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Décisions

CA Versailles, 1re ch. sect. 2, 3 octobre 2023, n° 22/05774

VERSAILLES

Arrêt

Autre

CA Versailles n° 22/05774

3 octobre 2023

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 51B

1re chambre 2e section

ARRET N°

PAR DEFAUT

DU 3 OCTOBRE 2023

N° RG 22/05774 - N° Portalis DBV3-V-B7G-VNGU

AFFAIRE :

S.A. IN'LI

C/

M. [P] [M]

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 07 Juillet 2022 par le Juge des contentieux de la protection de VANVES

N° RG : 11-21-000513

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le : 3/10/23

à :

Me Martine DUPUIS

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE TROIS OCTOBRE DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

S.A. IN'LI à Directoire et Conseil de surveillance

N° SIRET : 602 052 359 R.C.S. Nanterre

Ayant son siège

[Adresse 1]

[Localité 3]

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentant : Maître Martine DUPUIS de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 625 - N° du dossier 2269693 -

Représentant : Maître Sébastien PINOT de la SCP BIGNON LEBRAY & ASSOCIES, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0370

APPELANTE

****************

Madame [P] [M]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Assignée à étude

INTIMEE DEFAILLANTE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 15 Mai 2023 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Isabelle BROGLY, Magistrat honoraire chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Philippe JAVELAS, Président,

Monsieur Jean-Yves PINOY, Conseiller,

Madame Isabelle BROGLY, Magistrat honoraire,

Greffier, lors des débats : Madame Françoise DUCAMIN,

EXPOSE DU LITIGE

La société In'Li est une filiale du groupe Action Logement spécialisée dans le logement intermédiaire dont l'activité consiste à fournir un logement aux ménages qui ne peuvent pas prétendre à un logement social, mais qui ne disposent pas de revenus suffisants pour prétendre à une location du marché libre, ou à l'accession à la propriété.

La société In'Li a mis en place un processus d'attribution des logements qui sont proposés sur la plate-forme en ligne. Les candidats doivent transmettre a minima les documents suivants :

* une attestation d'hébergement,

* les trois derniers bulletins de salaires pour chaque emploi,

* une attestation employeur pour chaque emploi.

Par contrat de location en date du 20 août 2019, Mme [M] s'est vue attribuer le [Adresse 2] sis [Adresse 2] à [Localité 4] à la suite du dépôt de son dossier de candidature sur la plate-forme en ligne mise en place par la société In'Li.

Par acte de commissaire de justice délivré le 13 septembre 2021, la société In'Li a assigné Mme [M] à comparaître devant le juge des contentieux de la protection du tribunal de proximité de Vanves aux fins de voir, sous le bénéfice de l'exécution provisoire :

* prononcer la nullité rétroactive du contrat de location pour dol,

* prononcer l'expulsion sans délai de l'occupant et de tous occupants de son chef du logement situé [Adresse 2] à [Localité 4], avec la restitution du logement en parfait état, * condamner l'occupant jusqu'à la restitution des lieux à payer les charges et à entretenir normalement le logement, et à payer une indemnité d'occupation à compter du 10 septembre 2019 jusqu'à la restitution des lieux d'un montant mensuel de 1 718, 20 euros par mois,

* dire que le dépôt de garantie restera acquis à la société In'Li et prononcer la compensation avec les condamnations prononcées à l'encontre de l'occupant,

* condamner l'occupant au paiement de la somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, outre aux entiers dépens.

Par jugement réputé contradictoire du 7 juillet 2022, le tribunal de proximité de Vanves a :

* débouté la société In'Li de sa demande tendant à voir prononcer la nullité du contrat de bail conclu entre la société In'Li et Mme [M] portant sur le logement situé [Adresse 2] à [Localité 4],

* débouté la société In'Li de ses demandes subséquentes,

* condamné la société In'Li aux entiers dépens,

* rejeté sa demande sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

* rappelé l'exécution provisoire du présent jugement.

Par déclaration reçue au greffe du 16 septembre 2022, la société In'Li a relevé appel de ce jugement. Aux termes de ses conclusions signifiées le 13 décembre 2022, elle demande à la cour :

* d'infirmer en toutes ses dispositions le jugement n°11-21-000513 rendu le 7 juillet 2022 par le Juge des contentieux de la protection près le Tribunal Judiciaire de Vanves,

statuant à nouveau

à titre principal,

* juger que le bail est nul en raison de l'existence d'un dol ayant vicié le consentement de la société In'Li,

* condamner en conséquence Mme [M] à payer à la société In'Li une indemnité d'occupation, à compter 20 août 2019, et jusqu'à la restitution en parfait état du logement d'un montant de 1 803,02 euros par mois, auquel il conviendra d'ajouter les provisions sur charges, les régularisations éventuelles à opérer, ainsi que l'indexation dans les conditions prévues au bail, sous déduction des sommes déjà versées et à titre subsidiaire, d'un montant de 1 270,08 euros par mois, auquel il conviendra d'ajouter les provisions sur charges, les régularisations éventuelles à opérer, ainsi que l'indexation dans les conditions prévues au bail, sous déduction des sommes déjà versées,

* juger que Mme [M] s'est introduite dans le logement par voie de fait et prononcer l'expulsion de l'Occupant et de tous occupant de son chef dudit logement situé [Adresse 2] à [Localité 4],

* juger que les mesures d'expulsion pourront être mises en œuvre sans délai en raison de l'introduction dans le logement par voie de fait conformément à l'article L. 412-1 alinéa 2 du Code des procédures civiles d'exécution, et que le sursis de toute mesure d'expulsion visé à l'article L. 412-6 du même Code n'aura pas lieu de s'appliquer pour la même raison,

* juger que la restitution du logement s'entend de la restitution en parfait état du logement,

* condamner Mme [M] à payer, jusqu'à la restitution des lieux, les charges du logement et à entretenir normalement le logement,

* juger que le dépôt de garantie doit rester acquis à la société In'Li et prononcer la compensation avec les condamnations prononcées à l'encontre de Mme [M],

à titre subsidiaire,

* prononcer la résolution du bail pour erreur déterminante sur les qualités de Mme [M],

* condamner Mme [M] à payer à la société In'Li une indemnité d'occupation, à compter 20 août 2019, et jusqu'à la restitution en parfait état du logement, d'un montant de 1 054,02 euros par mois, auquel il conviendra d'ajouter les provisions sur charges, les régularisations éventuelles à opérer, ainsi que l'indexation dans les conditions prévues au Bail, sous déduction des sommes déjà versées, et à titre subsidiaire, d'un montant de 834,6 euros par mois, auquel il conviendra d'ajouter les provisions sur charges, les régularisations éventuelles à opérer, ainsi que l'indexation dans les conditions prévues au Bail, sous déduction des sommes déjà versées,

* juger que Mme [M] s'est introduite dans le logement par voie de fait et prononcer l'expulsion de l'occupant et de tous occupant de son chef dudit logement situé [Adresse 2] à [Localité 4],

* juger que les mesures d'expulsion pourront être mises en œuvre sans délai en raison de l'introduction dans le logement par voie de fait conformément à l'article L. 412-1 alinéa 2 du code des procédures civiles d'exécution, et que le sursis de toute mesure d'expulsion visé à l'article L. 412-6 du même Code n'aura pas lieu de s'appliquer pour la même raison,

* juger que la restitution du logement s'entend de la restitution en parfait état du logement,

*condamner Mme [M] à payer, jusqu'à la restitution des lieux, les charges du logement et à entretenir normalement le logement,

* juger que le dépôt de garantie doit rester acquis à la société In'Li et prononcer la compensation avec les condamnations prononcées à l'encontre de Mme [M],

en toute hypothèse,

* condamner Mme [M] à verser à la société In'Li, la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et la condamner aux entiers frais et dépens de l'instance.

Mme [M] n'a pas constitué avocat. Par acte d'huissier de justice délivré le 22 décembre 2022, la déclaration d'appel et les conclusions de l'appelant lui ont été signifiées par dépôt à l'étude.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 11 mai 2023.

Conformément à l'article 455 du code de procédure civile, pour plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens soutenus par les parties, la cour se réfère à leurs écritures et à la décision déférée.

MOTIFS DE LA DÉCISION.

Il y a lieu de rappeler à titre liminaire que l'article 472 du code de procédure civile dispose que 'lorsque le défendeur ne comparaît pas, il est néanmoins statué sur le fond ; il n'est alors fait droit à la demande que dans la mesure où elle est régulière, recevable et bien fondée'

Sur l'appel de la société In'Li.

- Sur la demande de nullité du bail pour dol.

La société In'Li reproche au premier juge de l'avoir déboutée de ses demandes au motif que les documents qu'elle produisait n'étaient pas suffisamment lisibles et ne permettaient pas de démontrer le caractère falsifié de l'attestation de l'employeur. Elle prétend qu'il ressort clairement des éléments versés aux débats que son consentement a été donné à l'issue de manoeuvres commises par Mme [M] et/ou par un intermédiaire dont cette dernière ne pouvait ignorer les agissements. Elle conclut que la production par Mme [M] de documents falsifiés a manifestement eu pour effet de vicier son consentement au bail dans la mesure où si ces manoeuvres n'avaient pas été commises, elle ne lui aurait pas attribué le logement, ni a fortiori accepté de conclure le bail litigieux.

Sur ce,

Selon l'article 1128 du code civil, un contrat n'est valablement formé qu'à la condition qu es les parties aient donné leur consentement, aient la capacité pour contracter et que le contrat ait un contenu licite.

En vertu des dispositions de l'article 1130 du code civil, 'l'erreur, le dol et la violence vicient le consentement lorsqu'ils sont de telle nature que, sans eux, l'une des parties n'aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantielles différentes. Le caractère déterminant s'apprécie eu égard aux personne et aux circonstances dans lesquelles le consentement a été donné'.

L'ancien article 1137 du code civil dans sa version en vigueur depuis le 1er octobre 2018, applicable à la présente espèce puisque le bail a été conclu le 20 août 2019, dispose que 'le dol est le fait pour un contractant d'obtenir le consentement de l'autre par des manoeuvres ou des mensonges. Constitue également un dol, la dissimulation intentionnelle par l'un des contractants d'une information dont il sait le caractère déterminant pour l'autre partie'.

L'article 1138 du code civile dans sa version en vigueur depuis le 1er octobre 2016 dispose que 'le dol est également constitué s'il émane du représentant, du gérant d'affaires, préposé ou porte-fort du contractant. Il l'est encore lorsqu'il émane d'un tiers de connivence'.

En l'espèce, la société In'Li a consenti à Mme [M] un contrat de bail le 20 août 2019. Il est expressément mentionné sur la plate-forme en ligne de la bailleresse que tout candidat à la location doit transmettre a minima les documents suivants :

* une attestation d'hébergement,

* les trois derniers bulletins de salaires pour chaque emploi,

* une attestation employeur pour chaque emploi.

En cause d'appel, la société In'Li, à qui incombe la charge de la preuve, établit que l'attestation employeur émanant de la société Démolitions Travaux Publics que Mme [M] a produit dans son dossier de candidature est un faux. Si les anomalies relevées sur cette pièce en première instance par la société In Li, (à savoir l'absence d'identification de son auteur et de signature, et confirmation orale par l'entreprise), n'ont pas réussi à convaincre le premier juge de l'existence d'une falsification, la bailleresse justifie par un courrier du 19 novembre 2002 doublé d'un mail émanant du service de comptabilité de la société Démolition Travaux Publics, que Mme [M] n'a jamais fait partie de leur personnel.

Ainsi, cette pièce essentielle falsifiée portant sur la situation professionnelle de la candidate à la location a-t-elle contribué à l'examen de sa demande d'attribution du logement et par voie de conséquence a-t-elle conduit à la conclusion du contrat de location. Il est évident que sans cette manoeuvre, la société In'Li n'aurait jamais accepté de conclure ce bail avec Mme [M] qui manifestement n'avait aucun emploi et donc aucune ressource pour faire face à ses obligations locatives.

La manoeuvre dolosive de Mme [M] a donc été déterminante pour la conclusion du contrat et à l'évidence, a vicié le consentement de la bailleresse

Il convient en conséquence de prononcer la nullité du contrat pour dol, le jugement étant donc infirmé sur ce point.

- Sur les conséquences de la nullité du contrat de bail.

* sur l'annulation rétroactive du contrat.

Mme [M] doit restituer le logement de sorte qu'il y a lieu de prononcer son expulsion selon les modalités fixées au dispositif, étant ajouté que les manoeuvres dolosives ayant conduit à l'attribution du logement caractérisent une voie de fait justifiant la suppression du délai de deux mois prévu par les dispositions de l'article L 412-1 du code des procédures civiles d'exécution.

* Sur l'indemnité d'occupation.

L'indemnité d'occupation, en cas d'occupation sans droit ni titre, est destinée non seulement à compenser les pertes de loyer subies par le bailleur, mais également à l'indemniser du préjudice qu'il subit du fait de l'occupation qui rend indisponible, le logement anciennement loué. Il en résulte qu'elle peut être supérieure au loyer et qu'elle tient compte des circonstances particulières de chaque cas.

En raison de sa nature mixte, indemnitaire et compensatoire, l'indemnité d'occupation constitue une dette de jouissance correspondant à la valeur équitable des lieux et assure, en outre, la réparation du préjudice résultant d'une occupation sans bail.

Dès lors, cette indemnité qui s'apprécie en fonction du coût de l'occupation, doit nécessairement comprendre, dès lors qu'il n'est pas démontré que la valeur locative est inférieure au montant du loyer, et afin de réparer intégralement le préjudice résultant pour le bailleur du maintien dans les lieux de l'occupant sans droit ni titre, outre le paiement des charges, celui des révisions éventuelles du loyer et ne saurait, de ce fait, être inférieure à la somme qui aurait été payée en cas de poursuite du bail.

En effet, en l'absence de prise en compte des éventuelles augmentations de loyers, pratiquées conformément à la législation sur les baux sociaux, le locataire déchu de son titre d'occupation qui se maintient dans les lieux malgré la décision d'expulsion, serait amené à payer une somme inférieure, pour le même logement, que celle payée par un locataire parfaitement à jour de ses loyers.

Par suite, il y a lieu de fixer l'indemnité d'occupation à une somme égale au montant du loyer indexé, augmenté des charges, qui aurait été dû, en l'absence de prononcé de nullité du bail.

Mme [M] doit être condamnée au paiement de cette indemnité d'occupation telle que ci-dessus fixée à compter de la conclusion du bail jusqu'à son départ effectif des lieux caractérisé soit par la remise des clés, soit par l'expulsion, sous déduction des sommes déjà versées par Mme [M].

* sur le dépôt de garantie.

La société In'Li doit être déboutée de sa demande tendant à voir juger que le dépôt de garantie lui reste acquis, cette demande étant prématurée.

Sur les mesures accessoires.

Mme [M] doit être condamnée aux dépens de la procédure d'appel, les dispositions du jugement contesté relatives aux dépens de première instance étant, par ailleurs, infirmées.

Il y a lieu de faire droit à la demande de la société In'Li au titre des frais de procédure par elle exposés en première instance et en cause d'appel en condamnant Mme [M] à lui verser la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS.

La cour,

Statuant par défaut et par mise à disposition au greffe,

Infirme le jugement rendu le 7 juillet 2022 par le juge des contentieux de la protection du tribunal de Vanves en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau,

Prononce la nullité pour dol du contrat de bail conclu le 20 août 2019 entre la société In'Li et Mme [M], et portant le [Adresse 2] sis [Adresse 2] à [Localité 4],

A défaut de départ volontaire, ordonne l'expulsion de Mme [M], ainsi que celle de tous occupants de son chef, des lieux sis à [Adresse 2], avec le cas échéant, le concours de la force publique,

Supprime le délai de deux mois prévu par les dispositions de l'article 412-1 du code des procédures civiles d'exécution,

Dit que le sort des meubles sera réglé selon les dispositions des articles 65 et 66 de la loi du 9 juillet 1991 et des articles 200 à 209 de son décret d'application du 31 juillet 1992,

Condamne Mme [M] à verser à la société In'Li, une indemnité mensuelle d'occupation égale au montant du loyer révisable qui aurait été dû si le bail n'avait été annulé, augmenté des charges, à compter de la conclusion du bail et ce jusqu'à la libération des lieux se matérialisant soit par l'expulsion, soit par la remise des clés, sous déduction des sommes déjà versées par Mme [M],

Déboute la société In'Li de sa demande tendant à voir juger que le dépôt de garantie lui reste acquis, cette demande étant prématurée,

Condamne Mme [M] à verser à la société In'Li la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne Mme [M] aux dépens de première instance et d'appel.

- prononcé hors la présence du public par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Monsieur Philippe JAVELAS, Président et par Madame Françoise DUCAMIN, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,