les variations de la production. Elle ajoute que, à supposer qu'un préavis lui ait été proposé, il n'a pas été exécuté puisque la seule information dont disposait les clients à compter du 9 janvier 2019 était la reprise de la commercialisation en direct par l'EARL Guillaume Lefèvre. Elle estime le préavis qui lui était dû à 12 mois et soutient avoir subi un préjudice d'image distinct.
En réponse, l'EARL Guillaume Lefèvre, qui ne conteste pas le caractère établi des relations commerciales, expose que la SAS Vinologic s'était engagée dès février 2018 à réduire ses encours à raison de ses difficultés de trésorerie, ce qu'elle n'a pas fait, et que la rupture a été décidée d'un commun accord en décembre 2018, la dernière commande datant d'ailleurs du 5 décembre 2018. Elle ajoute que la SAS Vinologic a refusé de poursuivre les relations et n'a pas réglé les factures régulièrement émises. Elle conteste enfin la réalité et la mesure des préjudices allégués
Réponse de la cour,
En application de l'article L. 442-6 I 5° du code de commerce dans sa version applicable au litige, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. A défaut de tels accords, des arrêtés du ministre chargé de l'économie peuvent, pour chaque catégorie de produits, fixer, en tenant compte des usages du commerce, un délai minimum de préavis et encadrer les conditions de rupture des relations commerciales, notamment en fonction de leur durée. Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure.
Au sens de ce texte, la relation, notion propre du droit des pratiques restrictives de concurrence qui n'implique aucun contrat (en ce sens, Com., 9 mars 2010, n° 09-10.216) et n'est soumise à aucun formalisme quoiqu'une convention ou une succession d'accords poursuivant un objectif commun puisse la caractériser, peut se satisfaire d'un simple courant d'affaires, sa nature commerciale étant entendue plus largement que la commercialité des articles L. 110-1 et suivants du code de commerce comme la fourniture d'un produit ou d'une prestation de service (en ce sens, Com., 23 avril 2003, n° 01-11.664). Elle est établie dès lors qu'elle présente un caractère suivi, stable et habituel laissant entendre à la victime de la rupture qu'elle pouvait raisonnablement anticiper, pour l'avenir, une certaine continuité du flux d'affaires avec son partenaire commercial (en ce sens, Com., 15 septembre 2009, n° 08-19.200 qui évoque "la régularité, le caractère significatif et la stabilité de la relation commerciale").
Par ailleurs, L. 442-6 I 5° du code de commerce sanctionne non la rupture, qui doit néanmoins être imputable à l'agent économique à qui elle est reprochée, mais sa brutalité qui résulte de l'absence de préavis écrit ou de préavis suffisant. Ce dernier, qui s'apprécie au moment de la notification de la rupture, doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser, soit pour préparer le redéploiement de son activité, trouver un autre partenaire ou une solution de remplacement. Les critères pertinents sont notamment l'ancienneté des relations et les usages commerciaux, le degré de dépendance économique, le volume d'affaires réalisé, la progression du chiffre d'affaires, les investissements effectués, l'éventuelle exclusivité des relations et la spécificité du marché et des produits et services en cause ainsi que tout obstacle économique ou juridique à la reconversion. La rupture peut être totale ou partielle, la relation commerciale devant dans ce dernier cas être modifiée substantiellement (en ce sens, Com. 31 mars 2016, n° 14-11.329 ; Com 20 novembre 2019, n° 18-11.966, qui précise qu'une modification contractuelle négociable et non imposée n'est pas la marque d'une rupture partielle brutale).
Au regard de la fonction du préavis, période nécessaire à l'entreprise subissant la rupture pour aménager la poursuite de son activité malgré la perte de son partenaire commercial, la date d'appréciation de la durée du préavis suffisant est celle de la notification de la rupture qui correspond à l'annonce faite par un cocontractant à l'autre de sa volonté univoque de cesser la relation à une date déterminée, seule information qui peut permettre au second de se projeter et d'organiser son redéploiement ou sa reconversion en disposant de la visibilité indispensable à toute anticipation.
L'EARL Guillaume Lefèvre ne conteste pas le caractère établi de la relation. Les parties s'opposent cependant sur l'imputabilité de la rupture, sa date et la réalité du préjudice allégué.
La relation commerciale a débuté en 2009. Au regard des chiffres communiqués par la SAS Vinologic (ses pièces 9 à 24), qui ne sont pas contestés par l'EARL Guillaume Lefèvre qui relève l'absence de leur certification conforme mais n'en tire aucune conséquence, le chiffre d'affaires dégagé par la SAS Vinologic dans ses relations avec l'EARL Guillaume Lefèvre rapporté à son chiffre d'affaires global sur la même période s'établissait ainsi :
Chiffre d'affaires (CA) eu euros généré par la relation
CA global en euros
Pourcentage du CA de la relation par rapport au CA global
2011
953
400 174,71
0,23
2012
7 796,08
501 113,33
1,56
2013
17 203,90
588 382,18
2.92
2014
146 442,06
645 624,77
22,68
2015
171 578,31
643 888,15
26,65
2016
148 846,53
527 232
28,23
2017
117 804,40
462 682,35
25,46
2018
59 074,70
317 346,54
18,61
Ces éléments révèlent que, marginale entre 2011 et 2013, la part du chiffre d'affaires dégagé par la SAS Vinologic durant sa relation commerciale avec l'EARL Guillaume Lefèvre a pris de l'ampleur en 2014 pour se stabiliser pendant quatre ans autour de 26 % avec néanmoins des variations notables selon les années, avant de connaître une forte baisse en 2018, dernière année complète des relations avec une ultime commande le 5 décembre 2018. Au regard de ces données, la seule diminution des commandes entamée en 2016 et particulièrement marquée en 2018, qui quoique sérieuse laissait subsister un volume d'affaires significatif, et l'absence de commande entre le 5 décembre 2018 et le 9 janvier 2019 ne peuvent suffire à établir la réalité d'un accord de principe sur une rupture courant décembre 2018 : si cette réduction suivie d'un arrêt des commandes, qui pouvait n'être que temporaire, peut traduire un ralentissement de la relation et atténuer la brutalité de la rupture, elle n'exprime à elle seule aucun mutuus dissensus.
L'unique élément matériel exprimant la rupture émane de l'EARL Guillaume Lefèvre qui, le 8 janvier 2019 (pièce 6 de la SAS Vinologic) a adressé à tous ses clients un courriel leur annonçant l'éviction de la SAS Vinologic et la reprise de la commercialisation en direct "d'ici la fin du mois", copie en étant envoyée à cette dernière le lendemain (pièce 35 de la SAS Vinologic). Ainsi, de manière univoque, l'EARL Guillaume Lefèvre a notifié le 9 janvier 2019 la rupture la relation commerciale le 31 janvier 2019 au plus tard. Le délai entre cette information et la cessation effective des relations ne peut s'analyser en un préavis puisque l'EARL Guillaume Lefèvre prévoyait la mise en place de la commercialisation en direct durant cette période ("la distribution des vins du [Adresse 3] ne passera dorénavant plus par Vinologic. ['] Nous travaillerons directement ensemble d'ici la fin du mois"), le 31 janvier apparaissant comme une date butoir indicative. Et, si la teneur du courriel de transmission du courriel circulaire induit une information antécédente de la SAS Vinologic, rien ne permet de la dater et de comprendre la nature des échanges antérieurs entre les parties sur ce point. C'est ainsi l'EARL Guillaume Lefèvre qui a rompu la relation sans préavis le 9 janvier 2019.
