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Décisions

CA Papeete, ch. des terres, 24 août 2023, n° 21/00097

PAPEETE

Arrêt

Autre

CA Papeete n° 21/00097

24 août 2023

N° 77

CT

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Copie exécutoire

délivrée à :

- Me Grattirola,

le 31.08.2023.

Copie authentique

délivrée à :

- Me Rousseau-Wiart,

le 31.08.2023.

REPUBLIQUE FRANCAISE

COUR D'APPEL DE PAPEETE

[Adresse 4]

Audience du 24 août 2023

RG 21/00097 ;

Décision déférée à la Cour : jugement n° 260, rg n° 20/00075 du Tribunal Civil de Première Instance de Papeete, Tribunal Foncier de la Polynésie fraçaise, du 11 octobre 2021 ;

Sur appel formé par requête déposée et enregistrée au greffe de la Cour d'appel le 28 décembre 2021 ;

Appelant :

M. [A] [Z], né le 4 juillet 1973 à [Localité 9], de nationalité française, demeurant à [Adresse 6] ;

Ayant pour avocat la Selarl Fenuavocats, représentée par Me Christophe ROUSSEAU-WIART, avocat au barreau de Papeete ;

Intimé :

M. [R] [P]-[S], né le 29 février 1944 à [Localité 8], de nationalité française, retraité, [Adresse 3], agissant en tant qu'ayant-droit de [P] [X] ;

Représenté par Me Miguel GRATTIROLA, avocat au barreau de Papeete ;

Ordonnance de clôture du 16 décembre 2022 ;

Composition de la Cour :

La cause a été débattue et plaidée en audience publique du 27 avril 2023, devant Mme SZKLARZ, conseiller désigné par l'ordonnance n° 57/OD/PP. CA/22 du premier président de la Cour d'Appel de Papeete en date du 7 novembre 2022 pour faire fonction de président dans le présent dossier, Mme GUENGARD, président de chambre, Mme TEHEIURA, magistrat honoraire de l'ordre judiciaire aux fins d'exercer à la cour d'appel de Papeete en qualité d'assesseur dans une formation collégiale, qui ont délibéré conformément à la loi ;

Greffier lors des débats : Mme SUHAS-TEVERO ;

Arrêt contradictoire ;

Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 264 du code de procédure civile de Polynésie française ;

Signé par Mme SZKLARZ, président et par Mme SUHAS-TEVERO, greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

A R R E T,

Le litige concerne [Adresse 7] située à [Localité 5] et cadastrée n° LA-[Cadastre 1] d'une superficie de 5444 m2 et n° LA-[Cadastre 2] d'une superficie de 28493 m2.

Le 11 octobre 2021, le tribunal foncier de la Polynésie française section 3 a rendu le jugement suivant :

«REJETTE la demande de rabat de la clôture,

ORDONNE l'expulsion de [A] [K] [Z] et de tous occupants de son chef de [Adresse 7] cadastrée section LA n° [Cadastre 1] et LA n°[Cadastre 2] sise à [Localité 5] (Tahiti), sous astreinte de VINGT MILLE FRANCS PACIFIQUE (20 000 FCP) par jour passé le délai de DEUX MOIS à compter de la signification du présent jugement avec si nécessaire le concours de la force publique,

ORDONNE la remise en état par [A] [K] [Z] à ses frais de [Adresse 7] cadastrée section LA n° [Cadastre 1] et LA n°[Cadastre 2] sise à [Localité 5] (Tahiti),

DEBOUTE [R] [P]-[S] de sa demande d'indemnité d'occupation,

REJETTE la demande d'exécution provisoire,

CONDAMNE [A] [K] [Z] à payer à [R] [P]- [S] la somme de CENT CINQUANTE MILLE FRANCS PACIFIQUE (150 000 FCP) au titre de l'article 407 du Code de procédure civile de la Polynésie française,

DEBOUTE les parties du surplus de leurs demandes,

CONDAMNE [A] [K] [Z] aux dépens».

Par requête enregistrée au greffe le 28 décembre 2021, [A] [Z] a relevé appel de cette décision afin d'en obtenir l'infirmation.

Dans ses dernières conclusions récapitulatives, il présente à la cour les demandes suivantes :

«Réformer le jugement du 11 octobre 2021 en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau,

Dire et juger que Monsieur [A] [Z] occupe [Adresse 7] cadastrée section LA n°[Cadastre 1] et LA n°[Cadastre 2] sise à [Localité 5] (Tahiti), depuis 1986,

Déclarer Monsieur [A] [Z] propriétaire par usucapion de [Adresse 7] cadastrée section LA n°[Cadastre 1] et LA n°[Cadastre 2] sise à [Localité 5] (Tahiti),

Ordonner la transcription de la décision,

Condamner Monsieur [R] [P]-[S] au paiement de la somme de 250.000 FCP au titre des frais irrépétibles.

Le condamner aux entiers dépens, dont distraction d'usage au profit de Maître Christophe ROUSSEAU-WIART».

Il soutient que le jugement du 20 avril 1994, celui du 19 novembre 1997 et l'arrêt du 16 mars 2000 ne lui sont pas opposables, n'ayant pas été partie aux trois procédures judiciaires ; qu'il «a occupé [Adresse 7] depuis 1986, comme en attestent M. [H] [B] et [D] [L]» et que l'intimé ne conteste pas utilement la possession trentenaire qu'il invoque.

Les prétentions de [R] [P]-[S] sont les suivantes :

«Débouter l'appelant en son appel principal,

Confirmer le jugement déféré sauf du chef de l'appel incident ci-après,

Recevoir l'appel incident,

Ordonner l'expulsion de M. [A] [Z] et de tous occupants de son chef avec le concours de la force publique,

Condamner le requis au paiement d'une astreinte de 50.000 FCP, faute par eux de quitter les lieux 1 mois après la signification du jugement à intervenir, ladite astreinte à la charge de M. [A] [Z],

Condamner [A] [Z] à payer une indemnité d'occupation de 100.000 FCP à compter de 1986,

Si mieux n'aime à la Cour, ordonner une expertise afin d'évaluer contradictoirement la valeur locative/indemnité de jouissance, et chiffrer l'indemnité d'occupation due par M. [A] [Z]

Pour l'avenir : Condamner M. [A] [Z] et tous occupants de son chef au paiement d'une indemnité d'occupation d'un montant de 100.000 FCP par mois qui sera due à compter du prononcé de la décision à intervenir et jusqu'à l'expulsion effective des lieux,

Dire que les frais de déménagement et de remise en état des lieux seront mis à la charge du requis,

Y ajoutant,

Condamner l'appelant à une somme de 500.000 FCP de dommages et intérêts pour procédure abusive,

CONDAMNER le requis, à payer la somme de 500.000 FCP sur le fondement de l'article 407 CPC ainsi qu'aux dépens».

Il fait valoir qu'il est propriétaire de la terre litigieuse conformément à une décision du tribunal rendue le 19 novembre 1997 confirmée en appel par arrêt du 16 mars 2000 ; que ces décisions qui ont été enregistrées et transcrites sont opposables erga omnes et que «les ayants droit de [P] [X]'sont propriétaires de [Adresse 7] cadastrée section LA n°[Cadastre 1] et LA n°[Cadastre 2] située sur la commune de [Localité 5] conformément à des décisions définitives ayant autorité de la chose jugée»; que «la Cour de cassation a affirmé'la prévalence du droit de propriété sur l'occupation d'une personne, au titre de sa vie privée» ; que «M. [A] [Z] se maintient abusivement et de mauvaise foi dans les lieux» et qu'il «est, tout simplement, un squatter causant un infini préjudice depuis de nombreuses années et faisant fi des décisions rendues» ; que la demande formée au titre de l'usucapion est nouvelle et nullement justifiée par 2 attestations dépourvues de valeur probante ; que [A] [Z], qui affirme occuper la terre litigieuse depuis 1986, doit payer une indemnité d'occupation à compter de cette date ; qu' «il interdit à toute personne d'accéder à la terre» et qu' «il utilise la menace et les pressions pour faire peur aux gens».

L'ordonnance de clôture a été rendue le 16 décembre 2022.

MOTIFS DE LA DECISION :

Sur la recevabilité de l'appel :

La recevabilité de l'appel n'est pas discutée et aucun élément de la procédure ne permet à la cour d'en relever d'office l'irrégularité.

Sur la propriété de [Adresse 7] :

Par jugement rendu le 20 avril 1994, le tribunal de première instance de Papeete a déclaré [F] [U] et [I] [W] propriétaire par usucapion de la terre [Adresse 7].

Par jugement rendu le 19 novembre 1997 confirmé par arrêt de la cour d'appel de Papeete en date du 16 mars 2000, il a déclaré recevable et bien fondé la tierce opposition formée par les consorts [P]- [S] à l'encontre de la décision du 20 avril 1994 et dit les descendants de [P] [X] propriétaires par titre de [Adresse 7].

[R] [P]-[S], dont la qualité d'ayant droit de [P] [X] n'est pas contestée, possède donc un droit de propriété sur la terre litigieuse.

Sur la prescription acquisitive :

*sur la recevabilité des prétentions de [A] [Z] :

L'article 349 du code de procédure civile de la Polynésie française dispose que :

«Les juges d'appel ne peuvent se prononcer que sur les demandes qui ont été soumises aux juges de première instance et il ne peut être formé en cause d'appel aucune demande nouvelle à moins qu'elle ne soit défense ou connexe à la demande principale ou qu'il s'agisse de compensation.»

[A] [Z] n'a pas évoqué, en première instance, le moyen tiré de la prescription acquisitive.

Toutefois, en relevant appel de la décision qui a ordonné son expulsion et en se prévalant d'une occupation trentenaire, il oppose un moyen de défense aux prétentions des intimés.

Sa demande formée au titre de l'usucapion ne constitue donc pas une demande nouvelle au sens de l'article 349 susvisé et doit être déclarée recevable.

Par ailleurs, en application des dispositions des articles 711 et 712 du code civil, il est toujours possible de prescrire contre un titre.

*Sur le bien fondé des prétentions de [A] [Z] :

La présente instance a été introduite après l'entrée en vigueur de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile dont l'article 2 a complété le livre III du code civil par un titre XXI intitulé : «De la possession et de la prescription acquisitive».

Toutefois, l'article 25 IV de ladite loi n'a pas rendu l'article 2 susvisé applicable en Polynésie française.

En vertu du principe de spécialité législative, la cour se référera en l'espèce aux articles anciens du code civil, précision faite que le délai de prescription acquisitive en matière immobilière demeure le même (30 ans) et que la rédaction des articles 2229 et 2235 anciens du code civil est identique à celle des articles 2261 et 2265 du code civil résultant de la loi du 17 juin 2008.

L'article 2262 ancien du code civil dispose que :

«Toutes les actions, tant réelles que personnelles, sont prescrites par trente ans, sans que celui qui allègue cette prescription soit obligé d'en rapporter un titre, ou qu'on puisse lui opposer l'exception déduite de la mauvaise foi.», précision faite que le délai de prescription acquisitive en matière immobilière demeure le même (30 ans) et que la rédaction des articles 2229 et 2235 anciens du code civil est identique à celle des articles 2261 et 2265 du code civil résultant de la loi du 17 juin 2008.

L'article 2262 ancien du code civil dispose que :

«Toutes les actions, tant réelles que personnelles, sont prescrites par trente ans, sans que celui qui allègue cette prescription soit obligé d'en rapporter un titre, ou qu'on puisse lui opposer l'exception déduite de la mauvaise foi.»

L'article 2229 ancien du code civil dispose que :

«Pour pouvoir prescrire, il faut une possession continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque, et à titre de propriétaire.»

L'article 2235 ancien du code civil dispose que :

«Pour compléter la prescription, on peut joindre à sa possession celle de son auteur, de quelque manière qu'on lui ait succédé, soit à titre universel ou particulier, soit à titre lucratif ou onéreux.»

Il appartient à l'appelant de rapporter la preuve d'une possession répondant aux conditions légales ainsi que de justifier d'actes manifestant son intention de se comporter en véritable propriétaire et de nature à ne pas faire douter de cette qualité.

Pour justifier sa revendication de [Adresse 7] par prescription acquisitive, [A] [Z] se contente de produire 2 attestations dactylographiées et rédigées de façon identique dans lesquelles [H] [V] [B] et [D] [L] déclarent avoir été témoins «que M. [Z] [A], [K] avait occupé [Adresse 7] (PROCES-VERBAL bornage et plan n°409 ) depuis 1986».

Ces documents, qui ne fournissent aucun renseignement sur les modalités et le caractère de l'occupation de l'appelant, sont trop imprécis pour être susceptibles de rapporter la preuve d'actes manifestant l'intention du possesseur de se comporter en véritable propriétaire et de rendre vraisemblables de tels actes.

Dans ces conditions, la demande formée par [A] [Z] au titre de la prescription acquisitive doit être rejetée.

Sur l'expulsion de [A] [Z] :

[A] [Z], occupant sans droit ni titre [Adresse 7], le jugement attaqué sera confirmé en ce qu'il a ordonné son expulsion et laissé à sa charge la remise en état des lieux incluant les frais de déménagement.

En conséquence, [A] [Z] ainsi que tous occupants de son chef devront avoir quitté [Adresse 7] située à [Localité 5] cadastrée n° LA-[Cadastre 1] et n° LA-[Cadastre 2] dans le délai de deux mois à compter de la signification du présent arrêt, sous peine, passé ce délai, d'une astreinte de 20 000 FCP par jour de retard pendant six mois à l'issue desquels il sera éventuellement à nouveau statué.

Passé le délai de deux mois à compter de la signification du présent arrêt, il pourra être procédé à l'expulsion de [A] [Z] ainsi qu'à celle de tous occupants de son chef, avec l'aide de la force publique, si besoin est.

Sur l'indemnité d'occupation :

[R] [P]-[S] ne justifie pas du préjudice qu'il prétend subir du fait de l'indisponibilité du terrain litigieux et il ne fournit aucun élément permettant de déterminer le prix locatif dudit terrain.

La demande d'indemnité d'occupation doit ainsi être rejetée.

Sera également rejetée la demande de dommages-intérêts formée par [R] [P]-[S] dans la mesure où il n'est pas établi que [A] [Z] ait abusé du droit qui est le sien de relever appel.

Il serait inéquitable de laisser à la charge de l'intimé la totalité de ses frais irrépétibles d'appel et il doit donc lui être alloué la somme de 150 000 FCP, sur le fondement de l'article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française.

La partie qui succombe doit supporter les dépens.

PAR CES MOTIFS,

La Cour, statuant par mise à disposition et en dernier ressort ;

Déclare l'appel recevable ;

Déclare recevable mais mal fondée la demande formée par [A] [Z] au titre de la prescription acquisitive ;

Confirme le jugement rendu le 11 octobre 2021 par le tribunal foncier de la Polynésie française section 3, sauf en ses dispositions relatives aux modalités de l'expulsion ;

Dit que [A] [Z] ainsi que tous occupants de son chef devront avoir quitté [Adresse 7] située à [Localité 5] cadastrée n° LA-[Cadastre 1] et n° LA-[Cadastre 2] dans le délai de deux mois à compter de la signification du présent arrêt, sous peine, passé ce délai, d'une astreinte de 20 000 FCP par jour de retard pendant six mois à l'issue desquels il sera éventuellement à nouveau statué ;

Dit que, passé le délai de deux mois à compter de la signification du présent arrêt, il pourra être procédé à l'expulsion de [A] [Z] ainsi qu'à celle de tous occupants de son chef, avec l'aide de la force publique, si besoin est ;

Précise que la prise en charge de la remise en état des lieux comprend celle des frais de déménagement ;

Rejette la demande de dommages-intérêts formée par [R] [P] - [S] ;

Dit que [A] [Z] doit verser à [R] [P]-[S] la somme de 150 000 FCP, sur le fondement de l'article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française ;

Rejette toutes autres demandes formées par les parties ;

Dit que [A] [Z] supportera les dépens d'appel.

Prononcé à Papeete, le 24 août 2023.

Le Greffier, Le Président,

signé : M. SUHAS-TEVERO signé : K. SZKLARZ