Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 25 octobre 2023, n° 23/06875

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Betrancourt (SAS)

Défendeur :

SPIE Batignolles Énergie (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Dallery

Conseillers :

Mme Depelley, M. Richaud

Avocats :

Me Guyonnet, Me Obajtek, Me Facon, Me Fromantin, Me du Hays

Paris, du 11 janv. 2023, n° 22/04148

11 janvier 2023

FAITS ET PROCEDURE

La société Betrancourt a pour activité la conception et la fabrication de vêtements de travail. A partir du 23 décembre 2016, elle a commencé à entretenir des relations commerciales avec la société Spie Batignolles Energie, portant sur la fourniture d'équipements de chantier.

En avril 2018, des négociations ont eu lieu entre les parties en vue de la conclusion d'un contrat cadre, mais elles n'ont pas abouti. Les relations se sont néanmoins poursuivies.

Par lettre du 12 novembre 2018, la société Betrancourt a écrit à la société Spie Batignolles Energie pour lui demander de payer des factures échues d'un montant de 143.942 €, regretter qu'elle se soit adressée à un autre fournisseur et solliciter la reprise des stocks importants réalisés à sa demande.

Puis, par lettre recommandée du 15 mai 2019 avec avis de réception, la société Betrancourt a mis en demeure la société Spie Batignolles Energie de lui payer la somme de 16.753,29 € correspondant à une facture impayée, des indemnités de retard dues sur des factures antérieures et une indemnité forfaitaire de recouvrement, et de reprendre les stocks de matière première et de produits finis. Elle ajoutait qu'elle se réservait la possibilité d'agir en réparation du préjudice causé par la brutalité de la rupture des relations.

Ses relances par courriels des 17 et 27 mai 2019 n'ont pas été suivies d'effet.

C'est dans ce contexte que le 4 octobre 2019, la société Betrancourt a fait assigner la société Spie Batignolles Energie à bref délai devant le tribunal de commerce de Lille.

Par jugement réputé contradictoire du 19 décembre 2019, le tribunal a condamné la société Spie Batignolles Energie à payer à la société Betrancourt les sommes de 1.554,42 € et 1.800 € au titre de deux factures non réglées, la somme de 12.440 € au titre des intérêts et indemnités de retard ainsi que la somme de 1.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile. Il a débouté la société Betrancourt de ses autres demandes, à savoir sa demande en paiement d'une facture adressée à Sogintel ainsi que ses demandes de dommages-intérêts au titre des stocks non repris, de la rupture brutale des relations commerciales établies et pour résistance abusive.

La société Betrancourt ayant relevé appel de ce jugement, la Cour d'appel de Paris par un arrêt rendu par défaut le 12 janvier 2022, a :

Confirmé le jugement en ce qu'il a condamné la société Spie Batignolles Energie à payer à la société Betrancourt les sommes de 1.554,42 € et 1.800 € au titre des factures non réglées ainsi que la somme de 12.440 € au titre des intérêts et indemnité de retard de règlement ;

Infirmé le jugement pour le surplus et, statuant à nouveau, condamné la société Spie Batignolles Energie à payer à la société Betrancourt :

- les sommes de 5.494,30 € HT et 77.568,83 € HT, à titre de dommages-intérêts, pour stocks non repris (matières premières et produits finis),

- la somme de 10.000 € pour rupture brutale de la relation établie,

- la somme de 7.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Débouté la société Betrancourt de toutes ses autres demandes,

Condamné la société Spie Batignolles Energie aux dépens de première instance et d'appel.

La société Spie Batignolles Energie a formé opposition à cet arrêt le 17 février 2022 suivant arrêt rendu à nouveau par défaut le 11 janvier 2023, la Cour a :

Reçu la société Spie Batignolles Energie en son opposition à l'arrêt du 12 janvier 2022 et rétracté l'arrêt rendu le 12 janvier 2022,

Confirmé le jugement, sauf en ce qu'il a condamné la société Spie Batignolles Energie à payer à la société Betrancourt la somme de 12.440 € au titre des intérêts et indemnités de retard de règlement et en ce qu'il a débouté la société Betrancourt de sa demande au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies,

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant, condamné la société Spie Batignolles Energie à payer à la société Betrancourt la somme de 8.566 € au titre des intérêts et indemnités de retard de règlement ainsi que la somme de 8.000 € pour rupture brutale des relations commerciales établies,

Débouté la société Betrancourt de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamné la société Betrancourt aux dépens d'appel.

