CA Versailles, 22 octobre 1998, n° 1994-9242
VERSAILLES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Delmas (Sté)
Selon un connaissement émis à ROTTERDAM le 14 février 1991, la société DELMAS, venant aux droits de la société NAVALE MARITIME DELMAS VIELJEUX, a été chargée, par la société TOBACCO EXPORTERS INTERNATIONAL, du transport de six conteneurs de cigarettes depuis ROTTERDAM (PAYS-BAS) à destination de BAMAKO (MALI), via DAKAR (SENEGAL).
Les conteneurs chargés sur le navire "APAPA" ont été débarqués à DAKAR pour être réacheminés par la REGIE DES CHEMINS DE FER SENEGALAIS et/ou la REGIE DU CHEMIN DE FER DU MALI jusqu'à BAMAKO.
Par suite de pillages intervenus en gare de KATI ( à 15 kilomètres environ de BAMAKO), une partie de la cargaison a été perdue.
La société BELAIRE INSURANCE COMPANY Ltd, (ci-après désignée société BELAIRE), ayant couvert les risques du transport, a réglé au chargeur, la société TOBACCO EXPORTERS INTERNATIONAL, la somme de 189.997,35 Livres Sterling contre un acte de subrogation daté du 29 juin 1992.
la société SONATAM, réceptionnaire de la marchandise, a par ailleurs cédé au chargeur et à son assureur tous ses droits et actions contre le transporteur.
La société DELMAS ayant refusé de prendre en charge le sinistre, la société BELAIRE a, suivant assignation en date du 25 février 1992, intentée une action devant le Tribunal de Commerce de NANTERRE.
La société DELMAS a soulevé in limine litis l'incompétence de la juridiction saisie au profit du Tribunal de Commerce de PARIS et, à toutes fins, elle a appelé en garantie la REGIE DU CHEMIN DE FER DU MALI et la REGIE DES CHEMINS DE FER SENEGALAIS.
Par un premier jugement en date du 24 janvier 1995, le tribunal a rejeté l'exception d'incompétence soulevée par la société DELMAS, motif pris que la clause attributive de compétence insérée au connaissement du 14 février 1996 était inopposable au chargeur et à ses ayant cause qui ne l'avaient pas acceptée.
Par un deuxième jugement en date du 20 juillet 1995, le même tribunal a retenu que la société DELMAS avait la qualité de transporteur et non celle de commissionnaire du transport et qu'elle était fondée à se prévaloir de l'exonération de responsabilité, prévue par l'article 4 2 de la Convention de Bruxelles en cas d'émeutes ou de troubles civils, et des clauses limitatives de responsabilité insérées au connaissement couvrant l'ensemble du transport litigieux qui se référaient expressément à ladite convention. En conséquence de quoi, la société BELAIRE a été déboutée de ses prétentions et condamnée à payer à la société DELMAS une indemnité de 20.000 francs en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, la société DELMAS étant elle-même condamnée sur le même fondement à payer, à chacune des sociétés ferroviaires qu'elle avait appelé en garantie, une indemnité de 5.000 francs.
Appelante de cette décision, la société BELAIRE fait tout d'abord valoir que, contrairement à ce qui est prétendu par la société DELMAS, elle a bien qualité et intérêt à agir dès lors qu'il ne saurait être contesté qu'elle a émis la police d'assurance sous couvert de laquelle la marchandise a voyagé et qu'elle a indemnisé, comme elle en justifie, le chargeur de son préjudice, tel que déterminé à dire d'expert. Elle ajoute qu'il suffit de se référer aux pièces des débats pour constater que la société DELMAS a été chargée de l'organisation de bout en bout de l'opération de transport et, plus particulièrement, du post-acheminement terrestre et estime qu'en conséquence celle-ci à la qualité de commissionnaire de transport et qu'elle doit à ce titre répondre de ses substitués. Elle déduit de là que la responsabilité de la société DELMAS doit être régie par les dispositions des articles 97 et suivants du Code du Commerce et non, comme l'a retenu à tort le tribunal, par la Convention de Bruxelles qui n'a vocation à s'appliquer qu'à la partie purement maritime du transport, et ce, d'autant que le chargeur, aux droits duquel elle se trouve, n'a jamais eu personnellement connaissance des clauses du connaissement et des dispositions dérogatoires que comportent ces clauses, lesquelles ne sauraient dès lors lui être valablement opposées. Elle ajoute encore que la société DELMAS est dans l'incapacité d'établir que les événements qui ont causé la perte de la marchandise relèvent d'un cas de force majeure seul susceptible de l'exonérer et que, en tout état de cause, ces événements ne se seraient pas produits si la société DELMAS, spécialiste de l'Afrique et parfaitement informée des troubles qui sévissaient au Mali, avait satisfait à l'obligation de conseil qui pesait sur elle. Elle soutient aussi que, son ayant cause n'ayant pas adhéré aux clauses du connaissement, elle ne saurait se voir imposer une quelconque limitation de responsabilité tirée de l'article 8°) 2 de la convention de Bruxelles. Pour l'ensemble de ces motifs, elle demande que la société DELMAS soit condamnée à lui payer la contre-valeur en francs français de 187.996,35 Livres Sterling, augmentée des intérêts de droit à compter de l'assignation introductive d'instance.
Elle réclame également à la société DELMAS une indemnité de 50.000 francs en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
La société DELMAS fait tout d'abord valoir en réplique que la société BELAIRE ne peut être qualifiée de compagnie d'assurance et qu'elle n'est en réalité qu'un simple courtier lequel n'a pas qualité pour agir à son encontre dès lors qu'il n'a pas personnellement couvert les risques supportés par la marchandise à l'occasion de son transport. Elle ajoute que ne sont pas produites aux débats de pièces comptables prouvant la réalité du versement de la prétendue indemnité d'assurance, pas plus que n'est versé le dispache de règlement d'assurance.
A supposer même ces moyens d'irrecevabilité écartés par la Cour, elle persiste à soutenir qu'elle a bien le statut de transporteur maritime, comme l'a retenu le tribunal, dans la mesure ou le post-acheminement terrestre, effectué sous couvert des clauses et conditions du connaissement, n'était que l'accessoire du transport maritime entre ROTTERDAM et DAKAR, et qu'elle n'avait pas le choix du moyen de transport final.
Elle estime dès lors que le connaissement, qui ne fait que reprendre les dispositions impératives de la convention de Bruxelles en les étendant à l'ensemble de l'opération de transport, doit régir les faits de la cause, même si ce document n'a pas été expressément accepté ou connu du chargeur, s'agissant de stipulations concernant l'économie même du contrat de transport, et elle en déduit qu'elle est en droit de revendiquer le cas de responsabilité excepté prévu par la convention de Bruxelles en cas d'émeutes ou de troubles civils.
Subsidiairement, pour le cas ou la Cour considèrerait que les troubles régnant au Mali lors du post-acheminement des marchandises ne présentaient pas le caractère d'émeutes ou de troubles civils, elle estime ne pouvoir être tenu, par application de l'article 8°) 2 de la convention de Bruxelles, au-delà de 600 Livres Sterling-Or, correspondant au montant de la limitation de responsabilité dont elle est fondée à se prévaloir pour les six conteneurs.
Plus subsidiairement encore, même s'il devait être tenu pour acquis
qu'elle a agi en qualité de commissionnaire de transport pour le post-acheminement terrestre, elle soutient qu'elle est fondée à rechercher la garantie de ses substitués (les Chemins de Fer du Mali et Sénégalais), déjà intimés par l'appelante et à l'encontre desquels elle forme un appel provoqué, et à se prévaloir des cas exceptés ou causes exonératoires dont ces substitués pouvaient bénéficier, ajoutant que le chargeur, qui exporte des cigarettes dans le monde entier et qui est un spécialiste du commerce international, ne saurait utilement lui reprocher de ne pas l'avoir informé des risques encourus au Mali, lesquels étaient connues de tous et donc nécessairement de la société TOBACCO EXPORTERS INTERNATIONAL.
Enfin, elle réclame à la société BELAIRE une indemnité complémentaire de 40.000 francs en couverture des frais qu'elle a été contrainte d'exposer devant la Cour.
La REGIE DES CHEMINS DE FER SENEGALAIS fait tout d'abord valoir que, le tribunal n'ayant pas statué sur l'appel en garantie formé à son encontre, l'examen pour la première fois en cause d'appel du bien-fondé de cette demande la priverait du double degré de juridiction, ce qui serait contraire, selon elle, à tous les principes de procédure.
Si la Cour devait néanmoins rejeter cette exception, elle estime que la société BELAIRE n'apporte aucune critique utile au jugement entrepris et que celui-ci doit être confirmé en toutes ses dispositions.
Dans l'hypothèse ou toutefois le recours en garantie exercé contre elle viendrait à être analysé au fond, elle sollicite sa mise hors de cause motif pris que le dommage est survenu en territoire Malien, que la marchandise n'était pas sous sa garde et qu'il n'est allégué à son encontre aucune faute.
La REGIE DU CHEMIN DE FER DU MALI entend tout d'abord rappeler que la société BELAIRE, qui l'a intimée, n'a formé aucune demande à son encontre et que la Cour n'est valablement saisie que de l'action récursoire formée contre elle par la société DELMAS.
A titre principal, elle conclut à la confirmation du jugement déféré, au besoin par substitution de motifs, dès lors que les événements qui sont à l'origine du sinistre s'analysent, selon elle, incontestablement en un cas de force majeure.
Subsidiairement, elle estime prescrite, en application des dispositions de la convention ferroviaire la liant aux chemins de fer Sénégalais, l'action récursoire, exercée contre elle.
Elle entend, par ailleurs, préciser qu'elle n'est pas en mesure de communiquer une lettre de voiture, malgré l'injonction qui lui a été délivrée par le Conseiller de la Mise en Etat à cet effet, dans la mesure ou un tel document n'a jamais été établi en l'espèce et que le connaissement faisait figure de seul titre de transport, comme en font foi les pièces des débats.
Enfin, elle demande que les sociétés BELAIRE et DELMAS soient solidairement condamnées à lui payer la somme de 20.000 francs à titre de dommages et intérêts pour appel abusif ainsi qu'une indemnité complémentaire de 5.000 francs en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile. MOTIFS DE LA DECISION
* Sur la recevabilité des demandes introduites par la société BELAIRE à l'encontre de la société DELMAS
Considérant que, pour la première fois devant la Cour, la société DELMAS prétend que la société BELAIRE INSURANCE serait une société d'assurance "captive", filiale à 99 % de la Holding ROTHMANS
INTERNATIONAL, groupe auquel appartient la société TOBACCO EXPORTERS ; qu'elle ajoute que cette société se domicilie dans un paradis fiscal, l'Ile de GUERNESEY, dans le seul but de permettre aux sociétés du Groupe ROTHMANS, qui travaillent exclusivement avec elle, de bénéficier d'avantages financiers et fiscaux importants ; qu'elle déduit de là que la société BELAIRE ne peut se prévaloir de la qualité d'assureur indépendant couvrant les risques supportés par la marchandise faute de disposer d'une autonomie financière, et qu'elle doit être considérée comme un simple courtier d'assurance, agissant pour le compte de sociétés tierces et n'ayant pas en tant que tel, qualité pour agir contre le transporteur.
Mais considérant que force est de constater que la société DELMAS procède par voie d'affirmation et qu'elle n'est pas en mesure d'étayer ses dires ; qu'il apparaît au contraire des pièces produites que la société BELAIRE, quel que soit son actionnariat, a émis la police d'assurance sous couvert de laquelle a voyagé la marchandise et qu'elle a indemnisé le chargeur à la suite du sinistre sur ses fonds propres ; qu'elle est dans ces conditions parfaitement fondée à se prévaloir de sa qualité d'assureur d'autant qu'il est établi en l'espèce que le risque a été placé, non pas directement par le chargeur lui-même, mais par l'intermédiaire d'un courtier international, connu de tous les professionnels et indépendant du Groupe ROTHMANS, la société SEDGWICK MARINE & CARGO Ltd ; que le premier moyen d'irrecevabilité invoqué sera, en conséquence, écarté. Considérant que la société appelante ne saurait davantage prétendre que la société BELAIRE n'établit pas être régulièrement subrogée dans les droits de la société TOBACCO EXPORTERS ; qu'en effet, il suffit encore de se référer aux pièces des débats pour constater que la société BELAIRE a directement indemnisé la société TOBACCO EXPORTERS, que celle-ci lui a délivré en contrepartie de la remise d'un chèque une quittance subrogative et que la société BELAIRE a obtenu encore une cession de droits du destinataire de la marchandise ; que la qualité et l'intérêt à agir de l'appelante ne sauraient dès lors souffrir une quelconque contestation.
* Sur le fond
Considérant qu'il sera rappelé que la société DELMAS a émis un connaissement couvrant l'expédition de bout à bout (de ROTTERDAM à BAMAKO) ; que cette société déduit de là, suivie en cela par le premier juge, que le transport litigieux doit être régi dans son ensemble par la convention de Bruxelles, à laquelle se réfère expressément le connaissement, et que le droit français est inapplicable en la cause à défaut d'un quelconque lien de rattachement avec la France.
Mais considérant que la convention de Bruxelles n'a vocation à s'appliquer de plein droit que pour la phase maritime du transport ; qu'en l'espèce, force est de constater que le dommage est survenu pendant la phase de post-acheminement par voie ferroviaire des marchandises, après le déchargement de celles-ci au port de DAKAR ; que la responsabilité de DELMAS doit donc s'apprécier au regard de cette situation de fait clairement établi.
Considérant qu'à cet égard, il sera tout d'abord observé que la société DELMAS n'a pas exécuté personnellement le post-acheminement et qu'elle reconnaît avoir confié cette opération aux CHEMINS DE FER du SENEGAL et/ou du MALI ; qu'il n'est pas contesté que ces sociétés ont été requises par la société DELMAS elle-même sans intervention du chargeur et que la société DELMAS a fait personnellement son affaire du paiement de ces sous-traitants ; que le choix des moyens à mettre en oeuvre pour assurer la phase finale du transport a été également laissée à la libre appréciation de la société DELMAS, ce qui ne saurait être utilement contesté par elle puisque le connaissement prévoyait un transport par "camion ou wagon" ; qu'il est ainsi suffisamment établi que la société DELMAS, bien qu'ayant émis un connaissement couvrant le transport de bout à bout, a cessé d'avoir la qualité de transporteur maritime pour prendre celle de commissionnaire de transport pendant la phase terminale au cours de laquelle s'est produit le dommage.
Considérant que la société DELMAS, prise en sa qualité de commissionnaire de transport, ne peut pas plus soutenir utilement que l'application de la loi française doit être écartée en l'espèce, qu'en effet, il sera tout d'abord observé que la société DELMAS a elle-même revendiqué l'application de cette loi dans le connaissement qu'elle a émis le 14 février 1991 ; qu'en tout état de cause, la loi française a vocation à s'appliquer à titre subsidiaire dès lors que la société DELMAS n'offre pas d'établir qu'elle serait la loi étrangère applicable et qu'elle ne démontre pas que la mise en oeuvre d'un droit étranger conduirait à un résultat différent de celui obtenu par l'application du droit français, étant observé de surcroît que les lois Sénégalaises et Maliennes ne diffèrent pas sensiblement des lois françaises et que la convention passée entre les chemins de fer de ces deux pays se réfère à la notion de force majeure telle que connue du droit français.
Considérant que c'est donc au regard des articles 97 et 98 du Code du Commerce français que doit être apprécié la responsabilité de la société DELMAS et non au regard des règles édictées par la convention de Bruxelles auxquelles renvoi le connaissement, d'autant que ce document n'a pas été signé par le chargeur mais par le propre représentant de la société DELMAS, à savoir la société DELMUTRANS BV, son agent à ROTTERDAM ; que la société BELAIRE est dès lors parfaitement fondée à soutenir que les clauses et conditions que comportait le connaissement, lesquelles ne concernent pas seulement comme il est allégué l'économie du contrat de transport, mais bien la responsabilité que peut encourir le transporteur pour l'exécution de l'opération de bout en bout en ce compris la phase du post-acheminement, ne lui sont pas opposables dans la mesure où elle ne les a ni connus, ni acceptés.
Considérant que la société DELMAS ne peut s'exonérer de la présomption de responsabilité édictée à son encontre par les dispositions précitées des articles 97 et 98 du Code du Commerce qu'en rapportant la preuve que l'inexécution de son obligation de résultat de livrer la marchandise à la destination convenue résulte d'un vice propre de la marchandise, de la faute du cocontractant ou de la force majeure ; qu'en l'espèce, seul le cas de force majeure est susceptible d'être invoqué dès lors que DELMAS prétend, pour tenter de s'exonérer de toute responsabilité, que les pertes et dommages résulteraient de pillages survenus au cours d'émeutes qui se sont déroulées au Mali en mars 1991 et que l'expéditeur aurait accepté de conclure le contrat de transport en toute connaissance des risques encourus.
Mais considérant qu'il ne suffit pas d'établir, comme le fait DELMAS en se référant aux rapports d'expertise, que la destruction de la marchandise est la conséquence d'émeutes qui sévissaient au Mali ; qu'encore faut-il que soit rapportée la preuve que ces événements, dont la réalité n'est pas contestée, ni contestable, ont revêtu les caractères d'imprévisibilité, d'irrésistibilité et d'insurmontable exigés pour définir une situation de force majeure.
Or, considérant qu’aucun élément de preuve n'est rapporté à cet égard ; que notamment, il n'est pas précisé la date d'entrée de la cargaison dans le territoire Malien ; qu'il n'est pas davantage établi, à défaut de production de lettre de voiture, les raisons pour
lesquelles les marchandises ont transité par la gare de KATI où s'est produit le sinistre ; que surtout, il résulte des coupures de presse produites qu'une situation insurrectionnelle régnait au Mali depuis 1990, ce que ne pouvait ignorer la société DELMAS, largement implantée en Afrique, et qui enlève tout caractère d'imprévisibilité à l'événement ; qu'il n'est pas non plus justifié des mesures prises par les substitués de DELMAS pour éviter le pillage ; qu'il suit de là que DELMAS, qui a accepté d'organiser un transport à destination du MALI en toute connaissance des risques encourus et qui n'établit pas avoir mis en garde le chargeur contre ces risques avant ou en cours d'exécution du contrat, doit être déclarée tenu d'indemniser la société BELAIRE, venant aux droits de ce chargeur, de l'entier préjudice subi par la cargaison, la société DELMAS ne pouvant utilement se prévaloir, à titre subsidiaire, des limitations de responsabilités édictées par le connaissement, dès lors que ces limitations, pour les motifs ci-avant retenus, ne sauraient valablement être opposés à l'appelante ; que la société DELMAS sera donc condamnée à payer à la société BELAIRE l'équivalent en francs français au jour du prononcé du présent arrêt de la somme de 187.996,35 Livres Sterling, représentant le préjudice subi tel qu'évalué à dire d'expert et qui n'est pas contesté, outre les intérêts de droit courant à compter de l'assignation introductive d'instance valant mise en demeure, le jugement déféré étant infirmé en toutes ses dispositions.
* Sur l'appel provoqué dirigé à l'encontre des sociétés de transport ferroviaire
Considérant que la société REGIE DES CHEMINS DE FER SENEGALAIS soutient que le premier juge n'ayant pas statué sur l'appel en garantie formé à son encontre, la Cour d'Appel ne saurait se prononcer de ce chef sans méconnaître la règle du double degré de juridiction.
Mais considérant que ce raisonnement ne saurait être suivi ; qu'en effet, il sera rappelé que la société DELMAS a été assignée par la société BELAIRE, par acte du 25 février 1992 et que, sur cette assignation, la société DELMAS a elle-même appelé en garantie, par acte du 14 mai 1992, la REGIE DES CHEMINS DE FER SENEGALAIS, laquelle a régulièrement constitué avocat et pu faire valoir ses moyens de défense ; qu'il suit de là que ladite Régie, partie en première instance, pouvait être valablement intimée et se voir appeler à nouveau en garantie dans le cadre d'un appel provoqué par la société DELMAS pour le cas ou la Cour entrerait en voie d'infirmation, sauf à méconnaître la fonction de l'appel qui n'est seulement une voie de réformation , mais également une voie d'achèvement du litige ; que la REGIE DES CHEMINS DE FER SENEGALAIS ne peut donc utilement se prévaloir d'une privation de bénéfice du double degré de juridiction qui n'a aucune réalité en l'espèce pour échapper à l'action en garantie dirigée à son encontre.
Considérant que, toujours sur le terrain de la recevabilité, la société DES CHEMINS DE FER DU MALI ne peut se prévaloir utilement de l'article 113 de la Convention Ferroviaire conclue entre le MALI et le SENEGAL, édictant "une prescription d'une année pour les actions nées du contrat de transport" ; qu'en effet, ledit article vise les actions engagées à titre principal et non les actions engagées à titre récursoire, étant rappelé en l'espèce que sur l'assignation engagée à titre principal à son encontre par exploit du 25 février 1992, la société DELMAS a appelé en garantie la société DU CHEMIN DE FER DU MALI, par acte du 12 juin 1992, soit dans le délai de la prescription applicable au droit commun aux actions récursoires, la société DU CHEMIN DE FER DU MALI ne rapportant pas la preuve que la convention ferroviaire imposerait un délai de prescription plus court ; que l'exception de prescription invoquée sera donc écartée.
Considérant qu'en ce qui concerne le bien-fondé de l'action récursoire, il n'est pas contesté en l'espèce que, même si aucune lettre de voiture n'a été établie, DELMAS a confié l'opération du post-acheminement aux deux sociétés ferroviaires appelées en garantie ; qu'il en résulte que ces deux sociétés, qui n'ont émis aucune réserve lors de la prise en charge de la cargaison, doivent être tenues pour responsables du dommages survenu à la marchandise qui se trouvait sous leur garde à la date du fait générateur dès lors que l'événement qui a été à l'origine de la destruction desdites marchandises ne peut être qualifié d'événement de force majeure tant au sens du droit français qu'au sens du droit africain, localement applicable ; que la REGIE DES CHEMINS DE FER SENEGALAIS, qui ne démontre pas avoir confié la cargaison à la société du CHEMIN DE FER DU MALI au moment ou le dommage s'est produit, étant observé qu'il apparaît au contraire que les deux sociétés opéraient conjointement sur le fondement de la convention ferroviaire conclue entre les deux pays africains concernés, ne peut s'exonérer en alléguant que les émeutes ses seraient déroulées en territoire Malien ; que, quand bien même la REGIE DES CHEMINS DE FER SENEGALAIS aurait transmis la marchandise à la société DU CHEMIN DE FER DU MALI, elle n'en demeurait pas moins garante du transporteur qu'elle s'est substituée ; qu'il en résulte que les deux sociétés ferroviaires, en cause, qui n'invoquent aucune clause limitative de responsabilité qui leur serait propre et susceptible de profiter à leur mandant, seront condamnées solidairement à relever et garantir la société DELMAS des condamnations prononcées à son encontre.
* Sur les autres demandes
Considérant que la REGIE DU CHEMIN DE FER DU MALI ne démontre pas que les appels dirigés à son encontre tant par la société BELAIRE que par la société DELMAS aurait dégénéré en abus de droit ; qu'elle sera déboutée de la demande en dommages et intérêts qu'elle forme de ce chef.
Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la société BELAIRE la charge des frais qu'elle a été contrainte d'exposer pour faire valoir ses droits ; que la société DELMAS sera condamnée à lui payer une indemnité de 20.000 francs en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, les demandes formées sur le même fondement par les autres parties en cause étant rejetées.
Considérant enfin que la société DELMAS et les deux Régies Ferroviaires, qui succombent, supporteront solidairement et conjointement les entiers dépens exposés à ce jour. PAR CES MOTIFS
La Cour statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
- DIT recevable l'appel principal formé par la société BELAIRE INSURANCE COMPANY Ltd et les appels provoqués formés par la société DELMAS SA à l'encontre de la REGIE DES CHEMINS DE FER SENEGALAIS et de la REGIE DU CHEMIN DE FER DU MALI,
- FAISANT droit pour l'essentiel à ces appels, infirme en toutes ses dispositions le jugement déféré et statuant à nouveau,
- DIT la société BELAIRE INSURANCE COMPANY Ltd recevable à agir,
- DECLARE la société DELMAS SA responsable, en sa qualité de commissionnaire de transport, des dommages survenus à la marchandise pendant la phase de post-acheminement terrestre, et ce, par application des articles 97 et suivants du Code de Commerce Français, - DIT que la société DELMAS SA ne peut valablement opposer à la société BELAIRE INSURANCE COMPANY Ltd les clauses limitatives de responsabilité et d'indemnisation insérées au connaissement émis le 14 février 1991,
- CONDAMNE la société DELMAS SA à payer à la société BELAIRE INSURANCE COMPANY Ltd la contre-valeur en francs français au jour du prononcé de la présente décision de 187.996,35 Livres Sterling, et ce, avec intérêts de droit à compter de l'exploit introductif d'instance,
- CONDAMNE solidairement la REGIE DES CHEMINS DE FER SENEGALAIS et la REGIE DU CHEMIN DE FER DU MALI à relever et garantir la société DELMAS SA de cette condamnation,
- CONDAMNE la société DELMAS SA à payer, en outre, à la société BELAIRE INSURANCE COMPANY Ltd une indemnité de 20.000 francs en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,
- REJETTE le surplus des prétentions des parties,
- CONDAMNE enfin solidairement et conjointement la société DELMAS SA et les REGIE DES CHEMINS DE FER SENEGALAIS et DU MALI aux entiers dépens exposés à ce jour qui pourront être recouvrés directement conformément aux dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile. ARRET REDIGE PAR MONSIEUR ASSIÉ, PRESIDENT PRONONCE PAR MADAME LAPORTE, CONSEILLER POUR LE PRESIDENT EMPÊCHÉ ET ONT SIGNE LE PRESENT ARRET LE GREFFIER
POUR LE PRESIDENT EMPÊCHÉ qui a assisté au prononcé M.T. GENISSEL
F. X...