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Décisions

CA Paris, Pôle 5 - ch. 3, 12 octobre 2023, n° 22/05781

PARIS

Arrêt

Autre

CA Paris n° 22/05781

12 octobre 2023

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 3

ARRET DU 12 OCTOBRE 2023

(n° , 6 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 22/05781 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CFPWA

Décision déférée à la Cour : Jugement du 16 décembre 2021 -Tribunal judiciaire de Paris (18ème chambre, 2ème section)- RG n° 16/13831

APPELANTE

S.A.R.L. SOTUALS

Immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de Paris sous le n° 348 730 086

Agissant en la personne de son gérant domicilié en cette qualité au siège social

[Adresse 1]

[Localité 10]

représentée par Me Luc RAVAZ, avocat au barreau de Paris, toque : D0450,

substitué par Me Nejya KHELLAF, avocat au barreau de Paris, toque : D0450

INTIMES

Mme [W] [F] VEUVE [K]

née le 25 février 1943 à [Localité 11] (Tunisie)

[Adresse 4]

[Localité 5]

M. [N] [K]

né le 02 février 1971 à [Localité 9]

[Adresse 4]

[Localité 5]

M. [I] [K]

né le 27 juillet 1972 à [Localité 9]

[Adresse 2]

[Localité 6]

Mme [S] [K] épouse [G]

née le 22 décembre 1975 à [Localité 9]

[Adresse 4]

[Localité 5]

M. [P] [K]

né le 22 décembre 1975 à [Localité 9]

[Adresse 3]

[Localité 7]

représentés par Me Frédérique ETEVENARD, avocat postulant au barreau de Paris, toque: K0065

assistés de Me Jean-Pierre BLATTER, avocat plaidant du barreau de Paris, toque : P0441

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 27 juin 2023, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Nathalie Recoules, présidente de chambre, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Nathalie Recoules, présidente de chambre

Mme Douglas Berthe, conseiller

Mme Marie Girousse, conseillère

Greffières, lors des débats : Mme Saoussen Hakiri et Mme Sandrine Stassi-Buscqua.

ARRÊT :

- contradictoire,

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

- signé par Mme Nathalie Recoules, présidente de chambre et par Mme Sandrine Stassi-Buscqua, greffière, présente lors de la mise à disposition.

FAITS ET PROCÉDURE

M. [C] [K] et Mme [W] [F] épouse [K], aux droits desquels viennent désormais Mme [W] [K], M. [N] [K], M. [I] [K], Mme [S] [K] et M. [P] [K], ci-après désignés les consorts [K], ont donné à bail en renouvellement à la société Sotuals, à effet du 1er janvier 1999, des locaux destinés au « commerce de parfums, de produits de beauté cosmétiques et articles de [Localité 9], ainsi que les produits relevant de la classe 3 et la vente au détail de confection en tous genres », dépendant d'un immeuble situé [Adresse 1] à [Localité 10], composés, selon désignation mentionnée au bail consenti initialement sur les lieux, le 11 octobre 1974, de :

« - une boutique sise au rez-de-chaussée, en façade sur le [Adresse 8],

- water-closet et dégagement à la suite,

- cuisine,

- cave,

- un sous-sol sous la boutique,

- et deux chambres de domestiques, sises au sixième étage,

Le tout d'une surface de 119,94 m² ».

Par acte extrajudiciaire du 8 septembre 2008, la société Sotuals a demandé le renouvellement du bail, à effet du 1er octobre 2008.

Par acte extrajudiciaire du 5 décembre 2008, les bailleurs ont refusé le renouvellement du bail et offert le paiement d'une indemnité d'éviction.

Par acte du 28 juin 2011, la société Sotuals s a fait assigner les époux [K], devant le tribunal de grande instance de Paris, aux fins d'obtenir l'annulation du refus de renouvellement notifié le 5 décembre 2008 et, subsidiairement, de désignation d'un expert en vue de déterminer les éléments d'éviction.

Par jugement du 4 décembre 2013, le tribunal de grande instance de Paris a, notamment, débouté la société Sotuals de sa demande en nullité de l'acte extrajudiciaire portant refus de renouvellement en date du 5 décembre 2008, débouté les époux [K] de leur demande de résiliation judiciaire du bail, dit que le refus de renouvellement du bail opposé par les bailleurs le 5 décembre 2008 a mis fin au bail et ouvert droit au paiement d'une indemnité d'éviction au profit de la société Sotuals s, et désigné M. [U] [D] en qualité d'expert pour en évaluer le montant.

Par ordonnance du 24 février 2014, le juge de la mise en état a ordonné la radiation de l'affaire faute pour les époux [K] d'avoir payé la consignation fixée par jugement du 4 décembre 2013.

Par arrêt du 17 février 2016, la cour d'appel de Paris a, notamment, confirmé le jugement du 4 décembre 2013 en toutes ses dispositions et condamné la société Sotuals à payer aux époux [K] la somme de 8.802,89 euros au titre des loyers restant dus, sauf à déduire le montant du chèque de banque de 3.267,63 euros réglé par la société Sotuals le 23 novembre 2015 pour l'échéance du 1er octobre 2015.

L'affaire a été rétablie au rôle.

Par ordonnance du 9 juin 2017, le juge de la mise en état a ordonné une expertise judiciaire confiée à M. [D] avec pour mission de déterminer le montant de l'indemnité d'éviction dans le cas d'une perte ou d'un transfert de fonds.

L'expert judiciaire a déposé son rapport le 6 juin 2018, aux termes duquel il a conclu dans l'hypothèse d'une perte du fonds de commerce à une indemnité d'évicion de 147.000 euros, et en cas de transfert du fonds de commerce à une indemnité d'éviction de 156.300 euros.

M. [C] [K] est décédé le 9 avril 2019.

Ses ayants-droit, M. [N] [K], M. [I] [K], Mme [S] [K] et M. [P] [K] ainsi que Mme [W] [K], en qualité de conjointe survivante, sont intervenus volontairement à l'instance par conclusions signifiées le 2 novembre 2019.

Par jugement du 16 décembre 2021, le tribunal judiciaire de Paris a :

déclaré recevables Mme [W] [F] ép. [K], M. [N] [K], M. [I] [K], Mme [S] [K] ép. [G] et M. [P] [K] en leur demande tendant à voir la société Sotuals déchue de son droit à indemnité d'éviction ;

les a déboutés de cette demande ;

dit que Mme [W] [F] ép. [K], M. [N] [K], M. [I] [K], Mme [S] [K] ép. [G] et M. [P] [K] sont redevables à l'égard de la société Sotuals d'une indemnité d'éviction ;

fixé à la somme globale de 148.339 euros outre les frais de licenciement, le montant de l'indemnité d'éviction due par Mme [W] [F] ép. [K], M. [N] [K], M. [I] [K], Mme [S] [K] ép. [G] et M. [P] [K] à la société Sotuals qui se décompose ainsi :

indemnité principale : 118.300 euros ;

indemnités accessoires :

pour frais de remploi : 11.830 euros ;

pour frais d'honoraires juridiques complémentaires : 5.000 euros ;

pour trouble commercial : 7.441 euros ;

pour frais de déménagement : 4.268 euros ;

pour frais administratifs et commerciaux : 1.500 euros ;

pour frais de licenciement : sur justificatifs ;

dit que la société Sotuals est redevable à l'égard de Mme [W] [F] ép. [K], M. [N] [K], M. [I] [K], Mme [S] [K] ép. [G] et M. [P] [K] d'une indemnité d'occupation à compter du 5 décembre 2008 ;

fixé le montant de cette indemnité d'occupation à la somme annuelle de 20.250 euros, payable par trimestre et d'avance, outre les charges et taxes exigibles conformément au bail expiré ;

débouté Mme [W] [F] ép. [K], M. [N] [K], M. [I] [K], Mme [S] [K] ép. [G] et M. [P] [K] de leurs demandes de condamnation de la société Sotuals à leur rembourser « les dernières taxes foncières » et « l'ensemble des frais de remise en état des lieux loués » ;

débouté Mme [W] [F] ép. [K], M. [N] [K], M. [I] [K], Mme [S] [K] ép. [G] et M. [P] [K] de leur demande de condamnation de la société Sotuals au remboursement « des frais engagés au titre de l'expertise, des constats d'huissier et des rapports d'expertise » ;

condamné Mme [W] [F] ép. [K], M. [N] [K], M. [I] [K], Mme [S] [K] ép. [G] et M. [P] [K] à payer à la société Sotuals la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

condamné Mme [W] [F] ép. [K], M. [N] [K], M. [I] [K], Mme [S] [K] ép. [G] et M. [P] [K] aux dépens, en ce inclus les frais d'expertise ;

dit n'y avoir lieu au prononcé de l'exécution provisoire ;

rejeté toutes autres demandes plus amples ou contraires.

Par déclaration du 17 mars 2022, la société Sotuals s a interjeté appel partiel du jugement.

MOYENS ET PRÉTENTIONS

Vu les conclusions déposées le 17 juin 2022, par lesquelles la société Sotuals, appelante, demande à la Cour de :

- recevoir la société Sotuals en son appel et l'y déclarée bien fondée ;

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a fixé l'indemnité d'occupation à la somme de 20.250 euros ;

- fixer le montant de l'indemnité d'occupation à la somme de 16.467 euros ;

- condamner les consorts [K] à payer à la société Sotuals une somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- les condamner aux entiers dépens.

Vu les conclusions déposées le 1er août 2022, par lesquelles M. [I] [K], Mme [S] [K] ép. [G], M. [P] [K], M. [N] [K], Mme [W] [F] veuve [K], intimés, demandent à la Cour de :

- débouter la société Sotuals de son appel ;

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a fixé l'indemnité d'occupation à la somme annuelle de 20.250 euros après abattement pour précarité de 10 %, cette indemnité d'occupation devant être majorée des charges et taxes exigibles conformément au bail expiré ;

- débouter la société Sotuals de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

- condamner la société Sotuals aux dépens de la procédure d'appel qui pourront être recouvrés directement contre elle en application de l'article 699 du code de procédure civile par maître Frédérique Etevenard, avocat soussignée.

- la condamner sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile à payer aux consorts [K] la somme de 3.000 euros.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se référer aux conclusions ci-dessus visées pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties. Cependant, pour une meilleure compréhension du présent arrêt, leur position sera succinctement résumée.

SUR CE,

Sur la méthode de calcul de l'indemnité d'occupation,

L'expert a proposé de retenir la valeur du loyer en renouvellement plafonnée à la somme de 18.296,71 euros hors taxes et hors charges, au titre de l'indemnité d'occupation.

Le Tribunal a considéré qu'il est de principe que la règle du plafonnement du loyer s'applique à la fixation du loyer du bail renouvelé ou révisé, mais non à l'indemnité d'occupation due par le preneur maintenu dans les lieux à l'expiration du bail en application des dispositions de l'article L. 145-28 du code de commerce.

La société Sotuals, appelante, expose qu'elle est débitrice de l'indemnité d'occupation à compter du 5 décembre 2008, date du refus de renouvellement notifié par le bailleur et fait grief au tribunal d'avoir exclu le plafonnement de la valeur, qu'une jurisprudence récente de la Cour de cassation considère au visa de l'article L. 145-28 du code de commerce que l'indemnité d'occupation due par le preneur à compter de l'expiration du bail doit être fixée en fonction de la valeur locative sans appliquer la règle du plafonnement du loyer (Civ. 3ème, 17 juin 2021, FS-B, n° 20-15.296), que cette décision a été critiquée par la doctrine au regard de son manque de cohérence, que l'article L. 145-28 du code de commerce renvoie pourtant aux sections 6 et 7 du chapitre 5 consacré au bail commercial, la section 7 étant relative à la résiliation et la section 6 à l'évaluation de la valeur locative et au plafonnement du loyer, qu'en application de ces dispositions, l'indemnité d'occupation pourrait tout aussi bien être fixée en fonction du plafonnement du loyer, que cette interprétation apparaît plus juste et plus équitable dans la mesure où le preneur continue de jouir des locaux de la même manière nonobstant la qualification juridique retenue, que la Cour devra statuer en équité.

Les consorts [F] [K], intimés, exposent que l'article 12 du code de procédure civile interdit au juge de statuer en équité (Cass. Civ 3ème, 26 avril 2017, n° 14-26959), que la Cour ne devra statuer qu'au vu des règles de droit au sens de l'article L. 145-28 du code de commerce, que si l'article L. 145-28 du code de commerce renvoie pour la détermination de l'indemnité d'occupation à la section 6, cette indemnité d'occupation n'est pas pour autant constitutive d'un loyer alors précisément que le titre de la section 6 est « Du loyer » et que les articles L. 145-33, d'une part, et L. 145-34, d'autre part, n'évoquent que la fixation pour le premier des loyers des baux renouvelés ou révisés, pour le second la fixation du prix du bail renouvelé, que c'est la raison pour laquelle le tribunal a fait l'application d'une jurisprudence ancienne et constante, réitérée par la Cour de cassation dans un arrêt de principe du 17 juin 2021 (Cass. 3ème Civ., Bull. civ. 2021, n° 6, p. 72).

Parmi les principes directeurs du procès, l'article 12 du code de procédure civile dispose que « le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables ».

Contrairement à ce que soutient la société Sotuals, la cour est ainsi tenue d'appliquer la règle de droit régissant le présent litige et ne peut l'écarter en invoquant l'équité.

L'article L. 145-28 du code de commerce prévoit que, jusqu'au paiement de l'indemnité d'éviction, le locataire a le droit de rester dans les lieux mais doit s'acquitter du paiement d'une indemnité d'occupation « déterminée conformément aux dispositions des sections VI et VII, compte tenu de tous éléments d'appréciation ».

Contrairement à ce que soutient la société appelante, si le montant de l'indemnité d'occupation est fixé conformément aux dispositions des sections VI et VII relatives au loyer et à la résiliation, la règle du plafonnement énoncée à l'article L. 145-34 du code de commerce ne s'applique qu'à la fixation du prix du bail renouvelé ou révisé. Tel n'est pas le cas en l'espèce, le bail ayant pris fin par l'effet du congé délivré par les bailleurs.

En outre, contrairement à ce que soutient la société appelante, il ne peut être considéré qu'il y ait enrichissement du bailleur sans contrepartie dans la mesure où le preneur continue à jouir des locaux et peut exploiter son fonds de commerce jusqu'à son départ des lieux et la remise des clés.

Dans ces conditions, le montant de l'indemnité d'occupation due par le preneur maintenu dans les lieux à l'expiration du bail en application de l'article L. 145-28 du code de commerce s'évalue selon la valeur locative de renouvellement, laquelle n'est pas soumise à la règle du plafonnement.

C'est par motifs pertinents que la cour adopte et auxquels elle renvoie que le tribunal a rappelé que l'expert, n'ayant pas reçu pour mission d'évaluer l'indemnité d'occupation, a calculé la valeur locative de renouvellement déplafonnée à la somme de 22.500 euros, dont le montant n'est pas discuté par les parties et qu'elle a adopté.

Le jugement sera donc confirmé de ce chef.

Sur l'application d'un abattement

L'appelante expose qu'un abattement de 10 % au titre de la précarité devra être retenu conformément aux usages en la matière.

Les intimés exposent que l'abattement devra être effectivement appliqué.

Les parties s'accordant sur l'application d'un abattement de 10 % au titre de la précarité, le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur les demandes accessoires

Le jugement sera confirmé en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens.

La société Sotuals succombant dans l'intégralité de ses demandes sera condamnée à payer aux consorts [K] la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et supportera la charge des dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort ;

Confirme le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Paris le 16 décembre 2021 sous le numéro de RG 16/13831 en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

Condamne la société Sotuals à payer à M. [C] [K] et Mme [W] [F] épouse [K], aux droits desquels viennent désormais Mme [W] [K], M. [N] [K], M. [I] [K], Mme [S] [K] et M. [P] [K] la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société Sotuals à supporter la charge des dépens d'appel qui pourront être recouvrés directement par Maître Frédérique Etevenard conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE