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Décisions

CA Paris, Pôle 6 - ch. 5, 5 octobre 2023, n° 21/05275

PARIS

Arrêt

Autre

CA Paris n° 21/05275

5 octobre 2023

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 5

ARRET DU 05 OCTOBRE 2023

(n° 2023/ , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/05275 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CD2Y6

Décision déférée à la Cour : Jugement du 23 Février 2021 - Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOBIGNY - RG n°

APPELANT

Monsieur [C] [A]

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représenté par Me Kamel MAOUCHE, avocat au barreau de PARIS, toque : B116

INTIMEE

S.A. SERVAIR

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Localité 5]

[Localité 4]

Représentée par Me Sandrine LOSI, avocat au barreau de PARIS, toque : K020

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 20 Avril 2023, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Marie-Christine HERVIER, Présidente de chambre, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Madame Marie-Christine HERVIER, Présidente de chambre

Madame Catherine BRUNET, Présidente de chambre

Madame Séverine MOUSSY, Conseillère

Greffier, lors des débats : Madame Philippine QUIL

ARRET :

- Contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, initialement prévue le 6 juillet 2023 et prorogée à ce jour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Marie-Christine HERVIER, Présidente de chambre, et par Joanna FABBY, greffière à laquelle la minute a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE':

La société Servair a pour activité l'avitaillement des compagnies aériennes : élaboration de repas, confection et agencement des plateaux repas.

Par contrat de travail à durée indéterminée du 1er juin 1995, M. [C] [A] a été embauché par la société Servair en qualité d'employé de production, classe 1, niveau 1, pour une durée de travail à temps complet. A compter du 1er décembre 2003, il est devenu chauffeur chargeur PL, classe A4, coefficient 184 et percevait une rémunération mensuelle brute de base de 1 765 euros. De 2012 à 2017, M. [A] a effectué des remplacements temporaires au poste de chargeur ajusteur, position B1, coefficient 206 dans le cadre de l'accord collectif d'entreprise du 28 mai 2004 sur la classification des emplois et le développement professionnel des employés et maîtrise de la société Servair.

Le 5 avril 2017, il a été victime d'un accident du travail et a repris son activité dans le cadre d'un mi-temps thérapeutique. Le 2 juin 2018, il a été victime d'une rechute de son accident de travail. Lors de la visite de reprise qui s'est tenue le 13 février 2019, le médecin du travail l'a déclaré inapte au poste de chauffeur chargeur. Il a été licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement le 20 juin 2019.

Antérieurement à son licenciement, M. [A] avait saisi le conseil de prud'hommes de Bobigny afin d'obtenir la communication de diverses pièces, la régularisation de sa situation par positionnement au poste de chargeur ajusteur au niveau B1 coefficient 206 sous astreinte et des dommages-intérêts en réparation de son préjudice financier, pour inégalité de traitement, violation des dispositions conventionnelles et discrimination syndicale.

Par jugement du 23 février 2021 auquel la cour renvoie pour plus ample exposé de la procédure antérieure et des demandes initiales, le conseil de prud'hommes de Bobigny, section commerce, a débouté M. [A] de l'ensemble de ses demandes, la société Servair de sa demande présentée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et a condamné M. [A] aux dépens.

M. [A] a régulièrement relevé appel du jugement le 14 juin 2021.

Aux termes de ses dernières conclusions d'appelant n°2 notifiées par voie électronique le 4 avril 2023 auxquelles la cour renvoie pour plus ample exposé des prétentions et moyens conformément à l'article 455 du code de procédure civile, M. [A] prie la cour de :

- infirmer le jugement dans toutes ses dispositions,

- ordonner à la société Servair de communiquer :

* pour chaque remplacement temporaire qu'il a effectué, l'identité du salarié remplacé et le motif d'absence,

