CJUE, 3e ch., 9 novembre 2023, n° C-746/21 P
COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Altice Group Lux Sàrl
Défendeur :
Commission européenne, Conseil de l’Union européenne
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
Mme Jürimäe (rapporteure)
Juges :
M. Piçarra, M. Safjan, M. Jääskinen, M. Gavalec
Avocat général :
M. Collins
Avocats :
Me Allendesalazar Corcho, Me Brokelmann
LA COUR (troisième chambre),
1 Par son pourvoi, Altice Group Lux Sàrl, anciennement New Altice Europe BV, en liquidation (ci-après « Altice »), demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 22 septembre 2021, Altice Europe/Commission (T 425/18, ci après l’« arrêt attaqué », EU:T:2021:607), par lequel celui-ci a fixé le montant de l’amende infligée à cette société par l’article 4 de la décision C(2018) 2418 final de la Commission, du 24 avril 2018, infligeant des amendes pour la réalisation d’une concentration en violation de l’article 4, paragraphe 1, et de l’article 7, paragraphe 1, du règlement (CE) no 139/2004 (affaire M.7993 – Altice/PT Portugal) (ci après la « décision litigieuse »), à 56 025 000 euros et a rejeté son recours pour le surplus.
Le cadre juridique
Le règlement (CE) no 139/2004
2 Le règlement (CEE) no 4064/89 du Conseil, du 21 décembre 1989, relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises (JO 1989, L 395, p. 1), a été abrogé, avec effet au 1er mai 2004, par le règlement (CE) no 139/2004 du Conseil, du 20 janvier 2004, relatif au contrôle des concentrations entre entreprises (« le règlement CE sur les concentrations ») (JO 2004, L 24, p. 1). Eu égard à la période concernée par le comportement ayant fait l’objet de la décision litigieuse, c’est ce dernier règlement qui est applicable ratione temporis.
3 Les considérants 5, 6, 8, 20 et 34 du règlement no 139/2004 énoncent :
« (5) Il convient toutefois de s’assurer que le processus de restructuration n’entraîne pas de préjudice durable pour la concurrence. Par conséquent, le droit communautaire doit comporter des dispositions applicables aux concentrations susceptibles d’entraver de manière significative une concurrence effective dans le marché commun ou une partie substantielle de celui-ci.
(6) Un instrument juridique spécifique est donc nécessaire sous la forme d’un règlement qui permette un contrôle effectif de toutes les concentrations en fonction de leur effet sur la structure de concurrence dans la Communauté et qui soit le seul applicable à de telles concentrations. Le règlement [no 4064/89] a permis de développer une politique communautaire dans ce domaine. Il convient toutefois aujourd’hui, à la lumière de l’expérience acquise, de refondre ce règlement par des dispositions législatives adaptées aux défis d’un marché plus intégré et de l’élargissement futur de l’Union européenne. Conformément aux principes de subsidiarité et de proportionnalité énoncés à l’article 5 du traité [CE], le présent règlement n’excède pas ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif, qui est de faire en sorte que la concurrence ne soit pas faussée dans le marché commun, conformément au principe d’une économie de marché ouverte où la concurrence est libre.
[...]
(8) Les dispositions à arrêter dans le présent règlement devraient s’appliquer aux modifications structurelles importantes dont l’effet sur le marché s’étend au-delà des frontières nationales d’un État membre. Ces concentrations devraient, en règle générale, être examinées exclusivement au niveau de la Communauté, en application du système du “guichet unique” et conformément au principe de subsidiarité.
[...]
(20) Il est utile de définir la notion de concentration de telle sorte qu’elle couvre les opérations entraînant un changement durable du contrôle des entreprises concernées et donc de la structure du marché. [...] Il convient en outre de traiter comme une concentration unique des opérations qui sont étroitement liées en ce qu’elles font l’objet d’un lien conditionnel ou prennent la forme d’une série de transactions sur titres effectuées dans un délai raisonnablement bref.
[...]
(34) Pour assurer un contrôle efficace, il y a lieu d’obliger les entreprises à notifier préalablement leurs concentrations qui ont une dimension communautaire après la conclusion de l’accord, l’annonce de l’offre publique d’achat ou d’échange ou l’acquisition d’une participation de contrôle. [...] La réalisation des concentrations devrait être suspendue jusqu’à l’adoption d’une décision finale. Le cas échéant, une dérogation à cette suspension pourrait toutefois être accordée, à la demande des entreprises concernées. [...] »
4 L’article 1er de ce règlement, intitulé « Champ d’application », dispose, à son paragraphe 1 :
« Sans préjudice de l’article 4, paragraphe 5, et de l’article 22, le présent règlement s’applique à toutes les concentrations de dimension communautaire telles qu’elles sont définies au présent article. »
5 L’article 3 dudit règlement, intitulé « Définition de la concentration », prévoit, à ses paragraphes 1 et 2 :
« 1. Une concentration est réputée réalisée lorsqu’un changement durable du contrôle résulte :
a) de la fusion de deux ou de plusieurs entreprises ou parties de telles entreprises, ou
b) de l’acquisition, par une ou plusieurs personnes détenant déjà le contrôle d’une entreprise au moins ou par une ou plusieurs entreprises, du contrôle direct ou indirect de l’ensemble ou de parties d’une ou de plusieurs autres entreprises, que ce soit par prise de participations au capital ou achat d’éléments d’actifs, contrat ou tout autre moyen.
2. Le contrôle découle des droits, contrats ou autres moyens qui confèrent, seuls ou conjointement et compte tenu des circonstances de fait ou de droit, la possibilité d’exercer une influence déterminante sur l’activité d’une entreprise, et notamment :
a) des droits de propriété ou de jouissance sur tout ou partie des biens d’une entreprise ;
b) des droits ou des contrats qui confèrent une influence déterminante sur la composition, les délibérations ou les décisions des organes d’une entreprise. »
6 L’article 4 du même règlement, intitulé « Notification préalable des concentrations et renvoi en prénotification à la demande des parties notifiantes », énonce, à son paragraphe 1, premier alinéa :
« Les concentrations de dimension communautaire visées par le présent règlement doivent être notifiées à la Commission [européenne] avant leur réalisation et après la conclusion de l’accord, la publication de l’offre publique d’achat ou d’échange ou l’acquisition d’une participation de contrôle. »
7 L’article 7 du règlement no 139/2004, intitulé « Suspension de la concentration », prévoit, à ses paragraphes 1 et 3 :
« 1. Une concentration de dimension communautaire telle que définie à l’article 1er ou qui doit être examinée par la Commission en vertu de l’article 4, paragraphe 5, ne peut être réalisée ni avant d’être notifiée ni avant d’avoir été déclarée compatible avec le marché commun par une décision prise en vertu de l’article 6, paragraphe 1, point b), ou de l’article 8, paragraphes 1 ou 2, ou sur la base de la présomption établie à l’article 10, paragraphe 6.
[...]
3. La Commission peut, sur demande, octroyer une dérogation aux obligations prévues aux paragraphes 1 ou 2. La demande d’octroi d’une dérogation doit être motivée. Lorsqu’elle se prononce sur la demande, la Commission doit prendre en compte notamment les effets que la suspension peut produire sur une ou plusieurs entreprises concernées par la concentration ou sur une tierce partie, et la menace que la concentration peut présenter pour la concurrence. Cette dérogation peut être assortie de conditions et de charges destinées à assurer des conditions de concurrence effective. Elle peut être demandée et accordée à tout moment, que ce soit avant la notification ou après la transaction. »
8 L’article 8 de ce règlement, intitulé « Pouvoirs de décision de la Commission », dispose, à son paragraphe 4 :
« Si la Commission constate qu’une concentration :
a) a déjà été réalisée et qu’elle a été déclarée incompatible avec le marché commun, ou
b) a été réalisée en violation d’une condition dont est assortie une décision prise en vertu du paragraphe 2 et indiquant que, faute de respecter cette condition, la concentration répondrait au critère énoncé à l’article 2, paragraphe 3, ou que, dans les cas visés à l’article 2, paragraphe 4, elle ne répondrait pas aux critères énoncés à l’article [101, paragraphe 3, TFUE],
la Commission peut :
– ordonner aux entreprises concernées de dissoudre la concentration, notamment par la séparation des entreprises fusionnées ou la cession de la totalité des actions ou actifs acquis, afin de rétablir la situation antérieure à la réalisation de la concentration. Dans le cas où un tel rétablissement ne serait pas possible, la Commission peut prendre toute autre mesure appropriée pour rétablir, dans la mesure du possible, la situation antérieure à la réalisation de la concentration,
– ordonner toute autre mesure appropriée afin que les entreprises concernées dissolvent la concentration ou prennent des mesures visant à rétablir la situation antérieure à la réalisation de la concentration, comme requis dans sa décision.
Dans les cas relevant du premier alinéa, point a), ces mesures peuvent être imposées sous la forme d’une décision prise en vertu du paragraphe 3 ou d’une décision distincte. »
9 Aux termes de l’article 14, paragraphes 2 et 3, dudit règlement :
« 2. La Commission peut, par voie de décision, infliger aux personnes visées à l’article 3, paragraphe 1, point b), ou aux entreprises concernées des amendes jusqu’à concurrence de 10 % du chiffre d’affaires total réalisé par les entreprises concernées au sens de l’article 5, lorsque de propos délibéré ou par négligence :
a) elles omettent de notifier une concentration conformément à l’article 4 ou à l’article 22, paragraphe 3, avant sa réalisation, à moins qu’elles n’y soient expressément autorisées par l’article 7, paragraphe 2, ou par une décision prise en vertu de l’article 7, paragraphe 3 ;
b) elles réalisent une concentration en violation de l’article 7 ;
[...]
3. Pour fixer le montant de l’amende, il y a lieu de prendre en considération la nature, la gravité et la durée de l’infraction. »
10 L’article 16 du même règlement, intitulé « Contrôle de la Cour de justice », dispose :
« La Cour de justice statue avec compétence de pleine juridiction au sens de l’article [261 TFUE] sur les recours intentés contre les décisions par lesquelles la Commission fixe une amende ou une astreinte ; elle peut supprimer, réduire ou majorer l’amende ou l’astreinte infligée. »
La communication consolidée sur la compétence
11 Les points 18 et 54 de la communication consolidée sur la compétence de la Commission en vertu du règlement (CE) no 139/2004 du Conseil relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises (JO 2008, C 95, p. 1, et rectificatif JO 2009, C 43, p. 10, ci-après la « communication consolidée sur la compétence »), se lisent comme suit :
« (18) La prise de contrôle peut également être réalisée sur une base contractuelle. Afin de conférer un contrôle, le contrat doit conduire à un contrôle de la gestion et des ressources de l’autre entreprise équivalant à celui obtenu par l’acquisition d’actions ou d’éléments d’actifs. Outre le transfert du contrôle de la direction et des ressources, ces contrats doivent se caractériser par une durée extrêmement longue (habituellement sans possibilité de dénonciation anticipée par la partie octroyant les droits contractuels). [...] Ces contrats peuvent également déboucher sur un contrôle en commun dès lors que le propriétaire des éléments d’actifs et l’entreprise en contrôlant la gestion bénéficient de droits de véto permettant de bloquer les décisions commerciales stratégiques [...]
[...]
(54) Il y a prise de contrôle exclusif lorsqu’une entreprise peut exercer, seule, une influence déterminante sur une autre entreprise. Il importe de distinguer deux situations dans lesquelles une entreprise jouit d’un contrôle exclusif. Dans le premier cas, l’entreprise exerçant le contrôle exclusif détient le pouvoir d’arrêter les décisions commerciales stratégiques de l’autre entreprise. Ce pouvoir est typiquement obtenu par l’acquisition d’une majorité des droits de vote. Dans le deuxième cas, il y a également contrôle exclusif lorsqu’un seul actionnaire est en mesure de bloquer les décisions stratégiques d’une entreprise, mais qu’il ne peut, à lui seul, imposer ces décisions (c’est ce que l’on appelle contrôle exclusif négatif). Dans ces circonstances, un seul actionnaire dispose, de fait, du pouvoir qui est habituellement conféré à un actionnaire qui assure le contrôle en commun d’une société, celui de bloquer l’adoption de décisions stratégiques. Contrairement à la situation prévalant dans une société contrôlée en commun, aucun autre actionnaire ne dispose du même niveau d’influence et l’actionnaire qui exerce un contrôle exclusif négatif n’est pas nécessairement tenu de collaborer avec d’autres actionnaires particuliers à la détermination de la stratégie de l’entreprise contrôlée. Dans la mesure où il peut créer une situation de blocage, cet actionnaire acquiert une influence déterminante au sens de l’article 3, paragraphe 2, et, par conséquent, un contrôle au sens du règlement sur les concentrations [...] ».
Les antécédents du litige et la décision litigieuse
12 Les antécédents du litige sont exposés aux points 1 à 29 de l’arrêt attaqué. Pour les besoins du présent pourvoi, ils peuvent être résumés comme suit.
Acquisition par Altice de PT Portugal
13 Le 9 décembre 2014, Altice, une société multinationale de télécommunications et de télédistribution basée aux Pays-Bas, a conclu avec l’opérateur de télécommunications brésilien Oi SA un contrat d’acquisition d’actions (Share Purchase Agreement, ci-après le « SPA »). Ce contrat prévoyait qu’Altice prendrait, par l’intermédiaire de sa filiale Altice Portugal SA, le contrôle exclusif, au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous b), du règlement no 139/2004, de PT Portugal SGPS SA (ci-après « PT Portugal »), un opérateur de télécommunications et multimédia dont les activités portent sur l’ensemble du secteur des télécommunications au Portugal.
14 La clôture de cette acquisition était notamment soumise à l’obtention de l’autorisation de la Commission en vertu de ce règlement.
15 Le 2 juin 2015, Altice a annoncé publiquement que la transaction avait été clôturée et que la propriété des actions de PT Portugal lui avait été transférée.
Phase de prénotification
16 Le 31 octobre 2014, Altice a pris contact avec la Commission afin de l’avertir de son projet d’acquérir le contrôle exclusif de PT Portugal. Le 5 décembre 2014, une réunion a eu lieu entre Altice et les services de la Commission.
17 Le 12 décembre 2014, Altice a envoyé à la Commission une demande de désignation d’une équipe chargée de traiter son dossier et, le 18 décembre 2014, les contacts de prénotification ont commencé.
18 Le 26 janvier 2015, Altice a transmis à la Commission une proposition d’engagements concernant la cession de ses filiales au Portugal, Cabovisão et ONI.
19 Le 3 février 2015, Altice a soumis à la Commission un projet de formulaire de notification, comptant un exemplaire du SPA parmi ses annexes.
Notification et décision autorisant sous réserve la concentration
20 Le 25 février 2015, l’opération a été officiellement notifiée à la Commission.
21 Le 20 avril 2015, la Commission a adopté une décision (ci-après la « décision d’autorisation »), par laquelle elle déclarait l’opération compatible avec le marché intérieur sous réserve du respect des engagements joints à cette décision, parmi lesquels figurait la cession par Altice de ses filiales au Portugal Cabovisão et ONI.
Décision litigieuse et procédure ayant conduit à l’adoption de celle-ci
22 Le 13 avril 2015, la Commission a adressé à Altice une demande de renseignements concernant les échanges qu’elle avait eus avec PT Portugal à l’occasion d’une rencontre entre leurs dirigeants respectifs survenue avant l’adoption de la décision d’autorisation, rencontre dont l’institution avait appris l’existence par voie de presse. Le 17 avril 2015, Altice a soumis ses observations à la Commission.
23 À la suite de plusieurs demandes de renseignements, auxquelles Altice a répondu, la Commission a, par lettre du 11 mars 2016, indiqué à Altice qu’elle avait ouvert une enquête afin de déterminer si celle-ci avait enfreint l’article 4, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004.
24 À la suite de demandes de production de documents et de renseignements supplémentaires, auxquelles Altice a répondu, ainsi que d’une réunion entre celle-ci et les services de la Commission, cette institution lui a, le 17 mai 2017, adressé une communication des griefs concluant à titre préliminaire qu’elle avait enfreint ces dispositions. Altice a présenté des observations écrites en réponse à cette communication le 18 août 2017.
25 Le 24 avril 2018, la Commission a adopté la décision litigieuse.
26 Par cette décision, la Commission a constaté qu’Altice avait eu la possibilité d’exercer une influence déterminante ou avait mis en œuvre le contrôle de PT Portugal avant l’adoption de la décision d’autorisation et, dans certains cas, avant la notification, en violation respectivement de l’article 7, paragraphe 1, et de l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 139/2004.
27 Le titre 4 de la décision litigieuse expose les raisons pour lesquelles la Commission a conclu qu’Altice avait mis en œuvre le SPA préalablement à son autorisation de la concentration, en violation de l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004. Plus précisément, le sous-titre 4.1 relève que certaines clauses du SPA donnaient à Altice un droit de veto sur les décisions concernant la politique commerciale de PT Portugal (ci-après les « arrangements antérieurs à la clôture »). Le sous-titre 4.2 décrit les cas impliquant Altice dans le fonctionnement quotidien de PT Portugal. À ce titre, la Commission a constaté, d’une part, qu’Altice avait effectivement exercé une influence déterminante sur les activités de PT Portugal dans sept cas et, d’autre part, que des informations sensibles avaient été échangées entre cette dernière et Altice, ce qui contribuait à démontrer qu’Altice exerçait une influence déterminante sur PT Portugal. Le sous-titre 4.3 expose les conclusions de la Commission quant aux raisons pour lesquelles les termes du SPA, tels que décrits au sous-titre 4.1, et la conduite des parties, telle que décrite au sous-titre 4.2, constituent une mise en œuvre du SPA avant que la Commission n’ait déclaré la concentration compatible avec le marché intérieur.
28 Le titre 5 de la décision litigieuse expose les motifs ayant conduit la Commission à conclure qu’Altice avait mis en œuvre la transaction avant la notification de la concentration, en violation de l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 139/2004. Les arrangements antérieurs à la clôture, certains des sept cas d’exercice effectif d’une influence déterminante et certains échanges d’informations seraient intervenus avant cette notification.
29 Au vu de l’ensemble de ces motifs, la Commission a, aux articles 1er et 2 de la décision litigieuse, constaté qu’Altice avait réalisé, à tout le moins par négligence, une concentration, respectivement, avant que celle-ci ne soit autorisée, en violation de l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004, et avant qu’elle ne soit notifiée, en violation de l’article 4, paragraphe 1, de ce règlement.
30 En vertu de l’article 14, paragraphe 2, du règlement no 139/2004, la Commission a, respectivement aux articles 3 et 4 de cette décision, infligé à Altice deux amendes d’un montant chacune de 62 250 000 euros, au titre des deux infractions constatées.
La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué
31 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 5 juillet 2018, Altice a introduit un recours tendant, à titre principal, à l’annulation de la décision litigieuse et, à titre subsidiaire, à la suppression ou à la réduction du montant des amendes qui lui ont été infligées par cette décision.
32 Par décision du 6 décembre 2018, le président de la septième chambre du Tribunal a admis l’intervention du Conseil de l’Union européenne au soutien des conclusions de la Commission, conformément à sa demande.
33 À l’appui de ses conclusions tendant à l’annulation de la décision litigieuse, Altice a soulevé une exception d’illégalité et quatre moyens que le Tribunal a examinés en trois temps. Tout d’abord, aux points 54 à 67 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a écarté l’exception d’illégalité visant l’article 4, paragraphe 1, et l’article 14, paragraphe 2, sous a), du règlement no 139/2004. Ensuite, aux points 68 à 259 de cet arrêt, le Tribunal a écarté les trois premiers moyens d’Altice, relatifs à l’existence d’une infraction à l’article 4, paragraphe 1, et à l’article 7, paragraphe 1, de ce règlement. Enfin, aux points 260 à 277 du même arrêt, le Tribunal a écarté le quatrième moyen et, en particulier, les arguments pris de la violation du principe de proportionnalité et du « principe de l’interdiction de la double sanction fondée sur les principes généraux communs aux ordres juridiques des États membres ». En conséquence, à ce même point 277 de l’arrêt attaqué, il a rejeté les conclusions tendant à l’annulation de la décision litigieuse.
34 À l’appui de ses conclusions portant sur le montant des amendes, Altice a soulevé un cinquième moyen, tiré de l’illégalité des amendes et de la violation du principe de proportionnalité, subdivisé en cinq branches. Le Tribunal a écarté les quatre premières branches, en particulier la troisième branche, tirée du caractère illégal des amendes pour insuffisance de motivation de la détermination de leur montant. Dans le cadre de la cinquième branche, il a considéré, dans l’exercice de sa compétence de pleine juridiction, qu’il convenait de réduire de 10 % le montant de l’amende infligée à Altice pour violation de l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 139/2004 et de fixer celle-ci à 56 025 000 euros. En effet, le Tribunal a relevé qu’Altice avait, de sa propre initiative, informé la Commission de la concentration bien avant la signature du SPA et adressé une demande de désignation d’une équipe chargée de traiter son dossier.
La procédure devant la Cour et les conclusions des parties
35 Par son pourvoi, Altice demande à la Cour :
– d’annuler l’arrêt attaqué ;
– d’annuler les articles 1er à 4 de la décision litigieuse ;
– à titre subsidiaire, de réduire les amendes infligées aux articles 3 et 4 de la décision litigieuse, telle que modifiée par le Tribunal ;
– à titre encore plus subsidiaire, de renvoyer l’affaire devant le Tribunal, et
– de condamner la Commission à supporter ses dépens exposés tant dans la procédure de pourvoi que dans la procédure devant le Tribunal.
36 La Commission demande à la Cour :
– de rejeter le pourvoi et
– de condamner Altice aux dépens.
37 Le Conseil demande à la Cour :
– de rejeter le premier moyen de pourvoi et
– de condamner Altice à supporter ses dépens exposés dans la procédure de pourvoi.
Sur le pourvoi
38 À l’appui de son pourvoi, Altice soulève six moyens.
Sur le premier moyen
39 Par son premier moyen de pourvoi, Altice reproche au Tribunal d’avoir commis des erreurs de droit dans l’examen de l’exception d’illégalité dirigée contre l’article 4, paragraphe 1, et l’article 14, paragraphe 2, sous b), du règlement no 139/2004. Ce moyen se divise en trois branches.
Sur la première branche du premier moyen
– Argumentation des parties
40 Par la première branche du premier moyen, Altice fait valoir que, aux points 54 à 58, 60 à 64, 66, 264, 265 et 271 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a commis une erreur de droit en considérant que l’article 4, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004 poursuivent des « objectifs autonomes » et imposent deux obligations distinctes, à savoir une obligation de notification et une obligation de suspension, qui seraient susceptibles de faire l’objet de sanctions spécifiques.
41 En premier lieu, Altice souligne que, depuis l’adoption du règlement no 139/2004, l’obligation de notification ne peut être ni distinguée de l’obligation de suspension ni enfreinte de manière autonome ni faire l’objet d’une sanction spécifique. En effet, alors que la violation de l’article 4, paragraphe 1, de ce règlement intervient lorsqu’une concentration est réalisée avant sa notification, cette réalisation relèverait précisément de l’article 7, paragraphe 1, dudit règlement.
42 Partant, contrairement à ce que le Tribunal aurait jugé aux points 56, 60 à 62 et 271 de l’arrêt attaqué, ces dispositions poursuivraient non pas des « objectifs autonomes », mais un objectif unique et, ainsi, un seul et même intérêt juridique. Cet objectif viserait à assurer l’efficacité du contrôle ex ante des concentrations de dimension communautaire. À cet effet, lesdites dispositions proscriraient, toutes deux, la réalisation d’une concentration avant sa notification. Le Tribunal aurait omis, au point 60 de l’arrêt attaqué, de tenir compte du fait que l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004 interdit non seulement la réalisation d’une concentration avant son autorisation par la Commission, mais aussi sa réalisation avant sa notification à cette dernière.
43 Les différenciations effectuées par le Tribunal aux points 54, 55, 57 et 58 de l’arrêt attaqué seraient dépourvues d’incidence à cet égard, dès lors qu’elles ne renverseraient pas la position d’Altice selon laquelle ces deux dispositions s’appliquent au même comportement et poursuivent le même objectif en tant qu’elles interdisent la réalisation de la concentration avant sa notification. La durée des infractions serait pertinente uniquement pour apprécier la proportionnalité des amendes.
44 En outre, ce serait à tort que, aux points 56, 66 et 264 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a invoqué, pour justifier le fait que l’article 4, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004 poursuivent des « objectifs autonomes », le système de « guichet unique » visé au considérant 8 de ce règlement. Celui-ci se limiterait à définir la compétence de la Commission pour le contrôle des concentrations de dimension communautaire.
45 En deuxième lieu, Altice est d’avis que le régime prévu par le règlement no 139/2004 n’est qu’un vestige du passé. Elle fait observer que le règlement no 4064/89 comportait bien deux obligations distinctes et autonomes, à savoir une obligation procédurale de notification d’une concentration dans un délai d’une semaine à compter de la conclusion de l’accord et une obligation matérielle de suspension. La violation de chacune de ces obligations était passible d’amendes de niveau différent.
46 Or, en adoptant le règlement no 139/2004, le législateur de l’Union aurait supprimé, à l’article 4, paragraphe 1, de celui-ci, le délai imparti pour la notification d’une concentration et imposé une notification préalable à la réalisation d’une concentration. Il aurait, en parallèle, augmenté le montant de l’amende pouvant être infligée, en vertu de l’article 14, paragraphe 2, sous a), de ce règlement, en cas de violation de l’obligation de notification. Ce faisant, il aurait transformé cette obligation en une obligation matérielle de ne pas réaliser la concentration avant sa notification. Le cadre légal qui résulterait de cette omission du législateur de supprimer ou d’adapter ces dispositions serait « anormal ».
47 En troisième lieu, au titre d’une interprétation systémique, Altice ajoute que l’article 7, paragraphe 3, du règlement no 139/2004 prévoit une dérogation à l’article 7, paragraphe 1, de celui-ci et qu’il n’existe pas de disposition équivalente pour déroger à l’article 4, paragraphe 1, de ce règlement. Il en serait ainsi parce que cette dérogation impliquerait également une dérogation à l’obligation de notification visée à cette dernière disposition. En outre, l’article 14, paragraphe 2, sous a), dudit règlement prévoirait expressément qu’aucune amende ne peut être infligée au titre d’une violation de l’article 4, paragraphe 1, du même règlement lorsqu’une dérogation est accordée en vertu de son article 7, paragraphe 3.
48 La Commission et le Conseil estiment que la présente branche doit être écartée comme étant non fondée.
– Appréciation de la Cour
49 Par la première branche du premier moyen, Altice allègue, en substance, que le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant que l’article 4, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004 poursuivent des objectifs autonomes, alors que, selon elle, ils protègent un seul et même intérêt juridique et sont redondants.
50 Il convient de faire observer qu’il existe un lien entre l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 139/2004, qui prévoit l’obligation de notifier une concentration avant sa réalisation, et l’article 7, paragraphe 1, de ce règlement, qui prévoit l’obligation de ne pas réaliser cette concentration avant sa notification et son autorisation. En effet, une violation de l’article 4, paragraphe 1, dudit règlement entraîne automatiquement une violation de l’article 7, paragraphe 1, du même règlement, de sorte qu’il n’est pas possible d’envisager une violation de la première disposition indépendamment d’une violation de la seconde disposition (voir, en ce sens, arrêt du 4 mars 2020, Marine Harvest/Commission, C 10/18 P, EU:C:2020:149, points 101 et 106).
51 Toutefois, dans la situation où une entreprise notifie une concentration avant sa réalisation, conformément à l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 139/2004, il demeure possible que cette entreprise méconnaisse l’article 7, paragraphe 1, de ce règlement, dans l’hypothèse où elle réaliserait cette concentration avant que la Commission ne la déclare compatible avec le marché intérieur (arrêt du 4 mars 2020, Marine Harvest/Commission, C 10/18 P, EU:C:2020:149, point 102).
52 Il en découle que l’article 4, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004 poursuivent des objectifs autonomes dans le cadre du système de « guichet unique » visé au considérant 8 de ce règlement (arrêt du 4 mars 2020, Marine Harvest/Commission, C 10/18 P, EU:C:2020:149, point 103).
53 En effet, d’une part, l’article 4, paragraphe 1, dudit règlement prévoit une obligation de faire, à savoir l’obligation de notifier la concentration avant sa réalisation, et, d’autre part, l’article 7, paragraphe 1, du même règlement prévoit une obligation de ne pas faire, à savoir ne pas réaliser cette concentration avant sa notification et son autorisation. Si la violation de la première de ces dispositions constitue une infraction instantanée, celle de la seconde d’entre elles constitue une infraction continue (voir, en ce sens, arrêt du 4 mars 2020, Marine Harvest/Commission, C 10/18 P, EU:C:2020:149, points 104 et 115).
54 En outre, le règlement no 139/2004 prévoit, à son article 14, paragraphe 2, sous a) et b), des amendes distinctes pour la violation de chacune de ces obligations dans la situation où ces violations sont commises concomitamment, par la réalisation d’une concentration avant sa notification à la Commission (voir, en ce sens, arrêt du 4 mars 2020, Marine Harvest/Commission, C 10/18 P, EU:C:2020:149, points 105 et 106). Cette possibilité est justifiée par l’objectif de ce règlement qui est, ainsi qu’il ressort de son considérant 34, d’assurer un contrôle efficace des concentrations qui ont une dimension communautaire en obligeant les entreprises à notifier préalablement leurs concentrations et en prévoyant que la réalisation de celles-ci soit suspendue jusqu’à l’adoption d’une décision finale (voir, en ce sens, arrêts du 31 mai 2018, Ernst & Young, C 633/16, EU:C:2018:371, point 42, ainsi que du 4 mars 2020, Marine Harvest/Commission, C 10/18 P, EU:C:2020:149, points 108 et 109).
55 Compte tenu de cet objectif, la Cour a déjà écarté une interprétation selon laquelle, dans l’hypothèse de la réalisation d’une concentration avant sa notification, la Commission ne pourrait sanctionner que la violation de l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004. En effet, la Cour a considéré que, en privant la Commission de la possibilité d’établir une distinction, au travers des amendes qu’elle inflige, entre la situation où l’entreprise respecterait l’obligation de notification, mais violerait l’obligation de suspension, et la situation où cette entreprise violerait ces deux obligations, une telle interprétation ne permettrait pas d’atteindre ledit objectif, dans la mesure où la violation de l’obligation de notification ne pourrait jamais faire l’objet d’une sanction spécifique (voir, en ce sens, arrêt du 4 mars 2020, Marine Harvest/Commission, C 10/18 P, EU:C:2020:149, points 107 à 109).
56 À la lumière de ces rappels, en premier lieu, il convient de constater que, aux points 54 à 58 et 63 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a rappelé précisément la jurisprudence citée aux points 50 à 54 du présent arrêt. Il en a déduit, à bon droit, que, en dépit d’un certain chevauchement, dont il a par ailleurs dûment tenu compte, l’article 4, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004 poursuivent des objectifs autonomes, énoncent des obligations distinctes et donnent lieu à des infractions de nature différente.
57 Ainsi, si ces deux objectifs s’inscrivent dans la finalité du règlement no 139/2004, consistant, ainsi qu’il a en substance été relevé au point 54 du présent arrêt, à préserver l’efficacité du contrôle ex ante des opérations de concentration, il n’en demeure pas moins qu’ils en constituent des déclinaisons distinctes.
58 C’est donc également à bon droit que le Tribunal a écarté, aux points 59 et 62 de l’arrêt attaqué, les arguments d’Altice excipant de l’illégalité de l’article 4, paragraphe 1, et de l’article 14, paragraphe 2, sous a), du règlement no 139/2004 au motif, selon Altice, que l’article 4, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de ce règlement seraient redondants et poursuivraient un même intérêt juridique.
59 Il ressort encore de la jurisprudence citée aux points 50 à 53 du présent arrêt que la conclusion selon laquelle ces dispositions poursuivent des objectifs autonomes est tirée, contrairement aux arguments d’Altice, du contenu normatif et des objectifs respectifs de ces deux dispositions ainsi que de l’économie générale du règlement no 139/2004, et non du considérant 8 de celui-ci.
60 En deuxième lieu, aucune conclusion différente ne saurait être tirée d’une comparaison entre les dispositions du règlement no 4064/89 et celles du règlement no 139/2004. En effet, c’est uniquement ce dernier règlement qui est applicable ratione temporis à la présente affaire.
61 En troisième lieu, sans qu’il soit besoin de déterminer si, comme l’allègue Altice, l’article 7, paragraphe 3, du règlement no 139/2004 permet, en plus de l’octroi d’une dérogation à l’obligation de suspension, l’octroi d’une dérogation à l’obligation de notification, l’argument tiré de cette disposition ne saurait prospérer. En effet, cet argument ne fait que refléter les liens qui existent entre ces deux obligations et qui sont dûment pris en compte dans la jurisprudence rappelée aux points 50 et 55 du présent arrêt.
62 Il découle des considérations qui précèdent que la première branche du premier moyen doit être écartée comme étant non fondée.
Sur la deuxième branche du premier moyen
– Argumentation des parties
63 Par la deuxième branche du premier moyen, Altice reproche au Tribunal d’avoir commis une erreur de droit en considérant que l’infliction cumulative de deux amendes en vertu de l’article 14, paragraphe 2, du règlement no 139/2004 ne viole pas le principe de proportionnalité.
64 Selon elle, contrairement à ce que le Tribunal a jugé aux points 65 et 273 de l’arrêt attaqué, la possibilité d’infliger cumulativement deux amendes pour un même comportement commis par la même personne en méconnaissance de deux obligations protégeant le même objectif est, en tant que telle, manifestement contraire au principe de proportionnalité, dès lors qu’un tel cumul de sanctions n’est pas nécessaire et est excessif.
65 L’objectif d’efficacité du contrôle ex ante des concentrations serait pleinement atteint par une mesure moins contraignante qui consisterait en l’infliction, sur le fondement de l’article 14, paragraphe 2, sous b), du règlement no 139/2004, d’une seule amende sanctionnant à la fois la violation de l’obligation de notification et la violation de l’obligation de suspension, toutes deux inscrites à l’article 7, paragraphe 1, de ce règlement. En tenant compte de la nature, de la gravité et de la durée de l’infraction, la Commission pourrait moduler l’amende infligée pour une violation de cette disposition, selon qu’une entreprise a violé ces deux obligations ou seulement la seconde d’entre elles.
66 La Commission et le Conseil estiment que la présente branche doit être écartée comme étant non fondée.
– Appréciation de la Cour
67 Au point 65 de l’arrêt attaqué, qu’Altice conteste par la deuxième branche du premier moyen, le Tribunal a considéré que l’infliction de deux sanctions pour un même comportement par une même autorité et dans une seule et même décision ne saurait être considérée, en tant que telle, comme étant contraire au principe de proportionnalité. Le Tribunal a réitéré cette considération au point 273 dudit arrêt, également contesté par Altice.
68 En premier lieu, il convient de relever que la présente branche est fondée sur la prémisse selon laquelle les obligations prévues à l’article 4, paragraphe 1, et à l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004 visent à protéger un même objectif. Or, cette prémisse a été infirmée dans le cadre de l’examen de la première branche du présent moyen. Partant, l’allégation d’Altice ne peut qu’être écartée.
69 En second lieu, il convient de rappeler que le principe de proportionnalité, qui fait partie des principes généraux du droit de l’Union, exige que les actes des institutions de l’Union soient aptes à réaliser les objectifs légitimes poursuivis par la réglementation en cause et ne dépassent pas les limites de ce qui est nécessaire à la réalisation de ces objectifs. Lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante et que les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés (voir, en ce sens, arrêt du 16 février 2022, Hongrie/Parlement et Conseil, C 156/21, EU:C:2022:97, point 340 ainsi que jurisprudence citée).
70 En l’occurrence, l’article 14, paragraphe 2, du règlement no 139/2004 habilite la Commission, respectivement à ses points a) et b), à infliger, par voie de décision, des amendes en raison de la violation par des entreprises de l’article 4, paragraphe 1, et de l’article 7, paragraphe 1, de ce règlement, étant précisé que le montant de chacune de ces amendes est plafonné à concurrence de 10 % du chiffre d’affaires total réalisé par ces entreprises. Conformément à l’article 14, paragraphe 3, dudit règlement, il y a lieu de prendre en considération, aux fins de la fixation du montant de chaque amende, la nature, la gravité et la durée de l’infraction.
71 Or, ainsi qu’il découle des points 54 et 55 du présent arrêt, cette possibilité d’infliger, dans le cadre d’une même décision, deux amendes en raison de la violation, par un seul et même comportement, de deux obligations autonomes est à la fois apte à assurer un contrôle efficace des concentrations qui ont une dimension communautaire et nécessaire à cet effet. En outre, en déterminant le montant de chacune des amendes, dans la limite du plafond de 10 % du chiffre d’affaires total des entreprises concernées, en considération de la nature, de la gravité et de la durée de chaque infraction, la Commission doit veiller au respect du principe de proportionnalité dans la mise en œuvre des dispositions du règlement no 139/2004.
72 Dans ces conditions, c’est sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal a jugé, aux points 65 et 273 de l’arrêt attaqué, que l’infliction de deux sanctions pour un même comportement, par une même autorité et dans une seule et même décision, ne saurait être considérée, en tant que telle, comme étant contraire au principe de proportionnalité. Il revient toutefois à cette autorité de s’assurer que les amendes prises ensemble sont proportionnées à la nature de l’infraction (voir, par analogie, arrêt du 3 avril 2019, Powszechny Zakład Ubezpieczeń na Życie, C 617/17, EU:C:2019:283, point 38).
73 Il s’ensuit que la deuxième branche du premier moyen doit être écartée comme étant non fondée.
Sur la troisième branche du premier moyen
– Argumentation des parties
74 Par la troisième branche du premier moyen, Altice fait valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant que l’infliction cumulative de deux amendes en vertu de l’article 14, paragraphe 2, du règlement no 139/2004 ne viole pas l’interdiction de la double sanction ancrée dans les principes généraux communs aux ordres juridiques des États membres régissant le concours des lois.
75 Premièrement, le Tribunal aurait erronément omis d’examiner l’argumentation qu’Altice tirait de ce principe général du droit de l’Union dans le cadre de l’exception d’illégalité.
76 Deuxièmement, le Tribunal aurait commis une erreur de droit au point 274 de l’arrêt attaqué. En effet, contrairement à ce que le Tribunal y aurait indiqué, la Cour n’aurait pas écarté, aux points 117 et 118 de l’arrêt du 4 mars 2020, Marine Harvest/Commission (C 10/18 P, EU:C:2020:149), une argumentation tirée de ce principe, puisque, en l’absence d’exception d’illégalité soulevée devant elle, elle ne se serait pas prononcée sur la compatibilité de l’article 4, paragraphe 1, et de l’article 14, paragraphe 2, sous a), du règlement no 139/2004 avec le principe de l’interdiction de la double sanction.
77 Au demeurant, il importerait peu que le législateur ait, ou non, qualifié une infraction comme étant plus grave que l’autre ou une disposition comme étant principalement applicable. Dégagés pour combler l’absence d’une telle qualification par le législateur, les principes afférents au concours d’infractions pénales s’opposeraient à ce que deux amendes soient infligées au même contrevenant, pour le même comportement et afin de protéger le même intérêt juridique.
78 À ce titre, le Tribunal aurait d’ailleurs omis de tenir compte des six avis juridiques produits par Altice.
79 Troisièmement, conformément au « principe de concours des lois » et au « principe de consommation », la violation de l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004 absorberait en l’espèce celle de l’article 4, paragraphe 1, de celui-ci. La première disposition serait, en effet, plus large et engloberait l’obligation imposée par la seconde dans son intégralité. Pour éviter d’infliger une amende excessive, il conviendrait alors d’appliquer exclusivement l’article 7, paragraphe 1, de ce règlement. Le délai de prescription quinquennal s’appliquerait alors.
80 La Commission et le Conseil contestent les arguments d’Altice et considèrent que la présente branche est non fondée.
– Appréciation de la Cour
81 Premièrement, dans la mesure où Altice reproche au Tribunal de ne pas avoir statué, dans le cadre de l’exception d’illégalité qu’elle avait soulevée, sur ses arguments pris des « principes généraux communs aux ordres juridiques des États membres régissant le concours des lois », il y a lieu de faire observer que le Tribunal a écarté ces arguments aux points 60 à 62 de l’arrêt attaqué en expliquant que l’article 4, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004 poursuivent des objectifs autonomes.
82 Or, il ressort de la requête de première instance que ce volet de l’exception d’illégalité soulevée par Altice était intrinsèquement lié à son allégation selon laquelle ces dispositions protègent un seul et même intérêt juridique.
83 Partant, il ne saurait être reproché au Tribunal de ne pas avoir statué de manière explicite et détaillée sur l’ensemble des arguments présentés par Altice dans ledit volet.
84 Deuxièmement, au point 274 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a considéré que la Cour avait déjà écarté, aux points 117 et 118 de l’arrêt du 4 mars 2020, Marine Harvest/Commission (C 10/18 P, EU:C:2020:149), un argument analogue à celui tiré par Altice du « principe de l’interdiction de la double sanction fondée sur les principes généraux communs aux ordres juridiques des États membres ».
85 Or, cette considération n’est entachée d’aucune erreur de droit.
86 En effet, dans ce dernier arrêt, en particulier aux points 117 et 118 de celui-ci, la Cour a jugé que, à supposer qu’un tel principe soit pertinent, en l’absence, dans le règlement no 139/2004, d’une disposition qui serait « principalement applicable » et compte tenu des objectifs autonomes poursuivis par l’article 4, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de ce règlement, ce principe ne saurait empêcher l’infliction de deux amendes en raison de la violation, par un même comportement, de ces dispositions. Le Tribunal pouvait donc, sans commettre d’erreur de droit, fonder son appréciation des arguments d’Altice sur ledit arrêt, quand bien même la Cour n’avait pas été saisie, dans l’affaire ayant conduit à ce dernier arrêt, d’une exception d’illégalité.
87 Dans ces conditions, il n’était pas non plus nécessaire que le Tribunal prenne expressément en compte les différents avis et expertises produits par Altice.
88 Troisièmement, l’argumentation d’Altice, telle que résumée au point 79 du présent arrêt, doit être écartée dès lors qu’elle est fondée sur la prémisse selon laquelle l’article 4, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004 poursuivent un seul et même objectif et sont redondants. En effet, cette prémisse a été infirmée dans le cadre de l’appréciation de la première branche du présent moyen.
89 Il découle des considérations qui précèdent qu’il convient d’écarter la troisième branche du premier moyen et, partant, ce moyen dans son intégralité.
Sur le deuxième moyen
Argumentation des parties
90 Par son deuxième moyen de pourvoi, Altice conteste les points 260 à 278 et 328 de l’arrêt attaqué.
91 En premier lieu, Altice allègue que le Tribunal a commis une erreur de droit et méconnu le principe de proportionnalité en concluant que ce principe n’est pas applicable « en tant que tel » à l’infliction de deux amendes pour la violation de l’article 4, paragraphe 1, et de l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004 et en omettant de s’assurer que les deux amendes infligées étaient proportionnées aux infractions commises.
92 Premièrement, dans la mesure où, aux points 264, 265 et 270 de l’arrêt attaqué, le Tribunal se serait référé aux objectifs autonomes de ces deux dispositions du règlement no 139/2004, Altice renvoie au premier moyen de pourvoi.
93 Deuxièmement, s’agissant du principe de proportionnalité, Altice rappelle que, si le principe ne bis in idem ne s’oppose pas à ce qu’une autorité de concurrence inflige deux amendes à une entreprise dans une décision unique pour les mêmes faits, cette autorité doit néanmoins s’assurer que les amendes prises ensemble sont proportionnées à la nature de l’infraction. Or, le Tribunal aurait omis de procéder à cet examen. D’ailleurs, lorsqu’il a réduit le montant de l’amende infligée au titre de la violation de l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 139/2004, il ne l’aurait pas fait pour assurer la proportionnalité des deux amendes infligées.
94 Selon Altice, l’infliction d’une deuxième amende pour un même comportement pour protéger le même intérêt juridique est, par définition, non nécessaire et excessive.
95 En second lieu, Altice estime que le Tribunal a également violé l’interdiction de la double sanction ancrée dans les principes généraux communs aux ordres juridiques des États membres en matière de concours des lois en refusant d’admettre que l’infliction de deux amendes viole cette interdiction, qui formerait un principe général du droit de l’Union.
96 À cet égard, Altice renvoie à l’argumentation qu’elle a développée dans le cadre du premier moyen de pourvoi. Elle ajoute que, s’il fallait considérer que l’article 4, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004 poursuivent des intérêts juridiques différents, il s’agirait d’un cas de concours idéal d’infractions. Il conviendrait, alors, de recourir au principe de l’imputation, applicable pour les raisons évoquées dans le cadre de la troisième branche du premier moyen, et, partant, de tenir compte du montant de la première sanction infligée pour déterminer le montant de la seconde. Ainsi, le Tribunal aurait commis une erreur de droit au point 328 de l’arrêt attaqué en écartant, sur la base d’une lecture erronée de l’arrêt du 26 octobre 2017, Marine Harvest/Commission (T 704/14, EU:T:2017:753, point 344), l’applicabilité de ce principe.
97 La Commission estime que le présent moyen est non fondé.
Appréciation de la Cour
98 D’emblée, il y a lieu de relever que le deuxième moyen de pourvoi est fondé, dans une large mesure, sur un renvoi aux arguments déjà avancés par Altice à l’appui du premier moyen de pourvoi. Dans la mesure où ces arguments ont été écartés dans le cadre de l’examen de ce dernier, le deuxième moyen ne saurait prospérer.
99 Pour le surplus, premièrement, l’allégation prise d’une violation du principe de proportionnalité est insuffisamment étayée, de sorte qu’elle doit être écartée comme étant irrecevable.
100 Deuxièmement, Altice allègue que le principe d’imputation est applicable, pour les raisons exposées dans le cadre de la troisième branche du premier moyen, dans l’hypothèse d’un « concours d’infractions ». Il s’agirait d’une hypothèse où l’article 4, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004 protègent des intérêts juridiques distincts. Or, il convient d’observer que, alors que la troisième branche est fondée sur la prémisse selon laquelle ces dispositions protègent le même intérêt juridique et que la présente affaire correspond à un cas de concours de lois, Altice est restée en défaut d’expliquer en quoi ces raisons seraient, dans ces conditions, transposables.
101 En ce qui concerne le renvoi opéré par Altice, dans ce contexte, au point 344 de l’arrêt du 26 octobre 2017, Marine Harvest/Commission (T 704/14, EU:T:2017:753), cité au point 328 de l’arrêt attaqué, son argumentation repose sur une lecture erronée de ce point 344. En effet, à ce dernier point, le Tribunal a clairement écarté l’applicabilité du principe d’imputation à une situation dans laquelle plusieurs sanctions sont infligées dans une seule et même décision, même si ces sanctions sont infligées pour les mêmes faits. Cette argumentation est, partant, non fondée.
102 Il s’ensuit que le deuxième moyen de pourvoi doit être écarté comme étant, en partie, irrecevable et, en partie, non fondé.
Sur les troisièmes à cinquième moyens
103 Par ses troisièmes à cinquième moyens de pourvoi, Altice conteste les appréciations que le Tribunal a portées sur la constatation de la Commission selon laquelle Altice avait réalisé la concentration, au sens de l’article 4, paragraphe 1, et de l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004, avant sa notification à cette institution et son autorisation par celle-ci.
104 La Commission rétorque que ces trois moyens sont inopérants et, en tout état de cause, non fondés.
Sur le caractère opérant des troisièmes à cinquième moyens
– Argumentation des parties
105 La Commission relève que, dans la décision litigieuse, la constatation selon laquelle Altice avait réalisé la concentration, au sens de l’article 4, paragraphe 1, et de l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004, avant sa notification à cette institution et son autorisation par celle-ci était fondée sur trois éléments. Il s’agissait, premièrement, de l’existence des arrangements antérieurs à la clôture, deuxièmement, de l’intervention effective d’Altice dans l’activité de PT Portugal et, troisièmement, des échanges d’informations qui auraient contribué à démontrer qu’Altice exerçait une influence déterminante sur PT Portugal.
106 Or, par ses troisièmes à cinquième moyens, Altice contesterait uniquement les appréciations portées par le Tribunal sur le premier et le troisième de ces éléments. S’agissant du deuxième élément, Altice se bornerait à alléguer que les conclusions tirées par la Commission dans la section 4.2.1 de la décision litigieuse supposaient qu’Altice disposât d’un droit de veto sur les décisions stratégiques en cause de PT Portugal, dont Altice contestait l’existence. Selon la Commission, cette dernière allégation est dénuée de fondement car ni cette décision ni l’arrêt attaqué ne subordonnent la conclusion quant à l’exercice effectif d’une influence déterminante sur des aspects de la stratégie commerciale de PT Portugal par Altice à ce que le SPA lui confère un tel droit de veto. Altice n’aurait donc pas réellement contesté les conclusions sur le fond du Tribunal concernant le comportement décrit dans cette section 4.2.1 et examiné aux points 170 à 218 de l’arrêt attaqué.
107 Partant, dès lors que ces conclusions seraient à elles seules de nature à justifier la constatation d’une réalisation, par Altice, de la concentration, les troisièmes à cinquième moyens seraient inopérants.
108 Dans son mémoire en réplique, Altice conteste l’ensemble de ces arguments.
– Appréciation de la Cour
109 Ainsi que l’observe à juste titre la Commission et qu’il ressort des points 27 et 28 du présent arrêt, celle-ci s’est fondée, dans la décision litigieuse, sur trois éléments pour constater qu’Altice avait réalisé la concentration, au sens de l’article 4, paragraphe 1, et de l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004, avant sa notification à cette institution et son autorisation par celle-ci. Premièrement, les arrangements antérieurs à la clôture auraient accordé à Altice la possibilité d’exercer une influence déterminante sur les activités de PT Portugal. Deuxièmement, sept cas illustreraient l’intervention effective d’Altice dans l’activité de PT Portugal. Troisièmement, des échanges d’informations auraient contribué à démontrer qu’Altice exerçait une influence déterminante sur PT Portugal.
110 Le Tribunal a examiné le bien-fondé de ces appréciations dans le cadre des trois premiers moyens soulevés par Altice, relatifs à l’existence d’une infraction au titre de l’article 4, paragraphe 1, et de l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004. C’est dans ce cadre qu’il a statué, notamment, sur la notion de « réalisation » d’une concentration, au sens de ces dispositions (points 76 à 89 de l’arrêt attaqué), sur les arrangements antérieurs à la clôture (points 94 à 105, 108 à 133 et 136 à 155 de cet arrêt), sur les sept cas allégués d’exercice effectif d’une influence déterminante sur PT Portugal (points 173 à 218 dudit arrêt), ainsi que sur les échanges d’informations (points 221 à 242 du même arrêt).
111 Par ses troisièmes à cinquième moyens de pourvoi, Altice conteste, en substance, les appréciations du Tribunal relatives à la notion de « réalisation » d’une concentration, au sens de l’article 4, paragraphe 1, et de l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004, aux arrangements antérieurs à la clôture ainsi qu’aux échanges d’informations.
112 Il est donc vrai que, comme le fait valoir la Commission, Altice n’a pas soulevé, à l’appui de son pourvoi, de moyen visant à contester spécifiquement les appréciations du Tribunal relatives aux sept cas allégués d’exercice effectif d’une influence déterminante.
113 Il n’en demeure pas moins que, par la troisième branche du troisième moyen, Altice met en cause la pertinence du critère que le Tribunal a appliqué aux fins de l’appréciation non seulement des arrangements antérieurs à la clôture, en cause dans le troisième moyen de pourvoi, mais encore des sept cas d’exercice effectif d’une influence déterminante sur PT Portugal. C’est ainsi qu’il s’est référé à ce critère dans ce dernier contexte, notamment, aux points 190 et 201 de l’arrêt attaqué.
114 De même, ainsi qu’il ressort du point 91 de la requête en pourvoi, le quatrième moyen de pourvoi, relatif à l’interprétation de la notion de « droit de veto » par le Tribunal, vise, en définitive, à contester notamment la prémisse sur laquelle celui-ci s’est fondé pour contrôler les appréciations de la Commission relatives aux sept cas allégués d’exercice effectif d’une influence déterminante.
115 Partant, contrairement à ce que fait valoir la Commission, les troisièmes à cinquième moyens ne sauraient être écartés comme étant inopérants.
116 Il convient, partant, de procéder à l’appréciation de leur bien-fondé.
Sur le troisième moyen
– Argumentation des parties
117 Par son troisième moyen, Altice soutient, en substance, que le Tribunal a commis des erreurs de droit en concluant que les arrangements antérieurs à la clôture constituaient une « réalisation » de la concentration, au sens de l’article 4, paragraphe 1, et de l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004. Ce moyen se divise en trois branches.
118 Par la première branche dudit moyen, Altice conteste les points 69 à 89, 96, 132 et 144 de l’arrêt attaqué, dans lesquels le Tribunal aurait conclu que la simple signature du SPA lui avait conféré la « possibilité d’exercer une influence déterminante » sur PT Portugal et que cette signature équivalait à la réalisation de la concentration. Ce faisant, le Tribunal aurait confondu la notion de « concentration », figurant à l’article 3 du règlement no 139/2004, et celle de « réalisation », figurant à l’article 4, paragraphe 1, et à l’article 7, paragraphe 1, de ce règlement, et conféré à la seconde une portée excessive.
119 Premièrement, la « possibilité d’exercer une influence déterminante » correspondrait à la définition du « contrôle », au sens de l’article 3, paragraphe 2, du règlement no 139/2004, et, ainsi, à la notion de « concentration », au sens de l’article 3 de ce règlement. Or, la « concentration » se situerait en deçà de la « réalisation » d’une concentration, dès lors que cet article 3 n’évoquerait pas la « réalisation ». La réalisation signifierait donc nécessairement plus que la possibilité d’exercer une influence déterminante.
120 De même, les termes de l’article 4, paragraphe 1, et de l’article 7, paragraphe 1, dudit règlement impliqueraient une différence entre un accord donnant lieu à une « concentration » devant être notifiée et sa « réalisation » ultérieure. En l’occurrence, la signature du SPA constituait déjà une « concentration » devant être notifiée, mais pas encore une concentration « réalisée ». La réalisation se serait produite au moment du transfert de toutes les actions de PT Portugal à Altice.
121 Sur un plan téléologique, aucune des pratiques examinées par le Tribunal dans l’arrêt attaqué n’aurait porté atteinte au contrôle des concentrations eu égard aux circonstances de l’espèce, à savoir la prénotification de la concentration, la proposition de mesures correctives et la cession des actions seulement après l’autorisation.
122 Deuxièmement, Altice reproche au Tribunal d’avoir retenu une interprétation extensive de la notion de « réalisation » en y incluant la simple signature d’arrangements antérieurs à la clôture. Selon elle, la concentration ne saurait être considérée comme réalisée en raison de ces arrangements et des situations examinées par le Tribunal, dès lors que la Commission aurait été dans l’incapacité d’ordonner, en vertu de l’article 8, paragraphe 4, du règlement no 139/2004, la dissolution de la concentration ou la cession de la totalité des actions ou des actifs en cause pour rétablir la situation concurrentielle antérieure à la signature du SPA. En effet, les actions et les actifs de PT Portugal seraient restés sous le contrôle exclusif d’Oi jusqu’à la clôture de l’opération après son autorisation par la Commission. Le Tribunal aurait donc commis une erreur de droit en rejetant, aux points 69 à 88 de l’arrêt attaqué, les arguments présentés en ce sens par Altice.
123 Par ailleurs, au point 87 de l’arrêt attaqué, le Tribunal aurait dénaturé un argument exposé par Altice au point 47 de sa requête de première instance en confondant, en substance, la notion de « concentration », employée par le Tribunal, et celle de « réalisation », employée par Altice. En conséquence, le point 88 de cet arrêt ne serait pas de nature à réfuter efficacement l’allégation d’Altice.
124 Par la deuxième branche du troisième moyen, Altice reproche au Tribunal d’avoir commis des erreurs de droit dans l’interprétation et l’application, aux points 95 à 97 ainsi que 113 et suivants de l’arrêt attaqué, des notions de « réalisation partielle » et de contribution au « changement durable du contrôle » à la lumière de l’arrêt du 31 mai 2018, Ernst & Young (C 633/16, EU:C:2018:371).
125 Le Tribunal aurait déduit du point 46 de cet arrêt que l’article 7 du règlement no 139/2004 s’applique aux « réalisations partielles » d’une concentration lorsque les parties « mettent en œuvre des opérations contribuant à changer durablement le contrôle sur l’entreprise cible ». Toutefois, Altice considère que, eu égard au point 49 dudit arrêt et à la communication consolidée sur la compétence, les opérations qui ne sont pas nécessaires pour parvenir à un changement de contrôle ne relèvent pas de cet article puisqu’elles ne présentent pas de lien fonctionnel direct avec la réalisation de la concentration.
126 De surcroît, il découlerait des points 43 à 45 et 52 du même arrêt que l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004 est seulement applicable à des opérations qui ont contribué à changer durablement le contrôle. Dans ce contexte, au point 95 de l’arrêt attaqué, le Tribunal aurait commis une erreur de droit en jugeant que l’exigence d’un changement durable du contrôle ne concernait pas la durée des arrangements antérieurs à la clôture.
127 Le Tribunal aurait donc commis une erreur de droit en concluant que ces arrangements ont, en eux-mêmes, contribué à un changement durable du contrôle alors qu’ils n’étaient pas nécessaires pour parvenir à ce changement par le transfert des actions de PT Portugal, qu’ils n’ont pas contribué à ce changement et qu’ils étaient de courte durée.
128 Par la troisième branche du troisième moyen, Altice reproche au Tribunal d’avoir commis une erreur de droit en jugeant, aux points 102 à 105, 117, 120, 121, 130 et 131 de l’arrêt attaqué, que, pour être considérés comme étant des restrictions accessoires ne relevant pas de l’interdiction inscrite à l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004, les arrangements antérieurs à la clôture devaient nécessairement préserver la valeur de l’entreprise cible.
129 Altice soutient que, dans l’arrêt du 31 mai 2018, Ernst & Young (C 633/16, EU:C:2018:371), la Cour a jugé que l’interdiction contenue à l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004 ne s’applique pas à une opération, antérieure à la clôture de la concentration, qui est accessoire ou préparatoire à la concentration. La Cour ne se serait nullement référée, dans ce contexte, à un critère lié à la préservation de la valeur de l’entreprise cible, lequel ne ressortirait pas davantage de ce règlement ou de la communication de la Commission relative aux restrictions directement liées et nécessaires à la réalisation des opérations de concentration (JO 2005, C 56, p. 24).
130 De surcroît, il serait mondialement établi que, en pratique, des arrangements antérieurs à la clôture jouent un rôle déterminant dans la préservation de l’intégrité de l’entreprise cible entre le moment de la signature de l’accord et celui de la clôture. Il serait usuel d’obliger le vendeur à consulter l’acheteur au sujet de certaines mesures relatives à la gestion de l’activité transférée, lorsqu’elles sont prises au cours de la période antérieure à la clôture, afin de s’assurer que l’acheteur ne réclame pas d’indemnisation au titre de l’adoption de telles mesures.
131 La Commission estime que le troisième moyen est non fondé.
– Appréciation de la Cour
132 Par son troisième moyen, dont il convient d’examiner conjointement les trois branches, Altice conteste, en substance, l’interprétation donnée par le Tribunal de la notion de « réalisation » d’une concentration, au sens de l’article 4, paragraphe 1, et de l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004 ainsi que son application au cas d’espèce pour ce qui est des arrangements antérieurs à la clôture.
133 D’emblée, il convient de préciser que, si le moyen est formellement dirigé contre de nombreux points de l’arrêt attaqué, certains d’entre eux n’exposent qu’un résumé des arguments d’Altice. L’interprétation, par le Tribunal, de la notion de « réalisation » se dégage, pour l’essentiel, d’une lecture combinée des points 76, 77, 83 à 85, 87, 95, 96, 102 à 104, 117, 121, 130, 131 et 144 de l’arrêt attaqué. Il convient donc de concentrer l’appréciation de la Cour sur ces points, qui sont contestés par Altice.
134 Dans un premier temps, Altice reproche au Tribunal d’avoir confondu les notions de « concentration » et de « réalisation » d’une concentration et d’avoir conféré à cette dernière une portée excessive.
135 À cet égard, il importe de rappeler que l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 139/2004 prévoit une obligation de notification à la Commission des concentrations de dimension communautaire avant leur réalisation. L’article 7, paragraphe 1, de ce règlement se limite, quant à lui, à prévoir qu’une concentration ne peut être réalisée ni avant d’être notifiée ni avant d’avoir été déclarée compatible avec le marché commun.
136 Ni l’une ni l’autre de ces dispositions ne définissent ce qu’il y a lieu d’entendre par la « réalisation » d’une concentration.
137 Cela étant, compte tenu, premièrement, des objectifs poursuivis par le règlement no 139/2004, qui vise notamment à assurer l’efficacité du contrôle ex ante des concentrations, deuxièmement, de la notion de « concentration », au sens de l’article 3 de ce règlement, et, troisièmement, de l’économie générale dudit règlement, la Cour a déjà jugé que la réalisation d’une concentration, au sens de l’article 7 du même règlement, a lieu dès que les parties à une concentration mettent en œuvre des opérations contribuant à changer durablement le contrôle sur l’entreprise cible. À ce titre, le contrôle découle de la possibilité, conférée par des droits, des contrats ou d’autres moyens, d’exercer une influence déterminante sur l’activité d’une entreprise (voir, en ce sens, arrêt du 31 mai 2018, Ernst & Young, C 633/16, EU:C:2018:371, points 41 à 46, 52, 53, 59 et 61).
138 Ainsi, la Cour a considéré que toute réalisation partielle d’une concentration relève du champ d’application de l’article 7 du règlement no 139/2004. En effet, s’il était interdit aux parties à une concentration de réaliser une concentration au moyen d’une seule opération, mais qu’il leur était loisible de parvenir au même résultat par des opérations partielles successives, cela réduirait l’effet utile de l’interdiction édictée à l’article 7 du règlement no 139/2004 et mettrait en danger le caractère préalable du contrôle prévu par ce règlement ainsi que la poursuite des objectifs de celui-ci (arrêt du 31 mai 2018, Ernst & Young, C 633/16, EU:C:2018:371, point 47).
139 Cette interprétation s’impose également, pour les mêmes motifs et compte tenu du lien entre l’article 4, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004, tel que relevé au point 50 du présent arrêt, en ce qui concerne la notion de « réalisation », figurant à l’article 4, paragraphe 1, de ce règlement.
140 Or, aux points 76, 77, 83 et 84 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a précisément fait application de cette jurisprudence après avoir rappelé les principaux enseignements découlant de celle-ci. Conformément à ladite jurisprudence, c’est donc à bon droit qu’il a envisagé, en substance aux points 77 et 84 de cet arrêt, qu’une concentration peut être réalisée dès qu’une opération confère à l’acquéreur la possibilité d’exercer une influence déterminante sur l’entreprise cible, et qu’il a jugé, au point 83 de cet arrêt, que toute réalisation partielle d’une concentration relève du champ d’application de l’article 7 du règlement no 139/2004.
141 L’argumentation d’Altice selon laquelle le Tribunal aurait confondu les notions de « concentration » et de « réalisation », en conférant une portée excessive à cette dernière, doit donc être rejetée.
142 Dans ce contexte, c’est également à tort qu’Altice se réfère à l’article 8, paragraphe 4, du règlement no 139/2004 pour en déduire que la réalisation d’une concentration serait limitée aux hypothèses dans lesquelles la Commission peut être conduite à ordonner, en cas de refus d’autorisation de l’opération, la dissolution de la concentration. En effet, d’une part, ainsi que le Tribunal l’a constaté à bon droit et sans dénaturer les écritures d’Altice au point 87 de l’arrêt attaqué, cette disposition se limite à définir les pouvoirs dont jouit la Commission en cas de constatation d’une infraction. Elle ne contient, en revanche, aucune définition des notions de « concentration » et de « réalisation ». D’autre part, la lecture suggérée par Altice reviendrait à restreindre la portée des obligations inscrites à l’article 4, paragraphe 1, et à l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004 au risque de mettre en cause l’efficacité du contrôle ex ante des concentrations.
143 Dans un second temps, Altice critique les considérations du Tribunal relatives à la notion de « réalisation partielle » d’une concentration.
144 S’agissant, en premier lieu, de la notion de « changement durable du contrôle », le Tribunal a précisé, aux points 85, 95 et 96 de l’arrêt attaqué, qu’un comportement même limité dans le temps peut contribuer à un changement durable de contrôle dès lors que c’est ce changement, et non les opérations susceptibles d’y contribuer, qui doit être durable pour qu’il y ait concentration.
145 Contrairement aux allégations d’Altice, cette appréciation n’est entachée d’aucune erreur de droit. En effet, d’une part, il ressort sans équivoque de l’article 3, paragraphe 1, du règlement no 139/2004, dont il y a lieu de tenir compte aux fins de déterminer la portée de la notion de « réalisation » d’une concentration au sens des articles 4 et 7 de ce règlement, que la réalisation d’une concentration requiert un « changement durable du contrôle ». D’autre part, ainsi qu’il découle des points 137 et 138 du présent arrêt, toute opération qui contribue à changer durablement le contrôle sur l’entreprise cible doit être considérée comme une réalisation du moins partielle de la concentration, relevant de l’article 4, paragraphe 1, et de l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004. En d’autres termes, c’est le changement du contrôle qui doit être durable et non pas l’opération contribuant à la réalisation de celui-ci, de sorte que cette dernière peut revêtir un caractère temporaire.
146 S’agissant, en second lieu, de l’appréciation de la question de savoir si des mesures non nécessaires au changement du contrôle et accessoires peuvent contribuer à la réalisation d’une concentration, il convient de faire observer que, aux points 98 et 99 de l’arrêt attaqué, qui ne sont pas contestés dans le cadre du présent moyen, le Tribunal a jugé, à la lumière de l’arrêt du 31 mai 2018, Ernst & Young (C 633/16, EU:C:2018:371, point 60), que des mesures accessoires et préparatoires ne sont pas, en tant que telles, exclues du champ d’application de l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004. À ce titre, au point 99 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a constaté que la Cour n’a pas dégagé de critère pour établir le probable caractère accessoire et préparatoire de la mesure en question. Par ailleurs, il a ajouté, aux points 102 et 103 de cet arrêt, que la communication de la Commission visée au point 129 du présent arrêt se réfère, de manière non exhaustive, à un critère tenant à la protection de la valeur de l’entreprise cible et n’exclut donc pas la possibilité que soient pris en compte d’autres critères. Il a néanmoins observé, au point 104 dudit arrêt, qu’Altice n’avait pas présenté d’éléments visant à démontrer qu’il y avait, dans la présente affaire, le risque d’une atteinte à l’intégrité commerciale de PT Portugal, tout en renvoyant à l’examen des moyens subséquents d’Altice.
147 Enfin, dans l’appréciation, aux points 109 à 132 de l’arrêt attaqué, de la question de savoir si, comme l’a affirmé la Commission dans la décision litigieuse, les arrangements antérieurs à la clôture ont contribué à la réalisation de la concentration, le Tribunal a appliqué, notamment aux points 117, 121, 130 et 131 de cet arrêt, le même critère que cette institution en déterminant si ces arrangements visaient exclusivement à préserver la valeur de l’entreprise cible ou s’ils allaient au-delà de ce qui était nécessaire à cette fin.
148 Les arguments d’Altice ne sont pas de nature à démontrer que, ce faisant, le Tribunal a commis des erreurs de droit.
149 Premièrement, l’argumentation d’Altice selon laquelle seules les mesures nécessaires au changement durable du contrôle peuvent relever de la notion de « réalisation », au sens de ces dispositions, est fondée sur une lecture erronée de l’arrêt du 31 mai 2018, Ernst & Young (C 633/16, EU:C:2018:371).
150 À cet égard, d’une part, ainsi qu’il ressort des points 138 et 139 du présent arrêt, toute réalisation partielle d’une concentration entre dans le champ d’application des articles 4 et 7 du règlement no 139/2004, et ce afin d’assurer le caractère préalable du contrôle des concentrations.
151 D’autre part, dans l’affaire ayant conduit à l’arrêt du 31 mai 2018, Ernst & Young (C 633/16, EU:C:2018:371), la Cour devait déterminer si la dénonciation, par une partie à une opération de concentration, d’un accord de coopération conclu avec un tiers à cette opération contribuait à la réalisation de la concentration.
152 C’est dans ce contexte que, au point 48 de l’arrêt du 31 mai 2018, Ernst & Young (C 633/16, EU:C:2018:371), la Cour a rappelé que le considérant 20 du règlement no 139/2004 prévoit qu’il convient de traiter comme une « concentration unique » des opérations étroitement liées en ce qu’elles font l’objet d’un lien conditionnel ou prennent la forme d’une série de transactions sur titres effectuées dans un délai raisonnablement bref. Au point 49 de cet arrêt, la Cour a ajouté que, toutefois, dès lors que de telles opérations, bien qu’accomplies dans le cadre d’une concentration, ne sont pas nécessaires pour parvenir à un changement du contrôle de l’entreprise concernée par cette concentration, elles ne relèvent pas de l’article 7 du règlement no 139/2004. En effet, même si elles peuvent être accessoires ou préparatoires à la concentration, ces opérations ne présentent pas de lien fonctionnel direct avec la réalisation de celle-ci, de telle sorte que leur mise en œuvre n’est en principe pas susceptible de porter atteinte à l’efficacité du contrôle des concentrations.
153 Il s’ensuit que c’est dans le cadre de l’appréciation de l’existence d’une concentration unique que la Cour s’est référée à la notion de « lien fonctionnel direct » ainsi qu’au caractère accessoire ou préparatoire d’une opération. En revanche, il ne saurait être déduit de l’arrêt du 31 mai 2018, Ernst & Young (C 633/16, EU:C:2018:371), que seule une opération nécessaire au changement durable du contrôle puisse contribuer à la réalisation d’une concentration. Une telle interprétation risquerait, au demeurant, de réduire indûment la portée de l’article 4, paragraphe 1, et de l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004 et, par conséquent, de porter atteinte à l’effet utile du contrôle préalable des concentrations.
154 S’agissant, deuxièmement, des arguments relatifs aux restrictions accessoires, il convient de constater, d’une part, que, contrairement à ce qu’Altice paraît faire valoir et ainsi qu’il ressort de l’exposé des points 102 et 103 de l’arrêt attaqué figurant au point 146 du présent arrêt, le Tribunal n’a nullement retenu le critère de la préservation de la valeur de l’entreprise cible en tant que critère unique d’appréciation du caractère accessoire d’une restriction.
155 D’autre part, dans la mesure où Altice tire argument d’une pratique mondiale, son argumentation est fondée sur de pures affirmations non étayées. Partant, elle ne saurait prospérer.
156 À la lumière des considérations qui précèdent, il convient d’écarter le troisième moyen dans son intégralité comme étant non fondé.
Sur le quatrième moyen
– Argumentation des parties
157 Par son quatrième moyen de pourvoi, Altice conteste les points 91 à 169 de l’arrêt attaqué au motif, à titre principal, que le Tribunal a commis une erreur de droit dans l’interprétation de la notion de « droit de veto » et, à titre subsidiaire, qu’il a dénaturé le SPA en l’interprétant comme conférant des « droits de veto ». Ce moyen se divise en deux branches.
158 Par la première branche du quatrième moyen, Altice reproche au Tribunal d’avoir commis une erreur de droit dans l’interprétation de la notion de « droit de veto », en méconnaissance de l’article 3, paragraphe 2, du règlement no 139/2004, lu en combinaison avec l’article 4, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de ce règlement ainsi qu’avec la communication consolidée sur la compétence.
159 À la lumière de l’article 3, paragraphe 2, du règlement no 139/2004, elle souligne que, avant l’acquisition du contrôle par la détention de la majorité du capital de l’entreprise cible, le futur acquéreur peut acquérir contractuellement le contrôle par le bénéfice de « droits de veto ». Ces droits de veto impliqueraient, ainsi qu’il ressortirait des points 18 et 54 de la communication consolidée sur la compétence, le pouvoir de bloquer l’adoption de décisions commerciales stratégiques valables contre la volonté d’une autre partie. Les notions de « droits de veto » et de « pouvoir de bloquer » devraient ainsi s’entendre strictement pour s’assurer que ce règlement s’applique seulement aux accords qui confèrent la possibilité d’exercer une influence « déterminante ».
160 Or, aux points 103 à 133 de l’arrêt attaqué, le Tribunal aurait étendu la notion de « droit de veto » à des situations qui ne confèrent pas un tel pouvoir de bloquer les décisions commerciales stratégiques. Ce faisant, il aurait commis une erreur de droit.
161 En effet, en vertu des articles 6.1 et 7.1 du SPA, Altice n’aurait pas disposé du pouvoir d’opposer son veto aux décisions de PT Portugal, puisqu’elle n’aurait pas pu bloquer l’adoption par celle-ci de décisions stratégiques et créer une situation de blocage. Toutes les décisions stratégiques adoptées par PT Portugal ou Oi en violation des engagements antérieurs à la clôture auraient été valables et auraient seulement donné lieu à une indemnisation. Dans ce contexte, contrairement à ce que le Tribunal aurait jugé au point 126 de l’arrêt attaqué, le droit d’être indemnisé des pertes éventuelles ne constituerait pas un droit de veto.
162 Par la seconde branche du quatrième moyen, soulevée à titre subsidiaire, Altice fait valoir que, aux points 109 à 132 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a dénaturé le SPA en considérant que les arrangements antérieurs à la clôture qu’il stipule conféraient un droit de veto à Altice. Cette interprétation serait en contradiction manifeste avec le libellé non seulement de l’article 6, mais également de l’article 7 du SPA, dont le paragraphe 1, sous c), énoncerait clairement que l’indemnisation « constitu[ait] la seule réparation de l’acheteur contre le vendeur, sauf fraude de ce dernier ».
163 Par voie de conséquence, Altice estime, en particulier dans son mémoire en réplique, que la circonstance que PT Portugal l’a consultée dans sept cas sur certains sujets régis par l’article 6 du SPA ne saurait constituer une « réalisation » au sens de l’article 4, paragraphe 1, et de l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004, contrairement aux appréciations de la Commission confirmées par le Tribunal aux points 170 à 215 de l’arrêt attaqué.
164 La Commission rétorque que l’argumentation exposée au point précédent du présent arrêt constitue une extension inadmissible car tardive de la portée du pourvoi et que le présent moyen est, dans son entièreté, dénué de fondement.
– Appréciation de la Cour
165 À titre liminaire, il convient de préciser que, si le présent moyen, relatif à la notion de « droit de veto » employée par le Tribunal, est formellement dirigé contre de nombreux points de l’arrêt attaqué, certains d’entre eux n’exposent qu’un résumé des arguments d’Altice, tandis que d’autres ne sont pas spécifiquement contestés dans le cadre de ce moyen. L’interprétation, par le Tribunal, de cette notion de « droit de veto » et son application au cas d’espèce se dégagent, pour l’essentiel, d’une lecture combinée des points 109 à 133 de l’arrêt attaqué. Il convient donc de concentrer l’appréciation de la Cour sur ces points, qui sont contestés par Altice.
166 À ces points, le Tribunal a considéré, en substance, que, contrairement aux arguments d’Altice, les arrangements antérieurs à la clôture lui conféraient la possibilité d’exercer une influence déterminante sur PT Portugal. Selon le Tribunal, l’article 6, paragraphe 1, sous b), du SPA, cité au point 109 de cet arrêt, attribuait à Altice, dès le jour de la signature du SPA, la possibilité d’exercer un contrôle sur PT Portugal, en obligeant Oi à obtenir le consentement écrit d’Altice pour prendre part, mettre fin ou modifier une large variété de contrats et en donnant ainsi à celle-ci la possibilité de déterminer la politique commerciale de PT Portugal et de bloquer une série de décisions, sans qu’il soit établi que cette possibilité soit nécessaire pour préserver la valeur de PT Portugal. Le Tribunal a estimé qu’Altice détenait ainsi un droit de veto sur certaines décisions de PT Portugal, ce que confirmerait le fait que le non-respect par Oi de cette obligation fondait pour Altice le droit d’obtenir une indemnisation.
167 À cet égard, il importe de rappeler que, ainsi qu’il ressort des points 137 à 139 du présent arrêt, la réalisation d’une concentration, au sens de l’article 4, paragraphe 1, et de l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004, a lieu dès que les parties à une concentration mettent en œuvre des opérations contribuant à changer durablement le contrôle sur l’entreprise cible. Toute réalisation partielle d’une concentration relève du champ d’application de ces dispositions.
168 Dans ce contexte, en vertu de l’article 3, paragraphe 2, sous b), de ce règlement, le contrôle découle des droits, contrats ou autres moyens qui confèrent la possibilité d’exercer une influence déterminante sur l’activité d’une entreprise, et notamment des droits ou des contrats qui confèrent une influence déterminante sur la composition, les délibérations ou les décisions des organes d’une entreprise.
169 En l’occurrence, Altice ne conteste pas le fait que, en vertu d’une stipulation figurant à l’article 6, paragraphe 1, du SPA, cité au point 109 de l’arrêt attaqué, de nombreuses décisions concernant non seulement les activités et les stratégies commerciales de PT Portugal, mais aussi sa structure de direction ne pouvaient être prises qu’avec l’accord écrit d’Altice. Elle ne conteste pas non plus le fait que, conformément à l’article 7, paragraphe 1, du SPA, Oi était tenue de l’indemniser des pertes potentiellement subies du fait d’une violation de cette stipulation.
170 Premièrement, il apparaît ainsi que le SPA, d’une part, stipulait une obligation contractuelle pour Oi de solliciter l’accord écrit d’Altice sur ces décisions et, d’autre part, assortissait cette obligation d’une sanction contractuelle, à savoir d’un droit à indemnisation. Dans ces conditions, et dans la mesure où le Tribunal a considéré que cette possibilité dépassait ce qui était nécessaire pour protéger la valeur de PT Portugal, c’est sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal a jugé que le SPA accordait à Altice la possibilité d’exercer une influence déterminante sur l’activité de PT Portugal.
171 À cet égard, ne saurait prospérer l’argumentation d’Altice selon laquelle seule la possibilité d’empêcher l’adoption par la société cible de décisions valables pourrait refléter l’existence d’un droit de veto et, ainsi, démontrer l’exercice d’une influence déterminante sur cette société. En effet, dans la mesure où cette argumentation est fondée sur les points 18 et 54 de la communication consolidée sur la compétence, il convient de faire observer que ces points portent sur le « contrôle en commun » et la « prise de contrôle exclusif » et ne sont, de ce fait, pas pertinents pour les besoins de la présente affaire. Par ailleurs, rien ne permet de conclure qu’une telle condition serait requise par l’article 3, paragraphe 2, sous b), du règlement no 139/2004.
172 Deuxièmement, s’agissant de l’allégation, soulevée à titre subsidiaire, d’une dénaturation du SPA, force est d’observer que, par cette allégation, Altice conteste en réalité la qualification juridique des stipulations contractuelles visées au point 169 du présent arrêt, en réitérant sa position selon laquelle il ne saurait y avoir de « droit de veto » en cas de simple subordination de certaines décisions à l’obtention d’un consentement préalable sous peine d’indemnisation. Or, cette argumentation ne saurait convaincre pour les mêmes motifs que ceux exposés aux points 170 et 171 du présent arrêt.
173 Troisièmement, l’argumentation d’Altice résumée au point 163 du présent arrêt n’étant que le prolongement des arguments déjà examinés et écartés aux points 167 à 171 du présent arrêt, elle doit être écartée pour les mêmes motifs que ceux exposés à ces points, sans qu’il soit besoin d’examiner sa recevabilité, mise en cause par la Commission.
174 Il s’ensuit que le quatrième moyen doit être écarté dans son intégralité comme étant non fondé.
Sur le cinquième moyen
– Argumentation des parties
175 Par son cinquième moyen de pourvoi, Altice conteste la conclusion du Tribunal selon laquelle des échanges d’informations équivaudraient à la « réalisation » d’une concentration, au sens de l’article 4, paragraphe 1, et de l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004. Ce moyen se divise en deux branches.
176 Par la première branche du cinquième moyen, Altice fait valoir que, aux points 227 et 235 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a dénaturé la décision litigieuse. En effet, à ces points, le Tribunal aurait indiqué que, dans cette décision, la Commission avait retenu que les échanges d’informations avaient simplement « “contribué” à démontrer qu[’Altice] avait exercé une influence déterminante sur certains aspects de l’activité de PT Portugal ». Or, ladite décision indiquerait clairement, notamment à ses considérants 470, 479 et 482 et dans sa section 4.2.2, que les échanges d’informations constituaient en soi une réalisation de la concentration.
177 Par la seconde branche du cinquième moyen, Altice soutient que, au point 239 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a méconnu l’article 1er du règlement no 139/2004, le règlement (CE) no 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101] et [102 TFUE] (J0 2003, L 1, p. 1), ainsi que l’article 101 TFUE, en considérant que les échanges d’informations avaient été effectués en violation de l’article 4, paragraphe 1, et de l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004.
178 En substance, Altice reproche au Tribunal d’avoir étendu le champ d’application de ces dernières dispositions au point d’y inclure des échanges d’informations susceptibles de relever du champ d’application de l’article 101 TFUE et du règlement no 1/2003. Ce faisant, il aurait méconnu l’arrêt du 31 mai 2018, Ernst & Young (C 633/16, EU:C:2018:371, points 57 et 59). En distinguant selon que des échanges d’informations s’inscrivent dans le cadre d’une concentration ou sont postérieurs à celle-ci, le Tribunal parviendrait à un résultat non rationnel, en ce sens que ces échanges relèveraient de l’article 4, paragraphe 1, et de l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004 lorsqu’ils interviennent dans des situations aboutissant à une concentration, mais se mueraient en infraction à l’article 101 TFUE s’il n’y a, en définitive, aucun changement de contrôle.
179 En outre, le Tribunal aurait omis d’expliquer en quoi les échanges d’informations ont été « nécessaires pour parvenir à un changement du contrôle » de façon durable ou en quoi ils « présentent un lien direct avec la réalisation » de la concentration, laquelle ne serait intervenue qu’avec l’acquisition des actions de PT Portugal. Partant, ils ne relèveraient pas de l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004.
180 La Commission estime que le présent moyen est non fondé.
– Appréciation de la Cour
181 En premier lieu, les arguments pris d’une dénaturation de la décision litigieuse procèdent d’une lecture erronée et incomplète de celle-ci.
182 Il est vrai que la Commission a employé des formulations ambiguës dans la décision litigieuse, notamment au considérant 470, qui énonce une appréciation ponctuelle, ou encore aux considérants 479 et 482, qui synthétisent les constatations effectuées. Toutefois, ces passages doivent être replacés dans le contexte général de cette décision. Or, il ressort sans aucune ambiguïté des considérants 448, 473, 477 et 478 de ladite décision que la Commission a tenu compte des échanges d’informations exclusivement à titre d’élément contribuant à établir qu’Altice avait exercé une influence déterminante sur PT Portugal.
183 Partant, c’est sans dénaturer la décision litigieuse que, aux points 227 et 235 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a relevé que, dans la même décision, la Commission avait considéré que ces échanges avaient « contribué » à démontrer qu’Altice avait exercé une telle influence.
184 En deuxième lieu, s’agissant des arguments relatifs aux champs d’application respectifs du contrôle des concentrations et du droit antitrust, il convient de rappeler que, ainsi qu’il résulte de l’article 21, paragraphe 1, du règlement no 139/2004, ce dernier est seul applicable aux concentrations telles que définies à l’article 3 de ce règlement, pour lesquelles le règlement no 1/2003 ne trouve, en principe, pas à s’appliquer. En revanche, ce dernier règlement demeure applicable aux comportements des entreprises qui, sans constituer une opération de concentration, au sens du règlement no 139/2004, sont néanmoins susceptibles d’aboutir à une coordination entre elles contraire à l’article 101 TFUE et qui, pour ce motif, sont soumis au contrôle de la Commission ou des autorités de concurrence nationales (arrêts du 7 septembre 2017, Austria Asphalt, C 248/16, EU:C:2017:643, points 32 et 33, ainsi que du 31 mai 2018, Ernst & Young, C 633/16, EU:C:2018:371, points 56 et 57).
185 En conséquence, dès lors que, ainsi que la Commission et le Tribunal l’ont constaté, il est établi que les échanges d’informations ont contribué à la réalisation de la concentration, c’est à bon droit que, au point 239 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a jugé qu’ils relevaient du champ d’application du règlement no 139/2004.
186 En troisième lieu, les arguments relatifs à l’absence de nécessité des échanges d’informations aux fins du changement de contrôle ou de lien direct entre ceux-là et celui-ci doivent être écartés pour les mêmes motifs que ceux ayant conduit au rejet du troisième moyen.
187 Au vu des considérations qui précèdent, le cinquième moyen doit être écarté dans son intégralité comme étant non fondé.
