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Décisions

CA Paris, Pôle 4 - ch. 3, 21 septembre 2023, n° 21/14104

PARIS

Arrêt

Autre

CA Paris n° 21/14104

21 septembre 2023

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 3

ARRET DU 21 SEPTEMBRE 2023

(n° , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/14104 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CEEX2

Décision déférée à la Cour : Jugement du 21 Juin 2021 -Tribunal de proximité d'Aubervilliers - RG n° 1121000536

APPELANTE

S.A. INLI

RCS n° 602052 359

[Adresse 3]

[Localité 5]

Représentée et assistée par Me Sébastien PINOT de la SCP BIGNON LEBRAY & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0370

INTIMEE

Madame [E] [O]

née le [Date naissance 2] 1974

[Adresse 4]

[Localité 6]

Représentée par Me Nadia LALA BOUALI, avocat au barreau de SEINE-SAINT-DENIS

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 05 Juillet 2023, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Anne-Laure MEANO, Présidente de chambre, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

François LEPLAT, président

Anne-Laure MEANO, président

Aurore DOCQUINCOURT, conseiller

Greffier, lors des débats : Mme Joëlle COULMANCE

ARRET :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par François LEPLAT, Président de chambre et par Joëlle COULMANCE, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

*****

EXPOSÉ DU LITIGE

Par acte sous seing privé du 23 mai 2019, la société IN'LI a donné en location à Mme [E] [O] un local à usage d'habitation situé [Adresse 4], [Localité 6] moyennant un loyer initial principal révisable d'un montant mensuel de 658,51 euros hors charges ; à la fin de 2022 le montant du loyer et des provisions pour charges s'élevaient à la somme totale de 814,11 euros.

Par acte d'huissier du 24 février 2021, la société IN'LI a fait assigner Mme [E] [O] devant le juge des contentieux de la protection du tribunal de proximité d'Aubervilliers afin d'obtenir notamment, à titre principal, la nullité rétroactive du contrat de location pour dol, subsidiairement la résolution du contrat pour faute grave, en tout état de cause la condamnation de la défenderesse au paiement d'une indemnité d'occupation de 1.317,02 euros par mois et des charges et son expulsion.

Pour mémoire, à l'audience devant le premier juge, la société IN'LI a indiqué qu'elle avait découvert l'existence de procédés de favoritisme par l'une de ses conseillère dans l'attribution des logements, qu'une procédure pénale était en cours, que de faux documents avaient été produits dans de nombreux dossiers d'attribution et notamment dans le dossier d'attribution de Mme [E] [O].

Cette dernière a contesté avoir délivré des faux documents, affirmé sa bonne foi et demandé le rejet des prétentions adverses.

Par jugement contradictoire entrepris du 21 juin 2021, le juge des contentieux de la protection du tribunal de proximité d'Aubervilliers a ainsi statué :

DÉBOUTE la société IN'LI de sa demande de résolution judiciaire pour dol et pour faute grave ;

DÉBOUTE la société IN'LI du surplus de ses demandes ;

en conséquence,

DIT que la société IN'LI conservera la charge des entiers dépens ;

RAPPELLE l'exécution provisoire de la présente décision.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Vu l'appel interjeté le 20 juillet 2021 par société IN'LI,

Vu l'ordonnance de jonction prise par le magistrat chargé de la mise en état le 23 mars 2023 entre les procédures inscrites au rôle sous le n° de RG 21/141 04 et RG 22/03 796, qui se poursuivent désormais sous le premier de ces numéros d'instance.

Vu les dernières conclusions remises au greffe le 2 novembre 2022 par lesquelles la société IN'LI demande à la cour de :

Vu les articles 1128, 1130, 1132, 1137, 1138, 1224 et 1227 du Code civil,

INFIRMER en toutes ses dispositions le jugement rendu le 21 juin 2021 par le Juge des contentieux de la protection affecté au Tribunal de proximité d'Aubervilliers ;

REJETER la demande de sursis à statuer dans l'attente de l'issue de la procédure pénale ;

A TITRE PRINCIPAL :

- PRONONCER la nullité rétroactive du bail d'habitation pour dol ;

- CONDAMNER Mme [O] à payer à IN'LI une indemnité d'occupation, à compter 23/05/2019, et jusqu'à la restitution en parfait état du Logement :

-à titre principal d'un montant de 1.317,02 euros par mois, auquel il conviendra d'ajouter les provisions sur charges, les régularisations éventuelles à opérer, ainsi que l'indexation dans les conditions prévues au Bail, sous déduction des sommes déjà versées ;

-à titre subsidiaire, d'un montant de 1.154,40 euros par mois, auquel il conviendra d'ajouter les provisions sur charges, les régularisations éventuelles à opérer, ainsi que l'indexation dans les conditions prévues au Bail, sous déduction des sommes déjà versées ;

- EN CONSEQUENCE :

-juger que Mme [O] s'est introduite dans le Logement par voie de fait et PRONONCER l'expulsion de cette dernière et de tous occupants de son chef du Logement situés [Adresse 4] [Localité 6] ;

-REJETER la demande de délai d'un an présentée par Mme [O] et JUGER que les mesures d'expulsion pourront être mises en œuvre sans délai en raison de l'introduction dans le logement par voie de fait conformément à l'article L. 412-1 alinéa 2 du Code des procédures civiles d'exécution, et que le sursis de toute mesure d'expulsion visé à l'article L. 412-6 du même Code n'aura pas lieu de s'appliquer pour la même raison ;

- juger que la restitution du Logement s'entend de la restitution en parfait état du Logement ;

-CONDAMNER Mme [O] à payer, jusqu'à la restitution des lieux les charges du Logement, et à entretenir normalement le Logement ;

- JUGER que le dépôt de garantie reste acquis à IN'LI et prononcer la compensation avec les condamnations prononcées à l'encontre de Mme [O] ;

A TITRE SUBSIDIAIRE :

PRONONCER la résolution du Bail d'habitation pour erreur déterminante sur les qualités de Mme [O] ;

CONDAMNER Mme [O] à payer à IN'LI une indemnité d'occupation, à compter du 23/05/2019, et jusqu'à la restitution en parfait état du Logement:

o A titre principal, d'un montant de 1.317,02 € par mois, auquel il conviendra d'ajouter les provisions sur charges, les régularisations éventuelles à opérer, ainsi que l'indexation dans les conditions prévues au Bail, sous déduction des sommes déjà versées ;

o A titre subsidiaire, d'un montant de 1.154,40 € par mois, auquel il conviendra d'ajouter les provisions sur charges, les régularisations éventuelles à opérer, ainsi que l'indexation dans les conditions prévues au Bail, sous déduction des sommes déjà versées ;

EN CONSEQUENCE :

Juger que Mme [O] s'est introduite dans le Logement par voie de fait et PRONONCER l'expulsion de cette dernière et de tous occupants de son chef du Logement situés [Adresse 4] [Localité 6] ;

REJETER la demande de délai d'un an présentée par Mme [O] et JUGER que les mesures d'expulsion pourront être mises en œuvre sans délai en raison de l'introduction dans le Logement par voie de fait conformément à l'article L. 412-1 alinéa 2 du Code des procédures civiles d'exécution, et que le sursis de toute mesure d'expulsion visé à l'article L. 412-6 du même Code n'aura pas lieu de s'appliquer pour la même raison Juger que la restitution du Logement s'entend de la restitution en parfait état du Logement ;

CONDAMNER Mme [O] à payer, jusqu'à la restitution des lieux, les charges du Logement, et à entretenir normalement le Logement ;

o JUGER que le dépôt de garantie reste acquis à IN'LI et prononcer la compensation avec les condamnations prononcées à l'encontre de Mme [O] ;

EN TOUTES HYPOTHESES :

CONDAMNER Mme [O] à payer au titre de l'article 700 du Code de procédure civile la somme de 2.500 euros et le condamner aux entiers frais et dépens de l'instance.

Vu les dernières conclusions remises au greffe le 26 janvier 2023 par lesquelles Mme [O] demande à la cour de :

Vu les articles 1130,1132,1137,1138 du code civil,

Vu l'article L. 412-6 du Code de procédure civile d'exécution,

Vu l'article 4 du code de procédure pénale,

Vu le jugement rendu par le tribunal de proximité d'Aubervilliers le 21.06.2021,

Vu les pièces versées au débat :

Il est demandé à la Cour de :

CONFIRMER en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal de proximité d'Aubervilliers en date du 21.06.2021,

DEBOUTER la société IN'LI de l'ensemble de ses demandes,

Juger que Mme [O] ne s'est pas introduite par voie de fait dans le logement situé au [Adresse 4] [Localité 6],

A titre subsidiaire

Si par extraordinaire votre Cour "donnera" suite aux demandes de la société IN'LI il lui sera demandé de :

FIXER l'indemnité d'occupation de Mme [O] du logement situé au [Adresse 4] [Localité 6], à un montant de 658,51 € hors charge égale au montant du loyer et ce depuis le 23/05/2019,

PRONONCER le sursis à statuer en attendant l'issue de la procédure pénale en cours menée

contre Mme [O],

ACCORDER à Mme [O] un délai d'un an afin de pouvoir se reloger,

JUGER que durant la trêve hivernale Mme [O] ne pourra pas être expulsée de son logement,

A titre infiniment subsidiaire

PROCEDER à la réévaluation du montant de l'indemnité d'occupation à sa juste valeur sollicitée par la société IN'LI,

CONDAMNER la société IN'LI à payer à Mme [O] le montant de 3000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de la présente instance.

Pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, la cour, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions remises au greffe et au jugement déféré.

MOTIFS DE LA DÉCISION

En application de l'article 954 alinéa 2 du code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions et n'est pas tenue de statuer sur les demandes tendant à " constater ", " donner acte ", " dire et juger " en ce qu'elles ne sont pas, exception faite des cas prévus par la loi, des prétentions, mais uniquement des moyens, comme c'est le cas en l'espèce ; il en est de même des demandes de « juger » qui ne visent qu'à rappeler inutilement des principes légaux.

La cour observe que dans ses dernières conclusions, Mme [E] [O] ne lui demande pas à titre principal de surseoir à statuer dans l'attente de l'issue de la procédure pénale. La demande, présentée à titre subsidiaire, sera examinée plus bas.

Sur le dol

La société IN'LI demande à titre principal l'infirmation du jugement en ce qu'il a rejeté sa demande de nullité du contrat de bail pour dol ; elle fait valoir que son consentement a été vicié par la remise de faux documents lors de la constitution du dossier ayant permis à Mme [E] [O] d'obtenir le bail portant sur le logement litigieux.

Mme [E] [O] demande la confirmation du jugement.

Aux termes de l'article 1137 du code civil "Le dol est le fait pour un contractant d'obtenir le consentement de l'autre par des manœuvres ou des mensonges.

Constitue également un dol la dissimulation intentionnelle par l'un des contractants d'une information dont il sait le caractère déterminant pour l'autre partie".

Peut ainsi être annulé pour dol le contrat conclu sur la foi de documents inexacts, trompeurs ou falsifiés.

La personne ayant commis un dol a ainsi commis une faute intentionnelle, dans l'intention de tromper son cocontractant, et ne doit pas être elle-même victime d'une erreur.

L'article 1138 du même code dispose par ailleurs que : «Le dol est également constitué s'il émane du représentant, gérant d'affaires, préposé ou porte-fort du contractant.

Il l'est encore lorsqu'il émane d'un tiers de connivence."

Or, il n'est pas nécessaire que les représentants visés au premier alinéa de cet article, qui ne sont pas considérés comme des tiers au contrat, aient agi de connivence avec le contractant ou que celui-ci ait eu connaissance de leurs agissements.

S'agissant de la victime du dol, l'article 1139 précise que "L'erreur qui résulte d'un dol est toujours excusable" et que "le dol est une cause de nullité alors même qu'elle porterait sur la valeur de la prestation ou sur un simple motif du contrat".

L'article 1130 du code civil dispose que le dol (comme l'erreur) vicie le consentement lorsqu'il est de telle nature que, sans lui, l'une des parties n'aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes.

Son caractère déterminant s'apprécie eu égard aux personnes et aux circonstances dans lesquelles le consentement a été donné.

