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Décisions

Cass. com., 27 octobre 1998, n° 96-16.387

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bézard

Rapporteur :

M. Remery

Avocat général :

M. Lafortune

Avocats :

SCP Peignot et Garreau, SCP Delaporte et Briard, Me Le Prado

Paris, du 21 mars 1996

21 mars 1996

Statuant tant sur le pourvoi incident relevé par la société Sovatex et le groupement d'intérêt économique La Réunion européenne que sur le pourvoi principal formé par la Compagnie méridionale de navigation ;

Donne acte à la Compagnie méridionale de navigation de ce qu'elle s'est désistée de son pourvoi en tant que dirigé à l'encontre de la société Union phocéenne d'accostage ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société Prime computer vision (société Prime) a confié à la société Sovatex, en qualité de commissionnaire de transport, l'organisation d'un déplacement de matériels informatiques de Guyancourt à Bastia ; que les matériels ont d'abord été placés dans un véhicule de la société Sovatex conduit par l'un de ses préposés ; qu'arrivé au port de Marseille, ce véhicule devait embarquer à bord du navire roulier " Girolata " de la Compagnie méridionale de navigation (le transporteur maritime) ; qu'empruntant la rampe de chargement du navire en marche arrière, le véhicule a fait une chute dans les eaux du port ; qu'après sauvetage du chauffeur, la marchandise, endommagée par l'eau de mer, n'a pu être récupérée ; que la société Insurance company of North America (compagnie INA), subrogée dans les droits de la société Prime pour l'avoir indemnisée de son entier préjudice, a assigné en réparation de celui-ci tant la société Sovatex, et le groupement d'intérêt économique La Réunion européenne, son assureur, que le transporteur maritime, qui se sont mutuellement appelés en garantie ; que la cour d'appel les a condamnés in solidum envers la compagnie INA, tandis que, dans leurs rapports entre eux, elle a partagé par moitié la responsabilité du sinistre ;

Sur le premier moyen du pourvoi principal du transporteur maritime :

Attendu que le transporteur maritime reproche à l'arrêt d'avoir déclaré recevable, sur un fondement contractuel, l'action en responsabilité exercée à son encontre par la compagnie INA alors, selon le pourvoi, que l'action en responsabilité à l'encontre du transporteur maritime est ouverte aux parties au contrat de transport, ainsi qu'au destinataire réel de la marchandise, lorsque celui-ci est seul à avoir supporté le préjudice résultant du transport, si bien qu'en statuant de la sorte sans relever à l'égard de la compagnie INA, subrogée dans les droits de la société Prime, l'une ou l'autre de ces qualités à agir, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles 49 du décret du 31 décembre 1966, et 31 et 32 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu que l'arrêt retient que la société Prime, qui était l'expéditeur de la marchandise, avait aussi la qualité de destinataire de celle-ci et qu'elle était la victime du sinistre ; que le moyen manque en fait ;

Sur le deuxième moyen, pris en ses trois branches, du même pourvoi :

Attendu que le transporteur maritime reproche encore à l'arrêt d'avoir retenu sa responsabilité à l'égard de la compagnie INA alors, selon le pourvoi, d'une part, que l'article 27 de la loi du 18 juin 1966 dispose que le transporteur n'est présumé responsable vis-à-vis de son cocontractant que depuis la prise en charge jusqu'à la livraison, que l'obligation incombant également au transporteur aux termes de l'article 38 du décret du 31 décembre 1966 de procéder de façon appropriée et soigneuse au chargement de la marchandise est exclusive de la responsabilité du commissionnaire de transport, lorsque celui-ci s'est seul chargé des opérations de chargement, si bien qu'en mettant à la charge du transporteur maritime une obligation supplémentaire de surveillance des opérations de présentation à l'embarquement des véhicules accompagnés, bien que celles-ci se faisaient sous le contrôle exclusif du commissionnaire de transport, la cour d'appel a violé les textes susvisés ; alors, d'autre part, que nul ne peut se constituer une preuve à lui-même, si bien qu'en retenant une faute à l'encontre du transporteur maritime, pour avoir soi-disant donné pour instructions au chauffeur d'entreprendre une manoeuvre à risques évidents et de " s'être abstenu de l'assistance adéquate que ces ordres impliquaient " en se fondant sur les seules déclarations du chauffeur de la société Sovatex, bien que le transporteur maritime niait avoir donné de telles directives, la cour d'appel a violé l'article 1315 du Code civil ; et alors, enfin, qu'aux termes de l'article 27 de la loi du 18 juin 1966, la faute commise par le chargeur est exonératoire, si bien qu'en retenant l'existence de fautes conjuguées du transporteur maritime et de la société Sovatex, sans rechercher si la faute, qualifiée par les juges du fond de faute lourde, commise par le chauffeur de la société Sovatex, professionnel " qui avait manqué une rampe d'accès de 7 mètres de large ", n'était pas seule à l'origine du sinistre, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard du texte susvisé ;

Mais attendu qu'il résulte des dispositions impératives de l'article 38 du décret du 31 décembre 1966 que les opérations de chargement à bord d'un navire incombent au transporteur maritime sous la responsabilité exclusive duquel elles s'effectuent dès le début de l'embarquement et que la prise en charge de la marchandise par le transporteur ne peut être retardée au-delà ; que, dès lors, la faute commise par le chargeur postérieurement au début du chargement, qui a commencé, en l'espèce, dès que le véhicule de la société Sovatex a abordé la rampe d'accès à la cale du navire, ne peut être opposée par le transporteur maritime à l'ayant droit à la marchandise ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Sur le quatrième moyen du même pourvoi :

Attendu que le transporteur maritime reproche enfin à l'arrêt d'avoir retenu à son encontre une faute inexcusable, ayant pour effet d'écarter la limitation légale de responsabilité lui profitant alors, selon le pourvoi, que l'article 28 de la loi du 18 juin 1966 dispose que le transporteur ne peut invoquer le bénéfice de la limitation de responsabilité s'il est prouvé que le dommage résulte de son propre fait ou de son omission personnels commis avec l'intention de provoquer un tel dommage, ou commis témérairement avec conscience qu'un tel dommage en résulterait probablement, de sorte qu'en retenant l'existence d'une faute inexcusable à l'encontre du transporteur maritime de nature à écarter le jeu de la limitation légale de responsabilité sans caractériser soit les éléments d'un dol, soit d'une omission téméraire avec conscience d'un dommage éventuel, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 28 de la loi du 18 juin 1966 :

Mais attendu que l'arrêt, sans se borner à faire état des seules déclarations du chauffeur du camion aux services de police, retient que la manoeuvre consistant à accéder à la cale du navire en marche arrière a été commandée par le bord comme le seul moyen pour le véhicule de se rendre à l'emplacement restant disponible compte tenu du plan de chargement ; qu'il ajoute, que cette manoeuvre, qui présentait en soi des risques évidents, nécessitait en outre d'emprunter la rampe de chargement latéralement et qu'elle a été exécutée sous pluie fine, de nuit et sans autre éclairage que celui, gênant, des phares du navire ; qu'il retient enfin que, malgré ces circonstances qui appelaient spécialement son assistance, le transporteur maritime a observé une attitude purement passive, reconnaissant lui-même l'absence de guidage du véhicule par son personnel ; que de ces constatations et appréciations, la cour d'appel a pu déduire que le dommage résultait du fait et de l'omission personnels du transporteur maritime commis témérairement et avec conscience qu'un tel dommage en résulterait probablement ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le moyen unique, pris en ses trois branches, du pourvoi incident de la Société Sovatex et de son assureur, en tant qu'il attaque leur condamnation envers la compagnie INA :

Attendu que la société Sovatex et son assureur reprochent à l'arrêt de les avoir condamnés in solidum avec le transporteur maritime à supporter l'entier préjudice alors, selon le pourvoi, d'une part, que la faute lourde est la négligence d'une extrême gravité démontrant chez son auteur l'inaptitude du transporteur, maître de son action, à l'accomplissement de sa mission ; que ne pouvait être qualifiée de faute lourde la faute d'un conducteur commise tandis qu'il n'était pas " maître de son action " et n'était pas, dès lors, seul responsable du dommage ; qu'ainsi la cour d'appel a violé les articles 103 du Code du commerce et 1150 du Code civil ; alors, d'autre part, que la cour d'appel, qui a constaté que l'initiative de la manoeuvre incombait au seul transporteur maritime, que celui-ci avait exigé et imposé au conducteur un embarquement du poids lourd de nuit sans éclairage public, en marche arrière, sans même l'assister de quelque manière que ce soit dans cette manoeuvre périlleuse ; que ce conducteur n'avait donc fait qu'obéir aux ordres donnés et qu'il ne pouvait d'ailleurs qu'obtempérer puisqu'il effectuait une livraison de marchandises a, en considérant qu'il avait commis une faute lourde, exclusive de toute limitation de responsabilité, violé les articles 1134, 1147 et 1150 du Code civil, 103 du Code de commerce, 28 de la loi du 18 juin 1966 et 38 du décret du 31 décembre 1966 ; et alors, enfin, que, dans leurs conclusions d'appel, la société Sovatex et son assureur avaient fait valoir que la responsabilité exclusive de l'accident incombait de plein droit au transporteur maritime, en application de l'article 38 du décret du 31 décembre 1966 ; qu'il était, en effet, survenu à un moment où celui-ci avait pris en charge le véhicule et la marchandise ; que le chauffeur de la société Sovatex n'avait pas la maîtrise des opérations d'embarquement, qu'il n'avait fait qu'obéir aux instructions données et n'avait été qu'un exécutant sous la direction exclusive du transporteur maritime ; que la cour d'appel, qui n'a pas répondu à ces conclusions, a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu que, garant envers son commettant du transporteur maritime qu'elle s'est substitué, la société Sovatex ne peut, en sa qualité de commissionnaire de transport, ni opposer à la compagnie INA le caractère exclusif de la responsabilité du transporteur, ni se prévaloir des clauses limitatives de sa propre responsabilité personnelle, ni invoquer les limitations légales de responsabilité du transporteur maritime, dès lors que la faute inexcusable de celui-ci y fait échec ; que le moyen n'est pas fondé ;

Mais sur le même moyen, pris en sa troisième branche, en tant qu'il attaque la condamnation de la société Sovatex et de son assureur à garantir pour moitié le transporteur maritime :

Vu l'article 38 du décret du 31 décembre 1966 ;

Attendu que pour condamner la société Sovatex et son assureur à garantir le transporteur maritime à concurrence de la moitié des condamnations prononcées contre lui au profit de la compagnie INA, l'arrêt retient que le chauffeur de la société Sovatex a commis une faute grossière en acceptant d'entreprendre et de poursuivre une manoeuvre périlleuse et en manquant une rampe d'accès de 7 mètres de large :

Attendu qu'en statuant ainsi, alors que, d'un côté, l'arrêt retient que le personnel du transporteur maritime " ne pouvait demander au chauffeur d'entreprendre une manoeuvre à risques évidents et s'abstenir de l'assistance adéquate " et que, d'un autre côté, pour les opérations d'embarquement qui lui incombent impérativement, le transporteur maritime est le seul donneur d'ordre, ce dont il résulte qu'au moment de l'accident de chargement, le camion et son chauffeur se trouvaient au pouvoir, non du commissionnaire de transport, mais du transporteur, de sorte que ce dernier était seul responsable de l'accident, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé le texte susvisé ;

Attendu que la cassation ainsi prononcée rend inopérante l'argumentation du troisième moyen, pris en ses trois branches, du pourvoi principal du transporteur maritime, en ce qu'il reproche à l'arrêt, dans les mêmes termes que le deuxième moyen, d'avoir refusé de condamner la société Sovatex et son assureur à garantir le transporteur maritime pour la totalité du dommage ;

Et attendu qu'il y a lieu, conformément à l'article 627, alinéa 2, du nouveau Code de procédure civile de mettre fin au litige en appliquant la règle de droit appropriée ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a condamné la société Sovatex et le groupement d'intérêt économique La Réunion européenne à garantir la Compagnie méridionale de navigation à concurrence de la moitié du préjudice subi par la société Insurance Company of North America, l'arrêt rendu le 21 mars 1996, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi.