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Décisions

CA Rennes, ch. des baux ruraux, 5 octobre 2023, n° 23/00795

RENNES

Arrêt

Autre

CA Rennes n° 23/00795

5 octobre 2023

Chambre des Baux Ruraux

ARRÊT N° 36

N° RG 23/00795 - N° Portalis DBVL-V-B7H-TPT6

M. [T] [L]

Mme [U] [S] épouse [L]

M. [N] [L]

C/

M. [Y] [V]

Mme [G] [W] épouse [V]

Mme [M] [V]

Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Copie exécutoire délivrée

le :

à : Me Morvan

Me Prigent

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 05 OCTOBRE 2023

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Madame Pascale LE CHAMPION, Présidente,

Assesseur : Madame Virginie PARENT, Présidente,

Assesseur : Madame Virginie HAUET, Conseiller,

GREFFIER :

Madame Isabelle OMNES, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l'audience publique du 06 Juillet 2023, devant Madame Virginie PARENT, magistrat rapporteur, tenant seul l'audience, sans opposition des représentants des parties et qui a rendu compte au délibéré collégial

ARRÊT :

contradictoire, prononcé publiquement le 05 Octobre 2023 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats

****

APPELANTS :

Monsieur [T] [L]

né le 3 avril 1969 à [Localité 9], de nationalité française, agriculteur,

[Adresse 6]

[Localité 2]

Madame [U] [S] épouse [L]

née le 18 juillet 1970 à [Localité 7], de nationalité française, agricultrice,

[Adresse 6]

[Localité 2]

Monsieur [N] [L]

né le 9 décembre 1963 à [Localité 9], de nationalité française, agriculteur,

[Adresse 5]

[Localité 2]

représentés par Me Jacques MORVAN, avocat au barreau de BREST

INTIMES :

Monsieur [Y] [V]

né le 21 février 1948 à [Localité 3], retraité

[Adresse 8]

[Localité 3]

Madame [G] [W] épouse [V]

née le 24 mars 1947 à [Localité 9], retraitée

[Adresse 8]

[Localité 3]

Madame [M] [V]

née le 8 mai 1977 à [Localité 9]

[Adresse 4]

[Localité 1]

représentés par Me Sylvain PRIGENT de la SELARL FLAMIA-PRIGENT, avocat au barreau de BREST

Selon acte authentique en date du 27 février 2009, M. [Y] [V], Mme [G] [W] épouse [V] et Mme [M] [V] ont consenti à M. [T] [L], Mme [U] [S] épouse [L] et M. [N] [L] un bail à ferme portant sur une propriété rurale située à [Localité 3], [Adresse 10], d'une surface totale de 11 ha 74 a 16 ca, moyennant un fermage annuel de 3 611,30 euros.

Conclu pour neuf années, le bail courant du 1er janvier 2009 au 30 septembre 2018 a été renouvelé tacitement le 1er octobre 2018 pour une nouvelle période de neuf ans jusqu'au 30 septembre 2027.

Par actes des 6 et 7 septembre 2021, les consorts [L] ont fait assigner les consorts [V] devant le tribunal de Morlaix, aux fins d'obtenir la révision du montant du fermage et sa fixation à la somme de 1 784,71 euros.

Suivant jugement contradictoire rendu par mise à disposition du greffe le 10 janvier 2023, le tribunal paritaire des baux ruraux de Morlaix a :

- rejeté la demande de M. [T] [L], Mme [U] [S] épouse [L] et M. [N] [L] tendant à obtenir la révision du montant du fermage,

- condamné M. [T] [L], Mme [U] [S] épouse [L] et M. [N] [L] aux dépens,

- condamné M. [T] [L], Mme [U] [S] épouse [L] et M. [N] [L] à payer à M. [Y] [V], Mme [G] [W] épouse [V] et Mme [M] [V] la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté les parties de leurs autres demandes.

Suivant déclaration en date du 4 février 2023, les consorts [L] ont interjeté appel de cette décision.

Aux termes de leurs dernières écritures notifiées le 11 mai 2023, M. [T] [L], Mme [U] [S] épouse [L], et M. [N] [L] demandent à la cour de :

- les recevoir en leur appel et les y dire bien-fondés,

- réformer en toutes ses dispositions le jugement du 10 janvier 2023,

Statuant à nouveau :

- réviser le montant du fermage du bail rural du 1er janvier 2009, renouvelé le 1er octobre 2018 conformément aux dispositions de l'arrêté préfectoral du 29 septembre 2020 (AP N° 20200273-0003) et par voie de conséquence fixer le montant du fermage exigible au 30 septembre 2021 à la somme de 1 784,71 euros,

- condamner les consorts [V] à restituer aux consorts [L] la somme de 2 137,75 euros correspondant au trop versé de fermage au 29 septembre 2022,

- débouter les consorts [V], bailleurs en toutes leurs demandes, fins, moyens et conclusions,

- ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir,

- condamner M. [Y] [V] et Mme [G] [V], à verser aux consorts [L] la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner les mêmes aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Aux termes de leurs dernières écritures notifiées le 27 juin 2023, M. [Y] [V], Mme [G] [V], Mme [M] [V] demandent à la cour de :

- déclarer irrecevable la demande en révision du fermage formée par les consorts [L],

- confirmer le jugement en toutes ses dispositions,

- condamner les consorts [L] au paiement de la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles en cause d'appel,

- condamner les consorts [L] aux entiers dépens de l'instance.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour, conformément aux articles 946, 455 et 749 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions déposées et soutenues oralement à l'audience.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Les consorts [L] sollicitent de la cour qu'elle infirme le jugement qui rejette leur demande en révision de fermage.

Ils estiment leur demande parfaitement recevable pour avoir été formée au cours de la troisième année du bail renouvelé.

Sur le bien fondé de leur demande, ils font valoir les éléments suivants :

- le bail rural consenti par les consorts [V] a été mis à disposition du GAEC du Valy qui n'exerce qu'une activité de polyculture-élevage, et n'a jamais exercé de production légumière ni ne production de pommes de terres,

- ils n'ont jamais engagé de production légumière sur leur exploitation qui est demeurée à 100 % en polyculture élevage,

- les cultures de pommes de terres réalisées sur le parcellaire par le GAEC du Valy n'ont pas été mises en oeuvre pour son compte mais pour celui de la Sarl [Z], laquelle, dans le cadre d'échanges de jouissance, a mis à disposition du GAEC une superficie équivalente sur laquelle il a produit des fourrages nécessaires à sa production laitière,

- ces échanges de jouissance ne permettent pas au bailleur d'invoquer le doublement du montant du fermage,

- si par arrêté préfectoral du 28 septembre 2022, il a été prévu que les cultures de pommes de terre, étaient assimilées aux cultures légumières, autorisant le doublement du montant du fermage, l'arrêté du Préfet du Finistère n° 2020273-0003 du 29 septembre 2020 ne prévoit cette majoration que pour les cultures de légumes dont la production est destinée à la vente en frais,

- M. [E] [F], conseiller en aménagement foncier à la chambre d'agriculture du Finistère a évalué la valeur locative à l'hectare des parcelles louées à 158,14 euros, ce qui représente une valeur locative totale du fonds loué de 1 784,71 euros,

- ce dernier relève que la valeur actualisée du bail à la date du 29 septembre 2020 est de 3 804,01 euros pour 11 ha soit 337,23 euros/ha, soit un prix pratiqué supérieur à 66 % vis à vis de la catégorie 1 dans laquelle s'inscrit la valeur des terres d'après cette étude.

Les consorts [V] s'opposent à cette demande.

Ils considèrent la demande en révision de fermage irrecevable, dans la mesure où elle se fonde sur des éléments de référence datant de 2020 alors qu'il appartient aux preneurs de justifier d'une différence de valeur au jour du renouvellement du fermage, soit au 30 septembre 2018.

Ils font valoir, sur le fond, que le montant du fermage a été déterminé par référence au barème en vigueur à la date de la signature du bail, que les terres supportaient à cette date des cultures légumières, et qu'ainsi les parties ont convenu d'un loyer intégrant la majoration à hauteur du double des bases retenues pour la polyculture. Ils soulignent que cette majoration de fermage a été acceptée durant 12 ans.

Ils indiquent que depuis 2009, est pratiquée la culture de pommes de terre sur ces parcelles, que la détermination du loyer est fonction de ce qui est pratiqué in concreto sur ces terres, de sorte qu'il importe peu qu'elles aient fait l'objet d'échanges de jouissance', qui de plus n'ont pas été autorisés par les bailleurs, si bien que le preneur doit assumer les cultures réalisées par son coéchangiste. Ils indiquent que le registre parcellaire graphique disponible sur Geoportail mentionne que les terres louées ont été classées comme recevant des légumes en 2010, 2013, 2014, 2018.

Enfin, ils considèrent que le rapport de M. [F] n'est pas un document établi contradictoirement et qu'il ne peut constituer une preuve qui leur est opposable.

L'article L 411-1 du code rural et de la pêche maritime énonce notamment que le prix de chaque fermage est établi en fonction, notamment, de la durée du bail, compte tenu d'une éventuelle clause de reprise en cours de bail, de l'état et de l'importance des bâtiments d'habitation et d'exploitation, de la qualité des sols ainsi que de la structure parcellaire du bien loué et, le cas échéant, de l'obligation faite au preneur de mettre en oeuvre des pratiques culturales respectueuses de l'environnement en application de l'article L411-27. Ce prix est constitué, d'une part, du loyer des bâtiments d'habitation et, d'autre part, du loyer des bâtiments d'exploitation et des terres nues ; il précise que le loyer des terres nues et des bâtiments d'exploitation est fixé en monnaie entre des maxima et des minima arrêtés par l'autorité administrative.

L'article L 411-13 du code rural et de la pêche maritime dispose :

Le preneur ou le bailleur qui, lors de la conclusion du bail, a contracté à un prix supérieur ou inférieur d'au moins un dixième à la valeur locative de la catégorie du bien particulier donné à bail, peut, au cours de la troisième année de jouissance, et une seule fois pour chaque bail, saisir le tribunal paritaire qui fixe, pour la période du bail restant à courir à partir de la demande, le prix normal du fermage selon les modalités ci-dessus.

La faculté de révision prévue à l'alinéa précédent vaut pour la troisième année du premier bail, comme pour la troisième année de chacun des baux renouvelés.

En l'espèce, le bail a été renouvelé le 1er octobre 2018, et les preneurs ont saisi le tribunal paritaire des baux ruraux d'une demande de révision de fermage pour la troisième année du renouvellement. Leur demande en révision doit être jugée recevable, l'argument soulevé par les intimés pour conclure à une irrecevabilité relevant de l'appréciation au fond des prétentions. La cour rejettera cette demande tendant à déclarer la demande irrecevable.

Il leur appartient, conformément aux dispositions susvisées, de justifier que lors du renouvellement du bail, soit au 1er octobre 2018, le fermage était supérieur d'au moins un dixième à la valeur locative de la catégorie du bien particulier donné à bail.

Les parties ne discutent pas que la nature légumière des cultures pratiquées sur des parcelles données à bail autorise la fixation du loyer au double du montant fixé par l'arrêté préfectoral.

Les pièces versées aux débats relatives aux cultures pratiquées par le GAEC du Valy n'apportent aucun document utile.

Si les consorts [L] contestent avoir jamais pratiqué de cultures légumières sur les parcelles données à bail, ils admettent avoir procédé à des échanges de jouissance de parcelles non autorisées par les bailleurs, et M. [Z] [T], sur sommation interpellative du 8 février 2022 précise avoir pratiqué sur ces parcelles, dans le cadre d'échanges de terres pour des durées de quatre mois, et ce depuis 2009, des cultures de pommes de terre, et ce encore en 2018 ou 2019.

Si l'arrêté préfectoral de 2020 invoqué par les appelants ne vise pas expressément les cultures de pommes de terres comme devant s'entendre comme des cultures légumières, l'arrêté préfectoral de 2022 mentionne précisément que, pour les terres supportant les cultures légumières en ce compris de pommes de terre et dont la production de légumes destinés à la vente en frais constitue l'objet principal, la valeur locative est susceptible d'être majorée.

Les consorts [L] n'ont pas produit l'arrêté préfectoral applicable à la date du renouvellement du bail.

L'affirmation de ces derniers selon laquelle la majoration ne trouverait pas à s'appliquer parce que la Sarl [Z] est spécialisée dans l'exportation de plants de pommes de terre et non dans la vente de frais n'est justifiée par aucune pièce.

L'évaluation de la valeur locative faite par M. [F] n'est pas, par ailleurs, une étude contradictoire et n'est donc pas opposable aux bailleurs.

Force est donc de constater que les consorts [L] échouent à rapporter la preuve qui leur incombe établissant que le prix du bail renouvelé est supérieur d'au moins un dixième à la valeur locative de la catégorie du bien particulier donné à bail.

La cour confirme le rejet de leurs prétentions.

- sur les frais irrépétibles

les dispositions du jugement sont confirmées et la cour condamne les consorts [L] à payer aux intimés une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement et par mise à disposition au greffe :

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

Rejette la demande tendant à déclarer la demande en révision de fermage irrecevable ;

Condamne M. [T] [L], Mme [U] [S] épouse [L] et M. [N] [L] à payer à M. [Y] [V], Mme [G] [W] épouse [V] et Mme [M] [V] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne M. [T] [L], Mme [U] [S] épouse [L] et M. [N] [L] aux dépens d'appel.

Le Greffier La Présidente