La rupture étant consommée à cette date, l'offre de reprise des relations faite le 31 janvier 2019 (pièce 8 de la SAS Vinologic) est tardive et inefficace. En outre, cette proposition, pour être pertinente et permettre une reconduction des conditions et modalités de collaboration habituelles, aurait dû être accompagnée d'une information parallèle des différents clients revenant sur celle délivrée le 8 janvier 2019, diligence nécessaire qui fait ici défaut. En pareil contexte, il est logique que la SAS Vinologic, par ailleurs objet d'une assignation en paiement signifiée le 19 février 2019 qui paraissait peu propice à une reprise du partenariat, n'ait pas répondu favorablement aux sollicitations de l'EARL Guillaume Lefèvre et des clients en février et mars 2019 (pièces 12 et 14 à 16 de cette dernière).
Il en est de même du préavis accordé par courrier du 15 février 2019 (pièce 8 de l'EARL Guillaume Lefèvre) qui était sans objet puisque la relation était déjà rompue.
Par ailleurs, si le défaut de paiement des cinq dernières factures est acquis, il ne caractérise pas à lui seul une faute suffisamment grave pour fonder une rupture sans préavis alors que :
- la SAS Vinologic, conformément à l'engagement pris en février 2018 (pièce 7 de l'EARL Guillaume Lefèvre), a réduit au cours de l'année 2018 ses encours, qui atteignaient 63 691,20 euros en juillet 2017 (pièce 28/09 de la SAS Vinologic) au montant de ces factures de 6 853,46 euros au total ;
- le retard de paiement était de peu d'importance au jour de la notification de la rupture.
Et, rien n'étaye le grief tiré de l'absence de mise en valeur des vins de l'EARL Guillaume Lefèvre et d'actualisation des cartes fournies aux clients.
Aussi, c'est sans motif valable que l'EARL Guillaume Lefèvre a rompu brutalement la relation commerciale.
Au regard de la durée de la relation et du flux d'affaires qu'elle a généré ainsi que de la nature des produits commercialisés et des variations importantes dans la production et la distribution qu'elle implique ainsi que de la baisse significative des commandes amorcée en 2016 et aggravée en 2018, de l'absence de tout élément fourni par la SAS Vinologic, qui n'allègue aucun état de dépendance économique, quoique la part de chiffre d'affaires généré par la relation soit important, et ne bénéficiait d'aucune exclusivité, sur la structure du marché sur lequel elle intervient, l'état de la concurrence et ses possibilités concrètes de réorganisation de son activité, le préavis suffisant pour permettre le redéploiement de celle-ci était de quatre mois.
Le préjudice subi par la SAS Vinologic est constitué de son gain manqué qui correspond à la marge sur coûts variables, définie comme la différence entre le chiffre d'affaires dont la victime a été privée sous déduction des charges qui n'ont pas été supportées du fait de la baisse d'activité résultant de la rupture, appliquée au chiffre d'affaires moyen hors taxe qui aurait été généré pendant la durée du préavis éludé.
En l'absence de débat entre les parties sur ce point, le taux de marge de 35 % avancé par la SAS Vinologic sera retenu. Au regard des données comptables et financières déjà examinées, la période pertinente pour déterminer le chiffre d'affaires auquel appliquer ce taux de marge correspond aux exercices 2016 à 2018 qui sont suffisamment représentatives de la relation commerciale en son ensemble et de son évolution. Sur ces trois années, il était de 325 725,63 euros, soit 9 047,93 euros par mois en moyenne. Le préjudice de la SAS Vinologic s'établit ainsi à la somme de 12 667,11 euros.
En conséquence, le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a rejeté la demande reconventionnelle de la SAS Vinologic au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies et l'EARL Guillaume Lefèvre sera condamnée à payer à cette dernière la somme de 12 667,11 euros. La demande de compensation judiciaire présentée devant les premiers juges ne l'étant plus en cause d'appel, celle-ci ne sera pas ordonnée.
En revanche, le courriel du 8 juin 2019 se réduisant à l'information objective des clients sur la cessation des relations, qui est par principe libre et n'est pas en elle-même génératrice d'un préjudice, sans la moindre évocation de ses causes et appréciation sur la qualité des prestations fournies par la SAS Vinologic, le préjudice d'image qu'elle allègue sans l'étayer n'est démontré ni en son principe ni en sa mesure.
En conséquence, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de la SAS Vinologic au titre de son préjudice d'image.
Par ailleurs, conformément à l'article L. 442-6 III du code de commerce dans sa version applicable au litige, la juridiction ordonne systématiquement la publication, la diffusion ou l'affichage de sa décision ou d'un extrait de celle-ci selon les modalités qu'elle précise. Elle peut également ordonner l'insertion de la décision ou de l'extrait de celle-ci dans le rapport établi sur les opérations de l'exercice par les gérants, le conseil d'administration ou le directoire de l'entreprise. Les frais sont supportés par la personne condamnée.
Au regard de la nature des faits et de l'absence de toute atteinte à l'image de la SAS Vinologic qui aurait pu fonder une diffusion élargie de l'arrêt, la mesure, de droit, sera réduite à un affichage par l'EARL Guillaume Lefèvre, sur la porte d'entrée de son siège social, d'un communiqué judiciaire pendant une semaine à compter de son prononcé selon les modalités précisées dans le dispositif.
3°) Sur les frais irrépétibles et les dépens
Les dispositions du jugement entrepris relatives aux frais irrépétibles et aux dépens seront infirmées.
Succombant, l'EARL Guillaume Lefèvre, dont la demande au titre des frais irrépétibles sera rejetée, sera condamnée à supporter les entiers dépens d'appel qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile ainsi qu'à payer à l'EARL Guillaume Lefèvre la somme de 1 800 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire mis à la disposition des parties au greffe,
Constate que la Cour n'est saisie d'aucun appel principal ou incident concernant la demande en paiement des factures et le point de départ des intérêts moratoires de la créance définitivement jugés par le tribunal de commerce de Marseille dans le jugement entrepris ;
Déclare irrecevables comme nouvelles en cause d'appel les demandes de l'EARL Guillaume Lefèvre tendant à la condamnation de la SAS Vinologic à lui payer les sommes de 16 250 euros au titre du non-respect du préavis de résiliation et de 1 500 euros au titre de la résistance abusive à paiement ;
Confirme le jugement entrepris en ses dispositions soumises à la Cour, sauf en ce qu'il a rejeté la demande reconventionnelle de la SAS Vinologic au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies (hors atteinte à l'image) et condamné cette dernière au paiement des frais irrépétibles et des dépens ;
Statuant à nouveau,
Condamne l'EARL Guillaume Lefèvre à payer à la SAS Vinologic la somme de 12 667,11 euros en réparation du préjudice causé par la rupture brutale de leurs relations commerciales établies ;
Ordonne l'affichage par l'EARL Guillaume Lefèvre, sur la porte d'entrée de son siège social pendant une semaine à compter du prononcé de l'arrêt, de la communication judiciaire suivante :
"Par arrêt du 18 octobre 2023, la cour d'appel de Paris, saisie d'un appel formé par la SAS Vinologic contre le jugement rendu le 13 février 2020 par le tribunal de commerce de Marseille, a condamné l'EARL Guillaume Lefèvre à payer une somme de 12 667,11 euros à la SAS Vinologic en réparation du préjudice causé par la rupture brutale de leurs relations commerciales établies" ;
Dit que cette communication sera reproduite sur une page format A4 en police Times New Roman de taille 48 sans ajout, précision ou commentaire autre que le titre "Affichage judiciaire" reproduit en entête dans la même police en taille 72 et en caractère gras ;
Y ajoutant,
Ordonne, dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil, la capitalisation des intérêts générés par la créance de 6 853,46 euros à compter de la demande en justice et dus par la SAS Vinologic à l'EARL Guillaume Lefèvre en exécution du jugement entrepris ;
Rejette la demande de l'EARL Guillaume Lefèvre au titre des frais irrépétibles ;
Condamne l'EARL Guillaume Lefèvre à payer à la SAS Vinologic la somme de 1 800 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne l'EARL Guillaume Lefèvre à supporter les entiers dépens d'appel qui seront recouvrés directement par Maître Audrey Gusdorf conformément à l'article 699 du code de procédure civile.