* la liste des salariés ayant fait fonction de chargeur ajusteur et superviseur chargeur depuis le 1er janvier 2012 jusqu'au 20 juin 2019 en précisant la durée de ce remplacement, leur emploi habituel, leur évolution de carrière et le cas échéant leur appartenance syndicale,

* la liste des salariés titularisés, embauchés au poste de chargeur ajusteur et superviseur chargeur, depuis le 1er janvier 2012 jusqu'au 20 juin 2019 en précisant leur ancienneté dans l'entreprise, leur ancienneté au poste de chauffeur chargeur, le cas échéant leur appartenance syndicale, l'offre de mobilité publiée aux fins de pourvoir le poste ainsi que l'entretien annuel d'évaluation précédant la promotion du salarié en cause,

* les plannings de janvier 2018 à juin 2019 sur lesquels apparaissent les postes de chargeur ajusteur et de superviseur chargeur en distinguant les salariés titulaires et les salariés remplaçants,

- condamner la société Servair à lui verser les sommes de':

* 19'475 euros brut à titre de rappel de salaires et congés payés de juillet 2015 à juin 2019,

* 15'000 euros de dommages-intérêts pour violation des dispositions conventionnelles,

* 15'000 euros de dommages-intérêts pour inégalité de traitement et discrimination

* 15'000 euros de dommages-intérêts pour violation de l'obligation de bonne foi et de loyauté,

* 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- assortir les sommes dues des intérêts au taux légal à compter du 5 juillet 2018 et ordonner la capitalisation des intérêts à compter du 5 juillet 2019.

Aux termes de ses dernières conclusions n° 3, notifiées par voie électronique le 18 avril 2023 auxquelles la cour renvoie pour plus ample exposé des prétentions et moyens conformément à l'article 455 du code de procédure civile, la société Servair prie la cour de :

- confirmer le jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il l'a déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner M. [A] à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la première instance et de l'appel,

- débouter M. [A] de toutes ses demandes et le condamner aux dépens,

- subsidiairement, limiter le préjudice financier à 11'328,67 euros brut,

- condamner M. [A] aux dépens.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 19 avril 2023.

MOTIVATION :

Sur l'inégalité de traitement et la discrimination :

M. [A] soutient qu'il a fait l'objet d'une inégalité de traitement voire d'une discrimination quant au passage au coefficient supérieur et notamment à l'emploi de chargeur ajusteur.

La société Servair conclut au débouté.

En application du principe d'égalité de traitement, si des mesures peuvent être réservées à certains salariés, c'est à la condition que tous ceux placés dans une situation identique, au regard de l'avantage en cause, aient la possibilité d'en bénéficier, à moins que la différence de traitement soit justifiée par des raisons objectives et pertinentes et que les règles déterminant les conditions d'éligibilité à la mesure soient préalablement définies et contrôlables. Si, aux termes de l'article 1343 du code civil, il appartient au salarié qui invoque une atteinte à ce principe de soumettre au juge les éléments de fait susceptibles de caractériser une inégalité de rémunération, c'est à lui de démontrer qu'il est dans une situation identique ou similaire à celle du salarié auquel il se compare au regard de l'avantage invoqué et dans ce cas il incombe à l'employeur de rapporter la preuve d'éléments objectifs et matériellement vérifiables justifiant cette différence.

M. [A] reproche à l'employeur de ne pas avoir respecté les dispositions de la convention collective du personnel au sol des entreprises de transports aériens qu'un jugement du tribunal judiciaire de Bobigny du 16 septembre 2021 a enjoint à la société Servair d'appliquer à l'ensemble de son personnel. Il fait valoir qu'en matière de remplacements temporaires, les articles 7 et 12 de la convention collective prévoient une rémunération pour le salarié remplaçant correspondant au coefficient hiérarchique de l'emploi occupé temporairement et que le remplacement d'une durée de six mois offre une priorité d'accès à l'emploi occupé ou à un emploi de cette catégorie.

Plus précisément, il invoque :

- une absence totale d'évolution professionnelle depuis 16 ans,

- des alertes de l'inspection du travail,

- des titularisations anormales,

- une discrimination syndicale,

Sur les titularisations anormales :

M. [A] fait valoir qu'entre septembre 2015 et décembre 2018, 14 titularisations sont intervenues sur le poste de chargeur ajusteur, citant le nom des salariés promus, sans qu'aucune offre de mobilité n'ait été publiée par Servair, en violation selon lui des dispositions conventionnelles, alors que lui-même n'a pas été promu, se comparant précisément à plusieurs salariés':

- M. [W], entré dans l'entreprise en 2004, titularisé chauffeur chargeur en janvier 2015 et chargeur ajusteur en octobre 2016,

- M. [N], entré dans l'entreprise en 2001, titularisé chauffeur chargeur en juin 2007 et chargeur ajusteur en octobre 2016,

- M. [P], entré dans l'entreprise en 2002, titularisé chauffeur chargeur en avril 2005 et chargeur ajusteur en août 2017,

M. [B], entré dans l'entreprise en 2002, titularisé chauffeur chargeur en août 2015 et chargeur ajusteur en juin 2018,

- M. [V], entré dans l'entreprise en 1998, titularisé chauffeur chargeur en novembre 2010 et chargeur ajusteur en juin 2018,

- MM. [G], [U], [I], [M], [E], chauffeurs chargeurs depuis 2004, et promus chargeurs ajusteurs entre mai et novembre 2015,

Il soutient que ces salariés qui occupaient au même niveau de classification que lui le même emploi que lui, justifiaient d'une ancienneté inférieure à la sienne, tant dans l'entreprise qu'au poste de chauffeur chargeur, et alors que lui-même bénéficiait d'une durée de 12 mois de remplacements temporaires à ce poste de chargeur ajusteur entre 2015 et 2017, ont été titularisés en raison de leur appartenance syndicale.

Il se compare également à d'autres salariés qui, entrés dans l'entreprise sur des postes de catégorie inférieure à la sienne, postérieurement à lui, (M. [S] en juin 2003, comme agent de quai ; M. [L], en août 2003, comme employé de chaîne ; M. [F], en avril 2008 comme employé de laverie ; M. [Z], en avril 2002, comme employé de laverie ; M. [O], en avril 2000 comme agent de quai), ont pourtant été promus chargeurs ajusteurs depuis longtemps.

Il rappelle que l'accord collectif d'entreprise du 28 mai 2004 sur la classification des emplois et le développement professionnel stipule que les promotions doivent s'effectuer dans le cadre de la publication d'offre de mobilité interne et à l'issue d'un processus de sélection formalisé et reproche à l'employeur de ne pas justifier de la publication des offres de mobilité aux fins de pourvoir les postes qui ont été pourvus par les salariés auxquels il se compare.

La société Servair conclut au débouté en soutenant que':

- Le remplacement temporaire n'implique pas une titularisation automatique ainsi que cela ressort de l'article 12 de la convention collective,

- les correspondances de l'inspectrice du travail, qualifiées d'alertes par M. [A] ne concernent pas la situation de celui-ci,

- M. [A] a exercé habituellement ses fonctions de chauffeur livreur et entre 2015 et 2017, il a effectué douze remplacements temporaires qui lui ont permis d'obtenir une prime mais ne pouvaient lui permettre d'obtenir une promotion.

La société fait valoir que c'est à celui qui se prétend victime d'une inégalité de traitement de démontrer qu'il se trouve dans une situation identique ou similaire à celui auquel il se compare que M. [A] compare sa situation avec celle de 14 autres salariés mais':

- 13 d'entre eux et non 14 ont évolué vers un poste de chargeur ajusteur,

- M. [A] a évolué vers le poste de chauffeur chargeur en décembre 2003,

- les salariés qui ont évolué 'entre 2015 et 2017 sur le poste de chargeur ajusteur avaient une ancienneté dans le poste de chauffeur chargeur plus importante que M. [A] et/ou démontraient une compétence et de aptitudes compatibles avec cette évolution.

La cour considère qu'il est ainsi établi que M. [A] se compare avec des salariés, qui occupant le même emploi de chauffeur chargeur que lui, ayant comme lui effectué des remplacements temporaires au poste de chargeur ajusteur sont placés dans une situation identique ou similaire à la sienne.

Pour démontrer que la titularisation des salariés auxquels M. [A] se compare est justifiée par des raisons objectives tirée de leur ancienneté supérieure ou de leur compétence et de leur aptitude, comme il le soutient, l'employeur verse aux débats

- les courriers de notification de changement d'affectation adressés à 13 des 14 salariés auxquels M. [A] se compare lesquels font apparaître comme le souligne le salarié une promotion à l'emploi de chauffeur ajusteur catégorie B1'206 sauf pour M. [J] qui lui a été nommé «'superviseur chargement, B2'218",

- les fiches carrière des salariés qui selon lui font apparaître que':

* M. [P] auquel le salarié se compare avait une ancienneté dans le poste non pas de trois ans comme l'indique M. [A] mais de 12 ans. La cour observe que cette «'fiche suivi de carrière'» fait apparaître que M. [P] occupait l'emploi de chauffeur chargeur le 1er avril 2015 que les bulletins de salaire communiqués par le salarié font apparaître que M. [P] occupait un emploi de chauffeur chargeur indice 184 classe A4 au moins depuis le 1er décembre 2011 et dans ses écritures M. [A] affirme que M. [P] occupait un emploi de chauffeur chargeur depuis 2004. L'employeur soutient qu'il a effectué 35 remplacements temporaires et les bulletins de salaire communiqués font apparaître le versement à 35 reprises d'une prime compensatrice de remplacement.

La cour observe donc que ce salarié avait une ancienneté dans le poste de chauffeur chargeur moindre que celle de M. [A] (qui lui occupait l'emploi de chauffeur chargeur depuis 2003), qu'il avait effectué plus de remplacements que lui et a effectivement été titularisé alors que M. [A] ne l'a pas été et considère que ce nombre de remplacements ne constitue pas un critère pertinent et objectif puisque l'employeur dans le cadre de son pouvoir de direction choisissait quels salariés il souhait affecter temporairement au poste de chauffeur ajusteur et qu'il n'est pas justifié des critères de choix Par ailleurs, il n'est produit aucun élément sur les compétences respectives de M. [P] et de M. [A].

* S'agissant de M. [B], l'employeur fait valoir qu'il avait une expérience sur le poste de chauffeur chargeur de plus de 15 ans et non trois ans comme le prétend M. [A] et avait été amené à effectuer 24 remplacements temporaires. La cour relève là encore que la fiche suivi de carrière communiquée par l'employeur au nom de M. [B] fait apparaître un emploi de chauffeur chargeur depuis août 2015. Ses bulletins de salaire communiqués font apparaître l'emploi de chauffeur chargeur depuis août 2015. Il n'est communiqué aucun bulletin de salaire antérieur mais M. [A] dans ses écritures soutient qu'il occupait un emploi de chauffeur chargeur depuis 2004,. Les bulletins de salaire font apparaître le versement d'une prime compensatrice de remplacement à 24 reprises. La cour relève donc, comme précédemment que M. [B] est devenu chauffeur chargeur comme M. [A], mais après lui et a été titularisé chauffeur ajusteur, au contraire de M. [A].

* S'agissant de M. [M], l'employeur fait valoir qu'il a été titularisé au poste de chargeur ajusteur alors qu'il avait acquis une expérience sur le poste de chauffeur chargeur de plus de 14 ans et avait effectué 14 remplacements temporaires. La cour observe toutefois qu'il ressort de la fiche suivi carrière de M. [M] qu'il était chauffeur chargeur depuis le 1er août 2013 et il n'est pas communiqué de bulletins de salaire sur la période antérieure. Toutefois dans ses écritures, M. [A] indique qu'il était chauffeur chargeur depuis 2004. La cour en déduit donc que lorsqu'il a été titularisé, il avait une ancienneté dans le poste de chauffeur chargeur moindre que celle de M. [A] qui lui n'a pas été titularisé,

* S'agissant de M. [D], l'employeur explique qu'il a été titularisé sur le poste de chargeur ajusteur en novembre 2018 et qu'il avait été embauché en avril 1991 et avait effectué 25 remplacements temporaires. La cour observe que la fiche suivi de carrière de M. [D] fait apparaître l'emploi de chauffeur chargeur depuis le 1er mars 2014 seulement mais dans ses écritures, M. [A] indique qu'il occupait l'emploi de chauffeur chargeur depuis 2004.

La cour en conclut que là encore , M. [D] a été titualrisé alors qu'il bénéficiait d'une ancienneté dans le poste de chargeur chauffeur moindre que celle de M. [A]. qui lui occupait l'emploi de chauffeur chargeur depuis 2003.

L'employeur soutient que les salariés promus disposaient d'une expérience sur leur dernier poste de travail plus importante que M. [A] mais il ressort des quatre exemples cités ci-dessus auxquels se réfère l'employeur dans ses écritures que, peu importe la date d'embauche du salarié étant observé que seuls M. [G] et M. [D] bénéficiaient d'une ancienneté supérieure à celle de M. [A], dès lors que l'ancienneté était prise en compte au sein de l'entreprise par l'octroi d'une prime ainsi que cela ressort des bulletins de salaire communiqués pour l'ensemble des salariés. Peu importe également qu'ils aient pu être, pour certains d'entre eux, embauchés à un niveau de coefficient supérieur à celui de M. [A] puisque que lors de la promotion de ces salariés au poste de chargeur ajusteur, tous bénéficiaient de la même classification et occupaient le même emploi ainsi que cela ressort de leurs fiches de suivi de carrière.

L'employeur fait encore valoir que les salariés promus tels que MM [W], [N], [P], [Y] et [V] avait effectué davantage de remplacements temporaires que M. [A] sur les postes de chargeur ajusteur mais la cour observe comme précédemment que cet argument n'est pas pertinent puisque c'est l'employeur qui dans le cadre de son pouvoir de direction décidait d'affecter tel ou tel salarié sur les postes de remplacement et qu'en outre, l'employeur ne justifie pas que tous les salariés promus avaient effectué plus de remplacements que M. [A] ni des raisons objectives l'amenant à choisir d'affecter tel ou tel salarié sur les postes de remplacement ni des niveaux de compétence respectifs des salariés.

La cour retient en conséquence que l'employeur ne justifie pas par des raisons objecives la différence de traitement établie par le salarié de sorte que l'inégalité de traitement subie par M. [A] est caractérisée.

Sur la discrimination :

L'article L. 1132-1 du code du travail prévoit que : 'Aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de nomination ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, d'horaires de travail, d'évaluation de la performance, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses m'urs, de son orientation sexuelle, de son identité de genre, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de la particulière vulnérabilité résultant de sa situation économique, apparente ou connue de son auteur, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une prétendue race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de son exercice d'un mandat électif, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille, de son lieu de résidence ou de sa domiciliation bancaire, ou en raison de son état de santé, de sa perte d'autonomie ou de son handicap, de sa capacité à s'exprimer dans une langue autre que le français, de sa qualité de lanceur d'alerte, de facilitateur ou de personne en lien avec un lanceur d'alerte, au sens, respectivement, du I de l'article 6 et des 1° et 2° de l'article 6-1 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.'

M. [A] fait valoir que constitue une discrimination syndicale le fait de favoriser certains salariés en raison de leur appartenance syndicale et ce au détriment d'autres salariés plus méritants, que la situation de favoritisme a été dénoncée par la CGT ainsi que cela ressort des questions des délégués du personnel du 20 août 2015 et relevée par l'inspecteur du travail dans différents courriers.

