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Décisions

CA Paris, Pôle 5 - ch. 3, 14 septembre 2023, n° 21/04119

PARIS

Arrêt

Autre

CA Paris n° 21/04119

14 septembre 2023

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 3

ARRÊT DU 14 SEPTEMBRE 2023

(n° , 15 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 21/04119 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CDGVQ

Décision déférée à la Cour : Jugement du 12 janvier 2021 -Tribunal judiciaire de Paris (18ème chambre, 1ère section) - RG n° 14/05213

APPELANTE

S.A.R.L. ETUDES ET REALISATIONS IMMOBILIERES (ERI)

Agissant poursuites et diligences en la personne de son représentant légal domicilié ès qualités au siège

Immatriculée au R.C.S. de Paris sous le n° 305 190 431

[Adresse 1]

[Localité 6]

Représentée par Me Arnaud GUYONNET de la SCP SP AFG Avocats, avocat au barreau de Paris, toque : L0044

Assistée de Me Hanan CHAOUI de la SELEURL Hanan Chaoui Avocat, avocat au barreau de Paris, toque : P0291

INTIMEE

S.A. OPOX

Prise en la personne de son président en exercice, domicilié en cette qualité au siège social

Immmatriculée R.C.S. de Paris sous le n° 388 319 428

[Adresse 2]

[Localité 7]

Représentée par Me Eric ALLERIT de la SELEURL TAZE - BERNARD ALLERIT, avocat au barreau de Paris, toque : P0241

Assistée de Me Simon MOREL, avocat au barreau de Paris, toque : R028

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 16 mai 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Nathalie Recoules, présidente de chambre

M. Douglas Berthe, conseiller rapporteur

Mme Emmanuelle Lebée, magistrate honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles,

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Mme Laurène BLANCO

ARRÊT :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Mme Nathalie Recoules, présidente de chambre et par Mme Sandrine Stassi-Buscqua, greffière présente lors de la mise à disposition.

FAITS ET PROCÉDURE

Par acte sous seing du 15 mai 1997, Mme [O], aux droits de laquelle est venue la société Études et réalisations immobilières ' ci-après désignée la société ERI ' a donné à bail à la société Opox des locaux situés [Adresse 5] à [Localité 8].

Ce bail a été renouvelé à effet du 1er janvier 2006, moyennant un loyer annuel de 63 390 euros par un arrêt de la cour d'appel de Paris du 29 janvier 2014.

Le 24 février 2014, la société ERI, considérant que sa locataire violait les dispositions du bail en réalisant des travaux dans les locaux sans avoir sollicité son autorisation lui a fait délivrer une sommation de les interrompre, à laquelle la société Opox a répondu le 28 mars 2014 par une protestation dans laquelle elle estimait que s'agissant de travaux d'aménagement, la réalisation de ces travaux ne requerrait aucune autorisation du bailleur.

Par acte extrajudiciaire du 11 juin 2014, la société ERI a notifié à la société Opox un congé avec refus de renouvellement à effet du 31 décembre 2014, lui déniant tout droit au paiement d'une indemnité d'éviction pour motif grave et légitime.

Par acte extrajudiciaire du 12 mars 2014, la société ERI a fait assigner à comparaître la société Opox devant le tribunal de grande instance de Paris aux fins de prononcer la résiliation judiciaire du bail.

Par jugement du 14 juin 2016, le tribunal a :

- débouté la société ERI de sa demande de résiliation judiciaire du bail du 15 mai 1997 renouvelé à compter du 1er janvier 2006 ;

- déclaré valable le congé avec refus de renouvellement du 11 juin 2014 ;

- décidé qu'en l'absence de motif grave et légitime à l'encontre de la société Opox, « ce congé met fin au bail et ouvre droit, au profit de la société preneuse à une indemnité d'éviction et, au bénéfice de la société bailleresse à une indemnité d'occupation » ;

- ordonné une expertise et désigné comme expert Mme [R] [H] pour donner au tribunal les éléments nécessaires à la fixation des indemnités d'éviction et d'occupation.

À la suite de l'appel interjeté par la société ERI, la cour de Paris a, par un arrêt du 30 mai 2018, confirmé le jugement entrepris mais fait droit à la demande de la société ERI de remise en état d'un voutain en briques.

Mme [H] a déposé son rapport le 10 octobre 2018.

Par jugement du 12 janvier 2021, le tribunal judiciaire de Paris a :

- jugé recevable la demande de neutralisation des travaux réalisés par la société Opox ;

- dit que les travaux réalisés par la société Opox et leurs conséquences en matière de surface ne doivent pas être pris en compte pour le calcul de la valeur locative ;

- dit que l'éviction entraîne la perte du fonds de commerce exploité par la société Opox dans les locaux sis [Adresse 5] à [Localité 8] dont la valeur ne peut être inférieure à celle du droit au bail qui y est inclus ;

- fixé l'indemnité d'éviction à la somme de 1 352 598, soit :

- indemnité principale : 1 155 000 euros ;

- frais de remploi : 110 800 euros ;

- trouble commercial : 33 173 euros ;

- frais de déménagement : 3 000 euros ;

- frais administratifs : 3 500 euros ;

- frais de réinstallation : 47 125 euros ;

outre les frais de licenciement qui seront payés sur justificatif ;

- dit que que la société Opox est redevable à l'égard de la société ERI d'une indemnité d'occupation, à compter du 1er janvier 2015 et jusqu'à la complète libération des locaux ;

- fixé le montant de cette indemnité à la somme de 122 077 euros par an majorée des taxes, charges et accessoires prévus au bail expiré ;

- dit que la compensation entre le montant de l'indemnité d'éviction et celui de l'indemnité d'occupation, s'opérera de plein droit ;

- débouté la société ERI de sa demande de désignation d'un séquestre en vue de recevoir le paiement de l'indemnité d'éviction ;

- condamné la société ERI aux entiers dépens, en ce compris le coût de l'expertise judiciaire ;

- condamné la société ERI à payer à la société Opox la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire ;

- rejeté toutes autres demandes.

Par déclaration du 02 mars 2021, la société ERI a interjeté appel partiel du jugement.

Par conclusions déposées le 28 juillet 2021, la société Opox a interjeté appel incident partiel du jugement.

MOYENS ET PRÉTENTIONS

Vu les conclusions déposées le 19 avril 2023, par lesquelles la société Études et réalisations immobilières (ERI), appelante à titre principal et intimée à titre incident, demande à la Cour de :

- dire et juger la société ERI recevable et bien fondée en ses demandes ;

- confirmer partiellement le jugement entrepris en ce qu'il a :

- jugé recevable la demande de neutralisation des travaux réalisés par la société Opox ;

- dit que les travaux réalisés par la société Opox et leurs conséquences en matière de surface ne doivent pas être pris en compte pour le calcul de la valeur locative ;

- dit que la compensation entre le montant de l'indemnité d'éviction et celui de l'indemnité d'occupation s'opérera de plein droit ;

- infirmer partiellement le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Paris le 12 janvier 2021 (RG n° 21/04119) concernant l'indemnité d'éviction due par la société ERI ;

En conséquence, statuant de nouveau :

Concernant l'indemnité d'éviction :

À titre principal :

- fixer le montant de l'indemnité d'éviction due à la société Opox au titre du fonds exploité au [Adresse 5], [Localité 8], à hauteur de 733 058 € (sept cent trente-trois mille cinquante-huit euros) ;

- débouter la société Opox de ses demandes au titre des frais de remploi et des frais de réinstallation, compte tenu de l'absence de réinstallation ;

À titre subsidiaire :

- désigner tel expert qu'il lui plaira afin d'estimer la valeur du droit au bail de la société Opox, au titre des locaux sis [Adresse 5], [Localité 8] :

- au 1er octobre 2019 (correspondant à la date à laquelle la procédure de première instance, après expertise, a fait l'objet d'une ordonnance de clôture) ;

- et/ou au 1er octobre 2020, correspondant à la date à laquelle la société Opox a restitué les locaux loués ;

- autoriser la société ERI à consigner les sommes dues le cas échéant au titre des frais de remploi et des frais de réinstallation auprès du Séquestre de l'Ordre des Avocats du Barreau de Paris ;

- subordonner le versement à la société Opox des sommes dues le cas échéant au titre des frais de remploi et des frais de réinstallation, sur justificatifs, à la suite de la réinstallation effective de la société Opox au maximum dans un délai de six mois à compter de la signification de l'arrêt d'appel à intervenir ;

Concernant l'indemnité d'occupation :

À titre principal, si la Cour devait considérer que la clause d'accession insérée dans le bail du 15 mai 1997 est une clause d'accession en fin de jouissance :

- fixer l'indemnité d'occupation due par la société Opox au titre des locaux sis [Adresse 5], [Localité 8], depuis le 1er janvier 2015 et jusqu'au 30 septembre 2020, date de libération des lieux loués, à hauteur de 121 500 € (cent vingt-et-un mille cinq cents euros) par an, majorée de la TVA, des charges et accessoires prévus au bail expiré ;

À titre subsidiaire, si la Cour devait considérer que la clause d'accession insérée dans le bail du 15 mai 1997 n'est pas une clause d'accession en fin de jouissance :

- fixer l'indemnité d'occupation due par la société Opox au titre des locaux sis [Adresse 5], [Localité 8], depuis le 1er janvier 2015 et jusqu'au 30 septembre 2020, date de libération des lieux loués, à hauteur de 129 000 € (cent vingt-neuf mille euros) par an, majorée de la TVA, des charges et accessoires prévus au bail expiré ;

En outre, et en tout état de cause :

- sommer la société Opox de communiquer ses bilans comptables au titre de l'année 2020 ;

- sommer la société Opox de communiquer le prix d'acquisition des parts sociales de la société Opox par la société Léon & Harper Retail le 20 mars 2014 ;

- débouter la société Opox de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

- condamner la société Opox à payer à la société Études et réalisations immobilières une somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société Opox aux entiers dépens, qui seront recouvrés par la SCP AFG, dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.

Vu les conclusions déposées le 24 mars 2023, par lesquelles la société Opox, intimée à titre principal et appelante à titre incident, demande à la Cour de :

- juger la société ERI irrecevable en sa demande de neutralisation des travaux réalisés par la société Opox dans les lieux loués, les demandes formées sur ce point par la société bailleresse tant devant le tribunal de grande instance que devant la Cour n'ayant pas été admises et les décisions considérées étant désormais revêtues, en l'état, de l'autorité de la chose jugée, faisant obstacle à ce que cette question puisse être rejugée ;

- juger que les locaux seront appréciés en leur configuration actuelle, telle qu'elle résulte des travaux exécutés par la société Opox en cours de bail, et ce notamment dans le cadre de l'appréciation de l'indemnité d'éviction consécutive au refus de renouvellement, les conclusions alternatives de Madame [H] sur cette question devant être purement et simplement écartées car étrangères aux termes explicites de sa mission ;

- juger que, eu égard au caractère essentiel de l'emplacement pour le commerce exercé dans les lieux loués et à l'absence de proposition par le bailleur d'un local de remplacement, on se trouve en présence d'une perte inéluctable du fonds de commerce, dont le plancher d'indemnisation est constitué par la valeur de droit au bail ;

- juger que le bailleur sollicite également, en l'espèce, la fixation de l'indemnité d'éviction sur la base de la valeur de droit au bail, en conformité avec le principe sus rappelé ;

- juger infondée et irrecevable l'argumentation de la société bailleresse tendant à voir fixer l'indemnité d'éviction sur le fondement d'un rapport d'expertise non contradictoire dont les conclusions s'avèrent infondées en droit comme en fait et tendant voir réduire de moitié l'indemnisation du préjudice subi ;