Sur le sixième moyen
188 Par son sixième moyen de pourvoi, Altice conteste, en substance, les appréciations portées par le Tribunal sur les amendes qui lui ont été infligées par la décision litigieuse. Ce moyen est divisé en quatre branches, dont les deuxième et troisième se recoupent pour partie et doivent donc être examinées conjointement.
Sur la première branche du sixième moyen
– Argumentation des parties
189 Par la première branche du sixième moyen, Altice allègue que les points 155 et 279 à 296 de l’arrêt attaqué sont entachés d’une erreur de droit en ce qu’ils confirment, à tort, qu’elle avait agi à tout le moins par négligence lorsqu’elle a violé l’article 4, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004.
190 Altice est d’avis qu’il existe, dans la jurisprudence relative à cette notion de « négligence », une corrélation claire entre le degré de prévisibilité d’une disposition d’interdiction et la responsabilité du contrevenant.
191 Or, premièrement, ce serait la première fois que, par la décision litigieuse, la Commission a constaté, malgré l’absence de tout transfert des actions de l’entreprise cible, qu’une concentration avait été réalisée en raison, d’une part, des arrangements antérieurs à la clôture, lesquels relèveraient pourtant d’une pratique usuelle des entreprises, et, d’autre part, des échanges d’informations au cours de la période séparant la signature du SPA et la réalisation de l’opération.
192 Deuxièmement, comme la Cour l’aurait admis aux points 38 et 39 de l’arrêt du 31 mai 2018, Ernst & Young (C 633/16, EU:C:2018:371), la portée exacte de l’interdiction de la « réalisation » d’une concentration, au sens de l’article 7 du règlement no 139/2004, manquerait de clarté. De surcroît, avant cet arrêt, le Tribunal l’aurait interprétée comme signifiant la « pleine réalisation de la concentration ».
193 Troisièmement, Altice aurait informé la Commission de l’opération avant même de signer le SPA et aurait proposé des engagements afin de remédier à toute préoccupation potentielle soulevée par cette opération.
194 La Commission conteste le bien-fondé de l’ensemble de ces arguments.
– Appréciation de la Cour
195 Selon l’article 14, paragraphe 2, du règlement no 139/2004, la Commission peut infliger des amendes pour des violations qui ont été commises « de propos délibéré ou par négligence ».
196 Cette condition est remplie dès lors que l’entreprise en cause ne peut ignorer le caractère anticoncurrentiel de son comportement, qu’elle ait eu ou non conscience d’enfreindre les règles de concurrence du droit de l’Union (voir, par analogie, arrêts du 18 juin 2013, Schenker & Co. e.a., C 681/11, EU:C:2013:404, point 37 et jurisprudence citée, ainsi que du 10 juillet 2014, Telefónica et Telefónica de España/Commission, C 295/12 P, EU:C:2014:2062, point 156).
197 Or, premièrement, contrairement aux allégations d’Altice et comme le Tribunal l’a jugé à bon droit aux points 292 et 293 de l’arrêt attaqué, la circonstance que, au moment où une infraction est commise, la Commission et les juridictions de l’Union n’ont pas encore eu l’occasion de se prononcer spécifiquement sur le comportement précis en cause n’exclut pas, en tant que telle, qu’une entreprise doit, le cas échéant, s’attendre à ce que son comportement puisse être déclaré incompatible avec les règles de concurrence du droit de l’Union. Une telle circonstance n’est donc pas de nature à exonérer l’entreprise concernée de sa responsabilité (voir, par analogie, arrêts du 6 décembre 2012, AstraZeneca/Commission, C 457/10 P, EU:C:2012:770, point 164, et du 22 octobre 2015, AC-Treuhand/Commission, C 194/14 P, EU:C:2015:717, point 43).
198 De la même manière, deuxièmement, Altice ne saurait tirer argument du prétendu manque de clarté des dispositions de l’article 4, paragraphe 1, et de l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004. En effet, lorsqu’il existe un doute sur l’interprétation de dispositions de cette nature, il peut être exigé de la part d’une entreprise diligente de consulter la Commission afin de s’assurer de la légalité de son comportement, comme le Tribunal l’a jugé aux points 155 et 294 de l’arrêt attaqué. Il en va d’autant plus ainsi dans la présente affaire qu’il résulte des appréciations factuelles effectuées au point 287 de l’arrêt attaqué par le Tribunal, qu’il ne revient pas à la Cour de contrôler et qui ne sont au demeurant pas contestées, qu’Altice avait bien connaissance du risque d’incompatibilité de son comportement avec le règlement no 139/2004.
199 Troisièmement, l’argument pris de l’information préalable à la signature du SPA et de la proposition d’engagement revient, en réalité, à inviter la Cour à porter une nouvelle appréciation sur la question factuelle de savoir si Altice a agi par négligence. Un tel argument est donc irrecevable au stade du pourvoi.
200 Il découle de ce qui précède que la première branche du sixième moyen doit être écartée dans son intégralité.
Sur les deuxièmes et troisième branches du sixième moyen
– Argumentation des parties
201 Par la deuxième branche du sixième moyen, Altice fait valoir que les points 297 à 362 de l’arrêt attaqué sont entachés d’une erreur de droit et méconnaissent l’article 296 TFUE ainsi que l’article 41, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, en ce que le Tribunal y a conclu que la décision litigieuse était suffisamment motivée pour infliger deux amendes distinctes et cumulatives de 62 250 000 euros chacune pour violation, respectivement, de l’article 4, paragraphe 1, et de l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004.
202 Il serait erroné en droit et contradictoire de considérer, d’un côté, que la Commission peut infliger deux amendes distinctes au motif qu’il s’agit prétendument de deux infractions distinctes, tout en acceptant, de l’autre côté, que la Commission apprécie les deux amendes ensemble en tant que le comportement réprimé est le même. Il en résulterait un défaut de motivation dans la fixation du montant de chacune des amendes infligées, ce que le Tribunal aurait dû constater.
203 Les points 317 et 324 de l’arrêt attaqué n’expliqueraient pas la raison pour laquelle l’infliction de deux amendes identiques pour deux infractions prétendument distinctes est proportionnée en raison de l’application des critères énoncés à l’article 14, paragraphe 3, du règlement no 139/2004.
204 Par la troisième branche du sixième moyen, Altice allègue que le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant, aux points 320 à 324 de l’arrêt attaqué, que l’article 14, paragraphe 3, du règlement no 139/2004 peut conduire à l’infliction de deux amendes distinctes d’un montant identique pour deux infractions prétendument autonomes et de nature, de gravité et de durée différentes.
205 Même à supposer, quod non, que l’article 4, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004 imposent deux obligations distinctes, il conviendrait de constater que la nature et la gravité d’une infraction à la première de ces dispositions sont moins graves que celles d’une infraction à la seconde de celles-ci. En effet, la première prévoirait une unique obligation procédurale dont la violation constituerait une infraction instantanée, tandis que la seconde serait plus large et contiendrait deux obligations, dont celle, substantielle, de suspension, dont la violation serait continue. Cette différence serait également reflétée dans les délais de prescription applicables aux deux infractions.
206 Quant à la durée des infractions, respectivement instantanée (un jour) et continue (quatre mois et onze jours, c’est-à-dire 137 jours), le Tribunal aurait affirmé, aux points 324 et 343 de l’arrêt attaqué, qu’aucune comparaison ne pouvait être faite entre elles. Cette conclusion ne serait toutefois pas suffisamment motivée et serait en outre entachée d’une erreur de droit car aucune disposition du règlement no 139/2004 ne serait susceptible de l’étayer.
207 Eu égard à la différence de durée, Altice estime que, à supposer qu’une amende de 62 250 000 euros soit proportionnée à l’infraction à l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004, ce qu’elle conteste, une amende proportionnée à l’infraction à l’article 4, paragraphe 1, de ce règlement, qui n’a duré qu’un jour, ne devrait pas s’élever à plus de 450 000 euros.
208 La Commission estime que la deuxième branche est irrecevable dès lors qu’Altice ne développe pas son argumentation.
209 En toute hypothèse, cette branche serait également non fondée. D’une part, aux points 317 et 324 de l’arrêt attaqué, le Tribunal aurait expliqué en des termes clairs et non équivoques comment la Commission a tenu compte de la nature, de la gravité et de la durée de chacune des deux infractions, conformément à l’article 14, paragraphe 3, du règlement no 139/2004. D’autre part, dans l’affaire ayant conduit à l’arrêt du 4 mars 2020, Marine Harvest/Commission (C 10/18 P, EU:C:2020:149, points 98 à 111), la Commission avait déjà infligé deux amendes distinctes pour des infractions, respectivement, à l’article 4, paragraphe 1, et à l’article 7, paragraphe 1, de ce règlement et aurait apprécié les amendes conjointement. Or, ni le Tribunal ni la Cour ne se seraient opposés à l’appréciation conjointe des amendes. En tout état de cause, dans la présente affaire, tandis que de nombreux motifs de la décision litigieuse seraient communs aux deux amendes, d’autres opéreraient une distinction entre les deux amendes.
210 Quant à la troisième branche, la Commission estime qu’elle n’est pas fondée.
211 Premièrement, la Cour aurait déjà admis, dans l’arrêt du 4 mars 2020, Marine Harvest/Commission (C 10/18 P, EU:C:2020:149), que le règlement no 139/2004 n’empêche pas, en tant que tel, d’infliger des amendes identiques pour des violations à la fois de l’article 4, paragraphe 1, et de l’article 7, paragraphe 1, de ce règlement.
212 Deuxièmement, ces dispositions constitueraient des piliers également fondamentaux du système de contrôle ex ante des concentrations de l’Union. Les infractions auxdites dispositions devraient être considérées comme étant, par nature, d’égale gravité étant donné qu’elles pourraient donner lieu à des amendes soumises au même plafond, conformément à l’article 14, paragraphe 2, sous a) et b), du règlement no 139/2004 sans que le législateur ait qualifié l’une d’elles comme étant plus grave que l’autre.
213 Troisièmement, la Commission estime que, aux points 322 et 324 à 343 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a motivé à suffisance de droit le constat selon lequel la durée des deux infractions, l’une instantanée dépourvue de durée et l’autre continue, n’est pas comparable.
214 Quatrièmement, le calcul par Altice d’une amende de 450 000 euros pour l’infraction à l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 139/2004 reposerait sur la prémisse erronée selon laquelle cette infraction a une durée d’un jour. Celle-ci n’ayant pas de durée et étant aussi grave par nature qu’une infraction à l’article 7, paragraphe 1, de ce règlement, une amende d’un tel montant ne refléterait pas suffisamment la nature et la gravité de l’infraction et n’aurait pas d’effet dissuasif suffisant.
– Appréciation de la Cour
215 S’agissant de la recevabilité de la deuxième branche du sixième moyen, il convient de constater que, si l’argumentation soulevée à l’appui de cette branche est concise, elle ressort néanmoins avec clarté des écritures d’Altice et a manifestement permis à la Commission d’y répondre au fond. Il convient donc d’écarter l’exception d’irrecevabilité soulevée par la Commission.
216 Au fond, il y a lieu de relever que, par les deuxième et troisième branches du sixième moyen, Altice conteste, pour l’essentiel, les points 314 à 325 de l’arrêt attaqué. Ses arguments ont trait, d’une part, aux appréciations du Tribunal relatives à l’obligation de motivation incombant à la Commission lorsqu’elle inflige, par une même décision, deux amendes au titre des infractions respectivement à l’article 4, paragraphe 1, et à l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004 et, d’autre part, à la possibilité pour la Commission de fixer le niveau des deux amendes au même montant. Ces deux questions étant distinctes, il y a lieu de les aborder successivement.
217 S’agissant, dans un premier temps, de l’obligation de motivation, évoquée dans les deuxième et troisième branches, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence de la Cour, la motivation des actes des institutions de l’Union exigée à l’article 296 TFUE doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle. L’exigence de motivation doit être appréciée en fonction de toutes les circonstances de l’espèce, notamment du contenu de l’acte, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires de l’acte ou d’autres personnes concernées directement et individuellement par celui-ci peuvent avoir à recevoir des explications. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 296 TFUE doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (arrêts du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink’s France, C 367/95 P, EU:C:1998:154, point 63, ainsi que du 10 mars 2016, HeidelbergCement/Commission, C 247/14 P, EU:C:2016:149, point 16).
218 Pour ce qui est, en particulier, de la motivation d’une décision infligeant une amende pour infraction à l’article 4, paragraphe 1, ou à l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004, il convient de souligner, comme il a déjà été rappelé au point 70 du présent arrêt, que l’article 14, paragraphe 3, de ce règlement dispose que, pour fixer le montant de l’amende, la Commission doit prendre en considération la nature, la gravité et la durée de l’infraction.
219 En outre, en l’absence de lignes directrices énonçant la méthode de calcul applicable à la fixation des amendes en vertu de l’article 14 du règlement no 139/2004, il y a lieu de considérer que la Commission satisfait à son obligation de motivation en faisant apparaître de manière claire et non équivoque les facteurs pris en compte, sans qu’elle soit pour autant tenue de détailler les éléments chiffrés relatifs au calcul de l’amende (voir, en ce sens, arrêt du 22 octobre 2015, ACTreuhand/Commission, C 194/14 P, EU:C:2015:717, point 68 et jurisprudence citée).
220 Au vu de ces rappels, il apparaît que, contrairement aux allégations d’Altice, rien ne s’oppose, en principe, à ce que la Commission procède à une appréciation parallèle des amendes qu’elle inflige pour violation, respectivement, de l’article 4, paragraphe 1, et de l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004, en ce sens qu’elle se prononcerait, en même temps, sur la nature, la gravité et la durée des deux infractions. Cela étant, cette institution doit, dans ce cadre, exposer avec suffisamment de clarté les raisons justifiant les amendes retenues au titre de la violation de chacune de ces dispositions, eu égard à la nature, à la gravité et à la durée respectives des infractions constatées.
221 En l’occurrence, il est vrai que, comme le Tribunal l’a relevé aux points 319 à 323 de l’arrêt attaqué, la Commission a exposé en détail, aux considérants 568 à 599 de la décision litigieuse, ses appréciations relatives à la nature, à la gravité et à la durée des deux infractions commises par Altice et, ainsi, les éléments pris en compte aux fins de la détermination du montant des amendes. C’est au vu de l’ensemble des circonstances ainsi rappelées, comme il ressort du considérant 621 de cette décision, que la Commission a fixé deux amendes d’un montant, pour chacune d’entre elles, de 62 250 000 euros.
222 Toutefois, il ressort également des motifs de la décision litigieuse que, si la Commission a considéré que les deux infractions étaient de nature et de gravité identiques, elle a également relevé qu’elles étaient différentes en termes de durée, l’une étant une infraction instantanée et l’autre une infraction continue. Or, force est de constater que la Commission n’a aucunement expliqué la raison pour laquelle, en dépit de cette différence, les deux infractions appelaient des amendes d’un montant identique. En d’autres termes, elle n’a pas expliqué la raison pour laquelle ladite différence, pourtant significative, n’était pas de nature à justifier une différenciation du montant des deux amendes.
223 Dans ces conditions, le Tribunal ne pouvait se borner à écarter, au point 324 de l’arrêt attaqué, l’argument tiré de l’insuffisante motivation, dans la décision litigieuse, du caractère identique du montant des amendes en dépit de la différence de durée des deux infractions concernées, pour le seul motif que, « en toute logique, il ne peut être fait une comparaison entre la durée d’une infraction continue et une infraction instantanée, puisque cette dernière n’a pas de durée », avant de rejeter, au point 325 de cet arrêt, l’argumentation prise de la violation de l’obligation de motivation.
224 Le Tribunal a donc commis une erreur de droit en écartant le grief tiré d’une violation de l’obligation de motivation.
225 Quant à l’argument en réponse de la Commission pris de ce que, dans l’affaire ayant conduit à l’arrêt du 4 mars 2020, Marine Harvest/Commission (C 10/18 P, EU:C:2020:149, points 98 à 111), la Cour aurait validé une motivation analogue à celle de la décision litigieuse, il suffit de faire observer que, dans cette affaire, la requérante au pourvoi n’avait soulevé aucun moyen visant à contester les appréciations du Tribunal relatives au calcul des amendes, de sorte que ni ce calcul ni les motifs l’ayant justifié ne relevaient de l’objet du pourvoi devant la Cour. En particulier, ainsi qu’il découle du point 85 dudit arrêt, la Cour n’était pas valablement saisie d’un moyen pris de la proportionnalité des amendes.
226 S’agissant, dans un second temps, des arguments tendant à contester la possibilité même pour la Commission d’infliger, pour des infractions à l’article 4, paragraphe 1, et à l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004, deux amendes de montant identique, il convient de constater que, aux points 320 à 324 de l’arrêt attaqué, le Tribunal ne s’est pas spécifiquement prononcé sur cette question. En effet, celle-ci relève du bien-fondé de la décision litigieuse, tandis que ces points 320 à 324 portent sur la motivation de cette décision, en particulier sur les motifs ayant conduit à la détermination du montant des amendes infligées.
227 En tout état de cause, cette argumentation est non fondée dès lors que l’appréciation du montant de ces amendes relève d’une appréciation devant s’effectuer au regard des circonstances de chaque cas d’espèce, compte tenu des critères de gravité, de nature et de durée des infractions visés à l’article 14, paragraphe 3, du règlement no 139/2004. Il ne saurait donc être allégué de manière générale que des amendes infligées, par une même décision, pour des infractions concomitantes à l’article 4, paragraphe 1, et à l’article 7, paragraphe 1, de ce règlement ne peuvent jamais être de montant identique.
228 Encore faut-il, toutefois, que, dans les circonstances spécifiques d’un cas d’espèce, l’infliction de deux amendes d’un même montant pour de telles infractions soit justifiée au vu des motifs exposés par la Commission.
229 Or, il convient de faire observer que, devant le Tribunal, Altice a spécifiquement fait valoir que la Commission ne pouvait infliger des amendes d’un même montant pour des infractions de durée différente. À cet égard, la seule circonstance, à la supposer vraie, qu’une infraction instantanée et une infraction continue ne puissent être comparées quant à leur durée n’est pas de nature à répondre à cette argumentation. Au vu des arguments d’Altice, il revenait au Tribunal de vérifier si, compte tenu de la nature instantanée de l’infraction à l’obligation de notification, l’amende infligée était proportionnée. Or, le Tribunal a omis de procéder à cette appréciation en se bornant, au point 343 de l’arrêt attaqué, à renvoyer au caractère non comparable des deux infractions.
230 Au vu des considérations qui précèdent, il y a lieu d’accueillir les deuxième et troisièmes branches du sixième moyen.
Sur la quatrième branche du sixième moyen
231 Par la quatrième branche du sixième moyen, Altice reproche au Tribunal de ne pas avoir veillé à la proportionnalité des deux amendes qui lui ont été infligées dans une décision unique pour les mêmes faits, en méconnaissance de la jurisprudence issue du point 39 de l’arrêt du 3 avril 2019, Powszechny Zakład Ubezpieczeń na Życie (C 617/17, EU:C:2019:283). Selon elle, ces deux amendes, y compris après la réduction de celle infligée au titre de l’infraction à l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 139/2004, opérée par le Tribunal dans l’exercice de son pouvoir de pleine juridiction, sont à ce point excessives qu’elles sont disproportionnées.
232 À cet égard, dès lors qu’il a été jugé au point 230 du présent arrêt que le Tribunal a commis des erreurs de droit dans le contrôle de l’amende infligée par la Commission au titre de la violation de l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 139/2004, erreurs qui ont pu se répercuter sur l’exercice, par cette juridiction, de sa compétence de pleine juridiction, il n’y a plus lieu de statuer sur la présente branche.
233 Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu d’accueillir les deuxième et troisièmes branches du sixième moyen et d’écarter ce moyen pour le surplus.
234 Par conséquent, l’arrêt attaqué doit être annulé, en tant qu’il a, au point 2 du dispositif, rejeté le recours en annulation de l’article 4 de la décision litigieuse et, au point 1 du dispositif, fixé un nouveau montant de l’amende infligée par cette disposition.
Sur le recours devant le Tribunal
235 Conformément à l’article 61, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, celle-ci peut, en cas d’annulation de la décision du Tribunal, statuer elle-même définitivement sur le litige, lorsque celui-ci est en état d’être jugé.
236 Tel est le cas de la présente affaire, la Cour disposant de tous les éléments nécessaires pour statuer sur le recours.
237 À titre liminaire, s’agissant de l’étendue du contrôle de la Cour, il importe de souligner que, ainsi qu’il ressort du point 234 du présent arrêt, l’arrêt attaqué n’est annulé qu’en tant qu’il a, au point 2 de son dispositif, rejeté le recours en annulation de l’article 4 de la décision litigieuse et, au point 1 du dispositif, fixé un nouveau montant de l’amende infligée par cette disposition. Dès lors, il appartient à la Cour d’examiner le litige uniquement en ce qu’il porte sur la demande d’annulation de cet article 4 de la décision litigieuse et sur la demande tendant à la réduction du montant de l’amende infligée en raison de la violation de l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 139/2004 (voir, par analogie, arrêt du 18 mars 2021, Pometon/Commission, C 440/19 P, EU:C:2021:214, point 157).
238 S’agissant, dans un premier temps, de la demande d’annulation de l’article 4 de la décision litigieuse, il découle des motifs figurant aux points 221 et 222 du présent arrêt que cette décision est insuffisamment motivée en ce qui concerne le montant de l’amende infligée au titre de l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 139/2004.
239 Il convient, partant, de faire droit à la demande d’annulation de l’article 4 de la décision litigieuse.
240 Dans ces conditions, il convient, dans un second temps, de statuer, en vertu de la compétence de pleine juridiction reconnue à la Cour par l’article 261 TFUE et l’article 16 du règlement no 139/2004, sur le montant de l’amende qui doit être mise à la charge d’Altice pour l’infraction constatée à l’article 2 de la décision litigieuse, à savoir la violation de l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 139/2004 (voir, par analogie, arrêts du 12 novembre 2014, Guardian Industries et Guardian Europe/Commission, C 580/12 P, EU:C:2014:2363, point 73 et jurisprudence citée, ainsi que du 21 janvier 2016, Galp Energía España e.a./Commission, C 603/13 P, EU:C:2016:38, point 87).
241 À cet égard, il doit être rappelé que la Cour, statuant elle-même définitivement sur le litige en application de l’article 61, premier alinéa, seconde phrase, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, est habilitée, dans le cadre de l’exercice de sa compétence de pleine juridiction, à substituer son appréciation à celle de la Commission et, en conséquence, à supprimer, à réduire ou à majorer l’amende ou l’astreinte infligée (arrêt du 21 janvier 2016, Galp Energía España e.a./Commission, C 603/13 P, EU:C:2016:38, point 88 ainsi que jurisprudence citée).
242 Ainsi qu’il ressort du point 70 du présent arrêt, conformément à l’article 14, paragraphe 2, sous a), et paragraphe 3, du règlement no 139/2004, la violation de l’article 4, paragraphe 1, de ce règlement peut donner lieu à une amende dont le montant doit être déterminé, dans la limite du plafond de 10 % du chiffre d’affaires total réalisé par l’entreprise, en considération de la nature, de la gravité et de la durée de l’infraction.
243 En l’occurrence, premièrement, la Cour fait siennes les appréciations de la Commission, figurant au considérant 577 de la décision litigieuse, selon lesquelles l’infraction à l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 139/2004 commise par Altice est grave par nature.
244 Deuxièmement, s’agissant de la gravité de cette infraction, il est établi, à la lumière des points 195 à 200 du présent arrêt, que ladite infraction a été commise, à tout le moins, par négligence. En outre, il est constant, au vu des appréciations figurant aux considérants 587 à 593 de la décision litigieuse, que la Cour fait également siennes, que l’opération en cause soulevait des doutes sérieux quant à sa compatibilité avec le marché intérieur. Cela étant, il convient de tenir compte du fait, souligné par le Tribunal aux points 364 à 367 de l’arrêt attaqué, qu’Altice a, de sa propre initiative, informé la Commission de la concentration bien avant la signature du SPA et adressé à cette institution une demande de désignation d’une équipe chargée de traiter son dossier trois jours après cette signature.
245 Troisièmement, s’agissant de la durée de l’infraction à l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 139/2004, il importe de rappeler que celle-ci constitue une infraction instantanée (arrêt du 4 mars 2020, Marine Harvest/Commission, C 10/18 P, EU:C:2020:149, point 115), ce qui n’est pas contesté en l’espèce.
246 Dans ces conditions, il sera fait une juste appréciation de l’ensemble des circonstances de l’espèce en fixant le montant de l’amende infligée à Altice pour l’infraction à l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 139/2004, constatée à l’article 2 de la décision litigieuse, à la somme de 52 912 500 euros. Un tel montant apparaît proportionné au regard de la nature, de la gravité et de la durée de l’infraction, tout en restant suffisamment dissuasif.
247 Contrairement aux arguments avancés par Altice, même cumulé à l’amende infligée pour l’infraction à l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004, un tel montant reste proportionné. En effet, eu égard aux constatations effectuées par le Tribunal au point 340 de l’arrêt attaqué, qui n’ont pas été remises en cause devant la Cour, et en l’absence de toute invocation, par Altice, de données actualisées, il convient de relever que les deux amendes prises ensemble restent en deçà de 0,5 % du chiffre d’affaires d’Altice pour l’année 2017.
248 À la lumière de l’ensemble des considérations qui précèdent, le montant de l’amende infligée à Altice au titre de l’infraction constatée à l’article 2 de la décision litigieuse est fixé à 52 912 500 euros.
Sur les dépens
249 Aux termes de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, lorsque le pourvoi est fondé et que la Cour juge elle-même définitivement le litige, elle statue sur les dépens.
250 L’article 138, paragraphe 1, de ce règlement, rendu applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, dispose que toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. L’article 138, paragraphe 3, dudit règlement, également applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, prévoit, en outre, que, si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs, chaque partie supporte ses propres dépens. Toutefois, si cela apparaît justifié au vu des circonstances de l’espèce, la Cour peut décider que, outre ses propres dépens, une partie supporte une fraction des dépens de l’autre partie.
251 En l’occurrence, un seul des six moyens du pourvoi et un seul des cinq moyens du recours en annulation ayant prospéré, et ce seulement partiellement, il convient de décider qu’Altice supportera, outre ses propres dépens, les cinq sixièmes de ceux exposés par la Commission aux fins de ces deux procédures.
252 En vertu de l’article 184, paragraphe 4, du même règlement, lorsqu’elle n’a pas, elle-même, formé le pourvoi, une partie intervenante en première instance ne peut être condamnée aux dépens dans la procédure de pourvoi que si elle a participé à la phase écrite ou orale de la procédure devant la Cour. Lorsqu’une telle partie participe à la procédure, la Cour peut décider qu’elle supporte ses propres dépens. Le Conseil, partie intervenante en première instance, ayant participé à la phase écrite de la procédure devant la Cour, il y a lieu de décider qu’il supportera ses propres dépens afférents tant à la procédure de pourvoi qu’à la procédure de première instance.
Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) déclare et arrête :
1) Le point 1 du dispositif de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 22 septembre 2021, Altice Europe/Commission (T 425/18, EU:T:2021:607), est annulé.
2) Le point 2 du dispositif de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 22 septembre 2021, Altice Europe/Commission (T 425/18, EU:T:2021:607), est annulé en tant qu’il rejette la demande d’annulation de l’article 4 de la décision C(2018) 2418 final de la Commission, du 24 avril 2018, infligeant des amendes pour la réalisation d’une concentration en violation de l’article 4, paragraphe 1, et de l’article 7, paragraphe 1, du règlement (CE) no 139/2004 (affaire M.7993 – Altice/PT Portugal).
3) Le pourvoi est rejeté pour le surplus.
4) L’article 4 de la décision C(2018) 2418 final est annulé.
5) Le montant de l’amende infligée à Altice Group Lux Sàrl au titre de l’infraction constatée à l’article 2 de la décision C(2018) 2418 final est fixé à 52 912 500 euros.
6) Altice Group Lux Sàrl est condamnée à supporter, outre ses propres dépens, les cinq sixièmes des dépens de la Commission européenne afférents tant à la procédure de première instance qu’à la procédure de pourvoi.
7) La Commission européenne est condamnée à supporter un sixième de ses propres dépens afférents tant à la procédure de première instance qu’à la procédure de pourvoi.
8) Le Conseil de l’Union européenne supporte ses propres dépens afférents tant à la procédure de première instance qu’à la procédure de pourvoi.