Livv
Décisions

Cass. crim., 3 octobre 2023, n° 23-80.251

COUR DE CASSATION

Autre

Cassation

Cass. crim. n° 23-80.251

3 octobre 2023

N° E 23-80.251 F-B

N° 01078

ODVS
3 OCTOBRE 2023

CASSATION

M. BONNAL président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 3 OCTOBRE 2023

Le procureur général près la cour d'appel de Rouen, Mme [O] [C] et le bâtonnier de l'ordre des avocats au barreau de Rouen ont formé des pourvois contre l'ordonnance du président de la chambre de l'instruction de ladite cour d'appel, en date du 18 novembre 2022, qui, dans la procédure suivie contre M. [Z] [R] des chefs de propositions sexuelles faites à un mineur de quinze ans par un majeur en utilisant un moyen de communication électronique, harcèlement et corruption sexuels aggravés, a prononcé sur une contestation élevée en matière de saisie effectuée dans le cabinet d'un avocat.

Par ordonnance du 27 mars 2023, le président de la chambre criminelle a joint les pourvois, prescrit l'examen immédiat du pourvoi formé par le procureur général et ordonné la transmission des pourvois formés par Mme [C] et le bâtonnier de l'ordre des avocats à la chambre criminelle, compétente pour statuer.

Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.

Sur le rapport de Mme Thomas, conseiller, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de Mme [O] [C] et du bâtonnier de l'ordre des avocats au barreau de Rouen, les observations du procureur général près la cour d'appel de Rouen et les conclusions de M. Lemoine, avocat général, après débats en l'audience publique du 5 septembre 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Thomas, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Dang Van Sung, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'ordonnance attaquée et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Lors d'une enquête préliminaire ouverte des chefs susvisés et mettant en cause M. [Z] [R], le juge des libertés et de la détention a, par ordonnance du 3 novembre 2022, autorisé une perquisition au domicile des parents de l'intéressé chez lesquels il réside lorsqu'il se trouve sur le territoire national, Mme [O] [C], sa mère, ayant la qualité d'avocate.

3. Au cours de la perquisition, effectuée le 8 novembre suivant par le substitut du procureur de la République, la représentante du bâtonnier de l'ordre des avocats a formé opposition à la saisie de divers matériels informatiques, qui ont été placés sous six scellés fermés.

4. Par ordonnance du 14 novembre 2022, le juge des libertés et de la détention a déclaré irrecevables les oppositions à la saisie d'autres matériels informatiques formées par la représentante du bâtonnier lors de son audience, dit n'y avoir lieu à la saisie des scellés n° 1, 2 et 3, ordonné leur restitution immédiate et la cancellation de toute référence à ces objets ou à leur contenu dans le dossier de la procédure, dit que la saisie des scellés n° 4, 5 et 6 est régulière, ordonné le versement de ces scellés et du procès-verbal des opérations au dossier de la procédure, avec cancellation des éléments relatifs aux scellés dont la restitution a été ordonnée, et dit n'y avoir lieu à la désignation d'un expert.

5. Par déclaration au greffe de la chambre de l'instruction, Mme [C] et le bâtonnier de l'ordre des avocats ont chacun formé un recours contre cette décision.

Examen des moyens

Sur le premier moyen du procureur général

Enoncé du moyen

6. Le moyen, pris de la violation de l'article 56-1 du code de procédure pénale, critique l'ordonnance attaquée en ce qu'elle a estimé recevables les recours de Mme [C] et du bâtonnier de l'ordre des avocats effectués par déclaration au greffe de la chambre de l'instruction, alors que ces recours ne pouvaient qu'être enregistrés au greffe de la juridiction qui a rendu la décision, en l'espèce le greffe du juge des libertés et de la détention, afin de garantir l'information immédiate du procureur de la République qui diligente l'enquête, et, par suite, le caractère suspensif de tels recours.

Réponse de la Cour

7. Ni l'article 56-1 du code de procédure pénale ni aucune autre disposition du code de procédure pénale ne prévoyant la forme du recours ouvert contre l'ordonnance du juge des libertés et de la détention statuant en matière de contestation de saisie effectuée au cabinet d'un avocat ou à son domicile, un tel recours pouvait être effectué par déclaration au greffe de la chambre de l'instruction tout autant que par déclaration d'appel au greffe du premier juge.

8. Ainsi, le moyen doit être écarté.

Mais sur les deuxième et troisième moyens du procureur général et sur le moyen proposé pour Mme [C] et le bâtonnier de l'ordre des avocats

Enoncé des moyens

9. Le deuxième moyen proposé par le procureur général, pris de la violation de l'article 56-1 du code de procédure pénale, critique l'ordonnance attaquée en ce qu'elle a estimé ne pas pouvoir faire droit à une demande de réformation partielle et considéré que le président de la chambre de l'instruction est seulement saisi d'un recours sur le caractère exécutoire de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention, alors qu'il revient au président de la chambre de l'instruction de statuer sur la contestation de saisie, selon une procédure qui, identique à celle prévue devant le juge des libertés et de la détention, corrobore le caractère dévolutif du recours sur la totalité de la contestation et que, bien que saisi du seul recours de Mme [C] et du bâtonnier de l'ordre des avocats, le président de la chambre de l'instruction devait se considérer comme saisi de la totalité de la contestation portant initialement sur six scellés et non pas seulement sur les trois scellés dont la restitution n'avait pas été ordonnée par le juge des libertés et de la détention, le recours d'une seule partie suffisant, en l'absence d'un mécanisme de « recours incident », pour que la totalité de la décision soit soumise à l'appréciation de ce magistrat.

10. Le troisième moyen proposé par le procureur général, également pris de la violation de l'article 56-1 du code de procédure pénale, critique l'ordonnance attaquée en ce que, ordonnant la mise à exécution de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention, elle a, ce faisant, dit n'y avoir lieu au maintien de la saisie des scellés n° 1, 2 et 3, sans censurer le juge des libertés et de la détention en ce qu'il a considéré que ces trois scellés ressortaient en apparence de l'activité professionnelle de l'avocat, alors que durant l'enquête préliminaire, la question de l'exploitation des documents saisis et placés sous scellés, d'une part, ne peut être soumise à la chambre de l'instruction faute de cadre le permettant, d'autre part, ne saurait attendre l'éventuel examen d'une juridiction de jugement dont la saisine demeure hypothétique à ce stade et que ni le président de la chambre de l'instruction ni le juge des libertés et de la détention ne sauraient, sans méconnaître les pouvoirs propres du ministère public, se substituer à l'appréciation en opportunité du parquet et ordonner la restitution de supports informatiques sans que ceux-ci n'aient été ouverts et consultés pour vérifier l'absence de données illicites, alors que leur exploitation sur place était matériellement impossible, qu'il n'était pas démontré que ces supports numériques contenaient effectivement des documents relevant de l'exercice des droits de la défense et couverts par le secret professionnel de la défense et du conseil et que le magistrat du parquet avait veillé à ce que les investigations ne portent pas atteinte au libre exercice de la profession d'avocat, les scellés en cause ne correspondant qu'à des copies de sauvegarde non nécessaires à l'exercice quotidien de cette profession.

11. Le moyen proposé pour Mme [C] et le bâtonnier de l'ordre des avocats critique l'ordonnance attaquée en ce qu'elle a ordonné que l'ordonnance du juge des libertés et de la détention en date du 14 novembre 2022 soit mise à exécution, alors :

« 1°/ que le recours formé contre une ordonnance du juge des libertés et de la détention statuant sur la contestation d'une perquisition réalisée au domicile d'un avocat devant le président de la chambre de l'instruction, sur fondement de l'article 56-1 alinéa 8 du code de procédure pénale, est assorti de l'effet dévolutif et l'oblige à statuer à nouveau en fait et en droit sur cette contestation ; qu'en jugeant, pour ordonner la « mise à exécution » de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention contre laquelle les exposants formaient un recours sur le fondement de ce texte, que ce recours n'était pas assorti de l'effet dévolutif, portant uniquement sur « le caractère exécutoire » de l'ordonnance, qu'il ne l'« autoris(ait) » pas à examiner la régularité de la perquisition contestée, ni la régularité de cette ordonnance qu'il ne pouvait réformer, ni ne lui permettait de statuer sur les demandes de restitution formées par les exposants, de sorte que leur demande d'expertise était sans objet, cependant qu'il lui appartenait de statuer, à nouveau, en fait et en droit sur la contestation des exposants, qu'il pouvait réformer l'ordonnance entreprise et, statuant à nouveau, ordonner la restitution de scellés ou une expertise, le président de la chambre de l'instruction a commis un excès de pouvoir négatif, en violation de l'article 56-1 du code de procédure pénale et des articles 6 § 1 et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

2°/ qu'en toute hypothèse, il appartient au juge des libertés et de la détention, saisi d'une contestation en ce sens, de contrôler la motivation de la décision écrite du magistrat autorisant la perquisition qui doit indiquer la nature de l'infraction ou des infractions sur lesquelles portent les investigations, les raisons justifiant la perquisition et l'objet de celle-ci ; qu'en ordonnant la mise à exécution de l'ordonnance du 14 novembre 2021, cependant que le juge des libertés et de la détention avait refusé de statuer sur le caractère suffisamment motivé de la décision ayant autorisé la perquisition, car il n'aurait pu « statuer lui-même sur la régularité de sa propre décision », cependant que, s'il en était l'auteur, il lui appartenait de se récuser et de surseoir à statuer jusqu'à la désignation d'un autre magistrat, le président de la chambre de l'instruction a, lui-même, commis un excès de pouvoir négatif, en violation de l'article 56-1 du code de procédure pénale et des articles 6 § 1 et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

3°/ qu'en toute hypothèse, la saisie d'autres objets ou documents que ceux placés sous scellé lors des opérations de perquisition au domicile d'un second à la demande du bâtonnier peut être contestée devant le juge des libertés et de la détention ; qu'en ordonnant la mise à exécution de l'ordonnance du 14 novembre 2021, cependant que le juge des libertés et de la détention avait déclaré irrecevable l'opposition du bâtonnier et de Me [C] à la saisie de quatre disques durs, car, formulée lors de l'audition, cette opposition ne l'aurait pas été « dans les formes prévues par le code pénal », ne permettant pas leur « placement sous scellé fermé et (leur) inventaire dans un procès-verbal distinct », quand cette contestation était recevable, le président de la chambre de l'instruction a, lui-même, commis un excès de pouvoir négatif, en violation de l'article 56-1 du code de procédure pénale et des articles 6 § 1 et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

4°/ qu'en toute hypothèse, il appartient au juge des libertés et de la détention, fût-ce en recourant lui-même à la mesure technique envisagée, de prendre personnellement connaissance du contenu des supports informatiques saisis et de décider s'ils sont ou non couverts par le secret professionnel de l'avocat et doivent être restitués ou versés dans le dossier de la procédure ; qu'en ordonnant la mise à exécution de l'ordonnance du 14 novembre 2021, cependant que le juge des libertés et de la détention s'était limité, pour juger régulières les saisies des scellés n° 4 à 6, à des considérations sur l'emplacement des disques durs (sous le lit ou sur le bureau du mis en cause) et leur aspect extérieur (l'absence d'étiquette les reliant à l'activité d'avocat de Me [C]), desquelles il se serait déduit qu'ils pourraient être le support d'indices en lien avec les infractions objet de l'enquête, refusant, ainsi, de prendre personnellement connaissance de leur contenu pour s'assurer qu'il n'y avait pas de données couvertes par le secret professionnel, fût-ce en recourant à une expertise que les exposants sollicitaient à titre subsidiaire, le président de la chambre de l'instruction a, lui-même, commis un excès de pouvoir négatif, en violation de l'article 56-1 du code de procédure pénale et des articles 6 § 1 et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

12. Les moyens sont réunis.

Vu l'article 56-1 du code de procédure pénale :

13. Selon ce texte, la décision du juge des libertés et de la détention statuant sur l'opposition du bâtonnier ou de son délégué à la saisie d'un document ou objet à l'occasion d'une perquisition dans le cabinet d'un avocat ou à son domicile peut faire l'objet d'un recours suspensif devant le président de la chambre de l'instruction. Il en résulte que celui-ci statue alors à nouveau en fait et en droit sur la contestation.

14. Pour ordonner la mise à exécution de la décision du juge des libertés et de la détention, l'ordonnance attaquée énonce qu'il résulte de l'article 56-1 du code de procédure pénale que le recours devant le président de la chambre de l'instruction ne vise qu'à faire obstacle au versement immédiat des pièces dont la saisie a été autorisée par le juge des libertés et de la détention, et que ce recours ne saurait se substituer à un appel dont l'effet dévolutif autoriserait tant l'examen de la régularité des opérations de perquisition et de la décision déférée que celui des demandes en restitution d'objets saisis.

15. Le juge ajoute qu'il ne saurait, sans excès de pouvoir, réformer, même partiellement, l'ordonnance attaquée, si bien que le recours à une expertise se révèle sans objet à ce stade.

16. En se déterminant ainsi, le président de la chambre de l'instruction, qui devait répondre aux demandes et moyens de l'avocat concerné et du bâtonnier ainsi qu'aux réquisitions du procureur général, et qui a ordonné la mise à exécution d'une décision dont il a pourtant refusé de contrôler la régularité, a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus énoncé.

17. La cassation est dès lors encourue.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'ordonnance susvisée du président de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Rouen, en date du 18 novembre 2022, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la juridiction du président de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Rouen et sa mention en marge ou à la suite de l'ordonnance annulée ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du trois octobre deux mille vingt-trois.