Par déclaration au greffe du 7 avril 2023, la société Betrancourt a formé opposition aux fins de rétractation de l'arrêt rendu par défaut le 11 janvier 2023.

Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 30 août 2023, la société Betrancourt demande à la Cour, au visa :

des articles 571, 573 et 574 du code de procédure civile, ensemble les articles 473 et 536 de ce code,

des articles 1103 et suivants du code civil,

des articles 1231-2 et 1231-6 du code civil,

de l'article L. 442-6 du code de commerce (ancienne rédaction),

de l'article L. 441-6 du code de commerce (ancienne rédaction),

des articles 699 et 700 du code de procédure civile,

De la déclarer recevable et bien fondée en son opposition, constater le caractère motivé de sa déclaration d'opposition et rétracter l'arrêt du 11 janvier 2023,

En conséquence, de :

- lui donner acte de ce qu'elle se réserve le droit de soulever ultérieurement toutes exceptions de procédure, fins de non-recevoir ou tous autres moyens tirés de la signification de l'opposition qui aurait été faite par la société Spie Batignolles Energies,

- enjoindre à la société Spie Batignolles Energies de lui communiquer tous actent de procédure et pièces qu'elle a régularisés ou produits dans le cadre de son opposition,

- déclarer irrecevable l'opposition introduite par la société Spie Batignolles Energie contre l'arrêt rendu le 11 janvier 2023,

- en tant que de besoin, maintenir les dispositifs de l'arrêt du 11 janvier 2022 et confirmer celui-ci en ce qu'il a :

* confirmé le jugement en ce qu'il a condamné la société Spie Batignolles Energie à payer à la société Betrancourt les sommes de 1.554,42 € et 1.800 € au titre des factures impayées ainsi que la somme de 12.440 € au titre des intérêts et indemnités de retard de règlement,

* infirmé le jugement pour le surplus et statuant à nouveau :

* condamné la société Spie Batignolles Energie à payer à la société Betrancourt les sommes de 5.494,30 € HT et 77.568,83 € HT, à titre de dommages-intérêts pour stocks non repris (matières premières et produits finis), la somme de 10.000 € pour rupture brutale de la relation établie et celle de 7.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

* débouté la société Betrancourt de toutes ses autres demandes,

* condamné la société Spie Batignolles aux dépens de première instance et d'appel,

En tout état de cause, si la cour déclarait recevable l'opposition de la société Spie Batignolles Energies :

- sur les chefs non critiqués du jugement du 19 décembre 2019 , de confirmer la condamnation de la société Spie Batignolles Energie au règlement :

des sommes de 1.554,42 € HT (facture FA 117206) et 1.800 € HT (facture FA 117618),

de la somme de 12.440 € HT, au titre des indemnités pour frais de recouvrement, s'agissant des 72 factures réglées avec retard ou non encore réglées,

- sur les chefs critiqués du jugement sur lesquels porte l'appel, infirmer le jugement et condamner la société Spie Batignolles Energie à payer à la société Bétrancourt :

la somme de 494,87 €, s'agissant de la facture n° 118693,

la somme de 464 € au titre des intérêts et indemnités pour frais de recouvrement des 7 autres factures réglées en retard ou non encore réglées,

les sommes de 5.494,30 € HT et 77.568,83 € HT, à titre de dommages-intérêts, s'agissant des stocks non repris (matières premières et produits finis),

la somme de 18.225 € au titre de la brutalité de la rupture des relations commerciales,

la somme de 15.000 € au titre de la résistance abusive,

la somme de 10.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, les entiers dépens étant à la charge de la société Spie Batignolles Energie.

Aux termes de ses dernières conclusions déposées et notifiées le 30 juin 2023, la société Spie Batignolles Energie demande à la cour, au visa des articles 571, 573 et 574 du code de procédure civile, de :

A titre principal :

- rejeter comme irrecevable l'opposition formée par la société Betrancourt compte tenu de son défaut d'intérêt à agir,

- en conséquence, confirmer l'arrêt rendu le 11 janvier 2023,

A titre subsidiaire :

- juger que les moyens soulevés par la société Betrancourt à l'appui de sa demande d'opposition sont mal fondés,

- en conséquence, confirmer l'arrêt rendu le 11 janvier 2023,

En tout état de cause, condamner la société Betrancourt aux dépens et à lui payer la somme de 5.000 € (sans autre précision).

L'ordonnance de clôture a été rendue le 5 septembre 2023.

MOTIVATION

Sur la recevabilité de l'opposition formée par la société Betrancourt contre l'arrêt du 11 janvier 2023 :

Pour conclure à l'irrecevabilité de cette opposition, la société Spie Batignolles Energie rappelle les dispositions de l'article 571 du code de procédure civile, qui permettent au défendeur défaillant de former opposition contre une décision rendue en dernier ressort, mais souligne que l'opposant doit justifier d'un intérêt à agir. Elle allègue qu'en l'absence de toute condamnation prononcée à son encontre par l'arrêt du 11 janvier 2023, la société Betrancourt ne démontre pas un intérêt à agir.

La société Betrancourt réplique que dans son arrêt du 11 janvier 2023, la Cour n'a pas fait droit à plusieurs chefs de demandes, notamment sa demande de dommages-intérêts au titre des stocks non repris, ce qui lui cause grief et justifie de son intérêt à agir.

Il apparaît que dans l'instance ayant abouti au second arrêt du 11 janvier 2023, la société Betrancourt, ni représentée ni assistée devant la Cour, n'a pu soutenir ses demandes formulées devant le tribunal et ensuite devant la Cour lors de la procédure ayant abouti au premier arrêt du 12 janvier 2022. Dès lors elle justifie d'un intérêt à agir dans le cadre de son opposition formée contre l'arrêt du 11 janvier 2023 ; son opposition doit être déclarée recevable.

Sur la demande de la société Betrancourt tendant à voir déclarer irrecevable l'opposition formée par la société Spie Batignolles contre l'arrêt du 12 janvier 2022 :

En préliminaire, il convient de préciser qu'il n'y a pas lieu de donner acte à la société Betrancourt de ce qu'elle se réserve le droit de soulever ultérieurement toutes exceptions de procédure, fins de non-recevoir ou tous autres moyens de droit tirés de la signification de l'opposition faite par la société Spie Batignolles Energie ; en effet un tel "donner acte" est dépourvu de toute conséquence juridique.

Il est inutile d'enjoindre à la société Spie Batignolles Energie de communiquer les actes de procédure relatifs à son opposition, l'arrêt du 11 janvier 2023 mentionnant que par acte du 17 août 2022 délivré à l'étude de l'huissier instrumentaire, la société Spie Batignolles Energie a fait assigner la société Betrancourt devant la Cour pour l'audience du 9 novembre 2022, lui délivrant copie de sa déclaration d'opposition et son annexe ainsi que copie de ses conclusions aux fins de rétractation déposées au greffe de la Cour le 8 août 2022.

La société Betrancourt prétend que l'arrêt du 11 janvier 2023 est improprement qualifié d'arrêt rendu par défaut, puisque l'assignation comportant sa déclaration d'appel et ses conclusions d'appelante ont été signifiées à la société Spie Batignolles Energie le 17 juin 2020 par acte d'huissier de justice dont le procès-verbal mentionne qu'il a été remis à personne; elle en déduit que l'arrêt aurait dû être qualifié de réputer contradictoire. Se fondant sur l'article 536 du code de procédure civile qui dispose que la qualification inexacte d'une décision par les juges qui l'ont rendue est sans effet sur le droit de recours, elle soutient que l'arrêt aurait dû être qualifié de réputer contradictoire et qu'il ne pouvait faire l'objet que d'un pourvoi en cassation.

Mais c'est à juste raison que la société Spie Batignolles Energie fait valoir que la signification à une personne morale est faite à personne lorsque l'acte est délivré à son représentant légal ou à toute autre personne habilitée à cet effet.

Le procès-verbal de signification du 17 juin 2020 relate de façon claire et précise qu'à cette date l'huissier de justice s'est présenté au siège de la société Spie Batignolles Energie, [Adresse 2], que la personne rencontrée lui a confirmé le siège social et lui a déclaré ne pas avoir été habilitée à recevoir les actes de signification, que la signification à personne s'avérant impossible, il a remis copie de l'acte , laissé un avis de passage et adressé ensuite l'avis de signification prévu à l'article 658 du code de procédure civile.

L'arrêt du 11 janvier 2023 ayant été rendu par défaut, l'opposition formée par la société Spie Batignolles Energie était recevable.

Sur le fond du litige :

Par application de l'article 571 du code de procédure civile, l'opposition de la société Betrancourt tend à faire rétracter l'arrêt rendu par défaut du 11 janvier 2023, lequel avait lui-même eu pour effet de rétracter l'arrêt rendu par défaut le 12 janvier 2022.

L'article 572 du code de procédure civile dispose en son alinéa 1 que : "L'opposition remet en question, devant le même juge, les points jugés par défaut pour qu'il soit à nouveau statué en fait et en droit."

Il convient en conséquence d'examiner le bien ou mal fondé des demandes de chacune des parties.

* S'agissant des sommes réclamées par la société Betrancourt au titre des factures impayées :

La société Betrancourt demande la confirmation du jugement qui a condamné la société Spie Batignolles Energie à lui payer les sommes de 1.554,42 € et 1.800 €; elle réclame en outre la somme de 494,87 € , montant d'une facture n° 118693.

La société Spie Batignolles Energie ne conteste que la facture de 494,87 € parce que libellée à l'ordre d'une société tierce Sogintel (Société générale d'installations téléphoniques).

La société Betrancourt ne démontrant en aucune façon que la société Spie Batignolles Energie serait débitrice de la somme de 494,87 €, sa demande de ce chef sera rejetée.

* S'agissant des sommes réclamées par la société Betrancourt au titre des intérêts de retard et indemnités pour frais de recouvrement :

La société Betrancourt expose qu'elle avait demandé en première instance la somme de 12.904 € à ce titre et n'a pas fait appel sur la somme de 12.440 €, montant de la condamnation mise à la charge de la société Spie Batignolles Energie par le tribunal; elle en déduit que la Cour ne doit se prononcer que sur la somme de 464 € correspondant au règlement tardif ou à l'absence de règlement de 7 factures libellées au nom de la société Sogintel (pièce 8, annexe 2).

La société Spie Batignolles Energie réplique que la présente opposition portant sur l'arrêt du 11 janvier 2023 et non sur l'arrêt du 12 janvier 2022, la Cour est en droit de se prononcer sur le point relatif aux intérêts de retard ; elle fait valoir successivement :

- que le tableau versé aux débats par la société Betrancourt sous sa pièce 9 vise seulement 37 factures libellées à son ordre sur un total de 76 et que sur les 39 autres, les intérêts de retard ne peuvent être mis à sa charge,

- que les conditions générales de la société Betrancourt figurant au dos de ses factures n'ont pas de valeur contractuelle et ont été émises postérieurement à l'engagement des parties,

- qu'elle-même verse aux débats ses propres conditions générales annexées à ses bons de commande.

Sur ce,

Il convient de préciser que suite aux rétractations successives des arrêts du 12 janvier 2022 et 11 janvier 2023, la société Spie Batignolles Energie, intimée sur l'appel relevé par la société Betrancourt, est recevable à former une demande reconventionnelle pour voir juger qu'elle ne doit pas le montant de 12.440 € mis à sa charge par le jugement.

Il n'est pas contesté que les intérêts de retard et indemnités de recouvrement figuraient au dos des factures émises par la société Betrancourt et n'ont jamais été remis en cause par la société Spie Batignolles Energie avant la naissance du litige. Ces stipulations acceptées dès la première facture s'appliquaient donc tout au long de la relation contractuelle.

Le tableau sur lequel s'appuie la société Betrancourt, en pièce 8, liste 79 factures dont seulement 37 au nom de Spie Batignolles Energie, en sorte que les intérêts de retard et indemnités de recouvrement ne sont applicables qu'à ces 37 factures.

La société Spie Batignolles concluant à la confirmation de l'arrêt du 11 janvier 2023, il y a lieu de retenir ses propres calculs ayant abouti alors aux sommes de 7.086 € pour les intérêts de retard et 1.480 € pour les frais de recouvrement, soit au total la somme de 8.566 € qui sera mise à sa charge, étant observé que la société Betrancourt ne discute pas ce montant.

* S'agissant des demandes de dommages-intérêts au titre de l'absence de reprise des stocks :

La société Spie Batignolles Energie soulève le mal fondé de cette demande aux motifs :

- qu'aucun élément ne démontre qu'elle aurait donné son accord pour la reprise des stocks, ni au titre d'un montant,

- qu'il est impossible d'établir avec certitude la teneur exacte des stocks au jour où elle a fait connaître son souhait de ne pas donner suite aux pourparlers engagés, soit le 18 novembre 2018,

- que sur les photographies annexées au constat d'huissier de justice que la société Betrancourt a fait dresser un an et demi après la fin de leurs relations, aucune date de production ne figure sur les étiquettes collées sur les produits finis et une partie des dates figurant sur les étiquettes collées sur les sachets de matière première sont postérieures au 18 novembre 2018.

Sur ce,

Il ressort des pièces versées aux débats par la société Betrancourt que :

- dès le début de leurs relations, la société Spie Batignolles Energie lui a indiqué par courriel du 19 janvier 2017 que, "comme expliqué/convenu ....... il sera demandé au fournisseur retenu de stocker : 30 % sous forme de produits finis (pour des commandes de réassort livrables en quelques jours) et des métrés de tissus et accessoires équivalents à 30 % de produits finis...."; la demande de réponse mentionnée dans ce courriel ne portait que sur la proposition tarifaire ;

- dans son procès-verbal du 9 juin 2020, l'huissier de justice a constaté et photographié dans les entrepôts de la société Betrancourt les produits finis et matières premières correspondant à la liste remise par cette société, en précisant pour les produits finis que les blousons, tee shirts et sweats noirs étaient personnalisés comme portant la dénomination "Spie Batignolles";

- l'estimation de la valeur des stocks faite par la société Betrancourt, soit 77.568,83 € HT pour les produits finis et 5.494,30 € HT pour les matières premières a été certifiée conforme par son commissaire aux comptes.

La société Spie BatignollesEnergie, qui avait demandé à la société Betrancourt de constituer des stocks en vue de ses commandes à intervenir, qui a rompu les relations le 18 novembre 2018 et refusé de reprendre les stocks ainsi constitués, doit réparer le préjudice résultant de son refus en payant à la société Betrancourt les sommes correspondant à leur valeur ci-dessus.

* S'agissant de la demande de dommages-intérêts pour rupture brutale de la relation commerciale établie :

La société Betrancourt demande la somme de 18.225 €, à titre de dommages-intérêts, sur le fondement de l'article L. 442-6-1 5° ancien du code de commerce, applicable en la cause ; elle expose :

- que les relations commerciales étaient établies et constantes à compter de décembre 2016, générant un volume de prestations de plus de 250.000 € par an,

- que la société Spie Batignolles Energie ne lui a pas adressé de préavis écrit et l'a laissée dans l'expectative en poursuivant ses commandes jusqu'en février 2019,

- que le préavis aurait dû être de 3 mois et que son préjudice doit être calculée sur la base de la moyenne du chiffre d'affaire du dernier exercice, soit 250.000 € et une marge bénéficiaire brute de 29,16 %.

La société Spie Batignolles Energie conclut sur ce point à la confirmation de l'arrêt du 11 janvier 2023, lequel l'a condamnée à payer la somme de 8.000 €, à titre de dommages-intérêts, en estimant qu'un préavis de 2 mois aurait dû être respecté.

Elle souligne que les relations ont débuté en décembre 2016, que les pourparlers initiés en avril 2018 en vue d'un partenariat à l'échelle du groupe Spie Batignolles ont échoué, que la société Betrancourt savait à compter de novembre 2018 qu'elle ne ferait plus appel à ses services, que cependant les commandes ont été maintenues jusqu'en février 2019 - ce qui équivaut au respect d'un préavis- et que l'ensemble de ces éléments doivent être pris en considération pour apprécier l'impact réel de la rupture.

Elle ajoute que l'attestation produite par la société Betrancourt ne fait état que de références de commandes sans qu'il soit possible de distinguer celles faites par la société Spie Batignolles Energies

Sur ce,

Il est constant qu'aucun préavis écrit n'a été adressé à la société Betrancourt avant la cessation des relations. Eu égard à la durée de la relation commerciale établie, soit environ deux ans, de sa nature et du temps nécessaire pour permettre à la société Betrancourt de se réorganiser en trouvant d'autres clients, le préavis aurait dû être de deux mois.

La société Betrancourt ne fournit qu'une attestation de son directeur administratif et financier, certifiée conforme par son commissaire aux comptes, intitulée "Spie - Facturation dotations vêtements 2018"; cette attestation, qui porte bien sur les commandes de la société Spie Batignolles Energie, mentionne un chiffre d'affaires total de 239.894 € et un taux de marge brute de 29,16 %; la société Spie Batignolles Energie ne conteste pas l'application d'un taux de marge brute.

En conséquence, au regard des éléments d'appréciation qui lui sont soumis, la Cour évalue à 11.659 € le préjudice subi du fait de la brutalité de la rupture.

* S'agissant de la demande de dommages-intérêts pour résistance abusive :

La société Betrancourt demande la somme de 15.000 €, à titre de dommages-intétêts; elle reproche à la société Spie Batignolles Energie un comportement de mauvaise foi pour :

- l'avoir payée en retard, de façon quasiment continue, alors qu'elle bénéficiait de délais de règlement dérogatoires (60 jours au lieu de 30),

- avoir rompu sans délai et sans forme les relations établies depuis plusieurs années,

- avoir laissé sans réponse ses nombreuses mises en demeure et relances entre le 12 novembre 2018, date de sa première mise en demeure, et le 7 novembre 2019, date de l'audience des plaidoiries.

Elle allègue que son préjudice réside dans le fait d'avoir subi le comportement de la société Spie Batignolles Energie.

Pour s'opposer à cette demande, la société Spie Batignolles Energie soutient :

- qu'elle n'a jamais fait preuve de mauvaise foi,

- que les griefs de la société Betrancourt ont déjà fait l'objet d'une indemnisation et que la société Betrancourt ne justifie donc pas d'un préjudice distinct de celui déjà réparé par les intérêts de retard et l'indemnité relative à la rupture brutale des relations commerciales.

Sur ce,

Concernant le retard dans le paiement de ses factures, la société Betrancourt ne démontre pas l'existence d'un préjudice distinct de celui déjà réparé par les intérêts de retard et les frais de recouvrement ; elle ne justifie pas plus d'un préjudice distinct de celui déjà réparé au titre de la brutalité de la rupture de la relation commerciale établie.

Si la société Spie Batignolles Energie s'est abstenue de répondre à ses mises en demeure et relances pendant près d'une année, la société Bretancourt ne rapporte pas la preuve du préjudice qui en serait résulté pour elle.

En conséquence, sa demande de dommages-intérêts sera rejetée.

* Sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile :

La société Spie Batignolles Energie qui succombe et reste débitrice envers la société Betrancourt doit supporter les dépens,

En application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civiel, il y a lieu d'allouer la somme de 8.000 € à la société Betrancourt et de débouter la société Spie Batignolles de sa demande à ce titre.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Déclare recevable l'opposition formée par la société Betrancourt contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris rendu par défaut le 11 janvier 2023,

Rétracte l'arrêt rendu le 11 janvier 2023 par la cour d'appel de Paris,

Confirme le jugement en ce qu'il a condamné la société Spie Batignolles Energie à payer à la société Betrancourt les sommes de 1.554,42 € et 1.800 € au titre de factures non réglées,

L'infirme pour le surplus et statuant à nouveau :

Condamne la société Spie Batignolles Energie à payer à la société Betrancourt :

- la somme de 8.566 € au titre des intérêts de retard et indemnités de recouvrement,

- les sommes de 5.494,30 € HT et 77.568,83 € HT, à titre de dommages-intérêts, s'agissant des stocks non repris de matières premières et de produits finis,

- la somme de 11.659 €, à titre de dommages-intérêts, pour rupture brutale de la relation commerciale établie,

Condamne la société Spie Batignolles Energie aux dépens de première instance et d'appel,

Condamne la société Spie Batignolles Energie à payer à la société Betrancourt la somme de 8.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Rejette toute autre demande.