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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 20 octobre 2023, n° 21/18061

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Allianz Iard (Sté)

Défendeur :

Centre de Relations Clients (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Ardisson

Conseillers :

Mme Primevert, Mme L'Eleu de La Simone

Avocats :

Me Fromantin, Me Cardon, Me Grévellec, Me Manhouli

T. com. Paris, du 13 sept. 2021, n° 19/3…

13 septembre 2021

La société Centre Relations Clients (CRC) a pour activités principales le télémarketing, la télévente, le développement d'application GRC (gestion de la relation client) et plus largement la gestion des relations clients et prospects.

Le 1er juin 2012, à l'issue d'un appel d'offres, la société Allianz Iard a confié à la société CRC la mise en place d'une plateforme téléphonique, à vocation commerciale et marketing, par la conclusion d'un contrat-cadre de prestation de services, pour une durée d'un an, tacitement reconductible sauf dénonciation par les parties deux mois avant la fin de l'année civile en cours.

Conformément aux modalités d'exécution prévues dans le contrat-cadre, onze contrats d'application ont ensuite été signés selon un modèle-type déterminé par l'annexe 2 du contrat, pour la période du 1er juin 2012 au 28 novembre 2014.

Par courriel du 25 novembre 2014, la société Allianz Iard, souhaitant faire évoluer le centre d'appels téléphoniques, a informé la société CRC du lancement d'un nouvel appel d'offres et l'a invitée à y participer.

Suivant courriel du 15 janvier 2015, la société CRC a appris que sa candidature n'avait pas été retenue. A la suite d'un entretien sollicité par la société CRC, la société Allianz Iard a, par lettre du 22 avril 2015, décidé de résilier le contrat-cadre, en respectant un préavis de deux mois.

La société CRC a alors, par l'intermédiaire de son conseil, le 28 octobre 2015, mis en demeure la société Allianz Iard de lui payer la somme de 135.000 euros en réparation de son manque à gagner au titre du contrat-cadre et des contrats d'application qui auraient dû intervenir entre décembre 2014 et mai 2015 et entre juin 2015 et mai 2016.

La société Allianz Iard a, par lettre du 1er décembre 2015, contesté les griefs émis à son encontre et refusé d'accéder aux demandes indemnitaires de la société CRC.

Suivant exploit du 11 juin 2019, la société Centre Relations Clients a fait assigner la société Allianz Iard devant le tribunal de commerce de Paris afin d'obtenir des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la rupture brutale des relations commerciales établies.

Par jugement du 13 septembre 2021, le tribunal de commerce de Paris a :

Condamné la société Allianz Iard à payer à la société Centre de Relations Clients la somme de 30.749,25 euros à titre de dommages et intérêts pour absence de préavis,

Condamné la société Allianz Iard à payer à la société Centre de Relations Clients la somme de 4.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Débouté les parties de leurs demandes autres plus amples ou contraires,

Condamné la société Allianz Iard aux dépens.

La société Allianz Iard a formé appel du jugement par déclaration du 15 octobre 2021 enregistrée le 18 octobre 2021.

Suivant ses dernières conclusions transmises par le réseau privé virtuel des avocats le 12 mai 2023, la société Allianz Iard demande à la cour, au visa de l'article L. 442- 6, I, 5° (ancien) du code de commerce :

- d'infirmer le jugement rendu le 13 septembre 2021 par le Tribunal de commerce de Paris en ce qu'il a :

Condamné la SA Allianz Iard à payer à la SARL CRC la somme de 30.749,25 euros à titre de dommages et intérêts pour absence de préavis ;

Condamné la SA Allianz Iard à payer à la SARL CRC la somme de 4.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Débouté les parties de leurs demandes autre plus amples ou contraires ;

Condamné la SA Allianz Iard aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe.

Statuant à nouveau :

De débouter la société CRC de l'ensemble de ses demandes ; 

De condamner la société CRC à payer à Allianz Iard la somme de 10.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

De condamner la société CRC aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître Edmond Fromantin, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Suivant ses dernières conclusions transmises par le réseau privé virtuel des avocats le 19 avril 2023, la société Centre de Relations Clients demande à la cour, au visa des articles L. 442-6-1 5° du code de commerce dans sa version alors en vigueur, 1382 du code civil (actuel 1240 du code civil) :

De confirmer le jugement attaqué en ce qu'il condamne la société Allianz Iard à indemniser le Centre Relations Clients pour absence de préavis,

De réformer le jugement attaqué en ce qu'il a limité l'indemnisation du Centre Relations Clients à la somme de 30.749,25 euros,

Statuer à nouveau,

De condamner la société Allianz Iard à payer à la société Centre Relations Clients la somme de 97.950 euros en réparation de son préjudice avec intérêts aux taux légal à compter de la première mise en demeure,

De confirmer le jugement pour le surplus,

Y ajoutant,

De condamner la société Allianz Iard à payer à la société Centre Relations Clients la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

De condamner la même aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître Morgane Grevellec, conformément à l'article 699 du code de procédure civile,

De débouter la société Allianz de toute demande plus ample et/ou contraire.

La clôture a été prononcée suivant ordonnance en date du 25 mai 2023.

SUR CE, LA COUR,

Sur la demande au titre d'une rupture brutale de la relation commerciale établie

La société Allianz Iard conteste le caractère établi de la relation et en tout état de cause considère que la rupture de la relation n'est pas brutale. Elle soutient que dès lors que la vente de produits d'assurance par téléphone était désormais incluse dans le périmètre de la relation contractuelle, le constat d'une absence d'immatriculation à l'ORIAS, indispensable à l'activité d'intermédiation en assurance, s'avérait éliminatoire pour la société CRC.

La société Centre Relations Clients souligne que la répétition des contrats d'application s'inscrivant dans le champ du contrat cadre caractérise une relation établie des parties entre elles. Elle invoque un début des relations commerciales avec Allianz dès l'année 2010. Elle explique avoir été immatriculée à l'ORIAS et doute du motif d'éviction qui lui a été donné.

Aux termes de l'article L. 442-6 I 5° du code de commerce dans sa version applicable en la cause, antérieure à l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 :

« I. - Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers :

5° De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. (') Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure. (...) ; ».

Le champ d'application de ce texte est celui des relations commerciales établies, c'est-à-dire les cas où la relation commerciale entre les parties revêtait avant la rupture un caractère suivi, stable et habituel et où la partie victime de l'interruption pouvait raisonnablement anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaire avec son partenaire commercial.

Le texte précité vise à sanctionner, non la rupture elle-même, mais sa brutalité caractérisée par l'absence de préavis écrit ou l'insuffisance de préavis, lequel doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser en fonction de la durée, de la nature et des spécificités de la relation commerciale établie, du produit ou du service concerné.

La cour doit procéder à une appréciation in concreto des conditions de déroulement et de la spécificité de la relation.

L'objet du contrat cadre de prestations de services Plateforme Marketing est ainsi défini en son article 2 : « (') contrat de fourniture de prestations de services ayant pour objet la mise en place d'une plateforme téléphonique, à vocation commerciale et marketing par CRC à la demande d'Allianz. »

Il prévoyait en son article 4.1 « Durée du contrat cadre » les dispositions suivantes :

« Le présent contrat entre en vigueur à la date de sa signature par les parties et sera valable pour une durée d'un (1) an.

A l'issue de cette période, le contrat cadre se poursuivra par tacite reconduction annuelle sauf dénonciation par l'une ou l'autre des parties par lettre recommandée avec accusé de réception adressée deux (2) mois avant la fin de l'année civile en cours, le cachet de la poste faisant foi. »

L'article 11.2 « Résiliation anticipée (par convenance) » prévoyait :

« Allianz se réserve le droit de résilier le contrat à tout moment sans motif, par anticipation, sans indemnités, et sous réserve d'un préavis de deux (2) mois notifié par courrier recommandé avec avis de réception.

Durant ce préavis, le travail effectué par CRC jusqu'à la fin du préavis sera dû à CRC. »

Chacun des onze contrats d'application conclus par la suite entre Allianz Iard et la société CRC correspondait à une campagne de prise de rendez-vous téléphoniques, selon les besoins exprimés par Allianz. En effet, les intitulés de ces contrats d'application indiquent les différentes campagnes mises en œuvre, par exemple contrat d'application n° 001 « Campagne AFC Parcours Prospect GO-IDFC », contrat d'application n° 006 « Campagne APS-Artisans Commerçants 2013 », contrat d'application n°011 « Campagne ARC Relance offre ARC pour le réseau Collectives ». L'analyse du contrat cadre et des contrats d'application laisse apparaître que plusieurs mois pouvaient séparer les campagnes.

Aucun engagement de volume ni de nombre de contrats d'application ne figure dans le contrat cadre à la charge de la société Allianz Iard vis-à-vis de CRC.

L'appel d'offres lancé par la société Allianz Iard à la fin du mois de novembre 2014 portait sur « une consultation sur les centres d'appels téléphoniques » afin de « répondre à des besoins du Groupe sur de la vente de produits d'assurance et de la prise de rendez-vous » (courriel du 25 novembre 2014).

Il s'est déroulé en deux étapes :

Le Request for Information (RFI)

Le Request for Proposal (RFP).

Le courriel précisait en effet clairement « Le RFI a pour but d'obtenir des informations de votre Société et de vérifier si vos services correspondent aux contraintes d'Allianz. Une sélection restreinte recevront [sic] par la suite un RFP. »

La société CRC n'a pas été sélectionnée au terme de la première étape.

La relation commerciale entre la société Allianz Iard et la société CRC a duré deux ans et cinq mois ' 1er juin 2012 au courriel de novembre 2014 ' avant que la société Allianz n'avertisse la société CRC du lancement d'un nouvel appel d'offres. Les parties ont finalement entretenu une relation commerciale entre le 1er juin 2012 et le 23 juin 2015, la lettre recommandée avec accusé de réception adressée pour résiliation en application de l'article 11.2 du contrat étant datée du 20 avril 2015 et reçue le 22 avril 2015. Si la société CRC évoque une relation antérieure, dès le mois de septembre 2010, elle ne produit cependant qu'un tableau dressé par ses soins et non les factures dont il est fait état, dont certaines concerneraient d'ailleurs d'autres entités telles que Allianz Vie. Les pièces produites de part et d'autre confirment ainsi un début de relation au 1er juin 2012.

La relation commerciale a donc bien été encadrée par deux appels d'offres. Le second appel d'offres répondait à l'objectif annoncé de la compagnie d'assurances de faire évoluer le contenu et la gestion du centre d'appels téléphoniques.

La société CRC ne s'est pas émue du courriel adressé par la société Allianz Iard le 25 novembre 2014 l'informant du lancement d'un nouvel appel d'offres et l'invitant à y participer.

Le 28 novembre 2014 est la date à laquelle le dernier contrat d'application entre les parties s'est, de fait, achevé, sachant que celui-ci prévoyait une fin des appels plateforme au 2 juillet 2014, le procès-verbal de recette devant intervenir ultérieurement. Comme il a été rappelé supra, le contrat cadre ne prévoyait aucun volume d'affaires, aucun engagement de la part de la société Allianz quant à un volume de commande de campagne de prise de rendez-vous téléphonique.

En outre, si aucun contrat d'application n'a été signé en 2015, dès avant la date d'effet de la résiliation du contrat cadre, la société CRC ne démontre cependant pas qu'une campagne aurait été confiée à un autre prestataire. Aucune campagne commerciale n'a en réalité été mise en place et il ne peut donc être reproché à la société Allianz Iard de ne pas avoir conclu de contrats d'application avec la société CRC pendant cette période. La société Allianz Iard a d'ailleurs justifié cette absence de contrats d'application par une restructuration de ses réseaux.

Il résulte des éléments développés ci-dessus que cette mise en compétition par deux appels d'offres exclut la stabilité de la relation commerciale. La société CRC ne rapporte pas la preuve d'une intention dolosive de la société Allianz Iard dans le recours à l'appel d'offres à compter du 28 novembre 2015, dans la mesure où celle-ci souhaitait faire évoluer ses services vers une vente de produits d'assurance par téléphone.

La précarité de la relation commerciale est ainsi caractérisée par l'existence d'appels d'offres quant à la conclusion du contrat cadre lui-même d'une durée d'un an tacitement reconductible. La succession des contrats d'application ne confère pas à la relation commerciale un caractère établi dans la mesure où elle est soumise aux besoins exprimés de façon discrétionnaire par la société Allianz Iard.

Surabondamment, la cour relève que si la société CRC n'étant pas certaine, après avoir soumissionné, d'être retenue à l'issue de l'appel d'offres, la notification du futur appel d'offres par courriel du 25 novembre 2014 marque le point de départ du délai de préavis mentionné à l'article L. 442-6 I 5° du code de commerce. La société CRC a donc en réalité bénéficié, dans les faits, d'un préavis de sept mois.

Le jugement sera en conséquence infirmé en ce qu'il a dit établie, au sens de l'article L. 442-6 I 5° du code de commerce, la relation commerciale nouée entre la société Allianz Iard et la société Centre Relations Clients entre le 1er juin 2012 et le 23 juin 2015.

Le jugement doit donc être infirmé en toutes ses dispositions.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile.

La société CRC succombant à l'action, il convient d'infirmer le jugement en ce qu'il a statué sur les dépens et les frais irrépétibles. La société CRC sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel, dont distraction au profit de Maître Edmond Fromantin, conformément à l'article 699 du code de procédure civile. En revanche il n'est pas inéquitable de laisser à chacune des parties la charge de ses propres frais sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

INFIRME le jugement en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

DEBOUTE la société Centre Relations Clients de toutes ses demandes ;

CONDAMNE la société Centre Relations Clients aux dépens de première instance et d'appel, dont distraction au profit de Maître Edmond Fromantin ;

LAISSE à chacune des parties la charge de ses propres frais engagés sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.