En l'espèce, il est constant que, pour le dossier d'attribution de logement de Mme [O], deux profils distincts ont été créés à son nom sur la plateforme de commercialisation via l'outil de gestion informatique des dossiers de candidature d'IN'LI : l'un du 2 mai 2019, ayant donné lieu au contrat de bail litigieux conclu le 23 mai 2019 et l'autre du 12 septembre 2019 ;

-le premier dossier indique que Mme [E] [O] est divorcée, a deux enfants, travaille en qualité d'auditeur interne chez C&A (profil CDI et cadre) depuis août 2017 et gagne 2.600 euros nets par mois ; ce premier dossier a été accompagné d'une attestation employeur datée du 2 mai 2019, qui précise qu' elle travaille chez C&A depuis le 21 août 2017, et d'une fausse feuille de paye,

-le second dossier (constitué après signature du bail ainsi qu'il a déjà été précisé) indique que Mme [E] [O] est mariée, mère d'un enfant, travaille en tant qu'aide médico-psychologique à la Fondation des Amis de l'Atelier (profil employée) pour 3.000 euros par mois, depuis janvier 2019 ; l'attestation de l'employeur jointe est datée du 23 mai 2019 et précise que l'intéressée travaillle à la Fondation des Amis de l'Atelier depuis le 21 janvier 2019. Le bulletin de salaire fourni montre qu'en réalité le salaire de l'intéressée est d'environ 1.550 euros, ce que Mme [E] [O] ne conteste pas dans le cadre de la présente instance, expliquant avoir ajouté le salaire de son fils aux revenus déclarés dans ce dossier de candidature ; quoiqu'il en soit ces derniers éléments ne fondent pas la demande d'annulation pour dol du bailleur.

Les informations données dans ces deux dossiers de candidatures sont ainsi incohérentes et incompatibles.

Mme [E] [O] soutient que c'est le deuxième compte qui comporte les informations exactes, ce qui n'est d'ailleurs pas contesté par la partie adverse, qu'elle a constitué elle même ce dernier dossier de candidature car finalement elle souhaitait déménager plus près de son travail, qu'elle n'était nullement au courant de l'existence et du contenu du premier compte, pas plus que des informations erronées s'y trouvant ; elle affirme à ce sujet que fin 2018, elle était à la recherche d'un logement et a trouvé sur Facebook une annonce de proposition d'appartements à la location provenant d'un profil se nommant « [R] [K] [S]" se prétendant agent immobilier d'une agence "JJ immobilier" et opérant pour la location de logement dans le secteur privé et social ; qu'intéressée par son offre elle lui aurait communiqué les documents qu'il sollicitait pour la constitution de son dossier, afin qu'il lui trouve un appartement ; qu'ainsi elle ne lui a remis que des documents exacts et valables pour la constitution du dossier de candidature initiale et qu'elle n'est pas responsable des fausses informations transmises par cet individu et de ses manœuvres frauduleuses ; elle conteste que cet individu soit un "tiers de connivence"au sens de l'article 1138 du code civil précité.

La société IN'LI soutient qu'en réalité la constitution du second compte ne visait qu'à régulariser le premier, dont Mme [E] [O] avait parfaitement conscience du caractère frauduleux.

La seule pièce que Mme [E] [O] produit à l'appui de ses allégations est la copie d'une capture du compte Facebook, de septembre 2018, d'une personne qui se présente comme "[R] [K] [S]" et dont les messages, compte tenu de leur formulation approximative, avec des mentions douteuses telles "premiers arrivés premiers servie merci", comportant de nombreuses fautes d'orthographe, ne sont pas susceptibles de la moindre crédibilité, même aux yeux d'un non professionnel de l'immobilier comme Mme [E] [O] ; ce document ne mentionne nullement l'appartement litigieux; aucun autre document ne corrobore l'existence d'une agence immobilière, ou d'une apparente agence, dénommée JJ Immobilier et qui aurait pu tromper Mme [E] [O] .

La société In 'Li produit d'autres captures d'écran de ce compte datant de mai à août 2019, qui autorisent la même analyse : messages "immobiliers" sans aucune précision, mélangés avec des messages personnels sans aucun rapport tels " trop bon je me félicite de la victoire très mérité au bowling" ou "tous les hommes pensent que le bonheur se trouve au sommet de la montagne...", "un soldat qui part en guerre à son retour il es accueilli en euro par des non-croyants pas des chrétiens musulmans etc. pourtant il a sûrement tuée d'autres soldats...", "j'ai rêvé que le gouvernement ivoirien a détruit tous les gabardrommes du pays même le garba choco de la riviera 3".

Mme [E] [O] , qui travaille en tant qu'aide médico-psychologique ne saurait prétendre avoir pu croire candidater utilement pour l'attribution d'un logement auprès d'un bailleur, social qui plus est, par un tel biais.

La cour ajoute que Mme [E] [O] soutient, en dépit de ces éléments, que "M. [S]" se présentait comme un agent immobilier parfaitement crédible, la preuve en étant, selon elle, qu'elle aurait aussi obtenu, par son intermédiaire, la visite d'un appartement auprès du bailleur 1001 Vies Habitat et elle produit en ce sens un bon de visite du 1er mars 2019. Toutefois, ainsi que le relève exactement la société IN'LI, rien ne démontre que cette visite a été obtenue grâce à l'intervention de "M. [S]", toutes les affirmations de Mme [E] [O] à ce sujet n'étant étayées d'aucune pièce probante et ne constituant que de simples allégations.

Mme [E] [O] ne produit par ailleurs aucun document ou mandat de recherche signé, ou même informel avec "M. [S]" alors même qu'elle soutient que sa demande de logement et son dossier de candidature étaient entièrement gérés administrativement par ce dernier ; elle ne démontre pas davantage avoir fourni de vrais documents à cette personne comme elle le prétend.

Ainsi, au vu de ces éléments , il convient de retenir que le dossier ayant permis à Mme [E] [O] d'obtenir le logement litigieux est falsifié par Mme [E] [O] , qui en a bénéficié.

À supposer même que ces documents et informations falsifiés aient été transmis par le biais de "M. [S]", Mme [E] [O] doit répondre de ses agissements puisqu'elle soutient elle-même qu'elle l'a mandaté et l'a laissé se charger de toutes les démarches, le dol devant alors être considéré comme constitué au regard de l'alinéa 1 de l'article 1138 du code civil ; en tout état de cause et surabondamment, il résulte des cironstances précitées que "M. [S]" devrait en tout état de cause être considéré comme un tiers de connivence avec Mme [E] [O] qui a bénéficié de l'attribution d'un logement sur la base de fausses informations et de manoeuvres dolosives, sans qu'elle démontre avoir elle même été victime d'une erreur vu l'absence évidente de compétences et de qualités de cet individu (d'ailleurs identifié par son seul profil Facebook en l'état des éléments produits devant la cour) pour se qualifier de professionnel ou d'intermédiaire immobilier.

Par ailleurs, ce dol a permis d'obtenir le consentement de la bailleresse puisqu'il porte sur les revenus et la situation professionnelle de la candidate à l'obtention d'un logement qui sont déterminants pour conclure le contrat de bail.

Plus particulièrement, la société IN'LI démontre sans être utilement contredite, d'une part qu'au regard des critères d'attribution, Mme [E] [O] disposait de revenus trop faibles, au regard du loyer et des charges, pour se voir attribuer le logement litigieux et , d'autre part, qu'à supposer qu'elle ait justifié de revenus à hauteur de 3.000 euros comme elle l'a déclaré dans le second dossier de candidature, ce qui n'est pas le cas, elle n'aurait pu prétendre à un logement social (ce que démontre d'ailleurs le fait qu'elle n'a reçu aucune nouvelle offre du bailleur en réponse à cette 2ème candidature).

Il convient donc d'infirmer le jugement et de prononcer la nullité du contrat de bail pour dol.

Surabondamment, il résulte des éléments précités qu'au regard de l'article 1132 du code civil le bail a été conclu sur le fondement d'une erreur portant sur les qualités essentielles du cocontractant, et qui n'est en rien inexcusable de la part du bailleur, de nature à justifier également la nullité du contrat de bail.

Par conséquent l'expulsion de Mme [E] [O] doit être ordonnée.

Sur la demande subsidiaire de sursis à statuer de Mme [E] [O]

La cour observe que cette demande, présentée à titre subsidiaire, de surseoir à statuer "en attendant l'issue de la procédure pénale en cours menée contre [elle]", est incohérente avec la demande principale de confirmation du jugement qui implique précisément que la cour statue.

L'article 4 du code de procédure pénale dispose que:

"L'action civile en réparation du dommage causé par l'infraction prévue par l'article 2 peut être exercée devant une juridiction civile, séparément de l'action publique.

Toutefois, il est sursis au jugement de cette action tant qu'il n'a pas été prononcé définitivement sur l'action publique lorsque celle-ci a été mise en mouvement.

La mise en mouvement de l'action publique n'impose pas la suspension du jugement des autres actions exercées devant la juridiction civile, de quelque nature qu'elles soient, même si la décision à intervenir au pénal est susceptible d'exercer, directement ou indirectement, une influence sur la solution du procès civil. "

Ainsi la mise en mouvement de l'action publique et, a fortiori, le simple dépôt d'une plainte pénale, n'imposent pas la suspension du jugement des actions à fin civile autres que celle en réparation du dommage causé par l'infraction, même si la décision à intervenir au pénal est susceptible d'exercer une influence sur la solution du procès civil.

La demande de sursis à statuer, d'ailleurs fondée sur une procédure pénale au sujet de laquelle la cour ne dispose d'aucun élément, n'apparaît ainsi ni justifiée ni nécessaire. Elle sera donc rejetée.

Sur l'indemnité d'occupation

La société IN'LI demande que l'indemnité d'occupation soit fixée à 2 fois le montant du loyer hors charges soit 1.317,02 euros par mois, outre provisions pour charges, puisque l'occupante a bénéficié indûment du logement qui aurait dû profiter à une personne sélectionnée selon un processus non biaisé, et subsidiairement à la valeur locative du bien fixé dans le secteur privé soit 1.154,40 euros par mois, outre provisions pour charges.

L'indemnité d'occupation trouve son fondement dans la protection des droits du propriétaire et dans l'article 1240 du code civil, en raison de la faute délictuelle commise par celui qui se maintient sans droit dans les lieux ; ayant pour objet de réparer l'entier préjudice qui résulte pour le propriétaire de la privation de son bien, elle a une double nature, compensatoire et indemnitaire et peut être destinée non seulement à compenser les pertes de loyers subies par le propriétaire mais également à l'indemniser du préjudice subi du fait que le logement est indisponible. Elle suit ainsi le régime des principes fondamentaux de la responsabilité civile et de la réparation intégrale des préjudices et doit rétablir aussi exactement que possible l'équilibre détruit par le dommage et de replacer la victime, aux dépens du responsable, dans la situation où elle se serait trouvée si l'acte dommageable ne s'était pas produit.

En l'espèce, la cour observe qu'en l'absence du dol litigieux, le bailleur aurait loué ce logement en tout état de cause à un prix inférieur à celui du marché et n'allègue ni n'établit qu'il aurait loué à la valeur locative du secteur privé et qu'il ne justifie pas d'un préjudice particulier justifiant le doublement du loyer hors charges.

Il est conforme à la nature indemnitaire et compensatoire de l'indemnité d'occupation de condamner Mme [E] [O] à payer à la société IN'LI une somme d'un montant égal au loyer contractuel dû si le contrat de bail n'avait pas été annulé, outre les provisions pour charges, et ce à compter du 23 mai 2019, date du contrat annulé, et jusqu'à libération effective et complète des lieux.

Il résulte des termes de la présente décision, et étant observé qu'il n'est fait état d'aucune dette "locative", que la demande de la société IN'LI concernant la conservation du dépôt de garantie et la compensation avec des condamnations éventuellement prononcées doit être rejetée.

Sur les délais d'expulsion

La société IN'LI sollicite l'expulsion sans délai ; pour sa part Mme [E] [O] demande un délai d'un an afin de pouvoir se reloger et en tout état de cause demande à bénéficier du délai de deux mois prévu à l'article L. 412-1 du code des procédures civiles d'exécution.

Aux termes de l'article L. 412-1 du code des procédures civiles d'exécution :

"Si l'expulsion porte sur un lieu habité par la personne expulsée ou par tout occupant de son chef, elle ne peut avoir lieu qu'à l'expiration d'un délai de deux mois qui suit le commandement, sans préjudice des dispositions des articles L. 412-3 à L. 412-7. Toutefois, le juge peut, notamment lorsque la procédure de relogement effectuée en application de l'article L. 442-4-1 du code de la construction et de l'habitation n'a pas été suivie d'effet du fait du locataire, réduire ou supprimer ce délai.

Le délai prévu au premier alinéa du présent article ne s'applique pas lorsque le juge qui ordonne l'expulsion constate que les personnes dont l'expulsion a été ordonnée sont entrées dans les locaux par voie de fait.".

La voie de fait est une atteinte particulièrement grave portée au droit de propriété ou à une liberté individuelle ; les éléments du dossier ne justifient pas la suppression de ce délai de deux mois, qui est nécessaire à l'intéressé pour trouver un autre logement ; cette demande sera donc rejetée.

Il résulte des articles L. 412-3 et L. 412-4 du même code que le juge qui ordonne l'expulsion peut accorder des délais de trois mois à trois ans chaque fois que le relogement des intéressés ne peut avoir lieu dans des conditions normales, en tenant compte de la bonne ou mauvaise volonté manifestée par l'occupant dans l'exécution de ses obligations, des situations respectives du propriétaire et de l'occupant, notamment en ce qui concerne l'âge, l'état de santé, la qualité de sinistré par faits de guerre, la situation de famille ou de fortune de chacun d'eux, les circonstances atmosphériques, ainsi que des diligences que l'occupant justifie avoir faites en vue de son relogement.

La situation personnelle, familiale et financière de Mme [E] [O] telle qu'elle résulte des pièces produites ne justifie pas l'octroi d'un délai d'expulsion, étant observé:

- que l'un de ses fils, [P] [T], bénéficiait d'un salaire dont le cumul annuel imposable était de 3.924,74 euros au mois de juin 2022,

- et que l'autre, [B] [T], est né le [Date naissance 1] 1996 et qu'il n'est pas établi, comme elle le prétend qu'il "est étudiant et entièrement à sa charge".

Compte tenu de ses conditions d'entrée dans les lieux elle ne justifie pas, en outre, de sa bonne volonté et a en tout état de cause d'ores et déjà bénéficié des délais de la procédure.

La demande de délai d'expulsion d'un an sera donc rejetée.

Sur l'article 700 du code de procédure civile

Il est équitable d'allouer à la société IN'LI une indemnité de procédure de 1.500 euros au titre de l'instance d'appel et de ne pas faire application de ces dispositions au titre de la première instance.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire,

Rejette la demande "subsidiaire" de sursis à statuer de Mme [E] [O],

Infirme, en ses dispositions frappées d'appel, le jugement entrepris,

Et statuant à nouveau,

Prononce la nullité du contrat de bail conclu le 23 mai 2019 entre la société IN'LI et Mme [E] [O] portant sur le local à usage d'habitation situé [Adresse 4], [Localité 6] ;

Constate que Mme [E] [O] est occupante sans droit ni titre du logement susvisé depuis cette date;

Dit qu'à défaut pour Mme [E] [O] d'avoir spontanément libéré les lieux de sa personne, de ses biens et de tout occupant de son chef, la société IN'LI sera autorisée à procéder à son expulsion et à celle de tous les occupants de son chef, avec l'assistance de la force publique si besoin est, dans un délai de 2 mois à compter du commandement de quitter les lieux ;

Déboute Mme [E] [O] de sa demande de délai supplémentaire,

Rappelle que le sort des meubles et objets mobiliers laissés dans les lieux est régi par les dispositions des articles L. 433-1 et suivants du code des procédures civiles d'exécution ;

Condamne Mme [E] [O] à payer à la société IN'LI une indemnité d'occupation mensuelle égale au montant du loyer qui aurait été dû au titre du contrat de bail s'il n'avait pas été annulé, outre les provisions pour charges, et ce à compter du 23 mai 2019, et jusqu'à libération effective et complète des lieux par remise des clés, ou établissement d'un procès-verbal d'expulsion,

Rejette toutes demandes plus amples ou contraires,

Et y ajoutant,

Condamne Mme [E] [O] à payer à la société IN'LI somme de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne Mme [E] [O] aux dépens de première instance et d'appel, avec droit de recouvrement direct, par application de l'article 699 du code de procédure civile,

Rejette toutes autres demandes.

La greffière Le président