La société conteste toute discrimination en faisant valoir que l'article L. 1132-1 du code du travail n'a été instauré que dans le but de protéger les salariés pouvant se prévaloir d'une activité ou d'une appartenance syndicale et rappelle qu'un salarié ne peut se prévaloir d'une discrimination syndicale lorsque l'employeur ignore son activité syndicale. La société soutient que M. [A] qui ne se prévaut d'aucun mandat syndical ou représentatif ni d'aucune activité syndicale ne présente donc pas de faits laissant supposer une dicrimination syndicale.

La cour observe que M. [A] ne prétend pas appartenir à une organisation syndicale ni exercer des fonctions représentatives et qu'ainsi, il ne rapporte pas la preuve de l'exercice effectif par lui-même, d'une activité syndicale ou représentative ou militante dont l'employeur aurait eu connaissance, présumée être la source d'une discrimination. La discrimination syndicale alléguée n'est donc pas établie et sa demande de production de pièces adressée à l'employeur afin de préciser l'appartenance syndicale de chacun des salariés promus entre 2012 et 2019, est rejetée.

Par ailleurs, au fil de ses écritures, (dernier paragraphe, page 20), M. [A] évoque une discrimination pour motif racial en indiquant 'en l'absence de toute raison objective, il y a également lieu de s'interroger sur un autre motif prohibé de discrimination, à savoir la couleur de la peau du salarié'. Toutefois, en l'absence de développement sur ce motif discriminatoire et la phrase suivante n'invoquant que la discrimination pour motif syndical, la cour considère qu'elle n'est pas saisie d'une demande fondée sur une discrimination pour motif racial.

Sur l'indemnisation du préjudice financier :

M. [A] soutient qu'il aurait dû être positionné au poste de chargeur ajusteur au niveau B1 206 dès le mois de juillet 2015, dès lors que les remplacements qu'il a effectués sur ce poste ne correspondaient pas à un besoin temporaire de l'entreprise mais à un besoin permanent. Comparant la rémunération qu'il a perçue entre juillet 2015 et juin 2019 soit 141'955 euros brut et celle qu'il aurait dû percevoir au titre d'un emploi positionné B1'206, soit 159'660 euros brut il sollicite la condamnation de l'employeur à lui verser la différence soit la somme de 19 475 euros brut correspondant à 17'705 euros brut à titre de rappel de salaire outre 1 770 euros au titre des congés payés afférents.

L'employeur s'oppose à la demande en faisant valoir que':

- M. [A] ne forme aucune demande de repositionnement au niveau de classification et coefficient correspondant à sa demande,

- les calculs de M. [A] sont inexacts car ils sont effectués à partir des coefficients hiérarchiques au lieu du salaire mensuel des chargeurs ajusteurs de sorte qu'en réalité sur la base de ces grilles salariales, la différence serait de 11'328,67 euros

- il convient de tenir compte de ce que M. [A] a quitté les effectifs en juin 2019.

La cour observe que si M. [A] ne forme aucune demande de repositionnement au niveau de classification supérieur comme le souligne l'employeur, le préjudice subi au titre de l'inégalité de traitement qu'elle a retenue doit être intégralement réparé de sorte que M. [A] est fondé à réclamer la différence entre la rémunération qu'il a perçue et celle perçue par les salariés auxquels il se compare.

Dés lors, la cour condamne la société Servair à verser à M. [A] une somme de totale de 12'461,53 euros correspondant au rappel de salaire et congés payés afférents. Le jugement est infimé en ce qu'il a débouté M. [A] de ce chef de demande.