En conséquence :

- infirmer le jugement entrepris tant en ce qui concerne le montant de l'indemnité d'éviction que celui de l'indemnité d'occupation ;

Et jugeant à nouveau :

- fixer en conséquence le montant de l'indemnité d'éviction due par la société ERI à la société Opox au titre du fonds exploité [Adresse 5] à [Localité 8], à la somme de 1 738 594 euros H.T. (un million sept cent trente huit mille cinq cent quatre vingt quatorze euros hors taxe) correspondant à la valeur de droit au bail déterminée sur la base d'un loyer plafonné et de la configuration des locaux après travaux, ainsi qu'aux indemnités accessoires en découlant, en ce inclus les indemnités de licenciement ;

Subsidiairement, dans l'hypothèse où la présente juridiction entendrait conclure au caractère transférable du fonds,

- fixer également dans cette hypothèse le montant de l'indemnité d'éviction due par la société ERI à la société Opox au titre du fonds exploité [Adresse 5] à [Localité 8], à la somme de 1 738 594 euros H.T. (un million sept cent trente huit mille cinq cent quatre vingt quatorze euros hors taxe) correspondant à la valeur de droit au bail déterminée sur la base d'un loyer plafonné et de la configuration des locaux après travaux, ainsi qu'aux indemnités accessoires en découlant, en ce inclus les indemnités de licenciement ;

En tout état de cause :

- fixer le montant de l'indemnité d'occupation due par la société Opox depuis le 1er janvier 2015 et jusqu'à 30 septembre 2020 à la somme maximale de 90.481 euros H.T. (quatre vingt dix mille quatre vingt un euros) par an, après application d'un abattement de précarité de 30 % propre aux circonstances de l'espèce, et subsidiairement, de 85.012 euros H.T. (quatre vingt cinq mille douze euros HT) par an, dans l'hypothèse de la neutralisation des travaux réalisés dans les lieux loués ;

- juger la société ERI infondée en ses différentes demandes, fins et conclusions, incluant les demandes de sommation de communiquer et en particulier sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ; en conséquence la débouter de l'ensemble de ses demandes, fins, moyens et conclusions ;

- ordonner la compensation entre l'indemnité d'occupation due par la société Opox et l'indemnité d'éviction due à cette dernière par la société ERI ;

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société ERI à payer à la société Opox la somme de 5.000 euros (cinq mille euros) sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que les entiers dépens, en ce compris les frais d'expertise ;

- condamner la société ERI au paiement d'une somme complémentaire de 5 000 €uros (dix mille euros), au titre des frais engagés en cause d'appel, outre aux entiers dépens d'appel, dont le recouvrement sera poursuivi par Me Allerit, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se référer aux conclusions ci-dessus visées pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties. Cependant, pour une meilleure compréhension du présent arrêt, leur position sera succinctement résumée.

Sur l'accession des travaux de la société Opox et son incidence sur le calcul des indemnités d'éviction et d'occupation,

L'appelante expose que le calcul alternatif de l'expert judiciaire, selon qu'il y a lieu de prendre en compte (ou non) les travaux réalisés par la société Opox, sans l'autorisation de la société bailleresse, aboutit à un différentiel de surface de 4,34m²P, ce qui entraîne un calcul différent pour l'indemnité d'occupation, la valeur de droit au bail et l'indemnité de remploi, que la société Opox a adopté une position contraire à celle adoptée lors du précédent renouvellement de bail et a soutenu faussement que le point relatif à la prise en compte des travaux litigieux avait été tranchée, ce qui démontre sa mauvaise foi, que le tribunal de grande instance de Paris ainsi que la cour d'appel de Paris ne se sont pas prononcés sur la demande de la concluante relative à la prise en compte (ou non) dans le calcul de l'indemnité d'éviction des travaux réalisés par la société locataire, sans l'autorisation de la société bailleresse, qu'aux termes du bail du 15 mai 1997 les travaux réalisés par le preneur font accession au bailleur en fin de jouissance « en cas de départ du preneur », que la clause d'accession précise expressément qu'elle porte sur les travaux, « quelle qu'en soit leur nature », que dans le cadre de la procédure en fixation du loyer du bail renouvelé le 1er janvier 2006, la cour d'appel a retenu dans son arrêt du 29 janvier 2014 que la clause d'accession insérée dans le bail du 15 mai 1997 était une clause d'accession en fin de jouissance, que la société Opox se contredit au sens du principe de l'estoppel puisqu'elle soutenait la position contraire dans ses écritures dans le cadre de la procédure en fixation du loyer au 1er janvier 2006, que les travaux réalisés par la société Opox ne sauraient en conséquence être pris en compte pour le calcul de la valeur locative déterminant tant l'indemnité d'éviction que l'indemnité d'occupation, que la surface avant travaux doit être fixée à la surface de 67,47 m²P, qu'à titre subsidiaire et par application de l'article R. 145-8 du code de commerce, les travaux réalisés par la société Opox, à ses frais exclusifs, constituent des travaux d'amélioration qui ne peuvent être pris en compte pour le calcul de la valeur locative, lorsqu'il s'agit du premier renouvellement suivant la réalisation desdits travaux d'amélioration, que dans le cadre du calcul du droit au bail basé sur la méthode du différentiel de loyer, les travaux de la société Opox intervenus en 2009 et 2014 qui ont augmenté la surface de vente, ne sauraient être pris en compte pour le calcul de la valeur locative de marché.

La société Opox, intimée, expose que la décision de première instance se heurte à l'autorité de la chose jugée attachée aux décisions rendues par le tribunal de grande instance et la cour d'appel de Paris en ce que cette dernière confirmait le débouté de la société ERI du « surplus de ses demandes », dont celle afférente à l'exclusion des travaux réalisés dans les lieux loués en raison d'un prétendu report d'accession, que seul le dispositif d'une décision a l'autorité de la chose jugée, si bien que la société ERI n'était pas recevable à demander à l'expert judiciaire de procéder à des approches alternatives du préjudice subi sur le fondement de cette argumentation, par ailleurs injustifiée, que Madame [H] a excédé les termes de sa mission sur ce point, que la stipulation d'accession ne s'applique pas à d'autres interventions que celles découlant de prescriptions ou injonctions administratives ou de mise en conformité avec les normes en vigueur.

Sur l'indemnité d'éviction,

Sur l'indemnité principale

L'appelante expose que les chiffres d'affaires communiqués par la société Opox révèlent une évolution irrégulière avec une augmentation doublée à partir de 2016, soit un an après la signification du congé signifié le 11 juin 2014, que la concluante s'interroge sur la réelle volonté de la société Opox de se réinstaller, qu'elle avait la possibilité de se réinstaller notamment dans la [Adresse 10], qu'elle émet une réserve sur le calcul de l'EBE proposé par la société Opox dès lors que le résultat diverge selon le bilan 2017 ou celui de 2018, qu'en raison notamment du changement des habitudes de consommation en matière de prêt-à-porter, les fonds de commerce de prêt-à-porter sont désormais valorisés dans une fourchette de 20 % à 60 % du CA HT, conformément à la 10ème édition de l'ouvrage Francis Lefèvre de 2021, qu'ainsi, le pourcentage maximum retenu doit être de 60 % du chiffre d'affaires HT et non 85 % comme l'a soutenu Mme [R] [H], que la Cour doit procéder à une actualisation de la valeur locative de marché dès lors que la société Opox a restitué les locaux loués le 30 septembre 2020 et que la valeur locative de marché a connu une baisse significative depuis 2018, qu'il ressort du rapport de M. [N] [P], expert judiciaire, que la valeur locative de marché au [Adresse 5] s'établit à 2 600 euros / m²P au 1er octobre 2019 et à 2 282 euros / m²P au 1er octobre 2020, que la commercialité de la [Adresse 10] a diminué, qu'au 2 janvier 2018, la société ERI aurait eu la possibilité de solliciter la révision triennale du loyer, sur le fondement de l'article L. 145-38 du code de commerce, ce qui aurait abouti à un loyer de 76 367 euros, que le coefficient de situation de 9 n'est pas adapté dans la mesure où les locaux, même s'ils sont situés dans un emplacement de qualité, ne sont pas visibles depuis le carrefour de la Croix Rouge, ainsi que le relevait [D] [A] dans son rapport d'expertise, qui a pour sa part retenu un coefficient de 8, que la concluante sollicite un coefficient de 7 au regard de l'érosion de la valeur locative, que dans la mesure où la société Opox entend soutenir que le droit au bail des locaux loués aurait été valorisé à l'occasion de la cession des parts sociales, il lui est fait sommation de communiquer le prix d'acquisition des parts sociales de la société Opox.

L'intimée expose que le bailleur n'a pas été en mesure de proposer à la société évincée de local de remplacement dans le quartier considéré, si bien que l'éviction entraînera inéluctablement la perte du fonds de commerce exploité dans les lieux loués, le bailleur ayant été par ailleurs dans l'impossibilité de démontrer le contraire, que les comptes annuels des exercices produits aux opérations d'expertise, soit les années 2015, 2016 et 2017, ont été certifiés par un commissaire aux comptes et dûment pris en considération par l'expert judiciaire qui n'a émis aucune critique sur les documents considérés, en dépit des allégations réitérées du bailleur, que la valeur moyenne de fonds de commerce est de 686 000 euros H.T après calcul de l'EBE moyen des 3 derniers exercices, que, de jurisprudence constante, sont écartés de l'évaluation les chiffres d'affaires résultant de circonstances exceptionnelles n'ayant pas vocation à se reproduire à brève échéance, tel un exercice affecté par des travaux de ravalement (cour d'appel de Paris, 16 mai 2012, n° 10/14687) ou par un événement favorable temporaire (cour d'appel de Paris, 4 nov. 2010, n° 09/0611), que l'année 2020, marquée par la crise de covid-19, ne constitue donc pas une référence probante et doit être exclue des calculs menant à la détermination de la valeur du fonds de commerce, en conformité avec la jurisprudence actuelle sur ce point, que dans l'hypothèse où le bail aurait été renouvelé, il n'y a aucun motif de déplafonnement au regard du rapport de Mme [H], que sur la valeur locative de marché, la société bailleresse échoue à démontrer la réalité de la baisse de valeur locative qu'elle allègue, que les valeurs du [Adresse 4] de 3 263 euros/m² et [Adresse 3] de 2.918 euros/m² doivent être ajoutées, lesquelles témoignent du maintien de valeurs hautes sur la période de référence et viennent conforter le loyer de marché de 3 000 euros retenu par l'expert judiciaire, que la méthode d'évaluation pratiquée par l'expert amiable [P] est critiquable et ne saurait être retenue par la cour, non seulement en raison de son absence de fondement juridique et méthodologique, mais également en considération du fait que la prise en compte des prétendues conséquences de la pandémie exceptionnelle de covid-19 sur les valeurs fondant l'indemnisation des préjudices a été expressément exclue par l'ensemble des experts parisiens, au regard de leur caractère exceptionnel et temporaire, que le coefficient de 9 est adapté à la grande qualité de l'emplacement, au sein d'une rue notoirement connue et en plein c'ur de Saint-Germain-des-Près.

Sur les indemnités accessoires,

L'appelante expose :

sur l'indemnité de remploi, que l'absence de réinstallation de la société Opox justifie l'absence de paiement d'une indemnité de remploi selon une jurisprudence constante (Cass. 3ème civ. 18 décembre 2012, n° 11-23273), que la société Opox n'a pas souhaité se réinstaller et a privilégié les ventes dans ses boutiques existantes et dans les autres points de vente ;

sur les frais de réinstallation, qu'ils ne doivent pas être retenus en l'absence de réinstallation de la société Opox ;

sur les frais de licenciement, que l'ancienneté de madame [J] [T] au sein de la société Opox n'est pas de 25 ans puisque madame [J] [T] est salariée de la société Opox depuis le 20 mars 2014, que mesdames [J] [T] et [Y] [M] ont exécuté leur préavis (respectivement jusqu'au 30 novembre 2020 pour madame [J] [T] et 30 octobre 2020 pour madame [M]), ainsi que cela ressort des attestations employeurs destinées à Pôle Emploi.

L'intimée expose qu'au sens de la jurisprudence, l'absence de réinstallation en cours de procédure ne démontre pas le caractère définitif de ladite absence, que la société Opox exploite sa boutique sous enseigne Léon et Harper, une enseigne imposant des normes et caractéristiques précises dont le but est de mettre en place une ambiance « bohème » ou « hippie chic », qu'elle communique un devis fixant les frais de réinstallation à la somme de 265 000 euros HT, qu'elle produit l'ensemble des justificatifs afférents aux indemnités versées aux salariés licenciés en raison du refus de renouvellement opposé par le bailleur, aboutissant à une somme globale de 35 926,52 euros.

Sur l'indemnité d'occupation,

L'appelante expose qu'en présence d'un chiffre d'affaires de la preneuse connaissant un accroissement notable, l'abattement de précarité doit être adapté voire supprimé.

L'intimée expose qu'il convient de neutraliser les loyers des locaux de surface nettement inférieure, bénéficiant de ce fait d'un effet « bonbonnière » (AESOP notamment), qu'un prix unitaire de 1.800 euros/m²B serait plus justifié, que ladite indemnité est due du 1er janvier 2015 au 30 septembre 2020, date de la restitution des locaux et englobe donc la période du 1er mars 2020 au 30 septembre 2020, touchée par la pandémie de covid, que l'abattement précarité ne tient pas suffisamment compte de la réalité de la situation, a fortiori durant la crise du covid, que le montant de l'abattement de précarité varie selon la longueur de la procédure, qui accroît le préjudice subi par le locataire, lequel attend depuis neuf années le paiement de son indemnité d'éviction, que face à une procédure ayant déjà duré neuf années, du seul fait des décisions prises par la société bailleresse et de sa conduite de la procédure, un abattement de 30 % constituera un minimum.

Motifs de l'arrêt :

Sur l'irrecevalibité de la demande de la SARL ERI de neutralisation des travaux :

En application de l'article 480 du code de procédure civile, seul le dispositif d'un jugement a l'autorité de la chose jugée relativement à la contestation qu'il tranche.

En l'espèce, à titre infiniment subsidiaire la SARL ERI avait demandé au tribunal de grande instance de Paris de « dire et juger » que les travaux réalisés par la société Opox tant en 2009 qu'en 2014 ne sauraient être pris en compte pour le calcul de l'indemnité d'éviction.

Cependant et, par application de l'article 753 du code de procédure civile dans sa version applicable au litige, les conclusions doivent formuler expressément les prétentions des parties et les parties doivent reprendre dans leurs dernières conclusions leurs prétentions. Il en résulte que le tribunal ne devait statuer que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions et qu'il ne pouvait donc pas statuer sur les demandes tendant à voir « dire » ou « juger » qui ne constituent pas des prétentions mais ne sont en réalité que le rappel de moyens invoqués.

En l'occurrence, la juridiction n'était manifestement pas en mesure de se prononcer sur le calcul de l'indemnité d'éviction avant de recevoir l'éclairage du rapport d'expertise déposé le 10 octobre 2018 et c'est précisément pour ce motif que le tribunal a par jugement mixte et partiellement avant dire droit du 14 juin 2016 ordonné une expertise judiciaire afin de rechercher tous éléments permettant de déterminer le montant de l'indemnité d'éviction et de l'indemnité d'occupation, cette formulation étant extrêmement large et permettant à l'expert d'apprécier les indemnités d'éviction et d'occupation tant au regard de la surface avant travaux au moment du bail initial qu'après les travaux réalisés par la preneuse.

À ce titre, le jugement du 14 juin 2016 ' confirmé par l'arrêt de cette cour du 30 mai 2018 ' répond au moyen et rappelle ainsi dans ses motifs en page 11 « qu'il n'y a pas lieu d'écarter à ce stade de la procédure et avant dire droit dans le calcul de l'indemnité d'éviction les travaux réalisés par la société Opox et qu'il conviendra de statuer sur ce point à l'issue des opérations d'expertise ».

Il s'en déduit que la question de la prise en compte des travaux réalisés par le bailleur n'ayant pas été tranchée, la demande de la société ERI est recevable et le jugement entrepris sera confirmé sur ce point.

Sur la prise en compte des travaux réalisés par la SA Opox pour la détermination de la valeur locative :

À titre liminaire, il convient de rappeler que le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables et doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s'arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée. L'interprétation du bail du 15 mai 1997 appartient à la cour qui ne saurait être liée par celles opérée par le preneur à l'occasion d'une autre procédure et qui serait éventuellement susceptible de constituer un estoppel.

Le bail du 15 mai 1997, page 4, stipule que le preneur devra se conformer aux prescriptions, règlements et ordonnances en vigueur, notamment en ce qui concerne la voirie, la salubrité, la police, la sécurité, l'inspection du travail et de manière générale à toutes prescriptions relatives à son activité de façon que le bailleur ne puisse être ni accusé, ni recherché. toutes installations rendues ainsi nécessaires et quelle qu'en soit leur nature, même si elles sont incorporées à l'immeuble, seront à la charge du preneur et resteront la propriété du bailleur s'il le souhaite en cas de départ du preneur.

Aux termes des constatations de la cour dans son arrêt du 30 mai 2018, il est acquis aux débats que :

' des premiers travaux ont été réalisés par la société Opox à ses frais exclusifs en 2009 et ont consisté dans la création d'un plancher de verre sur structure métallique porteuse contiguë à un vide de la hauteur du sous-sol. Ce plancher en verre est composé de dalles de verre posées sur des cornières de serrurerie de 40 x 20 mm boulonnées sur le mur de façade, sur la trémie de l'escalier et sur le poteau, cet ouvrage venant combler un vide au dessus de la trémie ;

' d'autres travaux ont été effectués par la société Opox à ses frais exclusifs en 2014 consistant dans des agencements, la réfection de la boutique et la remises aux normes (électricité, climatisation, revêtement de sols, murs et plafonds, vitrerie-miroiterie et mobiliers).

Il en résulte que les premiers travaux de 2009 ont augmentés la surface des locaux de 4,34 m² pondéré, soit une majoration significative de 6,43 % de la surface.

Les articles L. 145-34 et R. 145-3 du code de commerce disposent que la modification notable des caractéristiques du local loué permettant la détermination de la valeur locative s'apprécient notamment en considération de la surface des locaux, de l'adaptation du local à la forme d'activité qui y est exercée, de la conformité aux normes du local et de la nature et de l'état des équipements.

La cour constate que les travaux ci-dessus décrits ont notablement modifié les caractéristiques du local loué en ce qu'il ont permis au preneur d'adapter le local aux exigences de sa marque, amélioré la sécurité du personnel, augmenté la surface des locaux, mis aux normes et rénové les équipements du bâtiment.

Aux termes du bail, seuls les travaux de mise en conformité font expressément accession au bailleur au départ du locataire, rien n'étant stipulé sur les autres types de travaux. Le départ du preneur doit s'entendre de la fin de sa jouissance effective des locaux qui est intervenue au 30 septembre 2020, date de la restitution des clefs. L'accession des travaux de mise en conformité est donc intervenue à cette date.

Pour les autres travaux concernant notamment l'agrandissement de la surface par la création d'un plancher de verre et dans le silence du bail, il est de jurisprudence constante que l'accession s'opère quant à elle en fin de bail, qui est intervenue en l'espèce le 31 décembre 2014.

L'éviction du preneur résulte du refus de renouvellement du bailleur à effet au 31 décembre 2014 et l'éviction effective du locataire est intervenue au 30 septembre 2020, date où le preneur a cessé d'occuper les lieux.

Il en résulte qu'en tout état de cause, l'accession de l'augmentation des surfaces du local était effective lorsque le preneur a été évincé et que dès lors la valeur locative sera calculée sur la base de la surface après travaux, soit 71,81 m²B.

Sur la fixation de l'indemnité d'éviction :

Selon l'article L. 145-14 du code de commerce, le refus de renouvellement signifié par le bailleur met fin au bail mais ouvre droit au profit du locataire à une indemnité d'éviction.

L'indemnité d'éviction a pour objet de compenser le préjudice qui résulte pour le locataire de la perte de son droit au bail. Si 1e fonds n'est pas transférable, l'indemnité principale correspond à la valeur du fonds, est dite de remplacement et comprend la valeur marchande du fonds, déterminée selon les usages de la profession, la valeur plancher étant 1e droit au bail. Si le fonds est transférable, l'indemnité principale correspond à la valeur du droit au bail, élément incorporel majeur du fonds de commerce.

Il est admis que l'indemnité d'éviction s'évalue à la date la plus proche de l'éviction et que la valeur du fonds de commerce est au moins égale à celle du droit au bail qui s'y trouve incluse.

Les locaux sont loués à destination d'achat et vente de prêt-à-porter pour hommes, femmes et enfants et tous accessoires, chaussures et maroquinerie.

L'expert judiciaire relève que les locaux sont situés dans un secteur très favorable et recherché pour le commerce de prêt à porter. Elle fait état d'un immeuble ancien en pierre de taille élevé sur sous-sol d'un rez-de-chaussée, de quatre étages droits, d'un cinquième étage en léger retrait et d'un sixième étage sous brisis zinc.

Elle retient une surface pondérée de 71,81 m²B déterminée conformément à la 4e charte de l'expertise de 2012.

Sur l'indemnité principale :

La cour s'estimant largement informée par la production des expertises judiciaire et amiables ainsi que par les débats et considère qu'il n'y a pas lieu de désigner de nouveau un expert pour estimer la valeur du droit au bail et la demande en ce sens de la SARL ERI sera rejetée. De même, la production des bilans comptables 2020 de la SA Opox ne sont pas pertinents en ce qu'ils correspondent à une période exceptionnelle où le commerce a été affecté par la crise sanitaire, que le preneur n'a pas exploité ces locaux toute l'année et que les débats sont désormais clos.

L'essentiel des travaux de mise en conformité ayant modifié les caractéristiques du local ne pouvaient faire accession au bailleur qu'à la fin de sa jouissance effective des locaux du preneur seulement intervenue au 30 septembre 2020. Les autres travaux n'avaient par ailleurs vocation à accéder au bailleur qu'en fin de bail, étant rappelé que les travaux exécutés par le preneur ne peuvent être invoqués comme motif de déplafonnement qu'à la la condition que leur propriété aient déjà été transférée au bailleur à la date de renouvellement, ce qui n'est pas le cas en l'espèce. Dès lors et à l'instar de l'expert judiciaire, les parties s'accordent pour considérer que le loyer du bail renouvelé au 1er janvier 2015, aurait été plafonné.

L'expert judiciaire a indiqué que le loyer plafonné s'élevait à la somme de 74 080 € au 1er janvier 2015, en faisant application de l'indexation. Il convient effectivement d'apprécier le montant du loyer exigible à la seule date d'effet du refus de renouvellement, comme l'a fait l'expert judiciaire et non d'appliquer au loyer plafonné ainsi déterminé une révision triennale additionnelle à effet du 2 janvier 2018, en fonction de la variation des indices, comme le prétend le bailleur. La valeur plafonnée retenue sera donc bien de 74 080 € comme l'a fait le tribunal.

L'expert judiciaire estime la valeur locative de marché à la somme de 3000 €/m²B faisant ressortir une valeur locative de marché du local à 215 430 €, sur la base d'une surface de 71,81m²B.

La SARL ERI ne peut utilement faire état de la valeur de relocation des locaux au 20 juin 2022 qui n'est pas contemporaine et postérieure à l'éviction. L'expert judiciaire s'appuie sur des références allant de 650 € du m²B à 3 130 € du m²B. L'expert amiable du bailleur produit des références allant de 1050 € du m²B à 3 849 € du m²B. Les références produites par l'expert judiciaire et dont la valeur est la plus faible (de 650 € du du m²B à 800 € du m²B) sont précisément les plus anciennes et remontent aux années 2012 et 2013 tandis que l'expert amiable produit des références plus récentes, notamment de 2018 à 2021 s'étageant de 1724 € du m²B à 3 333 € du m²B. Il ne peut dès lors en être déduit une baisse manifeste des valeurs locatives de marché de la [Adresse 9] depuis 2018.

Dès lors la valeur locative de marché retenue par l'expert judiciaire sera retenue.

L'expert judiciaire a retenu un coefficient de situation de 9 eu égard à la situation très commerciale des locaux. L'argument selon lequel le commerce ne serait pas visible depuis le carrefour ne sera pas retenu dans la mesure où l'accès à ce carrefour se fait précisément par la [Adresse 10], voie à sens unique. Eu égard au dynamisme et à l'excellente commercialité de l'emplacement, le coefficient de situation de 9 fixé par l'expert judiciaire sera donc retenu.

La valeur du droit au bail sera donc fixée à la valeur de 1 272 150 €, soit la différence entre la valeur locative de marché (de 215 430 €) obtenue par la soustraction du montant du loyer de renouvellement plafonné et indexé (soit 74 080 €), soit 141 350 € multipliée par le coefficient de situation de 9. Il est rappelé qu'il appartient à la cour de valoriser le droit au bail et non à la SA Opox. De ce point de vue, la valorisation du droit au bail effectuée par cette dernière à l'occasion de l'acquisition des parts sociales est indifférente et la communication du prix d'acquisition des parts sociales de la société Opox est indifférente à la solution du litige, dès lors qu'au surplus les débats sont désormais clos.

Le preneur évalue son fonds de commerce à 701 706 € dans la meilleure hypothèse tandis que le preneur l'évalue à la somme de 495 322 €. L'expert judiciaire détermine quant à lui la valeur du fonds de commerce à 530 000 €, les méthodes d'évaluation par le chiffre d'affaire ou l' excédent brut d'exploitation aboutissant au même résultat. En tout état de cause, l'indemnité principale sera fixée au montant de la valeur du droit au bail, soit 1 272 150 €, cette dernière se trouvant incluse dans la valeur du fonds de commerce.

Sur les indemnités accessoires :

Sur l'indemnité de remploi :

Ces frais comprennent les frais et droits que doit supporter le locataire évincé pour retrouver notamment un nouveau local.

L'expert judiciaire a évalué les frais de remploi à la somme de 122 500 €. La SARL ERI s'oppose à l'attribution de cette indemnité dans la mesure où le preneur ne s'est pas réinstallé, ce dernier privilégiant les ventes dans ses boutiques existantes et dans les autres points de vente. Toutefois, La SA Opox fait valoir souhaiter se réinstaller une fois seulement l'indemnité d'éviction perçue. Le moyen selon lequel la réinstallation du preneur est nécessairement conditionnée par le retour en la possession du preneur du capital lui étant dû, soit l'indemnité d'éviction, apparaît dans ce cas d'espèce justifié et pertinent. Dès lors, il ne convient pas compromettre cette réinstallation en privant le preneur de la jouissance de son capital par une consignation ni de subordonner le versement de l'indemnité de remploi à la justification de la réinstallation effective du preneur et le jugement entrepris sera confirmé sur ce dernier point. L'évaluation de l'expert judiciaire sera donc retenue.

Sur le trouble commercial :

Cette indemnité compense le moindre investissement dans l'activité commerciale à raison de l'éviction et le temps qui sera nécessaire pour la recherche d'un nouvel emplacement.

Les parties s'entendent sur le principe de fixer cette indemnité sur la base de 3 mois de la moyenne des EBE des trois derniers exercices connus, le bailleur demandant de retenir les exercices 2016, 2017 et 2018 et le preneur les exercices 2017 à 2019. Cette indemnité doit être réactualisée à la date la plus proche de l'éviction et l' excédent brut d'exploitation moyen des exercices 2017 à 2019 sera ainsi retenu. Il résulte des soldes intermédiaires de gestion produits (dossier annuel Opox arrêté au 31/12/2019, page 15) que l'excédent brut d'exploitation moyen de la SA Opox s'élève à 130 680 €, soit 116 015 € en 2017, 165 348 € en 2018 et 110 677 € en 2019. L'indemnité pour trouble commercial sera donc fixée à la somme de 32 670 € (130 680 € / 4).

Sur les frais de déménagement :

L'indemnité pour frais de déménagement a pour objet d'indemniser le preneur des frais exposés pour libérer les locaux dont il est évincé.

L'expert judiciaire propose un montant forfaire de 3 000 € sur ce poste qui est accepté par le bailleur. La SA Opox qui conteste ce montant ne fournit pourtant aucun justificatif à l'appui de sa demande de sorte que l'indemnité fixée par l'expert judiciaire sera retenue.

Sur les frais administratifs :

Cette indemnité a pour objet de compenser les frais de formalités du transfert de siège social et les frais exposés pour informer la clientèle de la nouvelle adresse.

Les parties s'accordent avec l'expert judiciaire pour voir retenir une indemnité forfaitaire de ce préjudice à hauteur de 3500 euros.

L'indemnité au titre des frais administratifs sera donc fixée à la somme de 3 500 euros.

Les frais de réinstallation :

Les frais de réinstallation sont ceux que supporte le locataire évincé pour mettre en place dans ses nouveaux locaux des aménagements semblables à ceux qu'i1 perd. Ils ne sont dus que s'il est démontré que le preneur doit faire face a des frais d'installations spécifiques ou qu'il a dû supporter des frais d'installation non amortis. Cette indemnité doit en outre concerner la partie du local accessible à la clientèle.

S'il est constant que la société Opox exploite sous l'enseigne Léon & Harper, qui développe, dans chacune de ses boutiques, un concept particulier passant par la mise en place d'agencements et aménagements spécifiques de type « hippie-chic » et « bohème » et qu'elle a entreprise dans les lieux loués d'importants travaux d'aménagement de la boutique afin de se conformer à son concept, elle produit un devis de réinstallation établi par le cabinet Repère, Architecture-Design, pour une somme de 265.000 €uros H.T. Toutefois, à l'instar du tribunal la cour ne retiendra que les frais participant à l'identité visuelle propre à l'exploitant s'élevant à la somme de 72 500 €. Les agencements précédent de la preneuse ayant subis la vétusté, il conviendra d'appliquer ' comme le préconise l'expert judiciaire - un abattement de 35% au titre de la vétusté et l'indemnité retenue s'élèvera donc à la somme de 47 125 €.

Sur les frais de licenciement :

Comme le certifie l'attestation pôle emploi, Madame [J] [T] a été employée du 7 juillet 1995 au 30 novembre 2020 (et non depuis 2014) et a quitté un emploi de « vendeuse confirmée ». En outre, l'ensemble des frais de licenciement engagés par la SA Opox est justifiée par la production des soldes de tout compte, attestations pôle emploi et bulletins de salaire à hauteur de la somme de 35 926,52 € qui sera ainsi retenue.

***

Il ressort de l'ensemble des éléments ci-dessus exposés que l'indemnité d'éviction totale due à la SA Opox s'élève à la somme de :

- indemnité principale : 1 272 150 €,

- frais de remploi : 122 500 €,

- trouble commercial : 32 670 €,

- frais de déménagement : 3 000 €,

- frais administratifs : 3500 €,

- frais de réinstallation : 47 125 €,

- frais de licenciement : 35 926,52 €,

TOTAL : 1 516 871,52 €.

Sur l'indemnité d'occupation :

En application de l'article L. 145-28 du code de commerce, le locataire évincé, qui se maintient dans les lieux, est redevable d'une indemnité d'occupation calculée d'après la valeur locative, compte tenu de tous éléments d'appréciation.

Le preneur ne justifie pas d'éléments pertinents permettant de s'écarter de l'estimation retenue par l'expert judiciaire qui a déterminé la valeur locative à la somme de 2 000 € par m²B et qui sera donc retenue. L'indemnité d'occupation annuelle retenue sera donc évaluée à la somme arrondie de 129 000 € (71,81m²B x 2000 €). Dans le présent cas d'espèce, la SA Opox a subi une précarité majeure eu égard à cette procédure d'une durée de plus de 9 années et il est donc justifié de lui accorder un abattement de précarité de 30 %. Ainsi l'indemnité d'occupation annuelle finalement retenue sera fixée à 90 300 € HT/HC et la compensation entre créances réciproques ordonnée par le tribunal sera confirmée.

Sur les demandes de « donner acte », « juger » et « dire » :

Par application de l'article 954 du code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions. Il n'y a donc pas lieu de statuer sur les demandes tendant à voir « donner acte », « dire » ou « juger » qui ne constituent pas des prétentions mais ne sont en réalité que le rappel de moyens invoqués.

Sur les frais irrépétibles et les dépens :

Le jugement entrepris sera confirmé en ses dispositions portant sur les frais irrépétibles et les dépens. La SARl ERI succombant à hauteur d'appel, elle sera condamnée aux dépens de l'appel par application de l'article 696 du code de procédure civile. Il conviendra également de la condamner à payer à la SA Opox la somme de 5 000 € en indemnisation des frais irrépétibles que cette dernière a exposé à hauteur d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

Infirme le jugement du tribunal de grande instance de de Paris du 12 janvier 2021 en ce qu'il a :

- dit que les travaux réalisés par la société Opox et leurs conséquences en matière de surface ne doivent pas être pris en compte pour le calcul de la valeur locative ;

- fixé l'indemnité d'éviction à la somme de 1 352 598 € ;

- fixé le montant de l'indemnité d'occupation à la somme de 122 077 euros par an majorée des taxes, charges et accessoires prévus au bail expiré ;

le confirme pour le surplus ;

Statuant à nouveau sur ces chefs,

Dit que les travaux réalisés par la société Opox doivent être pris en compte pour le calcul de la surface des locaux ;

Condamne la SARL Etudes et réalisations immobilières à payer à la SA Opox la somme de 1 516 871,52 € au titre de l'indemnité d'éviction, soit :

- indemnité principale : 1 272 150 € ;

- frais de remploi : 122 500 € ;

- trouble commercial : 32 670 € ;

- frais de déménagement : 3 000 € ;

- frais administratifs : 3500 € ;

- frais de réinstallation : 47 125 € ;

- frais de licenciement : 35 926,52 € ;

Condamne la SA Opox à payer à la SARL Etudes et réalisations immobilières une indemnité d'occupation de 90 300 € par an majorée des taxes, charges et accessoires prévus au bail expiré, à compter du 1er janvier 2015 et jusqu'à la complète libération des locaux intervenue le 30 septembre 2020 ;

Y ajoutant,

Rejette la demande de désignation d'un expert pour estimer la valeur du droit au bail ;

Condamne la SARL Etudes et réalisations immobilières à payer à la SA Opox la somme de 5 000 € au titre frais irrépétibles de l'appel ;

Condamne la SARL Etudes et réalisations immobilières aux dépens de l'appel ;

Rejette les autres demandes.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE