Décisions
CA Aix-en-Provence, ch. 1-2, 14 septembre 2023, n° 22/08073
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Autre
COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 1-2
ARRÊT
DU 14 SEPTEMBRE 2023
N° 2023/ 543
Rôle N° RG 22/08073 - N° Portalis DBVB-V-B7G-BJQPP
SAS MONOPRIX EXPLOITATION
C/
S.C.I. FOCH
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me Emmanuelle PLAN
Me Jean-Michel OLLIER
Décision déférée à la Cour :
Ordonnance de référé rendue par le Président du Tribunal Judiciaire de NICE en date du 19 mai 2022 enregistrée au répertoire général sous le n° 21/01764.
APPELANTE
SAS MONOPRIX EXPLOITATION
Prise en la personne de son représentant légal en exercice
dont le siège social est situé [Adresse 3] - [Localité 8]
représentée par Me Emmanuelle PLAN de la SELARL SOLUTIO AVOCATS, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
et assistée de Me Jacques BISTAGNE, avocat au barreau de MARSEILLE
INTIMEE
S.C.I. FOCH
dont le siège social est situé [Adresse 2] - [Localité 1]
représentée par la société GESTIPAR dont le siège social est situé [Adresse 7] -[Localité 1]
représentée par Me Jean-Michel OLLIER de l'AARPI OLLIER JEAN MICHEL & ASSOCIES, avocat au barreau de MARSEILLE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 13 juin 2023 en audience publique devant la cour composée de :
M. Gilles PACAUD, Président
Mme Angélique NETO, Conseillère rapporteur
Madame Myriam GINOUX, Conseillère
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme Julie DESHAYE.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 14 septembre 2023.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 14 septembre 2023,
Signé par M. Gilles PACAUD, Président et Mme Julie DESHAYE, greffière auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSE DU LITIGE
Par acte sous seing privé en date du 6 mars 1998, la Société d'Exploitation et de Gestion Industrielle et Commerciale (la SEGIC) a consenti à la société Prisunic Exploitation un bail commercial portant sur un local s'étendant sur quatre niveaux dépendant de l'immeuble situé [Adresse 6], [Adresse 4] et [Adresse 5] à [Localité 9], pour une durée de 9 années à effet au 16 mars 1997 pour se terminer le 15 mars 2006.
Par un avenant en date du 8 octobre 2001, la société civile immobilière (SCI) Foch, venant aux droits de la SEGIC, a consenti, au profit de la société par actions simplifiée (SAS) Monoprix Exploitation, venant aux droits de la société Prisunic Exploitation, le renouvellement du bail pour une durée de 9 années à compter du 1er octobre 2001 pour se terminer le 30 septembre 2010. Les parties ont convenu, aux termes de cet avenant, une clause d'échelle mobile sur la base de l'indice trimestriel du coût de la construction.
A défaut de congé donné avant son expiration, le bail s'est prorogé par tacite prolongation au-delà de douze années.
Par acte en date du 17 janvier 2014, la société Foch a délivré à la société Monoprix Exploitation un congé avec offre de renouvellement à effet au 30 septembre 2014 en contrepartie de la fixation du loyer à la somme de 2 900 000 euros par an hors taxes et hors charges.
Face aux contestations du preneur concernant le montant du loyer, une procédure en fixation du loyer du bail renouvelé a été initiée par la société Foch.
Par jugement en date du 4 février 2015, le juge des loyers commerciaux du tribunal de grande instance de Nice a constaté l'accord des parties sur le principe du renouvellement du bail pour un durée de 9 années à compter du 1er octobre 2014, constaté que le bail renouvelé au 1er octobre 2001 s'est poursuivi tacitement au-delà de sa date d'échéance contractuelle du 30 septembre 2010 et a atteint une durée supérieure à 12 ans et dit en conséquence que le loyer du bail renouvelé n'est pas soumis à plafonnement et doit être fixé à la valeur locative au 1er octobre 2014.
Par jugement en date du 5 avril 2017, le loyer a été fixé à la somme de 1 312 916 euros par an.
La société Foch a interjeté appel de cette décision.
La société Monoprix Exploitation a réglé le différentiel de loyer issu de la fixation du loyer à la hausse.
Par arrêt en date du 21 janvier 2021, la cour d'appel d'Aix-en-provence a infirmé le jugement du 5 avril 2017 en ce qui concerne le montant du loyer. Elle a fixé le loyer du bail renouvelé à la somme de 1 693 435 euros par an, hors charges et hors taxes, correspondant à la valeur locative, à compter du 1er octobre 2014, dit que la surface utile pondérée des locaux soumis au bail est de 3241,33 m2 et dit que la société Monoprix Exploitation sera tenue au paiement des intérêts légaux sur l'arriéré locatif depuis le 19 novembre 2014.
Cet arrêt n'a pas fait l'objet de pourvoi en cassation.
La société Foch a sollicité de la société Monoprix Exploitation le paiement de la somme de 3 054 245,59 euros correspondant au solde du différentiel entre les loyers dus, tel que le loyer a été fixé par la cour de céans, et les loyers réglés depuis le 1er octobre 2014, date du renouvellement du bail.
La société Monoprix Exploitation a réglé la somme de 1 351 588,54 euros le 1er juin 2021.
Se prévalant d'un solde de loyers restant dû de 1 892 263,66 euros, en ce compris la régularisation du dépôt de garantie liée à l'augmentation du loyer pour un montant de 189 606,61 euros, la société Foch a fait assigner, par acte d'huissier en date du 5 octobre 2021, la société Monoprix Exploitation devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Nice aux fins de la voir condamner à lui verser ladite somme à titre provisionnel, outre les intérêts de droit à compter du 19 novembre 2014.
Par ordonnance en date du 19 mai 2022, ce magistrat a :
- condamné la société Monoprix Exploitation à payer à la SCI Foch la somme de 1 892 263,66 euros au titre du solde des loyers depuis le 1er octobre 2014 et jusqu'au 23 septembre 2021, outre les intérêts au taux légal sur l'arriéré locatif depuis le 19 novembre 2014 ;
- condamné la société Monoprix Exploitation à payer à la SCI Foch la somme de 1 200 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné la société Monoprix Exploitation aux dépens.
Ce magistrat a estimé que l'obligation de la société Monoprix Exploitation de régler la somme réclamée ne se heurtait à aucune contestation sérieuse au regard des termes de l'arrêt de la cour d'appel de céans en date du 21 janvier 2021 et du fait que le bail liant les parties a été prolongé pendant une durée supérieure à douze ans, de sorte que les dispositions de l'article L 145-34 du code de commerce ne s'appliquaient pas, tel que cela était clairement dit à l'alinéa 3. Par ailleurs, il a souligné que le montant sollicité n'était pas discuté.
Suivant déclaration transmise au greffe le 2 juin 2022, la société Monoprix Exploitation a interjeté appel de cette décision en toutes ses dispositions dûment reprises.
Aux termes de ses dernières conclusions transmises le 26 mai 2023, auxquelles il convient de se référer pour un exposé plus ample des prétentions et moyens, elle sollicite de la cour qu'elle infirme l'ordonnance entreprise et qu'elle :
- dise et juge que les conséquences néfastes d'une hausse brutale du loyer et donc la justification du lissage voulu par la loi Pinel sont les mêmes dans tous les cas de déplafonnement ;
- dise et juge que cette question mérite d'être tranchée par les juges du fond et en particulier par la Cour de cassation ;
- dise et juge qu'il y a donc une contestation sérieuse faisant obstacle à ce qu'une ordonnance de référé écarte les conséquences du lissage en pareille hypothèse ;
- dise et juge qu'il y a une contestation sérieuse sur le montant des sommes réclamées par la société Foch ;
- dise et juge, qu'en l'état des contestations sérieuses soulevées, il convient de rejeter la demande de la société Foch ;
- à défaut, dise et juge que le plafonnement du déplafonnement, lissage, s'applique en vertu du dernier paragraphe de l'article L145-34 du code de commerce et de l'article L 145-33 du même code dans les éléments mentionnés au premier à quatrième de cet article ;
- dise et juge que le loyer fixé par la cour ne peut conduire à une augmentation de 10% par an ;
- rejette l'appel incident formé par la société Foch ;.
- la condamne à lui verser la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
-l a condamne aux entiers dépens de première instance et d'appel, par application de l'article 696 du même code, distraits au profit de Maître Jérôme Latil, avocat qui y a pourvu sous son affirmation de droit.
Elle se prévaut de contestations sérieuses à son obligation de régler la somme sollicitée par la bailleresse. Elle estime pouvoir prétendre à l'application du lissage énoncé par l'article L 145-34 dernier alinéa du code de commerce. Si elle reconnaît qu'il résulte de la lecture de cet article que le lissage ne s'applique pas aux baux qui ont été prolongés, par tacite reconduction, pour une durée allant au-delà de 12 ans, mais uniquement, selon le dernier alinéa, dans les hypothèses d'une modification notable des éléments mentionnés aux 1° à 4° de l'article L 145-33 ou s'il est fait exception aux règles de plafonnement par suite d'une clause du contrat relative à la durée du bail, elle n'en comprend pas les raisons dès lors que le lissage a été prévu uniquement pour éviter que le loyer de renouvellement d'un bail commercial connaisse une hausse importante et brutale de nature à compromettre la viabilité des entreprises commerciales et artisanales, et ce, en poursuivant un objectif d'intérêt général.
Elle considère que l'inapplicabilité du lissage en cas de prorogation tacite au-delà de 12 ans résulte d'un oubli du législateur dès lors qu'elle ne repose sur aucun fondement rationnel. Elle relève que, même dans le cas d'un bail prorogé au-delà de 12 ans, les règles du plafonnement se sont appliquées pendant les 12 premières années du bail, de sorte qu'il s'agit d'une hypothèse de déplafonnement pour prorogation tacite au même titre que celles visées par le dernier alinéa, outre le fait que rien ne justifie que l'objectif d'intérêt général qui a été poursuivi, rappelé par le conseil constitutionnel, soit arbitraiement écarté dans ce cas. Elle expose que, si le juge doit respecter les choix délibérés du législateur, il doit également s'efforcer d'interpréter la loi de façon cohérente et réparer les 'malfaçons législatives'.
Elle fait valoir que, si l'étalement de l'augmentation du loyer en cas de déplafonnement ne s'applique pas si le bail renouvelé a été conclu pour une durée de 9 ans et qu'il s'est prolongé tacitement au-delà de 12 ans, tel que l'a indiqué la Cour de cassation, dans un avis du 9 mars 2018, le preneur qui, même s'il se trouve dans cette situation, démontre l'existence d'une modification notable de l'une des quatre premières composantes de la valeur locative visées à l'article L 145-33 du code de commerce, est en droit de solliciter que ce motif de déplafonnemment prévale sur celui tiré de la durée du bail. Elle souligne que, tel est le cas en ce qui la concerne, dès lors que la cour d'appel de céans a, dans son arrêt du 21 janvier 2021, déterminé la valeur locative du local selon les caractéristiques du local, la destination ds lieux, les obligations respectives des parties et les facteurs locaux de commercialité.
Elle considère que, tant que la Cour de cassation, n'a pas tranché ces questions, la demande de l'intimée se heurte à des contestations sérieuses.
Enfin, elle discute le montant des sommes sollicitées en l'absence de justificatif portant sur les retards de paiement des loyers et en l'état de paiements qui ont été effectués. Elle discute également les intérêts réclamés dès lors qu'ils n'ont plus à être réclamés depuis 2019, date à laquelle elle a régularisé le montant du loyer fixé par l'arrêt de la cour d'appel de céans du 21 janvier 2021.
Aux termes de ses dernières conclusions transmises le 5 juillet 2022, auxquelles il convient de se référer pour un exposé plus ample des prétentions et moyens, la société Foch sollicite de la cour qu'elle :
- confirme l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ;
- condamne la société Monoprix Exploitation à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- la condamne aux dépens.
Elle expose que l'obligation du preneur de régler la somme sollicitée ne se heurte à aucune contestation sérieuse. Elle soutient que les dispositions de l'article L 145-34 du code de commerce ne s'appliquent pas, tel que cela résulte expréssement de l'alinéa 3, dans le cas où le bail a été prolongé pendant une période supérieure à douze ans par l'effet d'une tacite reconduction. Elle considère dès lors que l'alinéa 4, qui prévoit un lissage de l'augmentation du loyer à hauteur de 10 % par an selon le principe du plafonnement du déplafonnement, n'est pas applicable. Elle fait observer que le déplafonnement du loyer renouvelé est exclusivement la conséquence d'une tacite prolongation ayant abouti à ce que la durée du bail excède 12 ans, de sorte que ce déplafonnement ne résulte ni d'une modification notable des éléments mentionnés aux 1° à 4° de l'article L 145-33 du code de commerce, ni de l'application d'une clause du bail relative à sa durée.
Elle souligne que le preneur, qui a réglé le différentiel issu de la fixation du loyer du bail renouvelé par jugement du tribunal de grande instance de Nice du 5 avril 2017, n'a jamais sollicité l'application du lissage de l'augmentation dans le cadre de la procédure en fixation des loyers.
Elle expose que le montant sollicité, qui correspond au différentiel entre le loyer fixé par la cour de céans et celui qui a été réglé, n'est pas sérieusement contestable. Il en de même des intérêts qui résultent également de l'arrêt de la cour d'appel de céans.
La clôture de l'instruction de l'affaire a été prononcéele 30 mai 2023.
Par soit-transmis en date du 15 juin 2023, la cour informe les parties qu'elle se pose la question de la recevabilité de la demande de la société Foch tendant à la condamnation de la société Monoprix Exploitation à lui verser une provision, outre des intérêts, et du moyen de défense et/ou de la demande subsidiaire tiré du droit de solliciter un étalement de l'augmentation du loyer déplafonné, au regard du principe de concentration des moyens, posé par la jurisprudence dite 'Césareo' (Cass. Ass. plén., 7 juillet 2006, n° 04-10.672 ; Cour de cassation, 2e chambre civile, 27 février 2020-n° 18-23.972) et de la force de chose jugée attachée à l'arrêt, en date du 21 janvier 2021, de la cour d'appel d'Aix-en-Provence. S'agissant d'une irrecevabilité susceptible d'être soulevée d'office par la cour, les parties ont été invitées à transmettre leurs observations avant le lundi 26 juin 2023 minuit.
Par une note en délibéré transmise le 22 juin 2023, la société Monoprix Exploitation s'interroge sur le point de savoir si le juge des référés, en accordant une provision pour l'exécution d'un titre exécutoire, n'empiète pas sur la compétence exclusive du juge de l'exécution, lequel connaît, en application de l'article L 213-6 du code de l'organisation judiciaire, de manière exclusive, des difficultés relatives aux titres exécutoires et des contestations qui s'élèvent à l'occasion de l'exécution forcée, mêmes si elles portent sur le fond du droit. Elle estime que cette difficulté constitue une contestations sérieuse à la demande de provision sollicitée. Par ailleurs, elle indique qu'il résulte de la jurisprudence qu'il n'entre pas dans l'office du juge des loyers commerciaux, mais dans celui des parties, d'arrêter l'échéancier des loyers qui seront exigibles durant la période au cours de laquelle s'applique l'étalement de la hausse du loyer instauré par l'article L 145-34 du code de commerce (avis du 9 mars 2018 de la troisième chambre civile de la Cour de cassation), pas plus que de statuer sur son application (Civ. 3, 25 janvier 2023), de sorte qu'elle soutient qu'elle ne pouvait demander au juge des loyers un étalement de la hausse. Elle souligne qu'il s'agit là d'une difficulté sérieuse devant être tranchée par le juge de l'exécution.
Par une note en délibéré transmise le 23 juin 2023, la société Foch relève que la cour d'appel, statuant comme juge d'appel des loyers commerciaux, n'a pas prononcé de condamnation à l'encontre de la locataire au titre de l'arriéré de loyers, dès lors que le juge des loyers commerciaux a une compétence limitée à la fixation du bail révisé ou renouvelé. Elle se prévaut d'un arrêt de la Cour de cassation, en date du 11 mai 2022, aux termes duquel la compétence du juge des loyers qui lui permet, après avoir fixé le prix du bail révisé ou renouvelé, d'arrêter le compte que les parties sont obligées de faire est exclusive du prononcé d'une condamnation. Elle relève que, dès lors que le locataire se refuse à exécuter spontanément la décision qui fixe le loyer, elle est contrainte de solliciter un titre exécutoire lui permettant de recouvrer les arriérés de loyers et intérêts. Elle souligne, qu'en pratique, aucun huissier n'accepte de pratiquer des mesures de recouvrement forcées sur une décision qui n'entre pas en voie de condamnation à l'encontre du débiteur. Dans le cas où la cour souleverait d'office le moyen d'irrecevabilité tirée de l'autorité de la chose jugée ou du principe de concentration des moyens, elle demande à ce qu'il soit précisé, dans son dispositif, que l'arrêt du 21 janvier 2021 fixant le loyer lui permet de pratiquer toutes les mesures d'exécution et de saisie liées à la fixation du loyer. Enfin, compte tenu de la complexité du point soulevé par la cour et des enjeux en cause, elle lui demande de bien vouloir envisager une réouverture des débats.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la fin de non-recevoir tirée de l'autorité de la chose jugée de la demande de provision sollicitée par la société Foch
Selon l'article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.
L'article 125 alinéa 2 du même code énonce que le juge peut relever d'office la fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt, du défaut de qualité ou de la chose jugée.
Aux termes de l'article 480 du même code, le jugement qui tranche dans son dispositif tout ou partie du principal, ou celui qui statue sur une exception de procédure, une fin de non-recevoir ou tout autre incident a, dès son prononcé, l'autorité de la chose jugée relativement à la contestation qu'il tranche. Le principal s'entend de l'objet du litige tel qu'il est déterminé par l'article 4.
Il résulte des articles 500 et 501 du même code qu'a force de chose jugée une décision qui n'est susceptible d'aucun recours suspensif d'exécution. Le jugement susceptible d'un tel recours acquiert la même force à l'expiration du délai du recours si ce dernier n'a pas été exercé dans le délai.
L'article 1355 du code civil énonce que l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formées par elles et contre elles en la même qualité.
L'exigence d'une identité de cause induit un principe de concentration des moyens en vertu duquel le demandeur doit présenter dès l'instance initiale tous les moyens utiles, à défaut de quoi, toute nouvelle demande fondée sur des arguments différents se heurterait à une fin de non-recevoir tirée de l'autorité de la chose jugée.
En l'espèce, il résulte des pièces de la procédure que, par arrêt en date du 21 janvier 2021, la cour d'appel d'Aix-en-Provence a :
- infirmé le jugement entrepris en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a :
* dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile ;
* condamné la SCI Foch aux dépens de l'instance, y compris les frais d'expertise judiciaire ;
- statuant à nouveau et y ajoutant ;
* fixé le loyer du bail renouvelé liant la SCI Foch et la SAS Monoprix Exploitation et portant sur des locaux situés [Adresse 6], [Adresse 4] et [Adresse 5] à [Localité 9] (06) à l'enseigne Monoprix, à la somme de 1 693 435 euros par an, hors charges et hors taxes, correspondant à la valeur locative, et ce à compter du 1er octobre 2014 ;
* dit que la surface utile pondérée des locaux soumis à ce bail est de 3 241,32 m2 ;
* dit que la SAS Monoprix Exploitation sera tenue au paiement des intérêts légaux sur l'arriéré locatif depuis le 19 novembre 2014 ;
* débouté les parties du surplus de leurs demandes ;
* condamné la SCI Foch aux dépens qui seront distraits au profit de Maître Jacques Bistagne, avocat, en application de l'article 699 du code de procédure civile.
Il est acquis que cette décision, qui a été signifiée par acte d'huissier à la société Monoprix Exploitation, le 18 février 2021, n'a fait l'objet d'aucun pourvoi en cassation, de sorte qu'elle a acquis force de chose jugée.
Il n'est pas contestable que cet arrêt a été rendue entre les mêmes parties, sur la même cause et sur le même objet que les demandes formulées dans le cadre de la procédure de référé.
En effet, alors même que la société Foch sollicitait de la cour de fixer le montant du loyer du bail renouvelé à une somme supérieure à celle retenue par le premier juge, demande à laquelle la cour fera droit, bien que retenant une somme inférieure à celle revendiquée, soit un différentiel de loyer dû par la société Monoprix Exploitation d'un montant de 3 054 245,59 euros depuis le 1er octobre 2014, elle a saisi le juge des référés tendant à obtenir la condamnation de la société Monoprix Exploitation à lui verser, à titre provisionnel, le solde restant dû de 1 892 263,66 euros, après déduction de la somme de 1 351 588,54 euros réglée le 1er juin 2021 et ajout de la somme de 189 606,61 euros correspondant au différentiel du dépôt de garantie dû (soit 3 054 245,59 euros - 1 351 588,54 euros + 189 606,61 euros), outre les intérêts au taux légal sur l'arriéré locatif depuis le 19 novembre 2014.
En sollicitant la condamnation de la société Monoprix Exploitation à lui verser la somme revendiquée, à titre provisionnel, à valoir sur le différentiel entre les loyers, tels que fixés par la cour, dans son arrêt du 21 janvier 2021, et les loyers réglés depuis le 1er octobre 2014, date du renouvellement du bail, la société Foch entend faire exécuter, par la voie du référé, ledit arrêt.
Or, le fait pour la troisième chambre civile de la Cour de cassation d'avoir jugé, dans un arrêt du 11 mai 2022 (n° 20-21.651), que la compétence du juge des loyers qui lui permet, après avoir fixé le prix du bail révisé ou renouvelé, d'arrêter le compte que les parties sont obligées de faire est exclusive du prononcé d'une condamnation, en application de l'article R 145-23 du code de commerce, ne remet pas en cause sa juriprudence selon laquelle le jugement de fixation des loyers permet au preneur de faire pratiquer une saisie-attribution (Civ. 3e, 6 oct. 2016, n° 15-12.606). Autrement dit, même si la décision du juge des loyers ne condamne pas le bailleur à restituer le trop-perçu, dans le cas où le nouveau loyer est inférieur au loyer antérieur, ou le locataire à régler l'arriéré de loyers restant dû, dans le cas où le montant du nouveau loyer est plus important, elle constitue bien un titre exécutoire conforme aux dispositions des articles L 111-2, L 111-3 et L 111-6 du code des procédures d'exécution en vertu duquel le preneur peut faire procéder à des actes d'exécution forcée. Il s'agit en effet d'une décision d'une juridiction de l'ordre judiciaire ayant force exécutoire (article L 111-3), constatant une créance liquide et exigible (article L 111-2), la créance étant liquide lorsqu'elle est évaluée en argent ou que le titre contient tous les éléments permettant son évaluation (article L 111-6).
Il en résulte que la demande en paiement faite par la société Foch, à titre provisionnel, devant le juge des référés et la cour de céans, saisie en référé, a le même objet que celle qui a été faite devant le juge chargé de fixer les loyers commerciaux et la cour de céans ayant conduit à l'arrêt susvisé, dès lors que, même si le juge des loyers ne condamne pas le locataire, le jugement fixant le loyer permet à la société Foch d'être réglée du reliquat du loyer sans avoir à saisir une autre juridiction, et en l'occurrence le juge des référés afin d'obtenir la condamnation de la société Monoprix Exploitation à lui verser une provision à valoir sur l'arriéré locatif qui reste dû après la fixation du loyer par la cour d'appel de céans.
Si la société Foch fonde sa demande devant le juge des référés sur l'obligation non sérieusement contestable tiré de l'article 835 alinéa 2 du code de procédure civile, tandis qu'elle se prévalait des dispositions du code de commerce devant le juge chargé de fixer les loyers commerciaux, il n'en demeure pas moins que la seule différence de fondement juridique entre des demandes ayant le même objet est insuffisante à écarter la fin de non-recevoir tirée de l'autorité de la chose jugée.
La volonté de la société Foch de faire exécuter, par la voie du référé, l'arrêt du 21 janvier 2021, est d'autant plus vrai qu'il appert que cette dernière soutient que l'obligation de la société Monoprix Exploitation de régler la provision sollicitée ainsi que les intérêts ne se heurte à aucune contestation sérieuse en l'état de cette décision.
Dans ces conditions, la demande de provision sollicitée par la société Foch dans le cadre de la présente procédure de référé se heurte à la force de chose jugée de l'arrêt du 21 janvier 2021 rendu par la cour de céans, en ce que cet arrêt a été rendu entre les mêmes parties, sur la même cause et sur le même objet.
La demande de provision sollicitée par la société Foch doit donc être délarée irrecevable en raison de l'autorité de la chose jugée de l'arrêt, en date du 21 janvier 2021, de la cour d'appel d'Aix-en-Provence.
Il y a donc lieu d'infirmer l'ordonnance entreprise de ce chef.
Sur l'application de l'étalement des loyers sollicitée par la société Monoprix Exploitation
Par application de l'article 835 alinéa 2 du code de procédure civile, dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, le président du tribunal judiciaire ou le juge du contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.
Ils ne peuvent donc accorder qu'une provision au créancier, à l'exclusion du prononcé de toute condamnation définitive.
Il appartient au demandeur d'établir l'existence de l'obligation qui fonde sa demande de provision tant en son principe qu'en son montant et la condamnation provisionnelle, que peut prononcer le juge des référés sans excéder ses pouvoirs, n'a d'autre limite que le montant non sérieusement contestable de la créance alléguée.
Une contestation sérieuse survient lorsque l'un des moyens de défense opposé aux prétentions du demandeur n'apparaît pas immédiatement vain et laisse subsister un doute sur le sens de la décision au fond qui pourrait éventuellement intervenir par la suite sur ce point si les parties entendaient saisir les juges du fond.
C'est au moment où la cour statue qu'elle doit apprécier l'existence d'une contestation sérieuse, le litige n'étant pas figé par les positions initiale ou antérieures des parties dans l'articulation de ce moyen.
L' article L 145-34 du code de commerce énonce qu'à moins d'une modification notable des éléments mentionnés aux 1° à 4° de l'article L. 145-33, le taux de variation du loyer applicable lors de la prise d'effet du bail à renouveler, si sa durée n'est pas supérieure à neuf ans, ne peut excéder la variation, intervenue depuis la fixation initiale du loyer du bail expiré, de l'indice trimestriel des loyers commerciaux ou de l'indice trimestriel des loyers des activités tertiaires mentionnés aux premier et deuxième alinéas de l'article L. 112-2 du code monétaire et financier, publiés par l'Institut national de la statistique et des études économiques. A défaut de clause contractuelle fixant le trimestre de référence de cet indice, il y a lieu de prendre en compte la variation de l'indice trimestriel des loyers commerciaux ou de l'indice trimestriel des loyers des activités tertiaires, calculée sur la période de neuf ans antérieure au dernier indice publié.
En cas de renouvellement postérieur à la date initialement prévue d'expiration du bail, cette variation est calculée à partir du dernier indice publié, pour une période d'une durée égale à celle qui s'est écoulée entre la date initiale du bail et la date de son renouvellement effectif.
Les dispositions de l'alinéa précédent ne sont plus applicables lorsque, par l'effet d'une tacite prolongation, la durée du bail excède douze ans.
En cas de modification notable des éléments mentionnés aux 1° à 4° de l'article L. 145-33 ou s'il est fait exception aux règles de plafonnement par suite d'une clause du contrat relative à la durée du bail, la variation de loyer qui en découle ne peut conduire à des augmentations supérieures, pour une année, à 10 % du loyer acquitté au cours de l'année précédente.
En l'espèce, le fait même pour la société Monoprix Exploitation de se prévaloir, dans le cadre de la procédure de référé, à titre principal, d'un moyen de défense rendant son obligation sérieusement contestable tenant, selon elle, à son droit de solliciter l'application des dispositions de l'article L 145-34 dernier alinéa du code de commerce et, à titre subsidiaire, de son droit de solliciter un étalement de l'augmentation résultant de la fixation du bail renouvelé à la valeur locative dans le cadre d'un déplafonnement, à raison de 10 % par an, ne se heurte pas au principe de la concentration des moyens de défense en l'état de la jurisprudence.
En effet, outre le fait que la troisième chambre civile de la Cour de cassation a, dans un avis du 9 mars 2018, considéré qu'il n'entrait pas dans l'office du juge des loyers commerciaux, mais dans celui des parties, d'arrêter l'échéancier du lissage des loyers qui seront exigibles durant la période au cours de laquelle s'applique l'étalement de la hausse du loyer instauré par le dernier alinéa de l'article L 145-34 du code de commerce, la même chambre va, par arrêt du 25 janvier 2023 (n° 21-21.943), juger que le dispositif résultant de cet alinéa étant distinct celui de la fixation du loyer, il n'entre pas dans l'office du juge des loyers commerciaux de statuer sur son application.
Si les parties s'accordent sur le montant de l'arriéré locatif restant dû par la société Monoprix Exploitation à hauteur de 1 892 263,66 euros, il reste qu'il résulte de la lecture même de l'article L 145-34 du code de commerce susvisé que le dispositif prévu en cas de déplafonnement du loyer ne s'applique que dans le cas d'une modification notable des quatre premiers éléments composant la valeur locative ou lorsque la durée du bail est contractuellement supérieur à 9 ans, et non aux baux de 9 ans qui se sont poursuivis, par l'effet de la tacite prolongation, pendant plus de 12 ans, bien que se trouvant, de ce fait, soumis au déplafonnement, ce qui est le cas en la cause.
L'application du dispositif revendiqué par la société Monoprix Exploitation se heurte donc à une contestation sérieuse.
Il y a donc lieu de débouter la société Monoprix Exploitation de ses demandes formées de ce chef.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
Etant donné que la demande principale formée par la société Foch est déclarée irrecevable en cause d'appel, il y a lieu d'infirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a condamné la société Monoprix Exploitation aux dépens de première instance et à verser la somme de 1 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
L'irrecevabilité s'expliquant par la force de chose jugée d'une décision qui est intervenue avant la procédure de référé initiée par la société Foch, il y a lieu de la condamner aux dépens de première instance et d'appel, avec distraction au profit de Me Jérôme Latil, avocat aux offres de droit, en application de l'article 699 du code de procédure civile.
En revanche, l'équité et la situation économique respective des parties ne commandent pas de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en faveur de l'une ou de l'autre des parties, de sorte qu'elles seront déboutées de leurs demandes formulées de ce chef.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Infirme l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau et y ajoutant ;
Déclare irrecevables en raison de la force de chose jugée de l'arrêt, en date du 21 janvier 2021, rendu par la cour d'appel d'Aix-en-Provence, les demandes formulées par la SCI Foch et la SAS Monoprix Exploitation ;
Déboute la SAS Monoprix Exploitation de ses demandes de se voir appliquer les dispositions de l'article L 145-34 dernier alinéa du code de commerce ;
Déboute la SCI Foch de sa demande formulée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en première instance et en appel non compris dans les dépens ;
Déboute la SAS Monoprix Exploitation de sa demande formulée sur le même fondement ;
Condamne la SCI Foch aux dépens de première instance et d'appel, avec distraction au profit de Me Jérôme Latil, avocat aux offres de droit, en application de l'article 699 du code de procédure civile.
La greffère Le président
Chambre 1-2
ARRÊT
DU 14 SEPTEMBRE 2023
N° 2023/ 543
Rôle N° RG 22/08073 - N° Portalis DBVB-V-B7G-BJQPP
SAS MONOPRIX EXPLOITATION
C/
S.C.I. FOCH
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me Emmanuelle PLAN
Me Jean-Michel OLLIER
Décision déférée à la Cour :
Ordonnance de référé rendue par le Président du Tribunal Judiciaire de NICE en date du 19 mai 2022 enregistrée au répertoire général sous le n° 21/01764.
APPELANTE
SAS MONOPRIX EXPLOITATION
Prise en la personne de son représentant légal en exercice
dont le siège social est situé [Adresse 3] - [Localité 8]
représentée par Me Emmanuelle PLAN de la SELARL SOLUTIO AVOCATS, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
et assistée de Me Jacques BISTAGNE, avocat au barreau de MARSEILLE
INTIMEE
S.C.I. FOCH
dont le siège social est situé [Adresse 2] - [Localité 1]
représentée par la société GESTIPAR dont le siège social est situé [Adresse 7] -[Localité 1]
représentée par Me Jean-Michel OLLIER de l'AARPI OLLIER JEAN MICHEL & ASSOCIES, avocat au barreau de MARSEILLE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 13 juin 2023 en audience publique devant la cour composée de :
M. Gilles PACAUD, Président
Mme Angélique NETO, Conseillère rapporteur
Madame Myriam GINOUX, Conseillère
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme Julie DESHAYE.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 14 septembre 2023.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 14 septembre 2023,
Signé par M. Gilles PACAUD, Président et Mme Julie DESHAYE, greffière auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSE DU LITIGE
Par acte sous seing privé en date du 6 mars 1998, la Société d'Exploitation et de Gestion Industrielle et Commerciale (la SEGIC) a consenti à la société Prisunic Exploitation un bail commercial portant sur un local s'étendant sur quatre niveaux dépendant de l'immeuble situé [Adresse 6], [Adresse 4] et [Adresse 5] à [Localité 9], pour une durée de 9 années à effet au 16 mars 1997 pour se terminer le 15 mars 2006.
Par un avenant en date du 8 octobre 2001, la société civile immobilière (SCI) Foch, venant aux droits de la SEGIC, a consenti, au profit de la société par actions simplifiée (SAS) Monoprix Exploitation, venant aux droits de la société Prisunic Exploitation, le renouvellement du bail pour une durée de 9 années à compter du 1er octobre 2001 pour se terminer le 30 septembre 2010. Les parties ont convenu, aux termes de cet avenant, une clause d'échelle mobile sur la base de l'indice trimestriel du coût de la construction.
A défaut de congé donné avant son expiration, le bail s'est prorogé par tacite prolongation au-delà de douze années.
Par acte en date du 17 janvier 2014, la société Foch a délivré à la société Monoprix Exploitation un congé avec offre de renouvellement à effet au 30 septembre 2014 en contrepartie de la fixation du loyer à la somme de 2 900 000 euros par an hors taxes et hors charges.
Face aux contestations du preneur concernant le montant du loyer, une procédure en fixation du loyer du bail renouvelé a été initiée par la société Foch.
Par jugement en date du 4 février 2015, le juge des loyers commerciaux du tribunal de grande instance de Nice a constaté l'accord des parties sur le principe du renouvellement du bail pour un durée de 9 années à compter du 1er octobre 2014, constaté que le bail renouvelé au 1er octobre 2001 s'est poursuivi tacitement au-delà de sa date d'échéance contractuelle du 30 septembre 2010 et a atteint une durée supérieure à 12 ans et dit en conséquence que le loyer du bail renouvelé n'est pas soumis à plafonnement et doit être fixé à la valeur locative au 1er octobre 2014.
Par jugement en date du 5 avril 2017, le loyer a été fixé à la somme de 1 312 916 euros par an.
La société Foch a interjeté appel de cette décision.
La société Monoprix Exploitation a réglé le différentiel de loyer issu de la fixation du loyer à la hausse.
Par arrêt en date du 21 janvier 2021, la cour d'appel d'Aix-en-provence a infirmé le jugement du 5 avril 2017 en ce qui concerne le montant du loyer. Elle a fixé le loyer du bail renouvelé à la somme de 1 693 435 euros par an, hors charges et hors taxes, correspondant à la valeur locative, à compter du 1er octobre 2014, dit que la surface utile pondérée des locaux soumis au bail est de 3241,33 m2 et dit que la société Monoprix Exploitation sera tenue au paiement des intérêts légaux sur l'arriéré locatif depuis le 19 novembre 2014.
Cet arrêt n'a pas fait l'objet de pourvoi en cassation.
La société Foch a sollicité de la société Monoprix Exploitation le paiement de la somme de 3 054 245,59 euros correspondant au solde du différentiel entre les loyers dus, tel que le loyer a été fixé par la cour de céans, et les loyers réglés depuis le 1er octobre 2014, date du renouvellement du bail.
La société Monoprix Exploitation a réglé la somme de 1 351 588,54 euros le 1er juin 2021.
Se prévalant d'un solde de loyers restant dû de 1 892 263,66 euros, en ce compris la régularisation du dépôt de garantie liée à l'augmentation du loyer pour un montant de 189 606,61 euros, la société Foch a fait assigner, par acte d'huissier en date du 5 octobre 2021, la société Monoprix Exploitation devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Nice aux fins de la voir condamner à lui verser ladite somme à titre provisionnel, outre les intérêts de droit à compter du 19 novembre 2014.
Par ordonnance en date du 19 mai 2022, ce magistrat a :
- condamné la société Monoprix Exploitation à payer à la SCI Foch la somme de 1 892 263,66 euros au titre du solde des loyers depuis le 1er octobre 2014 et jusqu'au 23 septembre 2021, outre les intérêts au taux légal sur l'arriéré locatif depuis le 19 novembre 2014 ;
- condamné la société Monoprix Exploitation à payer à la SCI Foch la somme de 1 200 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné la société Monoprix Exploitation aux dépens.
Ce magistrat a estimé que l'obligation de la société Monoprix Exploitation de régler la somme réclamée ne se heurtait à aucune contestation sérieuse au regard des termes de l'arrêt de la cour d'appel de céans en date du 21 janvier 2021 et du fait que le bail liant les parties a été prolongé pendant une durée supérieure à douze ans, de sorte que les dispositions de l'article L 145-34 du code de commerce ne s'appliquaient pas, tel que cela était clairement dit à l'alinéa 3. Par ailleurs, il a souligné que le montant sollicité n'était pas discuté.
Suivant déclaration transmise au greffe le 2 juin 2022, la société Monoprix Exploitation a interjeté appel de cette décision en toutes ses dispositions dûment reprises.
Aux termes de ses dernières conclusions transmises le 26 mai 2023, auxquelles il convient de se référer pour un exposé plus ample des prétentions et moyens, elle sollicite de la cour qu'elle infirme l'ordonnance entreprise et qu'elle :
- dise et juge que les conséquences néfastes d'une hausse brutale du loyer et donc la justification du lissage voulu par la loi Pinel sont les mêmes dans tous les cas de déplafonnement ;
- dise et juge que cette question mérite d'être tranchée par les juges du fond et en particulier par la Cour de cassation ;
- dise et juge qu'il y a donc une contestation sérieuse faisant obstacle à ce qu'une ordonnance de référé écarte les conséquences du lissage en pareille hypothèse ;
- dise et juge qu'il y a une contestation sérieuse sur le montant des sommes réclamées par la société Foch ;
- dise et juge, qu'en l'état des contestations sérieuses soulevées, il convient de rejeter la demande de la société Foch ;
- à défaut, dise et juge que le plafonnement du déplafonnement, lissage, s'applique en vertu du dernier paragraphe de l'article L145-34 du code de commerce et de l'article L 145-33 du même code dans les éléments mentionnés au premier à quatrième de cet article ;
- dise et juge que le loyer fixé par la cour ne peut conduire à une augmentation de 10% par an ;
- rejette l'appel incident formé par la société Foch ;.
- la condamne à lui verser la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
-l a condamne aux entiers dépens de première instance et d'appel, par application de l'article 696 du même code, distraits au profit de Maître Jérôme Latil, avocat qui y a pourvu sous son affirmation de droit.
Elle se prévaut de contestations sérieuses à son obligation de régler la somme sollicitée par la bailleresse. Elle estime pouvoir prétendre à l'application du lissage énoncé par l'article L 145-34 dernier alinéa du code de commerce. Si elle reconnaît qu'il résulte de la lecture de cet article que le lissage ne s'applique pas aux baux qui ont été prolongés, par tacite reconduction, pour une durée allant au-delà de 12 ans, mais uniquement, selon le dernier alinéa, dans les hypothèses d'une modification notable des éléments mentionnés aux 1° à 4° de l'article L 145-33 ou s'il est fait exception aux règles de plafonnement par suite d'une clause du contrat relative à la durée du bail, elle n'en comprend pas les raisons dès lors que le lissage a été prévu uniquement pour éviter que le loyer de renouvellement d'un bail commercial connaisse une hausse importante et brutale de nature à compromettre la viabilité des entreprises commerciales et artisanales, et ce, en poursuivant un objectif d'intérêt général.
Elle considère que l'inapplicabilité du lissage en cas de prorogation tacite au-delà de 12 ans résulte d'un oubli du législateur dès lors qu'elle ne repose sur aucun fondement rationnel. Elle relève que, même dans le cas d'un bail prorogé au-delà de 12 ans, les règles du plafonnement se sont appliquées pendant les 12 premières années du bail, de sorte qu'il s'agit d'une hypothèse de déplafonnement pour prorogation tacite au même titre que celles visées par le dernier alinéa, outre le fait que rien ne justifie que l'objectif d'intérêt général qui a été poursuivi, rappelé par le conseil constitutionnel, soit arbitraiement écarté dans ce cas. Elle expose que, si le juge doit respecter les choix délibérés du législateur, il doit également s'efforcer d'interpréter la loi de façon cohérente et réparer les 'malfaçons législatives'.
Elle fait valoir que, si l'étalement de l'augmentation du loyer en cas de déplafonnement ne s'applique pas si le bail renouvelé a été conclu pour une durée de 9 ans et qu'il s'est prolongé tacitement au-delà de 12 ans, tel que l'a indiqué la Cour de cassation, dans un avis du 9 mars 2018, le preneur qui, même s'il se trouve dans cette situation, démontre l'existence d'une modification notable de l'une des quatre premières composantes de la valeur locative visées à l'article L 145-33 du code de commerce, est en droit de solliciter que ce motif de déplafonnemment prévale sur celui tiré de la durée du bail. Elle souligne que, tel est le cas en ce qui la concerne, dès lors que la cour d'appel de céans a, dans son arrêt du 21 janvier 2021, déterminé la valeur locative du local selon les caractéristiques du local, la destination ds lieux, les obligations respectives des parties et les facteurs locaux de commercialité.
Elle considère que, tant que la Cour de cassation, n'a pas tranché ces questions, la demande de l'intimée se heurte à des contestations sérieuses.
Enfin, elle discute le montant des sommes sollicitées en l'absence de justificatif portant sur les retards de paiement des loyers et en l'état de paiements qui ont été effectués. Elle discute également les intérêts réclamés dès lors qu'ils n'ont plus à être réclamés depuis 2019, date à laquelle elle a régularisé le montant du loyer fixé par l'arrêt de la cour d'appel de céans du 21 janvier 2021.
Aux termes de ses dernières conclusions transmises le 5 juillet 2022, auxquelles il convient de se référer pour un exposé plus ample des prétentions et moyens, la société Foch sollicite de la cour qu'elle :
- confirme l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ;
- condamne la société Monoprix Exploitation à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- la condamne aux dépens.
Elle expose que l'obligation du preneur de régler la somme sollicitée ne se heurte à aucune contestation sérieuse. Elle soutient que les dispositions de l'article L 145-34 du code de commerce ne s'appliquent pas, tel que cela résulte expréssement de l'alinéa 3, dans le cas où le bail a été prolongé pendant une période supérieure à douze ans par l'effet d'une tacite reconduction. Elle considère dès lors que l'alinéa 4, qui prévoit un lissage de l'augmentation du loyer à hauteur de 10 % par an selon le principe du plafonnement du déplafonnement, n'est pas applicable. Elle fait observer que le déplafonnement du loyer renouvelé est exclusivement la conséquence d'une tacite prolongation ayant abouti à ce que la durée du bail excède 12 ans, de sorte que ce déplafonnement ne résulte ni d'une modification notable des éléments mentionnés aux 1° à 4° de l'article L 145-33 du code de commerce, ni de l'application d'une clause du bail relative à sa durée.
Elle souligne que le preneur, qui a réglé le différentiel issu de la fixation du loyer du bail renouvelé par jugement du tribunal de grande instance de Nice du 5 avril 2017, n'a jamais sollicité l'application du lissage de l'augmentation dans le cadre de la procédure en fixation des loyers.
Elle expose que le montant sollicité, qui correspond au différentiel entre le loyer fixé par la cour de céans et celui qui a été réglé, n'est pas sérieusement contestable. Il en de même des intérêts qui résultent également de l'arrêt de la cour d'appel de céans.
La clôture de l'instruction de l'affaire a été prononcéele 30 mai 2023.
Par soit-transmis en date du 15 juin 2023, la cour informe les parties qu'elle se pose la question de la recevabilité de la demande de la société Foch tendant à la condamnation de la société Monoprix Exploitation à lui verser une provision, outre des intérêts, et du moyen de défense et/ou de la demande subsidiaire tiré du droit de solliciter un étalement de l'augmentation du loyer déplafonné, au regard du principe de concentration des moyens, posé par la jurisprudence dite 'Césareo' (Cass. Ass. plén., 7 juillet 2006, n° 04-10.672 ; Cour de cassation, 2e chambre civile, 27 février 2020-n° 18-23.972) et de la force de chose jugée attachée à l'arrêt, en date du 21 janvier 2021, de la cour d'appel d'Aix-en-Provence. S'agissant d'une irrecevabilité susceptible d'être soulevée d'office par la cour, les parties ont été invitées à transmettre leurs observations avant le lundi 26 juin 2023 minuit.
Par une note en délibéré transmise le 22 juin 2023, la société Monoprix Exploitation s'interroge sur le point de savoir si le juge des référés, en accordant une provision pour l'exécution d'un titre exécutoire, n'empiète pas sur la compétence exclusive du juge de l'exécution, lequel connaît, en application de l'article L 213-6 du code de l'organisation judiciaire, de manière exclusive, des difficultés relatives aux titres exécutoires et des contestations qui s'élèvent à l'occasion de l'exécution forcée, mêmes si elles portent sur le fond du droit. Elle estime que cette difficulté constitue une contestations sérieuse à la demande de provision sollicitée. Par ailleurs, elle indique qu'il résulte de la jurisprudence qu'il n'entre pas dans l'office du juge des loyers commerciaux, mais dans celui des parties, d'arrêter l'échéancier des loyers qui seront exigibles durant la période au cours de laquelle s'applique l'étalement de la hausse du loyer instauré par l'article L 145-34 du code de commerce (avis du 9 mars 2018 de la troisième chambre civile de la Cour de cassation), pas plus que de statuer sur son application (Civ. 3, 25 janvier 2023), de sorte qu'elle soutient qu'elle ne pouvait demander au juge des loyers un étalement de la hausse. Elle souligne qu'il s'agit là d'une difficulté sérieuse devant être tranchée par le juge de l'exécution.
Par une note en délibéré transmise le 23 juin 2023, la société Foch relève que la cour d'appel, statuant comme juge d'appel des loyers commerciaux, n'a pas prononcé de condamnation à l'encontre de la locataire au titre de l'arriéré de loyers, dès lors que le juge des loyers commerciaux a une compétence limitée à la fixation du bail révisé ou renouvelé. Elle se prévaut d'un arrêt de la Cour de cassation, en date du 11 mai 2022, aux termes duquel la compétence du juge des loyers qui lui permet, après avoir fixé le prix du bail révisé ou renouvelé, d'arrêter le compte que les parties sont obligées de faire est exclusive du prononcé d'une condamnation. Elle relève que, dès lors que le locataire se refuse à exécuter spontanément la décision qui fixe le loyer, elle est contrainte de solliciter un titre exécutoire lui permettant de recouvrer les arriérés de loyers et intérêts. Elle souligne, qu'en pratique, aucun huissier n'accepte de pratiquer des mesures de recouvrement forcées sur une décision qui n'entre pas en voie de condamnation à l'encontre du débiteur. Dans le cas où la cour souleverait d'office le moyen d'irrecevabilité tirée de l'autorité de la chose jugée ou du principe de concentration des moyens, elle demande à ce qu'il soit précisé, dans son dispositif, que l'arrêt du 21 janvier 2021 fixant le loyer lui permet de pratiquer toutes les mesures d'exécution et de saisie liées à la fixation du loyer. Enfin, compte tenu de la complexité du point soulevé par la cour et des enjeux en cause, elle lui demande de bien vouloir envisager une réouverture des débats.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la fin de non-recevoir tirée de l'autorité de la chose jugée de la demande de provision sollicitée par la société Foch
Selon l'article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.
L'article 125 alinéa 2 du même code énonce que le juge peut relever d'office la fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt, du défaut de qualité ou de la chose jugée.
Aux termes de l'article 480 du même code, le jugement qui tranche dans son dispositif tout ou partie du principal, ou celui qui statue sur une exception de procédure, une fin de non-recevoir ou tout autre incident a, dès son prononcé, l'autorité de la chose jugée relativement à la contestation qu'il tranche. Le principal s'entend de l'objet du litige tel qu'il est déterminé par l'article 4.
Il résulte des articles 500 et 501 du même code qu'a force de chose jugée une décision qui n'est susceptible d'aucun recours suspensif d'exécution. Le jugement susceptible d'un tel recours acquiert la même force à l'expiration du délai du recours si ce dernier n'a pas été exercé dans le délai.
L'article 1355 du code civil énonce que l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formées par elles et contre elles en la même qualité.
L'exigence d'une identité de cause induit un principe de concentration des moyens en vertu duquel le demandeur doit présenter dès l'instance initiale tous les moyens utiles, à défaut de quoi, toute nouvelle demande fondée sur des arguments différents se heurterait à une fin de non-recevoir tirée de l'autorité de la chose jugée.
En l'espèce, il résulte des pièces de la procédure que, par arrêt en date du 21 janvier 2021, la cour d'appel d'Aix-en-Provence a :
- infirmé le jugement entrepris en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a :
* dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile ;
* condamné la SCI Foch aux dépens de l'instance, y compris les frais d'expertise judiciaire ;
- statuant à nouveau et y ajoutant ;
* fixé le loyer du bail renouvelé liant la SCI Foch et la SAS Monoprix Exploitation et portant sur des locaux situés [Adresse 6], [Adresse 4] et [Adresse 5] à [Localité 9] (06) à l'enseigne Monoprix, à la somme de 1 693 435 euros par an, hors charges et hors taxes, correspondant à la valeur locative, et ce à compter du 1er octobre 2014 ;
* dit que la surface utile pondérée des locaux soumis à ce bail est de 3 241,32 m2 ;
* dit que la SAS Monoprix Exploitation sera tenue au paiement des intérêts légaux sur l'arriéré locatif depuis le 19 novembre 2014 ;
* débouté les parties du surplus de leurs demandes ;
* condamné la SCI Foch aux dépens qui seront distraits au profit de Maître Jacques Bistagne, avocat, en application de l'article 699 du code de procédure civile.
Il est acquis que cette décision, qui a été signifiée par acte d'huissier à la société Monoprix Exploitation, le 18 février 2021, n'a fait l'objet d'aucun pourvoi en cassation, de sorte qu'elle a acquis force de chose jugée.
Il n'est pas contestable que cet arrêt a été rendue entre les mêmes parties, sur la même cause et sur le même objet que les demandes formulées dans le cadre de la procédure de référé.
En effet, alors même que la société Foch sollicitait de la cour de fixer le montant du loyer du bail renouvelé à une somme supérieure à celle retenue par le premier juge, demande à laquelle la cour fera droit, bien que retenant une somme inférieure à celle revendiquée, soit un différentiel de loyer dû par la société Monoprix Exploitation d'un montant de 3 054 245,59 euros depuis le 1er octobre 2014, elle a saisi le juge des référés tendant à obtenir la condamnation de la société Monoprix Exploitation à lui verser, à titre provisionnel, le solde restant dû de 1 892 263,66 euros, après déduction de la somme de 1 351 588,54 euros réglée le 1er juin 2021 et ajout de la somme de 189 606,61 euros correspondant au différentiel du dépôt de garantie dû (soit 3 054 245,59 euros - 1 351 588,54 euros + 189 606,61 euros), outre les intérêts au taux légal sur l'arriéré locatif depuis le 19 novembre 2014.
En sollicitant la condamnation de la société Monoprix Exploitation à lui verser la somme revendiquée, à titre provisionnel, à valoir sur le différentiel entre les loyers, tels que fixés par la cour, dans son arrêt du 21 janvier 2021, et les loyers réglés depuis le 1er octobre 2014, date du renouvellement du bail, la société Foch entend faire exécuter, par la voie du référé, ledit arrêt.
Or, le fait pour la troisième chambre civile de la Cour de cassation d'avoir jugé, dans un arrêt du 11 mai 2022 (n° 20-21.651), que la compétence du juge des loyers qui lui permet, après avoir fixé le prix du bail révisé ou renouvelé, d'arrêter le compte que les parties sont obligées de faire est exclusive du prononcé d'une condamnation, en application de l'article R 145-23 du code de commerce, ne remet pas en cause sa juriprudence selon laquelle le jugement de fixation des loyers permet au preneur de faire pratiquer une saisie-attribution (Civ. 3e, 6 oct. 2016, n° 15-12.606). Autrement dit, même si la décision du juge des loyers ne condamne pas le bailleur à restituer le trop-perçu, dans le cas où le nouveau loyer est inférieur au loyer antérieur, ou le locataire à régler l'arriéré de loyers restant dû, dans le cas où le montant du nouveau loyer est plus important, elle constitue bien un titre exécutoire conforme aux dispositions des articles L 111-2, L 111-3 et L 111-6 du code des procédures d'exécution en vertu duquel le preneur peut faire procéder à des actes d'exécution forcée. Il s'agit en effet d'une décision d'une juridiction de l'ordre judiciaire ayant force exécutoire (article L 111-3), constatant une créance liquide et exigible (article L 111-2), la créance étant liquide lorsqu'elle est évaluée en argent ou que le titre contient tous les éléments permettant son évaluation (article L 111-6).
Il en résulte que la demande en paiement faite par la société Foch, à titre provisionnel, devant le juge des référés et la cour de céans, saisie en référé, a le même objet que celle qui a été faite devant le juge chargé de fixer les loyers commerciaux et la cour de céans ayant conduit à l'arrêt susvisé, dès lors que, même si le juge des loyers ne condamne pas le locataire, le jugement fixant le loyer permet à la société Foch d'être réglée du reliquat du loyer sans avoir à saisir une autre juridiction, et en l'occurrence le juge des référés afin d'obtenir la condamnation de la société Monoprix Exploitation à lui verser une provision à valoir sur l'arriéré locatif qui reste dû après la fixation du loyer par la cour d'appel de céans.
Si la société Foch fonde sa demande devant le juge des référés sur l'obligation non sérieusement contestable tiré de l'article 835 alinéa 2 du code de procédure civile, tandis qu'elle se prévalait des dispositions du code de commerce devant le juge chargé de fixer les loyers commerciaux, il n'en demeure pas moins que la seule différence de fondement juridique entre des demandes ayant le même objet est insuffisante à écarter la fin de non-recevoir tirée de l'autorité de la chose jugée.
La volonté de la société Foch de faire exécuter, par la voie du référé, l'arrêt du 21 janvier 2021, est d'autant plus vrai qu'il appert que cette dernière soutient que l'obligation de la société Monoprix Exploitation de régler la provision sollicitée ainsi que les intérêts ne se heurte à aucune contestation sérieuse en l'état de cette décision.
Dans ces conditions, la demande de provision sollicitée par la société Foch dans le cadre de la présente procédure de référé se heurte à la force de chose jugée de l'arrêt du 21 janvier 2021 rendu par la cour de céans, en ce que cet arrêt a été rendu entre les mêmes parties, sur la même cause et sur le même objet.
La demande de provision sollicitée par la société Foch doit donc être délarée irrecevable en raison de l'autorité de la chose jugée de l'arrêt, en date du 21 janvier 2021, de la cour d'appel d'Aix-en-Provence.
Il y a donc lieu d'infirmer l'ordonnance entreprise de ce chef.
Sur l'application de l'étalement des loyers sollicitée par la société Monoprix Exploitation
Par application de l'article 835 alinéa 2 du code de procédure civile, dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, le président du tribunal judiciaire ou le juge du contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.
Ils ne peuvent donc accorder qu'une provision au créancier, à l'exclusion du prononcé de toute condamnation définitive.
Il appartient au demandeur d'établir l'existence de l'obligation qui fonde sa demande de provision tant en son principe qu'en son montant et la condamnation provisionnelle, que peut prononcer le juge des référés sans excéder ses pouvoirs, n'a d'autre limite que le montant non sérieusement contestable de la créance alléguée.
Une contestation sérieuse survient lorsque l'un des moyens de défense opposé aux prétentions du demandeur n'apparaît pas immédiatement vain et laisse subsister un doute sur le sens de la décision au fond qui pourrait éventuellement intervenir par la suite sur ce point si les parties entendaient saisir les juges du fond.
C'est au moment où la cour statue qu'elle doit apprécier l'existence d'une contestation sérieuse, le litige n'étant pas figé par les positions initiale ou antérieures des parties dans l'articulation de ce moyen.
L' article L 145-34 du code de commerce énonce qu'à moins d'une modification notable des éléments mentionnés aux 1° à 4° de l'article L. 145-33, le taux de variation du loyer applicable lors de la prise d'effet du bail à renouveler, si sa durée n'est pas supérieure à neuf ans, ne peut excéder la variation, intervenue depuis la fixation initiale du loyer du bail expiré, de l'indice trimestriel des loyers commerciaux ou de l'indice trimestriel des loyers des activités tertiaires mentionnés aux premier et deuxième alinéas de l'article L. 112-2 du code monétaire et financier, publiés par l'Institut national de la statistique et des études économiques. A défaut de clause contractuelle fixant le trimestre de référence de cet indice, il y a lieu de prendre en compte la variation de l'indice trimestriel des loyers commerciaux ou de l'indice trimestriel des loyers des activités tertiaires, calculée sur la période de neuf ans antérieure au dernier indice publié.
En cas de renouvellement postérieur à la date initialement prévue d'expiration du bail, cette variation est calculée à partir du dernier indice publié, pour une période d'une durée égale à celle qui s'est écoulée entre la date initiale du bail et la date de son renouvellement effectif.
Les dispositions de l'alinéa précédent ne sont plus applicables lorsque, par l'effet d'une tacite prolongation, la durée du bail excède douze ans.
En cas de modification notable des éléments mentionnés aux 1° à 4° de l'article L. 145-33 ou s'il est fait exception aux règles de plafonnement par suite d'une clause du contrat relative à la durée du bail, la variation de loyer qui en découle ne peut conduire à des augmentations supérieures, pour une année, à 10 % du loyer acquitté au cours de l'année précédente.
En l'espèce, le fait même pour la société Monoprix Exploitation de se prévaloir, dans le cadre de la procédure de référé, à titre principal, d'un moyen de défense rendant son obligation sérieusement contestable tenant, selon elle, à son droit de solliciter l'application des dispositions de l'article L 145-34 dernier alinéa du code de commerce et, à titre subsidiaire, de son droit de solliciter un étalement de l'augmentation résultant de la fixation du bail renouvelé à la valeur locative dans le cadre d'un déplafonnement, à raison de 10 % par an, ne se heurte pas au principe de la concentration des moyens de défense en l'état de la jurisprudence.
En effet, outre le fait que la troisième chambre civile de la Cour de cassation a, dans un avis du 9 mars 2018, considéré qu'il n'entrait pas dans l'office du juge des loyers commerciaux, mais dans celui des parties, d'arrêter l'échéancier du lissage des loyers qui seront exigibles durant la période au cours de laquelle s'applique l'étalement de la hausse du loyer instauré par le dernier alinéa de l'article L 145-34 du code de commerce, la même chambre va, par arrêt du 25 janvier 2023 (n° 21-21.943), juger que le dispositif résultant de cet alinéa étant distinct celui de la fixation du loyer, il n'entre pas dans l'office du juge des loyers commerciaux de statuer sur son application.
Si les parties s'accordent sur le montant de l'arriéré locatif restant dû par la société Monoprix Exploitation à hauteur de 1 892 263,66 euros, il reste qu'il résulte de la lecture même de l'article L 145-34 du code de commerce susvisé que le dispositif prévu en cas de déplafonnement du loyer ne s'applique que dans le cas d'une modification notable des quatre premiers éléments composant la valeur locative ou lorsque la durée du bail est contractuellement supérieur à 9 ans, et non aux baux de 9 ans qui se sont poursuivis, par l'effet de la tacite prolongation, pendant plus de 12 ans, bien que se trouvant, de ce fait, soumis au déplafonnement, ce qui est le cas en la cause.
L'application du dispositif revendiqué par la société Monoprix Exploitation se heurte donc à une contestation sérieuse.
Il y a donc lieu de débouter la société Monoprix Exploitation de ses demandes formées de ce chef.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
Etant donné que la demande principale formée par la société Foch est déclarée irrecevable en cause d'appel, il y a lieu d'infirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a condamné la société Monoprix Exploitation aux dépens de première instance et à verser la somme de 1 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
L'irrecevabilité s'expliquant par la force de chose jugée d'une décision qui est intervenue avant la procédure de référé initiée par la société Foch, il y a lieu de la condamner aux dépens de première instance et d'appel, avec distraction au profit de Me Jérôme Latil, avocat aux offres de droit, en application de l'article 699 du code de procédure civile.
En revanche, l'équité et la situation économique respective des parties ne commandent pas de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en faveur de l'une ou de l'autre des parties, de sorte qu'elles seront déboutées de leurs demandes formulées de ce chef.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Infirme l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau et y ajoutant ;
Déclare irrecevables en raison de la force de chose jugée de l'arrêt, en date du 21 janvier 2021, rendu par la cour d'appel d'Aix-en-Provence, les demandes formulées par la SCI Foch et la SAS Monoprix Exploitation ;
Déboute la SAS Monoprix Exploitation de ses demandes de se voir appliquer les dispositions de l'article L 145-34 dernier alinéa du code de commerce ;
Déboute la SCI Foch de sa demande formulée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en première instance et en appel non compris dans les dépens ;
Déboute la SAS Monoprix Exploitation de sa demande formulée sur le même fondement ;
Condamne la SCI Foch aux dépens de première instance et d'appel, avec distraction au profit de Me Jérôme Latil, avocat aux offres de droit, en application de l'article 699 du code de procédure civile.
La greffère Le président