Cass. com., 28 juin 1994, n° 92-17.149
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bézard
Rapporteur :
M. Apollis
Avocat général :
M. Curti
Avocat :
SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez
Sur le moyen unique, pris en ses quatre branches :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Chambéry, 29 avril 1992), que la société Mory TNTE (société Mory) a assigné en paiement du prix de divers transports la société Eurosiège et demandé l'attribution de son gage exercé sur des marchandises appartenant à cette dernière société ; que la société Eurosiège qui n'a pas contesté sa dette a, reconventionnellement demandé la réparation de ses préjudices en raison de l'exercice prétendument abusif de son privilège par la société Mory ;
Attendu que cette société fait grief à l'arrêt d'avoir accueilli la demande de réparation de la société Eurosiège, alors, selon le pourvoi, d'une part, en se bornant à énoncer que la société Mory avait, pendant de longues années, accordé ou au moins toléré de longs délais de paiement sans sûreté particulière, pour retenir à l'encontre de cet usage déjà ancien, sans préciser, ni même rechercher, comme elle y était invitée, si en émettant pour la première fois des lettres de change à échéances de 120 à 150 jours, la société Eurosiège n'avait pas tenté d'instaurer un nouvel usage entre les parties, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134 et 1382 du Code civil ; alors que, d'autre part, la cour d'appel qui impute à la société Mory d'avoir mis fin brutalement audit usage en exigeant soit une garantie, soit un paiement comptant, après avoir relevé qu'avant d'exercer effectivement le droit de rétention, la société Mory avait adressé à sa co-contractante une lettre du 18 mai 1988, par laquelle elle lui demandait de régler les factures les plus anciennes au plus tôt et de régler celles-ci dans leur ordre d'arrivée à échéance, et que par une lettre du 29 juillet 1988, qui se référait à des entretiens antérieurs, la société Mory indiquait qu'elle ne pouvait accepter sans garantie les effets à échéance lointaine et l'informait de son intention d'user du droit de rétention en application de l'article 95 du Code du commerce, faute par elle de
déférer à sa mise en demeure, ce dont il résultait que la société Mory n'avait exercé son droit de rétention qu'après avoir dûment averti la société Eurosiège de la suppression, à supposer qu'ils soient antérieurement admis, des longs délais de paiement par elle invoqués, en ajoutant, par un motif inopérant, que la société Mory n'avait aucune raison sérieuse de douter de la solvabilité de sa co-contractante, la cour d'appel n'a pas déduit les conséquences légales de ses énonciations et constatations et partant, a violé l'article 1382 du Code civil ;
alors que, de troisième part, et en toute hypothèse, en s'abstenant de préciser si lesdits délais de paiement ressortissaient d'un engagement conventionnel de la société Mory ou d'une simple tolérance qu'elle pouvait légitimement faire cesser sans avertissement préalable, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134 et 1382 du Code civil ; et alors, enfin et en tout état de cause, que le commissionnaire de transports est investi de plein droit en vertu de l'article 95 du Code de commerce d'un privilège lui conférant un droit réel de gage sur les objets entrés régulièrement en sa possession en exécution du contrat de commission garantissant notamment ses prêts et avances faits au commettant pour des opérations antérieures ;
qu'ainsi, en déniant à la société Mory la possibilité d'user du droit de rétention en raison du caractère prétendûment non exigible de ses créances, faute d'un terme conventionnel précis, sans rechercher si, comme elle le soutenait, la société Mory bénéficiait du privilège du commissionnaire sur les avances faites à sa co-contractante, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 95 du Code de commerce ;
Mais attendu que pour décider que la société Mory avait exercé abusivement son privilège sur les marchandises de la société Eurosiege, l'arrêt retient que, faute d'un terme conventionnel, ses créances n'étaient pas exigibles, et, qu'elle n'avait aucune raison de douter de la solvabilité de sa cocontractante ; que la cour d'appel, qui a effectué les recherches prétendument omises, a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision ; que le moyen ne peut être accueilli en aucune de ses branches ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.