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Décisions

CA Rouen, ch. civ. et com., 5 octobre 2023, n° 22/03050

ROUEN

Arrêt

Autre

CA Rouen n° 22/03050

5 octobre 2023

N° RG 22/03050 - N° Portalis DBV2-V-B7G-JFTD

COUR D'APPEL DE ROUEN

CH. CIVILE ET COMMERCIALE

ARRET DU 5 OCTOBRE 2023

DÉCISION DÉFÉRÉE :

20/02472

Tribunal judiciaire d'Evreux du 7 juillet 2022

APPELANTS :

Madame [U] [T] née [C]

née le [Date naissance 9] 1947 à [Localité 15]

[Adresse 3]

[Localité 8]

représentée par Me Christophe OHANIAN de la SELARL CAMPANARO NOEL OHANIAN, avocat au barreau d'EURE

Monsieur [P] [T]

né le [Date naissance 7] 1945 à [Localité 16]

[Adresse 3]

[Localité 8]

représenté par Me Christophe OHANIAN de la SELARL CAMPANARO NOEL OHANIAN, avocat au barreau d'EURE

INTIMEE :

S.A.S. NOCIBE FRANCE agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège.

[Adresse 4]

[Localité 13]

représentée par Me Vincent MOSQUET de la SELARL LEXAVOUE NORMANDIE, avocat au barreau de ROUEN

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 4 mai 2023 sans opposition des avocats devant Mme MENARD-GOGIBU, conseillère, rapporteur

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour composée de :

Madame FOUCHER-GROS, présidente

M. URBANO, conseiller

Mme MENARD-GOGIBU, conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme RIFFAULT, greffière

DEBATS :

A l'audience publique du 4 mai 2023, où l'affaire a été mise en délibéré au 28 septembre 2023 puis prorogée à ce jour.

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 5 octobre 2023, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

signé par Mme FOUCHER-GROS, présidente et par Mme RIFFAULT, greffière

*

* *

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

Par acte sous seing privé du 22 juillet 2008, Monsieur [P] [T] et Madame [U] [C], ont donné à bail un local commercial dans un ensemble immobilier situé à [Localité 8], [Adresse 2] à la société SA Bouchez [C] aux droits de laquelle est venue la société Nocibé France puis la société Nocibé France Distribution à compter du 30 novembre 2010.

Le montant du loyer a été fixé à la somme annuelle de 36.000 euros hors taxe, charges comprises à l'exception de l'impôt foncier. Le loyer étant révisable chaque année sur l'indice des loyers commerciaux.

Le bail, consenti pour une durée initiale de neuf années est venu à expiration le 30 juillet 2017 et s'est tacitement prolongé.

Par acte extrajudiciaire du 30 décembre 2019, la société Nocibé France Distribution a signifié aux époux [T] une demande de renouvellement du bail commercial à compter du 1er janvier 2020 aux charges et conditions initiales, sauf à diminuer le montant du loyer annuel hors taxe, charges comprises à la somme de 24.000 euros.

Le montant du loyer réclamé à la société Nocibé France Distribution s'élevait au moment de la demande en renouvellement du bail à la somme de 41.364 euros hors taxe par an.

Par lettre recommandée du 10 février 2020, les époux [T] ont reçu une notification d'un mémoire en fixation du loyer du bail renouvelé le 1er janvier 2020.

Par lettre recommandée du 3 mars 2020, les époux [T] ont notifié un mémoire en réponse à la demande de fixation du loyer présentée par la société Nocibé France Distribution.

Par acte d'huissier du 28 août 2020, la société Nocibé France Distribution a fait assigner les époux [T] devant le juge des loyers du tribunal judiciaire d'Evreux aux fins de voir fixé judiciairement le loyer du bail renouvelé à la somme annuelle de 21.600 euros à compter du 1er janvier 2020.

Par jugement du 18 février 2021, le juge des loyers commerciaux du Tribunal Judiciaire d'Evreux a notamment ordonné une expertise et fixé le montant du loyer provisionnel au montant du loyer actuel pendant la durée de l'instance et prononcé un sursis à statuer sur les autres demandes.

L'expert, M. [O] a déposé son rapport le 29 septembre 2021.



Par jugement du 7 juillet 2022, le juge des loyers commerciaux du tribunal judiciaire d'Evreux a :

- fixé le prix du loyer du bail renouvelé au 1er janvier 2020 portant sur les locaux à usage commercial exploités par la société Nocibé France, à [Localité 8], [Adresse 2] à la somme de 25 751,60 euros hors taxes hors charges à compter du 1er janvier 2020,

- dit que les intérêts dus sur la différence entre le nouveau loyer du bail renouvelé et le loyer fixé antérieurement courent sur les compléments échus et impayés à compter du 3 mars 2020,

- débouté les parties de leurs plus amples demandes,

- dit que chaque partie conserve la charge des frais irrépétibles dont elle a eu la charge,

- dit que les dépens sont partagés par moitié entre les deux parties et ce compris les frais d'expertise.

Madame [U] [T], née [C] et Monsieur [P] [T] ont interjeté appel de ce jugement par déclaration du 19 septembre 2022.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 25 avril 2023.

EXPOSE DES PRETENTIONS

Vu les conclusions du 20 avril 2023, auxquelles il est renvoyé pour exposé des prétentions et moyens de Madame [C] et Monsieur [T] qui demandent à la cour de :

- infirmer le jugement rendu le 7 juillet 2022 par le juge des loyers commerciaux du tribunal judiciaire d'Evreux en ce qu'il a fixé le prix du loyer du bail renouvelé au 1er janvier 2020 portant sur les locaux à usage commercial exploités par la Société Groupe Nocibé venant aux droits de la Société Nocibé France, à [Localité 8], [Adresse 2], à la somme de 25.751,60 euros hors taxes et hors charges à compter du 1er janvier 2020,

- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société Groupe Nocibé de sa demande d'application d'un abattement de 10% sur la valeur locative retenue,

- statuant à nouveau, de fixer le loyer du bail renouvelé au 1er janvier 2020, à la somme de 34 860 euros HT par an, soit 2 905 euros par mois pour une durée de 9 années entières et consécutives,

- condamner la société Groupe Nocibé au paiement de la somme de 4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société Groupe Nocibé aux entiers dépens en ce compris les frais d'expertise.

Vu les conclusions du 24 avril 2023, auxquelles il est renvoyé pour exposé des prétentions et moyens du Groupe Nocibé qui demande à la cour de :

- réformer le jugement du juge des loyers commerciaux du tribunal judiciaire d'Evreux du 7 juillet 2022 en ce qu'il a :



- fixé le loyer renouvelé à la somme de 25 751,30 euros hors taxes et hors charges par an à compter du 1er janvier 2020,

- débouté la société Groupe Nocibé de sa demande d'indemnités au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné les époux [T]-[C] aux paiements de la moitié seulement des frais d'expertise et des dépens



Et statuant à nouveau,



- fixer que le loyer du bail renouvelé à la somme de 21.600 euros hors taxes et hors charges par an à compter du 1er janvier 2020,

- débouter Monsieur et Madame [T] de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,

- condamner Monsieur et Madame [T]-[C] à payer à la société Groupe Nocibé la somme de 5 000 euros en vertu des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner Monsieur et Madame [T]-[C] aux entiers frais et dépens de première instance, lesquels comprendront les frais d'expertise,



Y ajoutant :



- condamner Monsieur et Madame [T]-[C] à payer à la société Groupe Nocibé la somme de 5 000,00 euros en vertu des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel,

- condamner Monsieur et Madame [T]-[C] aux entiers frais et dépens d'appel.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la valeur locative du local commercial

La société Groupe Nocibé est venue aux droits de la société Nocibé France à la faveur d'une fusion absorption de la deuxième par la première (selon l'annonce du BODACC du 9 février 2023).

Il est constant entre les parties que la valeur locative des lieux loués est inférieure au loyer du bail expiré qui s'élevait à 41.364,00 euros hors taxes et hors charges par an résultant de l'application de l'indice des loyers commerciaux prévu au contrat en ce que les appelants sollicitent que le loyer soit fixé à 34 860 euros à compter du 1er janvier 2020.

Il convient dès lors de fixer la valeur locative des locaux en application des dispositions de l'article L 145-33 du code de commerce selon lesquelles :

''Le montant des loyers des baux renouvelés ou révisés doit correspondre à la valeur locative.

A défaut d'accord, cette valeur est déterminée d'après :

1° Les caractéristiques du local considéré ;

2° La destination des lieux ;

3° Les obligations respectives des parties ;

4° Les facteurs locaux de commercialité ;

5° Les prix couramment pratiqués dans le voisinage.

(').

Sont produits aux débats deux expertises privées établies unilatéralement d'une part celle de M. [M] faite à la demande du bailleur, d'autre part, celle de M. [W] faite à la demande du preneur.

Dans le cadre d'une procédure de fixation du loyer révisé d'un bail commercial devant le juge des loyers commerciaux, les rapports d'expertise amiables soumis à la libre discussion des parties constituent des éléments de preuve parmi d'autres.

Par ailleurs, une expertise judiciaire a été ordonnée dont le rapport a été déposé le 29 septembre 2021.

Afin de réviser le loyer en considération de la valeur locative du bien en cause, le juge doit préciser les critères de l'article L. 145-33 du code de commerce qu'il a utilisés sans qu'aucune méthode de calcul ne lui soit imposé.

Le prix du bail renouvelé s'apprécie à la date du renouvellement et ne peuvent être pris en considération pour le calcul du prix du bail renouvelé que les éléments existant à la date du renouvellement.

Les caractéristiques du local concerné et les facteurs locaux de commercialité

Moyens des parties

Les époux [T] soutiennent que :

* la surface pondérée est de 151,48 m² ;

* [Adresse 17] est l'un des emplacements les plus commerçants de [Localité 8], la configuration des locaux commerciaux loués est extrêmement favorable.

* la configuration des locaux commerciaux est extrêment avorable (large vitrine, configuration en entonnoir qui accentue encore la visibilité) ;

* ils produisent plusieurs éléments de comparaison qui font ressortir un loyer du m² supérieur à la moyenne retenue par l'expert judiciaire ; ces références sont corroborées par le rapport de M. [M], plus sérieux que celui de M. [W] :

Le groupe Nocibé réplique que :

* la surface utile pondérée est de 149,45 m², cette surface est celle retenue par tous les experts intervenus ;

* les attestations produites par les bailleurs sont dénuées de valeur probante ;

* les éléments de comparaison retenu par M. [M] ne sont pas pertinents

* [Adresse 17] ne représente pas le meilleur emplacement de [Localité 8] qui est largement supplanté en termes de trafic par [Adresse 18] et la [Adresse 20] ; l'emplacement des locaux loués est de second ordre.

Réponse de la cour

- les caractéristiques du local

Aux termes de l'article R145-3 du code de commerce :

''Les caractéristiques propres au local s'apprécient en considération :

1° De sa situation dans l'immeuble où il se trouve, de sa surface et de son volume, de la commodité de son accès pour le public ;

2° De l'importance des surfaces respectivement affectées à la réception du public, à l'exploitation ou à chacune des activités diverses qui sont exercées dans les lieux ;

3° De ses dimensions, de la conformation de chaque partie et de son adaptation à la forme d'activité qui y est exercée ;

4° De l'état d'entretien, de vétusté ou de salubrité et de la conformité aux normes exigées par la législation du travail ;

5° De la nature et de l'état des équipements et des moyens d'exploitation mis à la disposition du locataire.''

Le bail du 22 juillet 2008 précise que les locaux loués comprennent en rez-de-chaussée (186 m2) et sous-sol (145 m2) :

- un magasin,

- des cabines de soins (4 cabines de soins esthétiques, deux solariums, une cabine balnéo),

- une réserve et wc,

- un bureau.

Les locaux commerciaux donnés à bail sont situés dans un ensemble immobilier construit après la seconde guerre mondiale dont la structure est en béton et briques élevée sur sous-sol, composés d'un rez de chaussée à usage commercial et de deux étages à usage d'habitation sous combles. Il est relevé par les deux experts amiables que l'accès au local n'est pas aux normes d'accessibilité. L'expert judiciaire n'a pas donné d'éléments sur l'état intérieur des locaux. Il a relevé que le bail fait état de surfaces non conformes à la réalité, point qui sera abordé au paragraphe suivant. Selon les experts amiables, les aménagements et équipements intérieurs sont anciens. Ils ont noté le bon état d'entretien du local. Il est relevé par les experts amiables que l'entrée se fait sur la façade avant en rez de chaussée et que le local est pourvu d'une large vitrine de 16 mètres de long. La façade sur rue est en état apparent satisfaisant ce qui est corroboré par les clichés photographiques figurant dans les rapports et également produits par les appelants. Il est relevé de façon concordante par les experts amiables que le local est situé sur une [Adresse 17]- qui est dans le c'ur de la commune. L'expert judiciaire indique que le local est situé à deux pas du centre-ville. Il est noté la présence d'une grande halle couverte au centre de la place qui abrite une centaine de places de parking outre d'autres places de stationnement à proximité qui sont gratuites. Il est encore noté que les commerces présents autour de cette place sont liés à des services à la personne : boulangerie, pharmacie, coiffeur, [T], bar, salons de coiffure, boutique de prêt à porter. La carte produite en pièce 12 par le Groupe Nocibé illustre que cette place est bien achalandée.

S'agissant plus particulièrement de la surface des locaux, les appelants ne contestent pas la surface pondérée retenue par le premier juge soit 151,48 m2. Les intimés demandent qu'elle soit fixée à 149,45 m2 comme ayant été retenue par les experts judiciaire et amiables.

La différence trouve son origine dans le coefficient de pondération retenu pour deux cabines de soins situées au sous-sol, l'expert judiciaire et les experts amiables ayant appliqué un coefficient de pondération de 0,20 aux deux cabines situées au sous-sol.

L'expert judiciaire, Monsieur [O], a procédé à la détermination de la surface pondérée en appliquant un coefficient selon la méthodologie proposée par la ''charte de l'expertise en évaluation immobilière'' communément adoptée pour la fixation de la valeur locative de locaux commerciaux mais qui n'a pas de valeur impérative.

La pondération consiste à ramener les différentes catégories de surfaces réelles, selon leur intérêt, à une surface courante ou étalon en appliquant des coefficients de pondération.

En premier lieu, l'expert judiciaire a relevé que les surfaces indiquées dans le bail ne sont pas conformes à la réalité.

Le mesurage effectué le 2 juillet 2021 par la société Imodiag a retenu une superficie privative totale du lot de 247,09 m2 soit 147,77 m2 en rez de chaussée, 49,93 m2 en sous sol A et 49,39 m2 en sous sol B ( 99,32 m2).

Les parties s'entendent sur cette surface utile de 247,09 m2.

Dans la zone en sous-sol de 99,32 m2 (49,93 m2 sous-sol A + 49,39 m2 sous-sol B) se situent en zone A deux cabines de soins de 9,13m2 pour l'une et de 11,25 m2 pour l'autre soit une superficie de 20,38 m2.

