Cass. com., 8 février 2023, n° 21-11.415
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Vigneau
Rapporteur :
Mme Guillou
Avocats :
SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, SCP Célice, Texidor, Périer, SARL Corlay, Me Occhipinti
Jonction
1. En raison de leur connexité, les pourvois n° S 21-11.415 et D 21-17.705 sont joints.
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Angers, 8 décembre 2020), entre le 3 décembre 2007 et le 16 janvier 2008, la société Faurecia a commandé à la société Developpement ingenierie prototype plastique (la société DIPP) des machines et outillages que celle-ci a achetés à sa filiale chinoise, la société [U] International China (la société DIC). Les matériels, chargés selon les plans établis par la société DIC dans des containers, ont été transportés jusqu'au port chinois de [Localité 13] par la société Jet Speed Global Logistics Limited. Le 27 août 2008, la société [T] a adressé un ordre de transport à la société Logafret, assurée par la société Macifilia qui s'est substituée la société Transports Benoist pour le transport [Localité 10] jusqu'à [Localité 12] (Bas-Rhin). Lors de ce trajet, le chauffeur a perdu le contrôle du camion qui s'est renversé, endommageant les outillages. Un expert judiciaire a été désigné en référé.
3. Le 20 août 2009, la société DIPP a assigné la société [T] et ses assureurs, les sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles (les sociétés MMA), venant aux droits de la société Covea Fleet, ainsi que la société Logafret, la société Transports Benoist, puis, après liquidation judiciaire de cette dernière le 12 novembre 2009, la SCP [I]-Zolotarenko en qualité de liquidateur. Les sociétés DIC, Jet Speed Global Logistics Limited, la société Axa France IARD (la société Axa), assureur de la société Transports Benoist, et la société Macifilia, assureur de la société Logafret, ont été assignés en garantie.
Examen des moyens
Sur le premier moyen du pourvoi principal et du pourvoi provoqué n° S 21-11.415 rédigés en termes identiques et le premier moyen du pourvoi n° D 21-17.705, rédigé en termes similaires, réunis
Enoncé du moyen
4. Par le premier moyen du pourvoi n° S 21-11.415, la société Axa, la SCP [I]-Zolotarenko, ès qualités, les sociétés MMA et la société [T] font grief à l'arrêt de dire que l'instance n'est pas éteinte par péremption et de déclarer les consorts [U] recevables à agir en lieu et place de la société DIPP, alors :
« 1°/ que le dépôt de conclusions sollicitant le rétablissement de l'affaire au rôle, et comportant des demandes au fond, ne peut avoir un effet interruptif du délai de péremption que s'il émane d'une partie à l'instance ; que pour dire que les conclusions déposées par les consorts [U] le 7 juin 2011, aux termes desquelles ces derniers prétendaient intervenir aux lieu et place de la société DIPP, qui avait engagée une action en responsabilité contre les acteurs d'une opération de transport, notamment la société Transports Benoist placée en liquidation judiciaire, et son assureur Axa, avaient interrompu le délai de péremption de l'instance, la cour d'appel a retenu que par ces conclusions, les consorts [U] n'agissaient pas en qualité d'intervenants volontaires selon la définition donnée aux articles 329 et 330 du code de procédure civile, mais de subrogés dans les droits et actions de la société DIPP, de sorte que la règle selon laquelle une intervention volontaire d'un tiers à l'instance ayant été radiée ne peut produire aucun effet sur la péremption de l'instance, ne trouvait pas à s'appliquer ; qu'en statuant de la sorte, quand l'acte par lequel les consorts [U], soutenant venir aux droits de la société DIPP en vertu d'une cession de créance conclue avec cette société, s'analysait en une intervention volontaire de sorte qu'à défaut d'avoir été pris conjointement au nom de la société cédante et des cessionnaires de la créance, il n'avait pu avoir un effet interruptif du délai de péremption, la cour d'appel a violé l'article 386 du code de procédure civile, ensemble les articles 4 et 329 du même code ;
2°/ qu'aux termes de leurs conclusions déposées le 7 juin 2011, les consorts [U] avaient indiqué intervenir volontairement à l'instance devant le tribunal de commerce du Mans ; que dans leurs conclusions d'appel, ils faisaient valoir être "intervenus volontairement le 7 juin 2011, subrogés dans les droits de DIPP" ; qu'en retenant que les consorts [U] n'avaient pas agi en qualité d'intervenants volontaires selon la définition donnée aux articles 329 et 330 du code de procédure civile mais de subrogés dans les droits et actions de la société DIPP, de sorte que la règle selon laquelle une intervention volontaire d'un tiers à l'instance ayant été radiée ne peut produire aucun effet sur la péremption de l'instance, ne trouvait pas à s'appliquer, la cour d'appel a violé l'article 4 du code de procédure civile ;
3°/ qu'en tout état de cause sous l'empire de l'article 1690 du code civil, applicable en la cause, la cession de créance n'était opposable aux tiers qu'à compter de la date de sa signification ou de son acceptation par acte authentique ; que pour infirmer le jugement entrepris ayant prononcé la péremption de l'instance engagée par la société DIPP par actes des 18 et 20 août 2009, la cour d'appel a retenu que par conclusions du 7 mai 2011, les consorts [U], agissant en qualité de subrogés dans les droits de la société DIPP, avaient manifesté leur volonté de poursuivre l'instance engagée par cette dernière ; qu'en statuant de la sorte, quand il résultait de ses constatations que la cession de créance en vertu de laquelle les consorts [U] déclaraient intervenir à la procédure n'avait été signifiée à la société [T] que par acte du 28 octobre 2013, et qu'avant cette date, les consorts [U] ne pouvaient prétendre agir à l'égard des tiers en qualité de subrogés dans les droits et actions de la société DIPP, la cour d'appel a violé l'article 386 du code de procédure civile, ensemble l'article 1690 du code civil ;
4°/ que seules ont un effet interruptif du délai de péremption les diligences accomplies par les parties manifestant leur volonté de poursuivre la procédure ; que des conclusions par lesquelles une partie s'oppose à une demande de rétablissement d'une affaire au rôle ne manifeste pas la volonté de celle-ci de poursuivre l'instance, quand bien même elles comporteraient des demandes subsidiaires au fond ; que pour dire que les conclusions déposées par la société [T] et son assureur le 14 mai 2012, prises en réponse à l'intervention des consorts [U] pour la faire déclarer irrecevable, constituaient une diligence interruptive du délai de péremption, la cour d'appel a retenu que ces conclusions, qui portaient également, subsidiairement, sur le fond, manifestaient une volonté de leurs auteurs de poursuivre l'instance et de faire progresser l'affaire ; qu'en statuant de la sorte, quand la société [T] et son assureur avaient sollicité le prononcé de l'irrecevabilité de l'intervention des consorts [U], en faisant valoir que ces derniers n'étaient pas parties à l'instance et ne pouvaient dès lors solliciter le rétablissement de l'affaire, ce qui manifestait leur volonté de s'opposer au rétablissement de l'affaire, peu important qu'ils aient subsidiairement conclu sur le fond, la cour d'appel a violé l'article 386 du code de procédure civile, ensemble l'article 4 du même code. »
5. Par le premier moyen du pourvoi n° D 21-17.705, la société Logafret et la société MACIF, venant aux droits de la société Macifilia, font grief à l'arrêt de déclarer les consorts [U] recevables à agir en lieu et place de la société DIPP, de condamner in solidum la société [T] et les sociétés MMA à payer aux consorts [U] la somme globale de 749 947,72 euros, avec intérêt légal à compter de l'arrêt, de condamner in solidum la société Logafret, la MACIF et la société Axa (les assureurs), dans la limite de leurs plafonds de garantie et après application de la franchise contractuelle, à garantir la société [T] et les sociétés MMA à hauteur de la moitié des condamnations prononcées contre elles en principal, intérêts, frais et dépens, de condamner la société Axa à garantir la société Logafret et la MACIF des condamnations prononcées contre elles, dans la limite de ses plafonds de garantie et après application de la franchise contractuelle, de fixer au passif de la liquidation judiciaire de la société Transports Benoist la créance de la société [T] et de ses assureurs, les sociétés MMA, de la société Logafret et de son assureur la MACIF, à la somme de 89 221,25 euros correspondant à la somme restant due par la société Transports Benoist au titre de la franchise et après mise en oeuvre des garanties de la société Axa France IARD, au titre des préjudices subis par la société DIPP, de condamner in solidum la société DIC et la société Axa France IARD, cette dernière dans la limite de la somme de 13 622,76 euros, à payer à la société [T] et aux sociétés MMA la somme de 14 372,76 euros HT, et de fixer au passif de la liquidation judiciaire de la société Transports Benoist la créance de la société [T] et de ses assureurs à la somme de 750 euros au titre de la franchise correspondant à l'indemnisation du préjudice consécutif aux dommages causés au conteneur, alors :
« 1°/ que seules les personnes qui ont pris l'initiative d'exercer l'action en élevant une prétention à leur profit, ou contre lesquelles l'acte introductif d'instance a été dirigé ont la qualité de parties à l'instance dont les diligences peuvent interrompre le délai de péremption ; qu'en jugeant, pour retenir que les conclusions des consorts [U] du 7 juin 2011 avaient interrompu le délai de péremption de l'instance introduite par la société DIPP, qu'ils agissaient en qualité de subrogés dans les droits et actions de celle-ci, cependant qu'ils n'avaient, pour autant, pas la qualité de partie à l'instance radiée mais étaient des tiers devant y intervenir volontairement, la cour d'appel a violé l'article 386 du code de procédure civile, ensemble l'article 329 du même code ;
2°/ qu'aux termes de leurs conclusions du 7 juin 2011, les consorts [U] soutenaient intervenir à l'instance devant le tribunal de commerce aux lieu et place de la société DIPP et, dans leurs conclusions d'appel, rappelaient qu'ils étaient "intervenus volontairement le 7 juin 2011, subrogés dans les droits de DIPP" ; qu'en jugeant, cependant, que les consorts [U] n'agissaient pas en qualité d'intervenants volontaires, la cour d'appel a dénaturé leurs conclusions et, ainsi, violé l'article 4 du code de procédure civile ;
3°/ qu'en toute hypothèse, sous l'empire de l'ancien article 1690 du code civil la cession de créance n'était opposable aux tiers qu'à compter de la date de sa signification ou de son acceptation par acte authentique ; qu'en jugeant que les conclusions du 7 juin 2011 des consorts [U] avaient interrompu le délai de péremption, cependant qu'il résultait de ses propres constatations que la cession de créance en vertu de laquelle ils prétendaient être subrogés dans les droits et actions de la société DIPP n'avait été signifiée à la société [T] que par acte du 28 octobre 2013, de sorte qu'ils n'avaient pas déposé leurs conclusions du 7 juin 2011 en cette qualité, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 386 du code de procédure civile, ensemble l'ancien article 1690 du code civil ;
4°/ que seules ont un effet interruptif du délai de péremption les diligences manifestant la volonté des parties de faire progresser l'affaire ; qu'en retenant, pour juger que les conclusions déposées par la société [T] et son assureur le 14 mai 2012 avaient également interrompu le délai de péremption, cependant qu'à titre principal, elles soulevaient l'irrecevabilité de l'intervention des consorts [U] en soutenant qu'ils ne pouvaient solliciter le rétablissement de l'affaire au rôle à défaut d'avoir la qualité de partie à l'instance, ce qui manifestait leur volonté qu'il soit mis fin à l'instance, peu important qu'elles aient conclu au fond, à titre subsidiaire, la cour d'appel a violé l'article 386 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
6. L'intervention volontaire dans une instance étant une demande en justice, son auteur devient, par cette seule intervention, partie à cette instance. Il peut, dès lors, en cette qualité, accomplir les diligences de nature à interrompre, à l'égard de tous, le délai de péremption de l'instance.
7. Ayant relevé que, le 7 juin 2011, M. [H] [U] et Mme [V], jusque-là tiers à l'instance, avaient déposé des conclusions dans lesquelles ils indiquaient intervenir aux lieu et place de la société DIPP en se prévalant d'une cession de créance de cette société, ce dont il résultait que le délai de péremption avait été interrompu par cette intervention volontaire, la cour d'appel, par ce seul motif, abstraction faite des motifs surabondants critiqués par le moyen, et sans modifier l'objet du litige, a légalement justifié sa décision de ce chef.
8. Le moyen n'est pas fondé.
Sur le deuxième moyen des pourvois principal et provoqué n° S 21-11.415 et le deuxième moyen du pourvoi n° D 21-17.705, réunis
Enoncé du moyen
9. Par le deuxième moyen de leurs pourvois respectifs, la société Axa et la société [I]-Zolotarenko, ès qualités, la société Logafret et la MACIF font grief à l'arrêt de déclarer les consorts [U] recevables à agir en lieu et place de la société DIPP, et de condamner in solidum la société [T] et les sociétés MMA à payer aux consorts [U] la somme globale de 749 947,72 euros, avec intérêt légal à compter de l'arrêt, de condamner in solidum la société Logafret, la MACIF et la société Axa, les assureurs dans la limite de leurs plafonds de garantie et après application de la franchise contractuelle, à garantir la société [T] et les sociétés MMA à hauteur de la moitié des condamnations prononcées contre elles en principal, intérêts, frais et dépens, de condamner la société Axa à relever et garantir la société Logafret et la MACIF des condamnations prononcées contre elles, dans la limite de ses plafonds de garantie et après application de la franchise contractuelle, de fixer au passif de la liquidation judiciaire de la société Transports Benoist la créance de la société [T] et de ses assureurs, les sociétés MMA, de la société Logafret et de son assureur, la MACIF, à la somme de 89 221,25 euros correspondant à la somme restant due par la société Transports Benoist au titre de la franchise et après mise en oeuvre des garanties de la société Axa, au titre des préjudices subis par la société DIPP, de condamner in solidum la société DIC et la société Axa, cette dernière dans la limite de la somme de 13 622,76 euros, à payer à la société [T] et aux sociétés MMA la somme de 14 372,76 euros HT, et de fixer au passif de la liquidation judiciaire de la société Transports Benoist la créance de la société [T] et de ses assureurs à la somme de 750 euros au titre de la franchise correspondant à l'indemnisation du préjudice consécutif aux dommages causés au conteneur, alors « que le droit de retrait d'une cession de créance litigieuse ne peut être exercé lorsque la cession a été faite à un créancier en payement de ce qui lui est dû ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a retenu que l'acte de cession du 6 septembre 2010 stipulait que le prix de la créance cédée serait payé par voie de compensation avec le compte courant d'associés de M. [H] [U] ; qu'en énonçant que le compte courant ouvert au nom de M. [H] [U] avait été alimenté par ce dernier et son épouse, et que la déclaration des consorts [U] selon laquelle le compte courant d'associés portant leur nom était un compte courant détenu indivisément avec M. [E] [G] [U] et Mme [J] [G] [U] suffisait sans qu'il soit besoin d'exiger la preuve que ces derniers avaient également alimenté ce compte, la cour d'appel, qui a statué par des motifs impropres à établir que les consorts [U] étaient tous créanciers de la société DIPP, a violé l'article 1134, devenu 1103, du code civil, ensemble les articles 1699 et 1701 du même code. »
10. Par le deuxième moyen de leur pourvoi, la société [T] et ses assureurs, les sociétés MMA, font le même grief à l'arrêt alors « qu'il appartient à celui qui se prévaut du droit de retrait de démontrer que la créance cédée est litigieuse et à celui qui s'oppose au retrait de démontrer que la cession a été faite à un créancier en payement de ce qui lui est dû ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a retenu que l'acte de cession du 6 septembre 2010 stipulait que le prix de la créance cédée serait payé par voie de compensation avec le compte courant d'associés de M. [H] [U] ; qu'en énonçant que le compte courant ouvert au nom de M. [H] [U] avait été alimenté par ce dernier et son épouse, et que la déclaration des consorts [U] selon laquelle le compte courant d'associés portant leur nom était un compte courant détenu indivisément avec M. [E] [G] [U] et Mme [J] [G] [U] suffisait sans qu'il soit besoin d'exiger la preuve que ces derniers avaient également alimenté ce compte, c'est-à-dire sans qu'il soit besoin pour chacun d'eux de démontrer qu'ils étaient titulaires d'une créance que la cession venait éteindre la cour d'appel a violé les articles 1134, devenu 1103, et 1315, devenu 1353, du code civil, ensemble les articles 1699 et 1701 du même code. »
11. Par le deuxième moyen de leur pourvoi, les sociétés Logafret et MACIF font le même grief à l'arrêt, alors :
« 1°/ que le financement d'un compte courant d'associé ne confère pas la qualité de créancier de la société qui résulte de la qualité de titulaire du compte ; qu'en jugeant, pour retenir que tous les consorts [U] étaient créanciers de la société DIPP et refuser à la MACIF et la société Logafret la faculté d'exercer le droit de retrait litigieux, que la cession de créance était intervenue en paiement du solde d'un compte courant d'associé ouvert, pourtant, au seul nom de M. [H] [U], dès lors qu'il avait également été alimenté par son épouse, quand cela ne faisait pas d'elle la créancière de la société DIPP, la cour d'appel a violé l'article 1165, devenu 1199 du code civil, ensemble les articles 1699 et 1701 du même code ;
2°/ que celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver ; qu'en jugeant, pour retenir que tous les consorts [U] étaient créanciers de la société DIPP et refuser à la MACIF et la société Logafret la faculté d'exercer le droit de retrait litigieux, que si la cession de créance était intervenue en paiement du solde d'un compte courant d'associé ouvert au seul nom de M. [H] [U], sa déclaration, avec son épouse, selon laquelle ce compte était indivis avec M. [E] et Mme [J] [G] [U] "suffis(ait)" sans qu'il soit besoin d'exiger la preuve que ces derniers l'avaient également alimenté, la cour d'appel a, ce faisant, déchargé ces derniers de la charge de prouver leur qualité de créanciers de la société DIPP, a violé l'article 1353 du code civil. »
Réponse de la Cour
12. Il n'y a pas lieu à retrait lorsque la cession a été faite à un créancier en paiement de ce qui lui était dû.
13. Après avoir relevé que l'acte de cession de créance du 6 septembre 2010 mentionnait que M. [H] [U], Mme [J] [G] [U] et M. [E] [G] [U] supportaient le coût des conséquences de l'accident par des apports permanents en compte courant qui s'élèvaient au jour de la rédaction de l'acte à la somme de 218 870 euros, et que l'acte stipulait que le prix de la créance cédée fixé à 172 938,72 euros serait payé par compensation avec le compte courant d'associé de M. [H] [U], l'arrêt retient souverainement que les documents comptables et bancaires produits par les consorts [U] établissent qu'ils alimentaient le compte courant d'associés et font la preuve du montant de son solde d'un montant de 218 870 euros au 31 août 2010.
14. De ces constatations et appréciations, dont il résulte que la cession de créance consentie par la société DIPP l'avait été pour rembourser une dette de cette dernière au profit des cessionnaires, la cour d'appel a déduit à bon droit que l'existence d'une créance antérieure à la cession, constituée par un compte courant d'associé, faisait obstacle à l'exercice du retrait litigieux par les sociétés MACIF et Logafret, peu important à cet égard que seuls certains titulaires du compte indivis y aient effectué des apports.
15. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur les troisièmes moyens des pourvois n° S 21-11.415 et n° D 21-17.705, pris en leur première et deuxième branches, rédigés en termes similaires, réunis
Enoncé du moyen
16. Par ce moyen de leur pourvoi, pris en ses première et deuxième branches, la société Axa et Mme [I], ès qualités, font le même grief à l'arrêt alors :
« 1°/ que le transporteur peut s'exonérer de la responsabilité qui pèse sur lui s'il démontre que le sinistre a pour cause un cas de force majeure, ou le fait d'un tiers revêtant les caractéristiques de la force majeure ; qu'en l'espèce, la société Axa et le liquidateur de la société Transports Benoist faisaient valoir qu'il résultait d'un rapport établi par M. [S], régulièrement produit aux débats, que la vitesse de l'ensemble routier n'était pas la cause de l'accident, des simulations et modélisations en 3D ayant permis d'établir que l'accident se serait produit en cas de freinage dès la vitesse de 75 km/h, compte tenu du mauvais positionnement du centre de gravité des charges transportées, imputable à une erreur commise par la société DIC ; qu'elles se prévalaient également d'un rapport établi à la demande de la société [T] par M. [D] ayant similairement conclu que la cause du renversement de l'ensemble routier résidait dans la position du centre de gravité des marchandises entreposées dans le conteneur ; qu'en retenant que la société Transports Benoist était responsable du sinistre dès lors que l'expert judiciaire avait retenu le rôle causal de l'excès de vitesse du chauffeur de cette société et du freinage qui en était suivi, peu important qu'une autre faute, relative à la mauvaise répartition des charges dans le conteneur, a concouru à la réalisation du dommage, sans examiner les pièces versées aux débats par les exposantes établissant que la vitesse du camion transportant la marchandise n'avait pas été à l'origine du sinistre, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 133-1 du code de commerce ;
2°/ que la cour d'appel a retenu que sans la faute commise par la société DIC, qui assumait les opérations de chargement, pour avoir mal réparti les charges transportées à l'intérieur du conteneur, plaçant le centre de gravité de l'ensemble beaucoup trop à l'arrière, "l'accident ne serait pas survenu", ce dont il résultait que la faute de conduite du chauffeur de la société Transports Benoist n'avait en tout état de cause été qu'une cause indirecte du sinistre puisqu'aussi bien, l'accident ne se serait pas produit si les marchandises avaient ab initio été correctement entreposées dans l'ensemble routier ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article L. 133-1 du code de commerce. »
17. Par leur troisième moyen, pris en ses première et deuxième branches, la société Logafret et la MACIF font le même grief à l'arrêt alors :
« 1°/ que le transporteur est exonéré de toute responsabilité si le sinistre provient de la force majeure, ou du fait d'un tiers revêtant les caractéristiques de la force majeure ; qu'en jugeant que la société Transports Benoist était responsable du sinistre dès lors que l'expert judiciaire avait retenu le rôle causal de l'excès de vitesse du chauffeur de cette société et du freinage qui en était suivi, peu important qu'une autre faute, résultant de la mauvaise répartition des charges dans le conteneur, ait concouru à la réalisation du dommage, sans rechercher ainsi qu'elle y était invitée par la MACIF et la société Logafret, qui reprenaient à leur compte l'argumentation de la société Axa et de Mme [I], s'il ne résultait pas du rapport de M. [S] versé aux débats, que la vitesse de l'ensemble routier n'était pas la cause de l'accident, des simulations et modélisations en 3D ayant permis d'établir que l'accident se serait produit en cas de freinage dès la vitesse de 75 km/h, compte tenu du mauvais positionnement du centre de gravité des charges transportées, imputable à une erreur commise par la société DIC, conclusion à laquelle était également parvenu M. [D], dans un rapport établi à la demande de M. [T], de sorte que le sinistre provenait de l'erreur de la société DIC qui revêtait les caractéristiques de la force majeure, exonérant donc la société Transport Benoist de toute responsabilité, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 133-1 du code de commerce ;
2°/ que le transporteur est exonéré de toute responsabilité si le sinistre provient de la force majeure, ou du fait d'un tiers revêtant les caractéristiques de la force majeure ; qu'en statuant ainsi, cependant qu'elle constatait elle-même que, sans la faute commise par la société DIC, qui assumait les opérations de chargement, pour avoir mal réparti les charges transportées à l'intérieur du conteneur, plaçant le centre de gravité de l'ensemble beaucoup trop à l'arrière "l'accident ne serait pas survenu", ce dont il résultait que la faute de conduite du chauffeur n'avait été qu'une cause indirecte du sinistre puisqu'aussi bien, l'accident ne se serait pas produit si les marchandises avaient été correctement entreposées dans le camion, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article L. 133-1 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
18. Aux termes de l'article L. 133-1 du code de commerce, le voiturier est garant de la perte des objets à transporter, hors les cas de la force majeure. Il est garant des avaries autres que celles qui proviennent du vice propre de la chose ou de la force majeure.
19. Après avoir écarté la responsabilité personnelle de la société [T], l'arrêt retient que celle-ci doit répondre des fautes de ses substitués, les sociétés Logafret et Transports Benoist, transporteurs, dans l'exécution de la commission de transport. Il ajoute que, par des conclusions techniques non contestées, l'expert judiciaire a considéré que l'accident a eu pour facteurs déclencheurs la vitesse excessive du camion, le dépassement et le freinage du camion, et pour facteur générateur la mauvaise répartition du chargement à l'intérieur du conteneur, plaçant le centre de gravité beaucoup trop à l'arrière. Il retient encore que, sans l'excès de vitesse et les variations brutales de direction du camion à l'occasion du dépassement d'un autre véhicule, l'accident n'aurait pas eu lieu, l'expert ayant relevé que, depuis son transport de l'usine chinoise jusqu'à l'accident, sans que l'empotage ait été modifié, le chargement du conteneur n'avait posé aucune difficulté.
20. De ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui n'avait pas à s'expliquer sur des éléments de preuve qu'elle décidait d'écarter, a pu déduire que le comportement du transporteur avait eu un rôle causal dans l'accident, exclusif de toute force majeure, et décidé, à bon droit, qu'il ne pouvait dès lors s'exonérer de sa responsabilité.
Mais sur ces moyens, pris en leur troisième branche, rédigés en termes similaires, réunis
Enoncé du moyen
21. Par leur troisième moyen, pris en sa troisième branche, la société Axa et Mme [I], ès qualités, font le même grief à l'arrêt alors :
« 3°/ que la faute lourde suppose une négligence d'une extrême gravité confinant au dol et dénotant l'inaptitude du transporteur à l'accomplissement de sa mission contractuelle ; que pour dire que la société Transports Benoist avait commis une faute lourde excluant l'application des plafonds conventionnels de garantie, la cour d'appel a retenu que le chauffeur de la société Transports Benoist, qui "avait constaté que son chargement était plus lourd que celui annoncé par la lettre de voiture, aurait dû redoubler de vigilance et respecter scrupuleusement la réglementation de la vitesse. Au lieu de cela, non seulement il a roulé à une vitesse excessive, largement au-delà de la vitesse autorisée, mais a effectué une opération de dépassement dont il ne pouvait ignorer la dangerosité" ; qu'en statuant par ces motifs, impropres à caractériser la commission par la société Transports Benoist d'une négligence grossière confinant au dol et dénotant l'inaptitude du transporteur à accomplir la mission qu'il a contractuellement acceptée, la cour d'appel a violé l'article 1150 du code civil. »
22. Par leur troisième moyen, pris en sa troisième branche, la société Logafret et la MACIF font le même grief à l'arrêt alors :
« 3°/ que la faute lourde suppose une négligence d'une extrême gravité confinant au dol et dénotant l'inaptitude du transporteur à l'accomplissement de sa mission contractuelle ; qu'en retenant, pour juger que la société Transports Benoist avait commis une faute lourde excluant l'application des plafonds conventionnels de garantie, que le chauffeur, qui "avait constaté que son chargement était plus lourd que celui annoncé par la lettre de voiture, aurait dû redoubler de vigilance et respecter scrupuleusement la réglementation de la vitesse", au lieu de quoi, "non seulement il a(vait) roulé à une vitesse excessive, largement au-delà de la vitesse autorisée, mais a(vait) effectué une opération de dépassement dont il ne pouvait ignorer la dangerosité", la cour d'appel, qui a statué par des motifs impropres à caractériser une faute lourde du chauffeur, a violé l'article 1150 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1150 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 :
23. Constitue une faute lourde la négligence d'une extrême gravité confinant au dol et dénotant l'inaptitude du transporteur à l'accomplissement de la mission contractuelle qu'il a acceptée.
24. Pour retenir la faute lourde du voiturier et condamner in solidum la société [T] et les sociétés MMA à payer aux consorts [U] la somme globale de 749 947,72 euros, l'arrêt retient que le chauffeur, qui avait constaté que son chargement était plus lourd que celui annoncé par la lettre de voiture, aurait dû redoubler de vigilance et respecter scrupuleusement la réglementation de la vitesse et qu'au lieu de cela, il a roulé à une vitesse excessive largement au-delà de la vitesse autorisée et a effectué une opération de dépassement dont il ne pouvait pas ignorer la dangerosité, la circonstance qu'il n'avait pas connaissance de la mauvaise répartition des charges à l'intérieur du conteneur ne diminuant pas la faute commise.
25. En se déterminant par de tels motifs, impropres à caractériser une faute lourde du transporteur, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
Et sur le troisième moyen du pourvoi provoqué, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
26. La société [T] et ses assureurs, les sociétés MMA, aux droits de la société Covea Fleet, font grief à l'arrêt attaqué de les condamner in solidum à payer aux consorts [U] la somme globale de 749 947,72 euros, avec intérêt légal à compter du présent arrêt, et de limiter la garantie due par la société DIC à la moitié de cette somme alors « que la responsabilité du commissionnaire de transport du fait de ses substitués ne peut être engagée que dans la mesure de leur propre responsabilité ; qu'en l'espèce la cour d'appel a constaté que la société [T] n'était responsable que du fait de ses substitués, les sociétés Logafret et Transports Benoist, et n'était pas commissionnaire de transport vis-à-vis de la société DIC ; que la société DIC était responsable du dommage causé à hauteur de la moitié, la société Transports Benoist n'étant responsable que de la moitié ; qu'en condamnant cependant la société [T] pour le tout, en ce compris la part de la société DIC, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, et violé les articles L. 132-4 et L. 132-5 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 132-4 et L. 132-5 du code de commerce :
27. Il résulte de ces textes que lorsque sa responsabilité n'est pas engagée à raison de son fait personnel mais seulement du fait de ses substitués, le commissionnaire de transport ne peut être tenu que dans la limite de la responsabilité de ces derniers.
28. Pour condamner in solidum la société [T] et ses assureurs, les sociétés MMA, venant aux droits de la société Covea Fleet à payer aux consorts [U] la somme globale de 749 947,72 euros, avec intérêt légal, l'arrêt retient que, dès lors que la faute lourde est établie, elle prive le transporteur de la possibilité de se prévaloir des limitations d'indemnités normalement applicables qu'elles soient légales ou conventionnelles et que la faute équipollente au dol de son substitué rejaillit sur le commissionnaire de transport et lui fait perdre le bénéfice des limitations de responsabilités. Il en déduit que la société [T] et ses assureurs sont donc tenus à l'indemnisation intégrale du préjudice.
29. En statuant ainsi, alors qu'elle avait retenu que la société DIC, qui avait assumé la responsabilité des opérations de chargement et avait mal réparti les charges dans le conteneur, devait répondre des conséquences dommageables de sa faute et qu'il y avait lieu d'opérer un partage de responsabilité par moitié entre la société DIC et la société Transports Benoist, la cour d'appel, qui ne pouvait condamner la société [T], commissionnaire de transport et ses assureurs au-delà de la responsabilité de son substitué, la société Transports Benoist, n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il dit que l'instance n'était pas éteinte par péremption et en ce qu'il déclare M. [U], Mme [V], M. [G] [U] et Mme [G] [U] recevables à agir au lieu et place de la société DIPP, l'arrêt rendu le 8 décembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel d'Angers ;
Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Poitiers.