CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 25 octobre 2023, n° 23/12086
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Vetir (SAS)
Défendeur :
Oncle Tom (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Dallery
Conseillers :
Mme Depelley, M. Richaud
Avocats :
Me Lallement, Me Fontaine, Me Bernabe
FAITS ET PROCEDURE
La société Vêtir a pour activité la commercialisation de vêtements et d'accessoires de mode auprès du grand public, en particulier dans les magasins à enseigne Gémo.
La société Oncle Tom a pour activité le commerce de gros, d'habillements et de chaussures en France dans le domaine de la femme et de l'homme.
Depuis 2012, la société Vêtir a régulièrement passé des commandes auprès de la société Oncle Tom pour l'achat de chemises pour hommes afin de les commercialiser dans les magasins à l'enseigne Gémo. Avant chaque commande, un cahier des charges était établi par la société Vêtir et signé par la société Oncle Tom, qui en retour procédait à la présentation de tissus et communiquait ses prix.
En décembre 2021, à la demande de la société Vêtir, la société Oncle Tom a communiqué ses prix pour la collection hiver 2022. Estimant les tarifs trop élevés, la société Vêtir a informé la société Oncle Tom ne pas pouvoir donner suite à son offre commerciale.
Par lettre du 24 mai 2022, la société Oncle Tom a demandé à la société Vêtir le paiement de la somme de 114 350 € en indemnisation de la rupture brutale de la relation commerciale dont elle a été victime.
Par lettre du 13 juillet 2022, la société Vêtir a fait savoir à la société Oncle Tom qu'elle n'entendait pas donner suite à cette demande d'indemnisation.
Par acte du 2 août 2022, la société Oncle Tom a assigné la société Vêtir devant le tribunal de commerce Rennes aux fins d'être indemnisée de la somme de 84.350 euros à la suite de la rupture brutale de la relation commerciale par la société Vêtir, outre 30 000 euros en remboursement de "frais engagés". La société Vêtir a soulevé in limine litis l'incompétence du tribunal de commerce de Rennes au motif qu'il existe une clause attributive de juridiction au profit du tribunal de commerce de Paris.
Par jugement du 11 juillet 2023, le tribunal de commerce de Rennes a :
Débouté la société Vêtir de sa demande aux fins d'incompétence,
S'est déclaré compétent pour juger du litige opposant les sociétés Oncle Tom et Vêtir,
Renvoyé les parties à conclure sur le fond,
Dit qu'à défaut d'appel dans le délai prescrit par l'article 80 du CPC, les parties seront invitées à se présenter à l'audience publique du 5 octobre 2023 à 14h00 afin d'être entendues en leurs plaidoiries,
Condamné la société Vêtir à payer à la société Oncle Tom la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Réservé les dépens, sauf ceux du greffe qui seront mis à la charge de la société VÊTIR - Liquidé les frais de greffe à la somme de 81,29 € tels que prévu aux articles 695 et 701 du Code de Procédure Civile.
Par déclaration reçue au greffe de la Cour le 24 juillet 2023, la société Vêtir a interjeté appel de ce jugement et a été autorisée par ordonnance du 25 juillet 2023 à assigner à jour fixe pour l'audience du 3 octobre 2023.
Au terme de ses dernières conclusions aux fins d'incompétence, déposées le 24 juillet 2023 et signifiées le 16 août 2024, la société Vêtir demande à la Cour de :
Vu les articles 48, 73, 81, 84 et 700 du code de procédure civile,
Vu les articles L. 442-4 et D. 442-2 du code de commerce,
Réformer en toutes ses dispositions le Jugement dont appel,
Et statuant de nouveau :
Juger que le tribunal territorialement compétent pour connaître du présent litige est le tribunal de commerce de Paris,
En conséquence :
Déclarer le tribunal de commerce de Rennes incompétent au profit du tribunal de commerce de Paris,
Renvoyer les parties à mieux se pourvoir,
En tout état de cause :
Condamner la société Oncle Tom à verser à la société Vêtir la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamner la société Oncle Tom aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Au terme de ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 18 septembre 2023, la société Oncle Tom demande à la Cour de :
Vu les articles L. 442-1, L. 442-4 et D. 442-2 du code de commerce,
Vu l'annexe 4-2-1 de la partie réglementaire du même code,
Vu les pièces versées aux débats,
Juger recevable mais mal fondé l'appel de la société Vêtir et le rejeter,
Confirmant le jugement rendu le 11 juillet 2023 par le tribunal de commerce de Rennes,
Juger que seul le tribunal de commerce de Rennes est compétent pour statuer sur les demandes formées par la société Oncle Tom à l'encontre de la société Vêtir,
Renvoyer en conséquence les parties devant le tribunal de commerce de Rennes pour qu'il soit statué au fond sur les demandes de la société Oncle Tom,
Condamner la société Vêtir à payer la société Oncle Tom la somme de 5 000,00 Euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Condamner la société Vêtir en tous les dépens de première instance et d'appel.
La Cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIVATION
Sur l'exception d'incompétence
Exposé des moyens des parties
La société Vêtir fait valoir en substance que les relations commerciales étaient encadrées par un cahier des charges établi par la société Vêtir et signé chaque année par la société Oncle Tom réitérant son engagement à respecter l'ensemble des dispositions, dont la clause attribuant compétence aux juridictions parisiennes (article 13) pour les litiges survenant entre les parties "à propos de la validité, de l'interprétation, de l'exécution, de l'inexécution, ou des suites du présent contrat". Elle soutient que cette clause est opposable aux parties en ce que le tribunal de commerce de Paris est une juridiction spécialement désignée par l'article D. 442-2 du code de commerce pour connaître des litiges relatifs à l'application de l'article L. 442-1 II du code de commerce.
La société Oncle Tom réplique pour l'essentiel que s'il est possible de déroger par contrat aux règles légales de compétence territoriale, cette possibilité de dérogation a pour limite les règles d'ordre public en la matière. Selon elle, il n'est pas contestable que le législateur a entendu faire des dispositions des articles L. 442-4 et D. 442-2 des règles d'ordre public, dès lors que, d'une part, il s'agit de dispositions spéciales qui priment sur la règle générale posée par l'article 48 du code de procédure civile et, d'autre part, il n'a prévu aucun mécanisme dérogatoire, légal ou conventionnel. Elle en déduit, que si la juridiction de Paris est dotée du pouvoir juridictionnel de juger ce type de contentieux, les textes précités définissent clairement et, sans mention d'une possibilité de dérogation, la juridiction compétente par secteur territorial, en sorte que la société Vêtir défenderesse ayant son siège social à [Adresse 5] dans le ressort de la Cour d'appel d'Angers, le tribunal de commerce de Rennes est le seul spécialement désigné pour ce ressort et pour connaître du litige opposant les parties.
Réponse de la Cour,
Des pièces versées aux débats par la société Vêtir et des explications des parties, il ressort que les relations commerciales étaient encadrées chaque année par un cahier des charges établi par la société Vêtir et signé par la société Oncle Tom.
Le cahier des charges textile 2022, signé par la société Oncle Tom le 15 mars 2022, comprend explicitement la clause attributive de compétence suivante :
"Le droit applicable en cas de litige, est le droit français.
Au cas où un litige viendrait à survenir entre les parties à propos de la validité, de l'interprétation, de l'exécution, de l'inexécution, ou des suites du présent contrat, les parties conviennent de tenter de résoudre celui-ci de façon amiable en toute confidentialité. Le Fournisseur pourra faire appel au médiateur interne de GEMO, en envoyant un email à l'adresse [Courriel 4], afin de chercher une solution à l'amiable.
Si le désaccord persiste, les parties conviennent de ce que le litige sera de la compétence exclusive des Juridictions compétentes de [Localité 6], nonobstant pluralité de défendeurs ou appel en garantie, même pour les procédures d'urgences ou les procédures conservatoires en référé ou par requête."
La société Oncle Tom ne conteste pas que cette clause est bien stipulée entre les parties mais s'oppose à la désignation du tribunal de commerce Paris en ce que celui-ci n'est pas spécialement désigné pour un litige relevant du ressort de la cour d'appel d'Angers en raison du siège social de la société défenderesse en application des articles d'ordre public L. 442-4, D. 442-2 et l'annexe 4-2-1 du code de commerce, mais le tribunal de commerce de Rennes.
D'abord, si les dispositions de l'article L. 442-4 III du code de commerce, attribuant le pouvoir juridictionnel pour les litiges relatifs à l'application des articles L. 442-1 à L. 442-3 aux juridictions désignées par l'article D. 442-2 du même code, ne peuvent être mises en échec par une clause attributive de juridiction (en ce sens Com., 1 mars 2017, pourvoi n° 15-22.675, Bull. 2017, IV, n° 29 pour l'application de l'article L. 442-6 ancien), tel n'est pas le cas en l'espèce de la clause attributive de compétence régissant les relations entre les parties dès lors qu'elle attribue compétence aux juridictions parisiennes disposant du pouvoir juridictionnel pour connaître des litiges relevant de l'article L. 442-1 du même code.
Ensuite, la clause litigieuse étant rédigée en des termes suffisamment larges incluant "les suites du contrat", elle est applicable au contentieux de la rupture brutale des relations commerciales nouées entre les parties et encadrées par les cahiers des charges établis chaque année.
Dès lors, le tribunal de commerce de Paris est compétent pour connaître du litige opposant les parties.
En conséquence, il convient d'infirmer le jugement du tribunal de Rennes en ce qu'il a débouté la société Vêtir de sa demande aux fins d'incompétence et de se déclarer compétent pour juger le litige.
Sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile.
Le jugement sera infirmé en ce qu'il a condamné la société Vêtir aux dépens de première instance (frais de greffe) et à payer à la société Oncle Tom la somme de 2500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La société Oncle Tom, partie perdante, sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel.
En application de l'article 700 du code de procédure civile, la société Oncle Tom sera déboutée de sa demande et sera condamnée à verser à la société Vêtir la somme de 5 000 euros.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Infirme le jugement en toutes ses dispositions soumises à la Cour,
Statuant de nouveau et y ajoutant,
Déclare le tribunal de commerce de Paris compétent pour statuer sur le litige opposant les parties ;
Renvoie la cause et les parties devant ce tribunal et ordonne la transmission du dossier par le greffe avec une copie de la décision de renvoi ;
Condamne la société Oncle Tom aux dépens de première instance et d'appel ;
Condamne la société Oncle Tom à payer à la société Vêtir la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Rejette toute autre demande.