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Décisions

CA Bordeaux, 3e ch. famille, 19 septembre 2023, n° 21/00929

BORDEAUX

Arrêt

Autre

CA Bordeaux n° 21/00929

18 septembre 2023

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

3ème CHAMBRE FAMILLE

--------------------------

ARRÊT DU : 19 SEPTEMBRE 2023

N° RG 21/00929 - N° Portalis DBVJ-V-B7F-L6FZ

[O] [G]

c/

[Z] [R] divorcée [G]

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2021/007301 du 06/05/2021 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de BORDEAUX)

Nature de la décision : AU FOND

28A

Grosse délivrée le :

aux avocats

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 03 décembre 2020 par le Juge aux affaires familiales de BORDEAUX (RG n° 19/03948) suivant déclaration d'appel du 16 février 2021

APPELANT :

[O] [G]

né le 01 Janvier 1962 à [Localité 2] (MAROC)

de nationalité Marocaine

demeurant [Adresse 1]

Représenté par Me Philippe MILANI de la SELARL MILANI - WIART, avocat au barreau de BORDEAUX

INTIMÉE :

[Z] [R] divorcée [G]

née le 22 Décembre 1966 à [Localité 7] (MAROC)

de nationalité Marocaine

demeurant [Localité 4]

Représentée par Me Ludivine MIQUEL de la SELARL AALM, avocat au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 13 juin 2023 en audience publique, devant la Cour composée de :

Président : Hélène MORNET

Conseiller: Danièle PUYDEBAT

Conseiller : Isabelle DELAQUYS

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Véronique DUPHIL

Le rapport oral de l'affaire a été fait à l'audience avant les plaidoiries.

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

* * *

EXPOSE DU LITIGE

Mme [Z] [R] et M. [O] [G], tous deux de nationalité marocaine, se sont mariés le 15 août 1989 à [Localité 3], au Maroc, sans contrat de mariage préalable.

Quatre enfants sont issus de leur union :

- [L] [G], né le 24 janvier 1991 à [Localité 5] (33),

- [S] [G], né le 12 juillet 1993 à [Localité 8] (33),

- [A] [G], née le 30 juin 1998 à [Localité 5] (33),

- [X] [G], née le 13 février 2001 à [Localité 5] (33).

Leur divorce a été prononcé selon la loi marocaine, pour discorde, par jugement du tribunal de [Localité 6] le 4 juin 2015.

Par acte d'huissier du 16 avril 2019, Mme [Z] [R] a assigné M. [O] [G] devant le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Bordeaux, aux fins de voir dire que le régime matrimonial applicable à la liquidation de leurs intérêts patrimoniaux est le régime primaire français, et de voir ordonner l'ouverture des opérations de liquidation et de partage de la communauté en application de la loi française.

Par jugement en date du 3 décembre 2020, le tribunal judiciaire de Bordeaux a :

- dit que le régime matrimonial applicable aux opérations de comptes, liquidation et de partage des intérêts patrimoniaux de Mme [Z] [R] et M. [O] [G] est le régime légal français,

- ordonné l'ouverture des opérations de comptes, liquidation et de partage des intérêts patrimoniaux de Mme [Z] [R] et M. [O] [G],

- désigné pour y procéder M. Le Président de la Chambre des notaires de la Gironde, avec faculté de délégation,

- commis le juge aux affaires familiales (cabinet 9) du tribunal judiciaire de Bordeaux pour en surveiller le déroulement et dresser rapport en cas de difficultés,

- dit n'y avoir lieu à statuer sur le surplus des demandes formées par les parties, et les invite à justifier auprès du notaire des documents nécessaires à l'appréciation des créances qu'elles invoquent,

- débouté les parties de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit que les dépens de l'instance seront employés en frais privilégiés de comptes, liquidation et partage.

Procédure d'appel :

Par déclaration du 16 février 2021, M. [G] a relevé appel de l'ensemble des dispositions du jugement.

Selon dernières conclusions du 21 mars 2023, M. [G] demande à la cour de :

- Infirmer le Jugement rendu le 03 décembre 2020 par juge aux affaires familiales du tribunal judiciaire de Bordeaux,

Statuant à nouveau,

- Débouter Mme [Z] [R] de sa demande d'application du régime légal français,

- Ordonner que le régime matrimonial applicable à la liquidation des intérêts pécuniaires des époux [G] soit le régime légal marocain de séparation des biens,

- Commettre le Président de la Chambre des Notaires ou la personne désignée par lui pour procéder aux opérations de liquidation et de partage des intérêts pécuniaires et patrimoniaux des consorts [G] - [R],

- Ordonner que Mme [Z] [R] soit tenue au profit de M. [O] [G] au paiement d'une indemnité d'occupation courant depuis le 04 juin 2015 jusqu'à son départ effectif des lieux,

- Débouter Mme [Z] [R] de ses plus amples demandes,

- Condamner Mme [Z] [R] à verser à M. [O] [G] la somme de 2.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Selon dernières conclusions du 24 juin 2021, Mme [R] demande à la cour de :

- déclarer recevable mais mal-fondé l'appel de M. [G],

Par conséquent,

- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

A titre subsidiaire, et si la cour devait réformer le jugement entrepris et faire application du régime légal marocain,

- constater qu'une créance est due par M. [G] à Mme [R],

- condamner M. [G] à prendre en charge, à titre définitif, le crédit auprès de SA Carrefour Banque s'agissant d'un crédit qui a été souscrit pour ses besoins personnels,

En tout état de cause,

- commettre tel notaire qu'il plaira à l'effet de procéder aux opérations de liquidation et de partage des intérêts pécuniaires et patrimoniaux des consorts [R] / [G],

- condamner la partie adverse au paiement d'une somme de 2.500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Pour un plus ample exposé des moyens des parties, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux écritures déposées.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 31 mai 2023.

MOTIVATION

L'appelant soutient que le régime matrimonial applicable à l'union des parties est le régime légal marocain (séparation de bien), en ce que le rattachement au premier domicile commun des époux afin de déterminer le régime matrimonial des époux est une présomption simple qui peut être renversée par l'établissement de la preuve contraire.

Ils soulignent en effet que les époux ont entendu soumettre leurs biens en France au régime légal marocain dans divers actes notariés notamment l'acquisition du bien situé à [Localité 4] (33) par l'époux en 2001, l'acte de prêt notarié de 2002 ou encore la vente du bien situé à [Localité 6]. En outre, ils ont divorcé au Maroc ce qui démontre leur volonté de soumettre tous les aspects de leur union au droit marocain.

S'agissant des conséquences de l'application du régime légal marocain, il demande à ce que soit constaté que l'immeuble situé à [Localité 4] est un bien personnel, immeuble dans lequel Mme [R] se maintient à ce jour et sollicite à ce titre le paiement d'une indemnité d'occupation équivalente à la valeur locative du bien qu'il conviendra de déterminer.

L'intimée conclut à la confirmation du jugement en ce qu'il a déclaré que le régime matrimonial applicable est le régime légal français, les époux ayant établi leur première résidence en France, moins de six mois après le mariage, puis fait l'acquisition d'un immeuble en Gironde en 2001 et a eu quatre enfants tous nés sur le territoire français. Elle précise qu'elle avait introduit une instance de divorce en France dans le même temps que celle introduite par son époux au Maroc.

Elle ajoute que la communauté se compose de l'ancien domicile conjugal situé à [Localité 4], du prix de vente de l'immeuble situé à [Localité 6] et du prix de vente d'une servitude de passage cédée en 2019 sans son accord.

A titre subsidiaire, si le droit marocain devait s'appliquer, M. [G] est débiteur envers Mme [R] des sommes réglées par elle et entend que celui-ci prenne en charge définitivement le crédit à la consommation souscrit pour ses besoins personnels.

Dès lors que les ex-époux [G], tous deux de nationalité marocaine, s'étaient mariés à [Localité 3] au Maroc le 15 août 1989, la Convention de la Haye du 14 mars 1978, qui détermine la loi applicable au régime matrimonial pour les époux mariés après le 1er septembre 1992, ne s'applique pas en l'espèce.

Ce sont donc les règles françaises de conflit de lois pour la détermination du régime matrimonial qui doivent trouver application, lesquelles retiennent le principe de l'autonomie de la volonté dans la détermination de la loi applicable au régime matrimonial.

En application de ce principe, le droit international privé français et la jurisprudence admettent qu'à défaut de choix explicite de loi par les époux, lorsque notamment aucune mention n'a été faite dans un contrat de mariage, ceux ci sont présumés avoir choisi la loi du pays où ils ont établi leur premier domicile matrimonial. Cette présomption reste cependant une présomption simple qui peut être détruite par tout autre élément de preuve pertinent.

Il ressort des pièces communiquées que si les époux se sont mariés au Maroc, ils n'ont pas entendus choisir de manière explicite le régime légal marocain de la séparation de biens par contrat de mariage. Il est démontré à l'inverse que les ex-époux se sont établis en France, où l'ex-mari résidait et travaillait déjà avant le mariage, dès le mois de septembre 1989, ainsi que le prouve notamment l'attestation de Mme [W] [R], soeur de l'intimée. Celle-ci indique en effet pièce 18, que '... ma soeur a été fiancée à M. [O] [G] et après avoir contracté mariage le 11 août 1989, ils sont aussitôt partis en France aux fins de s'y installer et elle n'a pas vécu préalablement avec lui sur le territoire marocain'.

C'est vainement qu'au soutien de son recours tendant à voir dire la loi marocaine applicable, l'appelant produit le témoignage de son oncle [E] [G] qui tend à dire qu'avant le mariage le couple aurait vécu ensemble deux ans sur le territoire marocain, et par suite sa résidence sur le sol marocain, alors que le temps d'un concubinage éventuel n'a pas à être pris en compte pour la détermination du régime matrimonial qui ne régit que les relations entre époux.

Il ressort de pièces produites qu'en réalité les époux ont bien fixé en France le lieu de leur premier domicile conjugal, s'y étant installés dans les semaines suivant le mariage, et s'y étant maintenus le temps de celui-ci et y ayant élevé leurs enfants tous nés sur le territoire national. Ces éléments constants sont de nature à permettre de retenir une présomption de choix du régime légal français en l'absence de choix déclaré.

Toutefois l'appelant verse aux débats plusieurs éléments qui tendent à renverser cette présomption. Il s'évince en effet des pièces qu'il produit selon le bordereau annexé à ses conclusions, que :

- lors de l'acquisition de l'immeuble situé à [Localité 4] (33) réalisée par M. [G] le 12 octobre 2001, lequel sera le domicile conjugal, il a été fait mention dans l'acte notarié de la loi marocaine.

Cet acte mentionne en effet : 'Acquéreur : Monsieur [G], ouvrier agricole, époux de Madame [Z] [R] ['] soumis au régime légal étranger à [Localité 3] le 15 août 1989. Statut et régime matrimoniaux non modifiés depuis.' (Pièce n° 14)

- la loi étrangère a été mentionnée dans l'acte de prêt immobilier notarié du 24 octobre 2002 souscrit cette fois tant par M. [G] que par Mme [R] en sa qualité de co-emprunteur. En effet, l'acte fait précisément mention du régime matrimonial sous lequel les époux ont entendu placer le financement du bien puisqu'il est encore une fois écrit : 'M. [O] [G] et Mme [Z] [R] mariés sous le régime légal étranger à [Localité 3] le 15 août 1989'. (Pièce n° 15)

- M. [G] a vendu un bien immeuble situé à [Localité 6] au Maroc qu'il avait acquis à titre personnel, en son seul nom, le 07 août 1997, le temps du mariage.

Ce bien a été vendu le 23 septembre 2014 pour le prix de 560.000 Dirhams (environ 52.000 €). (Pièce n° 12)

Or, et ainsi que Mme [R] l'indique et en justifie elle-même, elle bénéficiait sur ce bien d'une donation de M. [G] en date du 26 août 2000 portant sur la moitié indivise de ce même bien. (Pièce n° 16)

Ainsi que le soutient avec raison l'appelant, si les époux ont établi cet acte de donation pour la moitié indivise du bien, c'est parce qu'ils se sont considérés comme étant soumis au régime légal marocain de la séparation de biens et non au régime légal français de la communauté. A défaut cet acte de donation n'avait pas lieu d'être car le bien ainsi acquis au cours du mariage aurait été, de droit, commun.

- enfin il ressort du jugement de divorce prononcé à [Localité 6] le 4 juin 2015, que Mme [R] a demandé de 'prendre en considération sa richesse (celle de son époux) au moment du prononcé du jugement pour les droits dus', entendant manifestement se prévaloir du patrimoine propre de son époux pour le calcul de ses propres droits tel que prévu par le droit marocain, notamment le don de jouissance.

De l'ensemble de ces éléments s'établit donc que les époux dans le cadre de la gestion de leur patrimoine ont souhaité se soumettre au régime de la loi islamique de séparation de biens, seul régime admis dans leur pays d'origine, ou tout au moins se sont comportés comme y étant soumis.

La présomption en faveur de la loi française cède donc devant la preuve contraire.

Le jugement est donc infirmé.

S'agissant des conséquences de l'application du régime légal marocain, les parties s'accordent pour voir ordonner les opérations de liquidation et de partage de leurs intérêts pécuniaires, lesquelles seront donc effectuées conformément au régime de la séparation de biens. M. [G] entend d'ores et déjà voir dire que son épouse doit être condamnée à une indemnité d'occupation pour le domicile occupé, mais il ne produit aucun texte légal sur lequel cette demande peut être fondée.

Mme [R] entend faire valoir une créance pour avoir participé à l'édification du domicile conjugal, ayant été co emprunteur des crédits souscrits à cet effet.

Il appartiendra aux parties de faire valoir devant le notaire commis leur créances qu'ils posent seulement dans leur principe, ne les chiffrant pas devant la cour qui ne peut donc statuer de ce chef.

Chaque partie conservera la charge de ses propres dépens sans qu'il ne soit fait droit aux demandes exprimées en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Infirme le jugement rendu le 3 décembre 2020 par le tribunal judiciaire de Bordeaux en ce qu'il a dit que les époux [R] [G] étaient soumis au régime légal français s'agissant de leurs biens ;

Statuant à nouveau,

Dit que le régime matrimonial applicable à la liquidation des intérêts pécuniaires des époux [G] [R] est le régime légal marocain qui ne prévoit que la séparation des biens ;

Confirme le jugement pour le surplus ;

Y ajoutant,

Déboute les parties de leurs demandes plus amples ;

Dit que chaque partie conservera la charge de ses dépens ;

Dit n'y avoir lieu à condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Le présent arrêt a été signé par Hélène MORNET, présidente, et par Véronique DUPHIL, greffière, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier, Le Président,