Sur les dommages-intérêts pour violation des dispositions conventionnelles ':

M. [A] soutient que la société Servair n'a pas respecté les dispositions de l'accord collectif d'entreprise dès lors que les remplacements qu'elle lui a fait faire ne correspondaient pas à un besoin temporaire mais à un besoin permament de l'entreprise. De plus, il fait valoir qu'aucune offre n'a été publiée préalablement aux titularisations effectuées contrairement aux prévisions de l'accord collectif.

La société Servair s'oppose à la demande en faisant valoir que l'accord collectif n'excluait le remplacement temporaire d'un titulaire qu'en cas d'absence définitive et que. Elle soutient que ce régime de remplacements temporaires est favorable tant pour les salariés que pour l'entreprise, les absences étant ainsi palliées par des salariés de l'entreprise plutôt que par des salariés extérieurs, ce qui permet aux salariés de Servair de développer leurs compétences et/ou se rapprocher d'autres services pour prétendre ensuite à des évolutions de carrière. Elle souligne que dans le cadre de ce dispositif, les partenaires sociaux ont convenu de ne pas limiter dans le temps les périodes de 'faisant fonction' et de ne pas prévoir d'évolution automatique à l'échelon supérieur après une certaine durée de remplacements de sorte quque prétendre que effectuer des remplacements temporaires entraîneraient automatiquement un repositionnement définitif remet directement en cause le dispositif négocié par les partenaires sociaux qui est destiné à favoriser le développement professionnel des salariés de la société.

Elle fait valoir dans ses développements sur cette question que l'inspection du travail a confondu la période probatoire de mise en place dans le cas des mobilités et les promotions dont la durée est limitée à six mois et le remplacement temporaire dont aucune limite de durée n'est fixée par l'accord collectif de sorte que la seule durée du remplacement ne peut entraîner une promotion automatique. Elle s'appuie sur une décision de l'inspection du travail du 13 janvier 2020 analysant les effectifs de la société et en particulier les salariés qui effectuaient des remplacements temporaires sur un poste d'un niveau supérieur qui n'a identifié qu'un seul salarié devait être pris en compte dans le collège du poste occupé. Elle souligne que M. [A] ne justifie pas du préjudice allégué.

L'accord sur la classification des emplois et le développement professionnel des employés et maîtrise de Servair du 28 mai 2004 prévoit dans le paragraphe intitué 'cas des remplacements temporaires (page 7) que « Dans le cas des remplacements temporaires, à la demande écrite de la hiérarchie au service ressources humaines, tout remplacement temporaire d'une durée au moins égale à 15 jours consécutifs fait l'objet du versement sur la durée du remplacement d'une prime compensatoire mensuelle. Le montant de cette prime est égal à la différence entre le salaire de positionnement de l'emploi du titulaire 'remplacé' et le salaire de base du salarié 'remplaçant' avec un plafond fixé en tout état de cause à 100 euros bruts. Ce plafond est supprimé à compter du septième mois de remplacement temporaire [']'.

Le paragraphe 'c' du même accord prévoit quant à lui (page10) que : 'Lors du départ temporaire en congés payés, formation, maladie, maternité, accidents de travail ou tout autre motif qui ne justifie pas le remplacement définitif du titulaire d'un emploi, il peut être fait appel à son remplacement par un salarié dont la classe ou l'indice de l'emploi est de niveau inférieur. Temporaire, le remplacement ne pourra ainsi être assimilé à une mobilité ou promotion.'

La cour en conclut que seule la nature temporaire de l'absence permet l'application du dispositif conventionnel. Par ailleurs, il est observé que la décision de l'inspecteur du travail à laquelle se réfère l'employeur, datant de 2020, est postérieure aux faits dénoncés par le salarié. Il en est de même pour le planning des chargeurs ajusteurs communiqué par l'employeur.

En outre, M. [A] verse aux débats la sommation de communiquer sollicitant pour chaque remplacement temporaire effectué par lui l'identité du salarié remplacé et le motif d'absence. La cour relève que la société Servair s'est abstenue de déférer à cette sommation.

Enfin il est établi par les courriers de notification des promotion susvisés que pendant le temps où M. [A] effectuait des remplacements temporaires, intervenaient onze titularisations sur des postes de chargeurs-ajusteurs et la société n'a pas souhaité communiquer la justification de la publication des offres d'emploi pourtant prévue par l'accord d'entreprise.

Il ressort de l'ensemble de ces éléments que la société Servair n'a pas respecté le dispositif conventionnel comme le soutient le salarié. Il en a est résulté pour lui un préjudice qui sera suffisamment indemnisé par l'allocation d'une somme de 3 000 euros. La société est condamnée au paiement de cette somme. Le jugement est infirmé en ce qu'il a débouté M. [A] de ce chef de demande.

Sur la demande de dommages-intérêts pour violation du principe de l'égalité de traitement et discrimination :

La cour ayant retenu que M. [A] a été avait été victime d'une inégalité de traitement condamne la société à lui verser la somme de 5 000 euros suffisant à réparer son entier préjudice moral. Le jugement est infirmé en ce qu'il l'a débouté de ce chef de demande.

Sur les dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail :

M. [A] reproche à la société Servair d'avoir exécuté le contrat de travail de façon déloyale en le privant de toute possibilité d'évolution malgré son ancienneté dans l'entreprise.

La société Servair conclut au débouté en faisant valoir que ni la violation alléguée ni le préjudice ne sont justifiés.

La cour rappelle toutefois qu'elle a retenu à la fois la violation du principe de l'égalité de traitement et un détournement des dispositions conventionnelles caractérisant également une exécution déloyale du contrat de travail. Il en est résulté un préjudice distinct pour M. [A] dans la mesure où malgré son ancienneté et les remplacements effectués, il n'a aucunement évolué au sein de l'entreprise en 16 années de présence, lequel sera pleinement réparé par l'allocation d'une somme de 3 000 euros de dommages-intérêts. La société est donc condamnée au paiement de cette somme et le jugement est infirmé en ce qu'il a débouté M. [A] de ce chef de demande.

Sur les demandes de communication de pièces,

La cour, suffisamment éclairée par la communication de pièces effectuée par les parties a pu trancher le litige sans les pièces réclamées de sorte que la demande est rejetée. Le jugement est confirmé en ce qu'il a débouté le salarié de ce chef de demande.

Sur les autres demandes':

Les intérêts au taux légal portant sur les condamnations de nature indemnitaire sont dus à compter de la présente décision et ceux portant sur les condamnations de nature salariale sont dus à compter de la réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation.

La capitalisation des intérêts échus dus pour une année entière est ordonnée en application de l'article 1343'2 du code civil.

La société Servair, partie perdante, est condamnée aux dépens et doit indemniser M. [A] des frais exposés par lui et non compris dans les dépens à hauteur de la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, sa propre demande sur ce même fondement étant rejetée.

PAR CES MOTIFS :

La cour statuant contradictoirement et par mise à disposition au greffe,

Infirme le jugement dans toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a débouté M. [C] [A] de ses demandes de communication de pièces et la société Servair de la demande qu'elle présentait sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

Condamne la société Servair à verser à M. [C] [A] les sommes de :

- 12'461,53 euros à titre de rappel de salaires et congés payés afféretns pour la période comprise entre juillet 2015 et juin 2019,

- 3 000 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi pour violation des dispositions conventionnelles,

- 5 000 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi pour pour inégalité de traitement,

- 3 000 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi pour violation de l'obligation de bonne foi et de loyauté,

Dit que les intérêts au taux légal pourtant sur les créances salariales sont dus à compter de la réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation et que ceux portant sur les créances indemnitaires sont dus à compter de la présente décision,

Ordonne la capitalisation des intérêts échus dus au moins pour une année entière,

Déboute M. [C] [A] du surplus de ses demandes et dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de la société Servair,

Condamne la société Servair aux dépens de première instance et d'appel.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE