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Décisions

CA Douai, soc. d salle 2, 29 septembre 2023, n° 20/02360

DOUAI

Arrêt

Autre

CA Douai n° 20/02360

29 septembre 2023

ARRÊT DU

29 Septembre 2023

N° 1229/23

N° RG 20/02360 - N° Portalis DBVT-V-B7E-TKLB

LB/VM

Jugement du

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'ARRAS

en date du

03 Novembre 2020

(RG 18/00204 -section 2)

GROSSE :

aux avocats

le 29 Septembre 2023

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

- Prud'Hommes-

APPELANT :

M. [L] [V]

[Adresse 1]

[Localité 5]

représenté par Me Christophe LOONIS, avocat au barreau de BÉTHUNE

INTIMÉS :

S.A.S. TRANSPORTS COMATA, en liquidation judiciaire

Me [M] [Y], es qualité de liquidateur judiciaire de la SAS TRANSPORTS COMATA

[Adresse 3]

[Localité 4]

représenté par Me Laurent CALONNE, avocat au barreau de LILLE

UNEDIC DÉLÉGATION AGS CGEA D'[Localité 6]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

[Localité 6]

représenté par Me Catherine CAMUS-DEMAILLY, avocat au barreau de DOUAI substitué par Me Cécile HULEUX, avocat au barreau de DOUAI

DÉBATS : à l'audience publique du 01 Juin 2023

Tenue par Laure BERNARD

magistrat chargé d'instruire l'affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,

les parties ayant été avisées à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.

GREFFIER : Valérie DOIZE

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Pierre NOUBEL

: PRÉSIDENT DE CHAMBRE

Virginie CLAVERT

: CONSEILLER

Laure BERNARD

: CONSEILLER

ARRÊT : Contradictoire

prononcé par sa mise à disposition au greffe le 29 Septembre 2023,

les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, signé par Pierre NOUBEL, Président et par Angélique AZZOLINI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 11 Mai 2023

EXPOSE DU LITIGE

La société Transports Comata a exercé une activité de transport routier, elle était soumise à la convention collective des transports routiers et employait plus de 100 salariés.

M. [V] a été engagé par contrat de travail à durée indéterminée du 5 janvier 2004 en qualité de chauffeur routier groupe 6 coefficient 138 M, moyennant la rémunération mensuelle moyenne brute de 2'236,67'euros. Il a été élu membre titulaire de la délégation unique du personnel le 30 octobre 2015 et désigné délégué syndical par le syndicat CFDT-SGT ARTOIS-DOUAISIS le 3 novembre 2015.

Le 21 juin 2017, M. [V] a adressé à son employeur une lettre de démission rédigée comme suit':

«'Je vous informe par cette présente que je démissionne de mon poste de Chauffeur poids lourds au sein des Transports Comata que j'occupe depuis le 5 janvier 2004 ainsi que ma démission en tant que délégué élu du personnel et de secrétaire du Comité d'Entreprise. J'ai pris la décision de démissionner car vos méthodes de pression de discrimination ne cessent de s'accroître et cela devient tout simplement plus possible.

En ce qui concerne mes fonctions de délégué secrétaire CE, c'est forcé et à contre c'ur que je les quitte.

J'espère Monsieur que désormais, ayant eu la tête du délégué syndical vous allez cesser vos pressions diverses envers le reste des cartés CFDT encore en place dans votre société.

Si je suis forcé de prendre cette décision de quitter l'entreprise, c'est aussi pour ça.

Après mon délai de préavis, je vous demande de me remettre une attestation ASSEDIC ainsi que mon solde de tout compte.'»

Le 24 septembre 2018, M. [V] a saisi le conseil de prud'hommes d'Arras aux fins principalement de voir sa démission requalifiée en prise d'acte et produire les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, d'obtenir réparation pour des faits de harcèlement moral et de discrimination syndicale ainsi qu'un rappel de salaire portant sur des heures supplémentaires et des heures de lavage non payées.

Par jugement rendu le 3 novembre 2020, la juridiction prud'homale a débouté M. [V] de l'ensemble ses demandes, a débouté les parties de leurs demandes présentées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et condamné M. [V] aux entiers dépens.

M. [V] a régulièrement interjeté appel contre ce jugement par déclaration du 10 décembre 2020.

Par jugement du 18 mai 2022, le tribunal de commerce d'Arras a ordonnée l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire à l'encontre de la société Transports Comata et a désigné Me [Y] en qualité de liquidateur judiciaire.

Aux termes de ses conclusions transmises par RPVA le 8 décembre 2022, M. [V] demande à la cour de':

-infirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions,

-requalifier sa démission en rupture imputable à la société Transports Comata produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

-fixer sur 1'état des créances salariales de la société Transports Comata les sommes suivantes':

- 465,89 euros à titre de rappel de paiement d'heures supplémentaires, outre une somme de 46,59 euros à titre de congés payés sur rappel de paiement d'heures supplémentaires, outre 105,49 euros à titre de congés payés afférents,

- 2 054,89 euros en rémunération des heures de lavage non payées, outre 254,49 euros de congés payés afférents,

- 14'290,80 euros à titre d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé,

- 10'000 euros en réparation du préjudice moral subi du fait du harcèlement moral qui lui a été infligé,

- 10'000 euros en réparation du préjudice moral subi du fait de la discrimination syndicale,

- 7'542,36 euros à titre d'indemnité de licenciement,

- 4'763,60 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 38'108,80 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive,

-ordonner la remise sous astreinte par la société Transports Comata et ses mandataires, des documents de fin de contrat rectifiés conformes à l'arrêt à intervenir,

-condamner Me [Y] ès qualités à lui payer 2'500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

-débouter le CGEA d'[Localité 6] et Me [Y] ès qualités de toutes leurs demandes,

-déclarer l'arrêt à intervenir commun et opposable à Me [Y] ès qualités et au CGEA d'[Localité 6],

-condamner Me [Y] ès qualités au paiement des frais et dépens.

Aux termes de ses conclusions transmises par RPVA le 31 mars 2023, Me [Y] ès qualités demande à la cour de':

-confirmer le jugement déféré sauf en ce qu'il a débouté la société Transports Comata de sa demande d'indemnité de procédure,

-dire l'arrêt à intervenir opposable au CGEA AGS d'[Localité 6],

-condamner M. [V] à lui payer 3'000'euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Aux termes de ses conclusions transmises par RPVA le 20 avril 2023, l'AGS CGEA d'[Localité 6] demande à la cour de':

-à titre principal, confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions,

-subsidiairement, limiter le quantum des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse au minimum légal,

-juger que l'AGS ne garantit pas l'astreinte éventuellement ordonnée,

-rappeler les limites de sa garantie légale et réglementaire,

-statuer ce que de droit quant aux dépens.

Pour un exposé complet des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, la cour se réfère aux conclusions écrites transmises par RPVA en application de l'article 455 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 11 mai 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur les heures supplémentaires et les heures de lavage

Sur la prescription

Aux termes de l'article L. 3245-1 du code du travail, l'action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat.

En l'espèce, la rupture du contrat de travail étant intervenue après l'expiration du délai de préavis suite à la démission de M. [V] le 21 juin 2017, il est en droit d'obtenir un rappel de salaire portant sur les trois années qui précédent cette date, de sorte que la demande du liquidateur et du CGEA tendant à voir dire la demande de rappel de salaire antérieure au 24 septembre 2015 prescrite n'est pas fondée.

Dès lors, il y a lieu, par infirmation du jugement déféré, de rejeter la fin de non recevoir tirée de la prescription partielle de la demande de rappel de salaires.

Sur le fond

M. [V], conducteur de camion citerne à l'international, invoque des heures supplémentaires et des heures de lavage non rémunérées. Il expose que certaines heures travaillées ne lui ont pas été réglées, et que notamment les heures de chargement/ déchargement étaient rémunérées à hauteur de 1h45 ce qui était largement inférieur au temps de travail réel ; que par ailleurs les heures de lavage n'étaient jamais rémunérées, étant comptées comme des temps de repos alors que le conducteur préparait le camion au lavage, le déposait sur la plate-forme, restait présent durant le lavage pour y participer visuellement, puis contrôlait la qualité du lavage , dont il était tenu responsable.

Le liquidateur de la société et le CGEA font valoir que M. [V] ne produit aucun décompte détaillé des heures supplémentaires non réglées. Ils exposent en outre que le temps de lavage n'était pas du temps de travail effectif et n'avait donc pas à être rémunéré, dès lors que le salarié ne participait pas aux opérations de lavage et pouvait vaquer librement à ses occupations, étant observé que les stations spécialisées dans les lavages des citernes disposaient de salles de repos à disposition des chauffeurs.

Sur ce,

Selon l'article L. 3121-1 du code du travail, la durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l'employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles.

Aux termes de l'article L.3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail effectuées, l'employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié'; le juge forme sa conviction au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Si la preuve des horaires de travail effectués n'incombe ainsi spécialement à aucune des parties et si l'employeur doit être en mesure de fournir des éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié, il appartient cependant à ce dernier de fournir préalablement au juge des éléments à l'appui de sa demande par la production d'éléments suffisamment précis quant aux horaires effectivement réalisés pour permettre à l'employeur de répondre en fournissant ses propres éléments.

Concernant les heures supplémentaires, M. [V] se contente de produire un décompte annuel des heures dues, sans qu'il soit possible d'opérer un rapprochement entre les heures revendiquées et les synthèses conducteurs produites. Faute d'élément suffisamment précis présentés à l'appui de sa demande et permettant à l'employeur d'y répondre, le salarié ne pourra qu'être débouté de sa demande de rappel d'heures supplémentaires.

Concernant les heures de lavage, il est avéré que les conducteurs avaient pour instruction de placer leur chronotachygraphe en mode 'repos' à leur arrivée à la station de lavage et que le heures passées en station (attente de prise en charge, préparation du camion pour le lavage et installation sur plate-forme, lavage en lui-même, puis réception et contrôle du camion) ne faisaient l'objet d'aucune rémunération.

Or, si M. [V] ne démontre pas qu'il était présent durant les opérations effectives de lavage et qu'il y participait, il doit être retenu qu'une partie du temps passé en station (enregistrement du camion, préparation et installation du camion, réception du camion puis contrôle de la qualité du lavage) constituait du temps de travail effectif et aurait dû, à ce titre, être rémunéré.

M. [V] verse aux débats ses synthèses conducteur pour l'ensemble de la période litigieuse, annotées avec le nombre d'heures de lavage réalisées par mois, pour un total de 36h en 2014, 66h en 2015, 77h50 en 2016 et 16h50 en 2017, ainsi qu'un courrier de contestation de son solde de tout compte comportant un relevé du nombre de lavages effectués par an (106 en 2014, 103 en 2015, 122 en 2016 et 50 en 2017).

Ainsi, au regard des éléments apportés par chacune des parties, il est justifié d'accorder un rappel de salaire à hauteur de 2 054,89 euros correspondant aux heures de lavage du camion citerne, outre 254,49 euros de congés payés afférents, sommes qui seront fixées au passif de la liquidation judiciaire de la société Transports Comata.

Sur l'indemnité pour travail dissimulé

En application de l'article L8221-5 du code du travail est notamment réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour tout employeur de mentionner sur le bulletin de paie ou le document équivalent un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d'une convention ou d'un accord collectif d'aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie.

Dans la mesure où le rappel de salaire porte sur des heures de lavage dont la qualification était débattue, il ne peut être retenu que l'employeur avait une intention frauduleuse en s'abstenant de les déclarer et de les rémunérer.

M. [V] sera donc débouté de sa demande d'indemnité pour travail dissimulé, le jugement déféré étant confirmé sur ce point.

Sur la discrimination syndicale

M. [V] reproche à son employeur une discrimination en raison de son activité syndicale. Il expose que la société Transports Comata n'a pas supporté qu'il mène une liste dissidente (étiquetée CFDT) aux élections professionnelles qui se sont déroulées en octobre 2015 et que depuis lors il lui a fait subir des menaces et des pressions ; qu'il a en effet d'abord essayé de le licencier, puis, a modifié ses conditions de travail à titre de sanction (retrait de matériel, perte de frais de route) ; que cette pratique au sein de la société était récurrente, et que plusieurs salariés syndiqués à la CFDT ont subi le même traitement de sorte que de très nombreux collègues, qui ne supportaient plus ces conditions de travail, ont quitté la société, l'un d'eux (M. [E] ) ayant même fait une tentative de suicide. M. [V] précise avoir alerté à plusieurs reprises la médecine du travail et l'inspection du travail sur la situation de ses collègues, puis la sienne ; que le médecin du travail constatant les risques psychosociaux au sein de l'entreprise a préconisé une enquête du CHSCT, mais que celle-ci n'a finalement jamais eu lieu.

Le liquidateur et le CGEA soutiennent qu'il n'est pas démontré de faits laissant supposer l'existence d'une discrimination ; que les attestations émanant des collègues de M. [V] sont toutes contemporaines de la procédure de licenciement de M. [V] en 2015 qui n'a pu aboutir (pour des raisons de pure forme), et sont dépourvues d'objectivité et de précision ; que les salariés n'avaient aucun droit acquis au matériel, et que la société était en droit d'attribuer les ensembles roulants en fonction de ses besoins et de l'activité, sachant qu'il était normal que M. [V], qui effectuait des heures de délégation n'ait plus de matériel attitré. Ils soutiennent que certains des salariés dont fait mention M. [V] n'ont pas démissionné mais ont été licenciés ; que par ailleurs l'enquête du CHSCT a été ajournée faute d'élément probant quant à l'existence de risques psychosociaux dans l'entreprise.

Sur ce,

Aux termes de l'article L.1132-1 du code du travail, aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de nomination ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, d'horaires de travail, d'évaluation de la performance, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses m'urs, de son orientation sexuelle, de son identité de genre, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de la particulière vulnérabilité résultant de sa situation économique, apparente ou connue de son auteur, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une prétendue race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de son exercice d'un mandat électif, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille, de son lieu de résidence ou de sa domiciliation bancaire, ou en raison de son état de santé, de sa perte d'autonomie ou de son handicap, de sa capacité à s'exprimer dans une langue autre que le français, de sa qualité de lanceur d'alerte, de facilitateur ou de personne en lien avec un lanceur d'alerte, au sens, respectivement, du I de l'article 6 et des 1° et 2° de l'article 6-1 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.

Aux termes de l'article L.1134-1 du code du travail, lorsque survient un litige en raison d'une méconnaissance des dispositions du chapitre II, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

En l'espèce, M. [V] exerçait au sein de la société Transports Comata depuis 2004 en qualité de chauffeur poids lourd à l'international.

Il a été élu le 30 octobre 2015 en qualité de membre titulaire de la délégation unique du personnel et désigné comme délégué syndical CFDT en novembre 2015.

Pour démontrer l'existence de faits laissant présumer l'existence d'une discrimination syndicale, M. [V] produit les éléments suivants :

- une décision de l'inspection du travail datée du 5 janvier 2016 notifiant à la société Transports Comata un refus de son licenciement au motif qu'une nouvelle consultation du comité d'entreprise aurait du avoir lieu après les élections du 30 octobre 2015,

- de très nombreuses attestations de ses collègues de travail contemporaines à la procédure de licenciement indiquant que M. [V] subit 'les foudres' ou des menaces et pressions de la direction depuis qu'il a présenté une liste CFDT aux élections professionnelles,

- un courrier du 17 septembre 2016 que lui a adressé M. [E], syndiqué à la CFDT dans lequel celui-ci se plaint de ses conditions de travail et des pressions dont il est l'objet en raison de son appartenance au CHSCT (retrait de son ensemble routier notamment) et dans lequel il indique 'être à bout' ; un arrêt de travail de l'intéressé pour une tentative de suicide courant décembre 2016,

- un courrier qu'il a adressé en qualité de délégué syndical à l'inspectrice du travail concernant M. [E], qui a fait une tentative de suicide et dont il indique que celui-ci subit des pressions depuis plusieurs mois, consistant notamment en un retrait de matériel avec perte de véhicule attitré, sanction financière au moyen des frais de route, propos discriminants, menaces en cas de manipulation excessive du chronotachygraphe. Il précise qu'il subit lui-même ce type de méthode à moindre échelle,

- un courrier de M. [Z], ancien secrétaire CFDT du CHSCT du 10 octobre 2016 à l'inspection du travail qui fait part de pression et harcèlement subis au travail, avec notamment des primes non attribuées de manière injustifiée, un retrait de matériel attitré et un passage en 'chauffeur jockey' (remplaçant) ; il fait état de nombreuses démissions de collègues ayant subi le même traitement,

- un courrier qu'il a adressé le 22 janvier 2016 à M. [U], président de la société, avec copie à l'inspection du travail, dans lequel il se plaint qu'on lui ait retiré la citerne qu'il utilisait depuis 9 ans (3 jours après réception du refus de l'inspection du travail) et qu'on lui ait changé son travail afin de le pénaliser financièrement quant à ses frais de route notamment. Il demande à son employeur de faire cesser ses méthodes de discrimination et de pression diverses,

- une liste des questions des délégués du personnel (dont il fait partie) posées le 29 janvier 2016 à la direction dont l'une porte sur les mesures de discrimination dont dit faire l'objet (matériel et frais divers),

- ses synthèses conducteurs à compter du 1er juin 2014 jusqu'à sa démission faisant apparaître que ses frais de route initialement supérieurs à 20 Rp par mois s'élevaient le plus souvent entre 15 et 17 Rp par mois après le 1er janvier 2016,

- un courrier de Mme [F], médecin du travail, à M. [U] interrogeant celui-ci sur l'avancement de l'expertise CHSCT qu'elle a préconisé au sujet des risques psychosociaux dans l'entreprise,

- la liste des salariés syndiqués CFDT ayant quitté l'entreprise (la grande majorité ayant démissionné).

Il est ainsi rapporté la matérialité de faits (engagement d'une procédure de licenciement au moment du dépôt de sa candidature aux élections professionnelles, retrait de matériel, baisse des frais de route) qui pris dans leur ensemble permettent de laisser supposer l'existence d'une situation de discrimination en raison de ses activités syndicales.

Il incombe dès lors à l'employeur de prouver que ses décisions étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

Concernant la procédure de licenciement initiée en 2015, il est justifié qu'elle a été engagée sur la base de faits précis et concrets dont la matérialité était prouvée (propos injurieux envers M. [U], président de la société, publiés sur Facebook). Cette sanction, pour laquelle le comité d'entreprise avait donné un avis favorable, n'a pas été autorisée par l'inspection du travail pour une raison de procédure, et était sans lien avec les activités syndicales du salarié et était donc étrangère à toute discrimination.

Concernant en revanche le retrait de matériel juste après le refus de l'inspection du travail d'autoriser le licenciement de M. [V] et la baisse des frais de route sur la période postérieure à cette date, les parties adverses invoquent maladroitement les heures de délégation comme un motif justifiant un changement de matériel.

S'il est vrai que les véhicules mis à disposition des chauffeurs était la propriété de la société, il n'est apporté aucune justification objective à ce changement de matériel après 9 ans de service. De nombreux éléments concordants apportés par le M. [V] (plaintes de collègues syndiqués CFDT, dénonciation à l'inspection, audition devant les services de gendarmerie) révèlent que le dirigeant de la société utilisait l'attribution de matériel et l'organisation du travail (quantité des frais de route notamment) à titre de sanction. Ainsi, faute de justification objective il ne peut être considéré que les décisions dont M. [V] a fait l'objet étaient étrangères à toute discrimination.

Il résulte de ces éléments qu'il est caractérisé une situation de discrimination en raison des activités syndicales de M. [V]. En l'absence d'élément permettant de chiffrer une éventuelle perte financière, il sera retenu seulement un préjudice moral. Celui-ci sera réparé par l'allocation de la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts, somme qui sera fixée au passif de la liquidation judiciaire de la société.

Sur le harcèlement moral

M. [V] invoque avoir subi des agissements de harcèlement moral de la part de M. [U], président de la société Transports Comata. Il développe en substance des moyens similaires à ceux exposés au soutien de sa demande de dommages et intérêts pour discrimination syndicale.

Le liquidateur de la société Transports Comata et la CGEA, quant à eux, s'appuient sur les même moyens que ceux exposés en réponse à la demande de dommages et intérêts pour discrimination syndicale.

Sur ce,

Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou

mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Aux termes de l'article L.1154-1 du code du travail dans sa rédaction applicable au présent litige, lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement.

Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Lorsque le salarié établit la matérialité de faits précis et concordants constituant selon lui un harcèlement, il appartient au juge d'apprécier si ces éléments pris dans leur ensemble permettent de supposer l'existence d'un harcèlement moral et, dans l'affirmative, il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En l'espèce, en plus des pièces déjà citées plus haut, M. [V] verse aux débats les éléments suivants :

- un certificat médical de son médecin traitant dans lequel il certifie l'avoir examiné le 24 octobre 2015 pour problème d'anxiété et de burn out pour lequel un traitement par Seresta a été prescrit,

- des attestations de ses proches (filles, épouse, amis) qui décrivent son comportement irritable en raison des conditions de travail que lui imposait la direction, et le fait qu'il était psychologiquement envahi par ses problèmes professionnels, son humeur s'étant radicalement améliorée depuis son départ de l'entreprise.

Il résulte des pièces étudiées au précédent paragraphe et des éléments ci-dessus que M. [V] établit la matérialité de faits répétés qui pris dans leurs ensemble laissent supposer une situation de harcèlement moral.

Il appartient dès lors à la société Transports Comata de démontrer que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un harcèlement et que ses décisions étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Concernant la procédure de licenciement, il est justifié qu'elle a été engagée sur la base de faits précis et concrets dont la matérialité était prouvée (propos injurieux envers M. [U], président de la société, publiés sur Facebook). Cette sanction, pour laquelle le comité d'entreprise avait donné un avis favorable, n'a pas été autorisée par l'inspection du travail pour une raison de procédure, était étrangère à tout harcèlement.

Concernant en revanche le retrait de matériel juste après le refus de l'inspection du travail de d'autoriser le licenciement de M. [V] et la baisse des frais de route sur la période postérieure à cette date, il n'est apporté aucune justification objective et pertinente, de sorte qu'il ne peut être considéré que ses décisions étaient étrangères à tout harcèlement.

Il résulte de ces éléments qu'il est caractérisé une situation de harcèlement moral dont il est résulté pour M. [V] un préjudice moral distinct de celui causé par les agissements discriminatoires de son employeur, et qu'il y a lieu de réparer par l'allocation de la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts, somme qui sera fixée au passif de la liquidation judiciaire de la société.

Sur l'imputabilité de la rupture

La prise d'acte permet au salarié de rompre le contrat de travail en cas de manquement suffisamment grave de l'employeur empêchant la poursuite du contrat de travail ; il incombe au salarié d'établir les manquements reprochés à l'employeur.

La démission doit résulter d'une volonté réelle du salarié de mettre fin à son contrat. Elle doit être librement donnée, clairement exprimée et non équivoque.

Une démission fondée sur des manquements de l'employeur ou une démission donnée dans des circonstances qui la rendent équivoque est assimilée à une prise d'acte.

En l'espèce, la lettre de démission de M. [V] datée du 21 juin 2017 fait expressément référence à la situation de discrimination et de harcèlement subie.

Ces manquements graves de la société Transports Comata ont perduré jusqu'à la date de démission de M. [V], de sorte que c'est vainement que le CGEA soutient que leur ancienneté fait obstacle à la requalification de la démission en licenciement abusif.

Ces manquements de l'employeur étaient de nature à empêcher la poursuite du contrat de travail et justifiaient que M. [V] prenne acte de la rupture.

La rupture est donc imputable à l'employeur, et celle-ci produira les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse conformément à la demande de M. [V], qui ne sollicite pas la nullité de la rupture.

Sur les conséquences de la rupture

La rupture produisant en l'espèce les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, M. [V] est bien fondé à obtenir 7'542,36 euros à titre d'indemnité de licenciement et 4'763,60 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis. Ces sommes seront fixées au passif de la liquidation judiciaire de la société Transports Comata.

Concernant l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, compte tenu de la date de la rupture, aucun plafond d'indemnisation n'est applicable.

Conformément à l'article L.1235-3 du code du travail dans sa rédaction applicable, si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, en l'absence de réintégration, le juge octroie une indemnité au salarié, à la charge de l'employeur, et qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

M. [V], chauffeur poids lourd à l'international percevait un salaire moyen de 2 381,80 euros et bénéficiait d'une ancienneté de 13 ans au moment de la rupture. Il a retrouvé un emploi (en Belgique), mais ne justifie pas de sa rémunération actuelle.

Il y a lieu dès lors de réparer le préjudice causé par la perte injustifiée de son emploi par l'allocation de la somme de 28 000 euros, somme qui sera fixée au passif de la liquidation judiciaire.

Sur la garantie du CGEA

Il sera rappelé que l'AGS CGEA, à laquelle la présente décision est opposable, sera tenue à garantie dans les limites légales et réglementaires.

Sur la communication des documents

Il sera ordonné à Maître [Y], en qualité de liquidateur, de remettre à M. [V] des documents de fin de contrat rectifiés conformes à la présente décision, sans qu'il soit nécessaire, en l'état d'assortir cette obligation d'une astreinte.

Sur les dépens et l'indemnité de procédure

La décision sera infirmée concernant le sort des dépens et l'indemnité de procédure.

Maître [Y], en qualité de liquidateur, sera condamné aux dépens qui seront recouvrés selon les règles applicables en matière de liquidation judiciaire.

Il sera en outre fixé au passif de la liquidation une indemnité de procédure de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

INFIRME le jugement rendu le 3 novembre 2020 par le conseil de prud'hommes d'Arras sauf en ce qu'il a débouté M. [V] de sa demande d'heures supplémentaires et congés payés afférents et d'indemnité pour travail dissimulé,

Statuant à nouveau,

REQUALIFIE la démission intervenue le 21 juin 2017 en prise d'acte produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

FIXE au passif de la liquidation judiciaire de la société Transports Comata les sommes suivantes au profit de M. [V] :

- 2 054,89 euros en rémunération des heures de lavage non payées, outre 254,49 euros au titre des congés payés afférents,

- 5'000 euros en réparation du préjudice moral subi du fait de la discrimination syndicale,

- 3'000 euros en réparation du préjudice moral subi du fait du harcèlement moral

- 7'542,36 euros à titre d'indemnité de licenciement,

- 4'763,60 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 28 000 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive,

- 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

DIT que l'AGS CGEA à laquelle la présente décision est opposable, devra garantie dans les limites légales et réglementaires applicables ;

ORDONNE à Maître [Y], en qualité de liquidateur, de remettre à M. [V] des documents de fin de contrat rectifiés conformes à la présente décision ;

CONDAMNE Maître [Y], en qualité de liquidateur, aux dépens qui seront recouvrés selon les règles applicables en matière de liquidation judiciaire.

LE GREFFIER

[C] [K]

LE PRÉSIDENT

Pierre NOUBEL