En deuxième lieu, l'expert a retenu une surface pondérée totale de 149,45 m2 dont 19,86 m2 pour la surface en sous sol en appliquant un coefficient de 0,20 à la superficie totale de cette zone de 99,32 m2 (99,32 X 0,20 = 19,86) comprenant outre les deux cabines de soins citées ci-avant, des réserves, bureaux, locaux de rangement et de lingerie et sanitaires. Ce coefficient de 0,20 correspond à celui qui est appliqué aux zones annexes reliées par référence à la grille de pondération préconisée pour les locaux boutiques jusqu'à 600 m² par la charte de l'évaluation en évaluation immobilière 5ème édition préconisant un coefficient de pondération entre 0,15 et 0,25.

La cour relève que Monsieur [M] a retenu cette même surface pondérée d'après les éléments qui lui ont été communiqués sans avoir procédé à une visite complète sur place et notamment du sous-sol. Il a émis une réserve sur cette surface pondérée retenue par Messieurs [W] et l'expert judiciaire évoquant la présence de cabines de soins et ainsi leur accès potentiel par de clients.

Le premier juge a retenu une surface pondérée totale de 151,48 m2 en appliquant un coefficient de 0,30 aux deux cabines de soins situées en sous sol A d'une superficie de 20,38m2 soit une surface pondérée de 6,11 m2 (20,38 m2 X 0,30) au lieu de 4,08 m2 (20,38 m2 X 0,20 comme retenu par les experts) dont la différence soit 2,03 m2 est à ajouter à la surface pondérée retenue par l'expert judiciaire (149,45 m2 + 2,03 m2) pour le motif pertinent que ces deux cabines bénéficient à l'exploitation du commerce et qu'il ne peut leur être appliqué le coefficient de 0,20 égal à celui des autres zones annexes diverses reliées. La cour ajoute qu'il convient de tenir compte de la particularité tenant à la présence en sous sol de ces deux cabines de soins qui ont un potentiel commercial plus élevé justifiant une adaptation du coefficient à leur appliquer par rapport aux locaux à usage de lingerie ou encore de rangement.

- les facteurs locaux de commercialité

Aux termes de l'article R145-6 du code de commerce : ''Les facteurs locaux de commercialité dépendent principalement de l'intérêt que présente, pour le commerce considéré, l'importance de la ville, du quartier ou de la rue où il est situé, du lieu de son implantation, de la répartition des diverses activités dans le voisinage, des moyens de transport, de l'attrait particulier ou des sujétions que peut présenter l'emplacement pour l'activité considérée et des modifications que ces éléments subissent d'une manière durable ou provisoire.''

Le local commercial est situé dans le c'ur de la commune. Il a été relevé par l'expert judiciaire, la présence de nombreuses enseignes régionales et nationales à proximité du lieu concerné.

Les experts ont tous relevés que la place était bien achalandée. Il ressort par ailleurs des différents rapports que de vastes lignes de bus desservent la ville et l'agglomération et que [Localité 8] bénéficie d'un essor démographique en continuelle augmentation depuis 2015.

La carte ''Codata'' produite par le Groupe Nocibé illustre la présence de nombreux commerces autour de la vaste [Adresse 17] qui constitue le point de rencontre de plusieurs rues commerçantes comme la [Adresse 19]. Elle permet de retenir que cette place compte parmi les emplacements les plus commerçants de [Localité 8], la densité du trafic piétons telle qu'elle ressort de l'extrait du plan ''My Traffic'' produit en pièce 13 par le Groupe Nocibé sur une seule journée en semaine le jeudi 16 mars 2023 n'étant pas suffisante pour en faire un emplacement de second ordre nullement retenu aux termes des trois rapports d'expertise étant au surplus relevé que cet élément n'est pas contemporain de la date du bail renouvelé fixée au 1er janvier 2020 alors que la situation des locaux doit être appréciée à cette date.

Aucun motif de diminution du loyer ne peut être tiré d'une évolution des facteurs locaux de commercialité.

Les prix couramment pratiqués dans le voisinage

Réponse de la cour :

Selon l'article R145-7 du code de commerce :

''Les prix couramment pratiqués dans le voisinage, par unité de surfaces, concernent des locaux équivalents eu égard à l'ensemble des éléments mentionnés aux articles R. 145-3 à R. 145-6.

A défaut d'équivalence, ils peuvent, à titre indicatif, être utilisés pour la détermination des prix de base, sauf à être corrigés en considération des différences constatées entre le local loué et les locaux de référence.

Les références proposées de part et d'autre portent sur plusieurs locaux et comportent, pour chaque local, son adresse et sa description succincte. Elles sont corrigées à raison des différences qui peuvent exister entre les dates de fixation des prix et les modalités de cette fixation.''

Les parties s'opposent sur le prix à retenir au m2 pondéré, les appelants sollicitant qu'il soit fixé à 230 euros HT et les intimés à 170 euros HT avant abattement au titre des clauses exorbitantes du droit commun écartant en cela la valeur locative de 159 euros par m2 HT retenue par l'expert judiciaire sur la base du prix moyen des loyers des commerces à [Localité 8].

Monsieur [O] a fait cette estimation sans élément de comparaison expliquant avoir interrogé 14 commerces situés à proximité du local concerné et n'avoir obtenu qu'une seule réponse du commerce ''Enseigne Rive Droite'' dont il n'a pas tenu compte en raison de la surface d'exploitation de 75 m2 très inférieure à celle du local objet de l'expertise. En réponse aux dires des parties, Monsieur [O] a maintenu cette valeur en l'absence de valeurs référentielles adaptées.

Il convient dès lors de déterminer le prix de base du m2 au regard des éléments produits par les parties, les locaux de comparaison étant utilisés à titre indicatif après éventuelle correction.

Ne pouvant être pris en considération pour le calcul du prix du bail renouvelé que les éléments existant à la date du renouvellement, il convient d'écarter comme éléments de comparaison, les locaux dont le bail n'a commencé à courir que postérieurement à la période de référence (les locaux situés [Adresse 1], [Adresse 11], [Adresse 10] cités par Monsieur [M]).

Afin de procéder à une comparaison fiable, sachant que le prix du m² varie en fonction de la surface (à la baisse ou hausse) il y a lieu d'exclure les références relatives à des surfaces trop différentes (les locaux situés 14,20,7,16 [Adresse 17] cités par Monsieur [M], le magasin rive droite cité par monsieur [O], ces locaux étant d'une surface inférieure à 76 m2, le bail renouvelé portant sur le local situé [Adresse 6] de 55 m2).

Sans qu'il soit nécessaire de porter une appréciation sur la régularité des attestations de Madame [J], Messieurs [E] et [Z], il convient de relever que la première attestation porte sur un local de 35 m2 qui n'est donc pas une référence pertinente, les deuxième et troisièmes ne mentionnent pas l'adresse précise des locaux qui ne sont pas même décrits succinctement de sorte que ces références ne peuvent pas être retenues en application de l'article précité.

L'attestation de Madame [T] est sans force probante en ce que partie à l'instance, elle ne peut pas se constituer de preuve à elle même, ce qui a été justement retenu par Monsieur [M].

Dès lors peuvent être retenus comme éléments de comparaison donnés par les experts amiables, le local situé [Adresse 14] loué par un audio prothésiste d'une surface pondérée de 98,60 m2 dont le loyer est de 23 112 euros HT par an, le bail ayant pris effet le 1er octobre 2017 soit un prix au m2 de 234,40 euros, le local situé [Adresse 12], enseigne Pro et compagnie d'une surface pondérée de 166 m2 dont le loyer est de 31 611,48 euros, le bail ayant pris effet le 1er janvier 2019 soit un prix au m2 de 190,43 euros, le local cité par Messieurs [W] dans leur rapport de novembre 2019, local voisin des lieux concernés exploitant l'activité de Pompes Funèbres d'une surface pondérée de 152 m2, d'un montant de 152 euros le m2 (selon le chiffre retenu par M. [W]), le local situé [Adresse 5] d'une surface pondérée de 104 m2 en cours de location lors des opérations d'expertise amiable pour un prix de 170 euros du m2 (selon le chiffre retenu par ce même expert).

C'est sans en justifier que le Groupe Nocibé affirme que le loyer pour le local occupé par un audio prothésiste a été fixé à des conditions étrangères à celles du marché locatif normal en ce que les marges sont particulièrement fortes de sorte que cet élément de comparaison sera retenu comme pertinent tout comme sera retenue la référence concernant le local occupé par les Pompes Funèbres

Les experts amiables ont précisé que pour chacun de ces baux, l'impôt foncier est remboursé au propriétaire.

Les prix couramment pratiqués dans le voisinage ne sont que l'un des critères qui doivent être pris en considération pour déterminer la valeur locative d'un bien.

En conséquence, compte tenu des éléments de comparaison précités, au regard des facteurs de la valeur locative précédemment décrits et en prenant en considération la bonne situation des locaux au sein d'un quartier commerçant, et la bonne visibilité des locaux avec une prise importante sur la rue, la valeur locative de 31 810,80 euros hors taxes et hors charges = 151,48 m2 pondérés x 210 euros, avant éventuelles causes de minoration invoquées par le Groupe Nocibé.

Sur la minoration sollicitée par le preneur à raison d'obligations exorbitantes contractuellement mises à sa charge

Moyens des parties

Le Groupe Nocibé soutient que :

* il convient d'appliquer une décote au titre au titre de la taxe foncière et de la clause d'accession qui sont des charges exorbitantes du droit commun et procurent un avantage spécifique aux bailleurs ;

* l'article R. 145-35 du code de commerce n'a pas rendu sans objet le dispositif de l'adaptation de la valeur locative à raison des clauses exorbitantes de l'article R. 145-8.

Les époux [T] répliquent que :

* dès lors qu'une charge est considérée comme récupérable sur le preneur, ce qui est le cas de l'impôt foncier, dans la mesure où elle n'entre pas dans la liste définie à l'article R 145-35 du Code de commerce, elle ne peut constituer une clause exorbitante de droit commun au sens de l'article R 145-8 du Code de commerce et ne peut donner droit à minoration de la valeur locative ;

* la clause d'accession ne constitue pas une clause exorbitante de droit commun dans la mesure où celle-ci a vocation à s'appliquer en fin de jouissance ou au départ du preneur.

Réponse de la cour :

Aux termes de l'article R.145-35 du code de commerce :

''Ne peuvent être imputés au locataire :

(...)

3° Les impôts, notamment la contribution économique territoriale, taxes et redevances dont le redevable légal est le bailleur ou le propriétaire du local ou de l'immeuble ; toutefois, peuvent être imputés au locataire la taxe foncière et les taxes additionnelles à la taxe foncière ainsi que les impôts, taxes et redevances liés à l'usage du local ou de l'immeuble ou à un service dont le locataire bénéficie directement ou indirectement.

(').

Aux termes de l'article R145-8 du code du commerce :

'' Du point de vue des obligations respectives des parties, les restrictions à la jouissance des lieux et les obligations incombant normalement au bailleur dont celui-ci se serait déchargé sur le locataire sans contrepartie constituent un facteur de diminution de la valeur locative. Il en est de même des obligations imposées au locataire au-delà de celles qui découlent de la loi ou des usages. Les améliorations apportées aux lieux loués au cours du bail à renouveler ne sont prises en considération que si, directement ou indirectement, notamment par l'acceptation d'un loyer réduit, le bailleur en a assumé la charge.

Les obligations découlant de la loi et génératrices de charges pour l'une ou l'autre partie depuis la dernière fixation du prix peuvent être invoquées par celui qui est tenu de les assumer.

Il est aussi tenu compte des modalités selon lesquelles le prix antérieurement applicable a été originairement fixé.''

En application de ces dernières dispositions qui n'ont pas été abrogées par la loi dite Pinel, le juge doit tenir compte des obligations respectives des parties, notamment celles incombant normalement au bailleur dont celui-ci s'est déchargé sur le preneur sans contrepartie, pour fixer le loyer à la valeur locative. Ainsi lorsque l'impôt foncier, qui doit normalement être supporté par le bailleur en ce qu'il intéresse la propriété de ce dernier, est mis à la charge du preneur par le bail, cela constitue une charge exorbitante de droit commun justifiant une diminution de la valeur locative soit par déduction directe de leur montant de la valeur locative brute, ou par application d'une décote mesurée en pourcentage de cette valeur, ou encore par ajustement du prix unitaire de base.

Il ressort des stipulations du bail :

- au paragraphe ''Loyer'' : (') le loyer est expressément entendu charges comprises, à la seule exception de la refacturation de la quote-part d'impôt foncier au prorata des surfaces louées (').

Le bailleur ne démontre pas, ni même n'allègue, qu'il aurait fait bénéficier la société Groupe Nocibé d'une contrepartie à cette charge qui lui est légalement dévolue. Dès lors, il doit être retenu que le paiement de l'impôt foncier tel que contractuellement prévu est une charge exorbitante du droit commun qui doit être prise en compte dans la détermination de la valeur locative des lieux.

Il ressort de la facture du loyer du mois d'octobre 2019 que l'impôt foncier réclamé à la société Groupe Nocibé s'est élevé à 5 463 euros de sorte que ce montant sera déduit de la valeur locative hors taxe retenue de 31 810,80 euros.

- au paragraphe '' Améliorations'' : (') même autorisés, les travaux de transformation, d'aménagement ou d'amélioration faits par le preneur ne donneront lieu à aucune indemnité de la part du bailleur en fin de bail ou au départ du preneur. Le preneur ne pourra, en fin de jouissance, reprendre aucun des éléments ou matériels qu'il aurait incorporés au bien loués à l'occasion d'une amélioration ou d'un embellissement, si ces éléments ou matériels ne peuvent être détachés sans être fracturés, détériorés ou sans briser ou détériorer la partie du fonds à laquelle ils sont attachés. (').

Dès lors que la société Groupe Nocibé ne justifie d'aucun des travaux cités dans le paragraphe qui précède, sa demande d'abattement au titre de la clause accession sera rejetée.

Il s'ensuit que le montant du loyer s'établit à 26 347,80 euros hors taxes hors charges (31 810,80 euros - 5463 euros) à compter du 1er janvier 2020.

Par conséquent, le jugement sera infirmé en ce qu'il a fixé le prix du loyer renouvelé au 1er janvier 2020 à la somme de 25 751,60 euros.

Sur les frais irrépétibles et les dépens

Le jugement de première instance sera confirmé en ses dispositions relatives aux dépens et frais irrépétibles en ce que la fixation du montant du loyer intervient dans l'intérêt des deux parties.

Pour ce même motif, les dépens de l'appel seront partagés par moitié entre les parties dont les demandes présentées sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile seront rejetées.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, dans les limites de l'appel,

Infirme le jugement du juge des loyers commerciaux du 7 juillet 2022 en ce qu'il a fixé le prix du loyer du bail renouvelé au 1er janvier 2020 portant sur les locaux à usage commercial exploités par la société Groupe Nocibé, à [Localité 8], [Adresse 2] à la somme de 25 751,60 euros hors taxes hors charges à compter du 1er janvier 2020,

Statuant à nouveau de ce chef,

Fixe à la somme de 26 347,80 euros hors taxes hors charges par an à compter du 1er janvier 2020, le loyer du bail renouvelé au 1er janvier 2020 portant sur les locaux à usage commercial exploités par la société Groupe Nocibé, à [Localité 8], [Adresse 2],

Confirme le jugement en ses autres dispositions,

Y ajoutant,

Dit que les dépens de l'appel seront partagés par moitié entre les parties ;

Rejette les demandes présentées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

La greffière, La présidente,