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Décisions

CA Dijon, 2 e ch. civ., 7 septembre 2023, n° 21/01049

DIJON

Arrêt

Autre

CA Dijon n° 21/01049

7 septembre 2023

[R] [S]

S.C.I. AMS

C/

S.N.C. PHARMACIE CENTRALE

Expédition et copie exécutoire délivrées aux avocats le

COUR D'APPEL DE DIJON

2ème chambre civile

ARRÊT DU 07 SEPTEMBRE 2023

N° RG 21/01049 - N° Portalis DBVF-V-B7F-FYKM

MINUTE N°

Décision déférée à la Cour : au fond du 07 juillet 2021,

rendue par le tribunal judiciaire à compétence commerciale de Dijon- RG : 20/01961

APPELANTS :

Monsieur [R] [S]

né le 16 Juin 1960 à [Localité 6] (21)

domicilié :

[Adresse 3]

[Localité 4]

S.C.I. AMS représentée par son gérant en exercice Monsieur [R] [S] domicilié au siège social sis :

[Adresse 3]

[Localité 4]

représentés par Me François-Xavier MIGNOT, membre de la SARL CANNET - MIGNOT, avocat au barreau de DIJON, vestiaire : 81

INTIMÉE :

S.N.C. PHARMACIE CENTRALE représentée par son gérant en exercice domicilié de droit au siège social sis :

[Adresse 1]

[Localité 6]

représentée par Me Christophe BALLORIN, membre de la SELARL BALLORIN-BAUDRY, avocat au barreau de DIJON, vestiaire : 9

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 11 mai 2023 en audience publique devant la cour composée de :

Viviane CAULLIREAU-FOREL, Président de chambre, Président,

Sophie DUMURGIER, Conseiller,

Sophie BAILLY, Conseiller,

Après rapport fait à l'audience par l'un des magistrats de la composition, la cour, comme ci -dessus composée a délibéré.

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Maud DETANG, Greffier

DÉBATS : l'affaire a été mise en délibéré au 06 Juillet 2023 pour être prorogée au 07 Septembre 2023,

ARRÊT : rendu contradictoirement,

PRONONCÉ : publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

SIGNÉ : par Viviane CAULLIREAU-FOREL, Président de chambre, et par Maud DETANG, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Par acte notarié du 1er octobre 1971, Mme [Y] [V] et M. [H] [X] ont consenti à M. [B] [O], pharmacien, un bail commercial portant sur les locaux du rez-de-chaussée d'un immeuble leur appartenant situés [Adresse 1] - [Adresse 2] à [Localité 6], pour une durée de 9 années entières et consécutives à compter du 9 août 1971.

Par acte notarié des 11 et 23 octobre ainsi que 4 novembre 1971, Mme [V] et M. [X] ont en outre consenti à M. [O] un bail commercial portant sur les locaux du 1er étage du dit immeuble, correspondant à un appartement à usage d'habitation, pour une durée de huit ans trois mois et neuf jours à compter du mois d'avril 1972 et jusqu'au 9 août 1980.

Ces deux baux ont fait l'objet d'un renouvellement pour une période de neuf ans à compter du 9 août 1980 en vertu d'un jugement du juge des loyers commerciaux de [Localité 6] du 2 avril 1982.

Le 19 mars 1991, M. [O], aux droits duquel intervient désormais la SNC Pharmacie Centrale, a fait délivrer une demande de renouvellement du bail à M. et Mme [S], venant aux droits de Mme [V] et de M. [X] en qualité de nu-propriétaires, aux côtés de la SCI AMS en qualité d'usufruitier.

Mme [C] [S] a fait délivrer un congé avec offre de renouvellement le 8 février 2000, portant sur les locaux commerciaux à usage de pharmacie et le local d'habitation situé au 1er étage.

Par acte extrajudiciaire du 3 mars 2009, la société Pharmacie Centrale a fait délivrer une demande de renouvellement des deux baux, à savoir le bail commercial à effet du 9 août 1971 portant sur le local commercial situé [Adresse 1] (rez-de-chaussée) et le bail commercial en date des 11 et 23 octobre ainsi que 4 novembre 1971 correspondant au 1er étage de l'immeuble situé [Adresse 1].

Par acte extrajudiciaire du 25 juillet 2018, la SNC Pharmacie Centrale a fait délivrer une demande de renouvellement concernant les deux baux.

Par acte extrajudiciaire du 23 octobre 2018, le bailleur a fait savoir :

- qu'il acceptait le principe du renouvellement du bail commercial pour le local situé en rez-de-chaussée moyennant un loyer annuel de 52 000 euros, taxe foncière à la charge du preneur et loyer payable trimestriellement à terme échu,

- qu'il refusait le renouvellement concernant le second bail en date des 11 et 23 octobre ainsi que 4 novembre 1971 pour faute grave.

Par courrier du 23 avril 2019, le bailleur a fait savoir qu'il déniait au preneur le statut des baux commerciaux pour le bail concernant les locaux du 1er étage en sollicitant la restitution des lieux.

En l'absence de restitution spontanée par le preneur, il a saisi le juge des loyers commerciaux aux fins de voir juger que la société Pharmacie Centrale ne peut bénéficier du statut des baux commerciaux prévu aux articles L 145-1 et suivants du code de commerce, ni en conséquence bénéficier du droit au renouvellement du bail portant sur les locaux situés au premier étage du [Adresse 1] à [Localité 6], et a sollicité en conséquence l'expulsion de la locataire des dits locaux.

Par jugement du 13 novembre 2019, le juge des loyers commerciaux s'est déclaré incompétent au profit du tribunal de grande instance de Dijon.

*****

Par acte d'huissier du 19 septembre 2020, M. [R] [S] et la SCI AMS, reprenant les prétentions et moyens exposés dans le mémoire préalable établi par leur soins, ont saisi le juge des loyers commerciaux, en lui demandant, au visa de l'article L 145-33 du code de commerce, de :

- désigner tel expert qu'il lui plaira avec mission de :

' se rendre sur place,

' se voir remettre par les parties l'ensemble des documents nécessaires,

' déterminer la valeur locative des locaux situés [Adresse 1] - [Adresse 2] à [Localité 6] conformément aux dispositions des articles L 141 et suivants du code de commerce,

' soumettre son pré-rapport aux parties,

- impartir à l'expert une date butoir pour déposer son rapport au greffe,

- dire qu'en cas d'empêchement l'expert sera remplacé par ordonnance rendue sur simple requête,

- dire que les dépens seront joints au fond,

- fixer à 40 000 euros HT et hors charges par an, soit 10 000 euros par trimestre HT et hors charges, le montant du loyer provisionnel durant la procédure,

- dire que le montant du loyer du bail renouvelé s'appliquera à compter de la réponse du bailleur à la demande de renouvellement,

- dire que la consignation des frais d'expertise sera à la charge de la SCI AMS et de M. [S],

- dire qu'il sera statué sur les dépens et l'articIe 700 du code de procédure civile après expertise.

La SNC Pharmacie Centrale a notifié à M. [S] et à la SCI AMS, par lettre recommandée envoyée le 14 mai 2021, son mémoire en réponse n°3 aux termes duquel elle a demandé au juge des loyers commerciaux de :

A titre principal, vu les articles R 145-24 et R 145-29 du code de commerce,

- dire et juger irrecevables les demandes de M. [S] et de la SCI AMS,

A titre subsidiaire, vu les articles L 145-33 et L 145-34 du code de commerce,

- dire et juger mal fondées les demandes de M. [S] et de la SCI AMS et les en débouter,

A titre infiniment subsidiaire,

- compléter la mission de l'expert qui, en point 3 avant la détermination de la valeur locative, devra :

' fournir tous les éléments permettant d'apprécier le principe d'un éventuel déplafonnement selon les critères des articles L 145-33 et L 145-34 du code de commerce,

- dire et juger que l'expertise se fera aux frais avancés du bailleur,

En tout état de cause,

- condamner M. [S] et la SCI AMS à lui payer la somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner M. [S] et la SCI AMS en tous les dépens.

Par jugement du 7 juillet 2021, le juge des loyers commerciaux a :

- déclaré irrecevables les demandes de M. [S] et de la SCI AMS,

- condamné M. [S] et la SCI AMS à payer à la SNC Pharmacie Centrale la somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné M. [S] et la SCI AMS aux entiers dépens.

M. [S] et la SCI AMS ont relevé appel de cette décision, par déclaration reçue au greffe le 2 août 2021, portant sur l'ensemble des chefs de jugement expressément critiqués.

Par conclusions n° 2 notifiées le 1er avril 2022, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens au soutien de leurs prétentions, les appelants demandent à la cour de :

Vu l'article L 145-33 du code de commerce,

Vu l'article 117 du code de procédure civile,

- les recevoir en leur appel,

- réformer intégralement le jugement rendu le 7 juillet 2021,

Statuant à nouveau,

- désigner tel expert qu'il plaira avec mission de :

' se rendre sur place,

' se voir remettre par les parties l'ensemble des documents nécessaires,

' déterminer la valeur locative des locaux situés [Adresse 1] ' [Adresse 2] à [Localité 6] conformément aux dispositions des articles L 141 et suivants du code de commerce,

' soumettre son pré-rapport aux parties,

- impartir à l'expert une date butoir pour déposer son rapport au greffe,

- dire qu'en cas d'empêchement l'expert sera remplacé par ordonnance rendue sur simple requête,

- dire que les dépens seront joints au fond,

- fixer à 40 000 euros HT et hors charge par an soit 10 000 euros par trimestre HT et hors charges le montant du loyer provisionnel durant la procédure,

- dire que le montant du loyer du bail renouvelé s'appliquera à compter de la réponse du bailleur à la demande de renouvellement,

- dire que la consignation des frais d'expertise sera, à hauteur des 2/3, à la charge de la société AMS et de M. [R] [S] et à hauteur d'1/3 à la charge de la société Pharmacie Centrale,

- dire qu'il sera statué sur les dépens et l'article 700 de code de procédure civile après expertise.

Par conclusions notifiées le 19 janvier 2022, la SNC Pharmacie Centrale demande à la cour de :

A titre principal,

Vu les articles R 145-24 à R 145-29 du code de commerce,

- dire et juger irrecevables les demandes de M. [R] [S] et de la SCI AMS,

- confirmer le jugement du 7 juillet 2021,

A titre subsidiaire,

Vu les articles L 145-33 et L 145-34 du code de commerce,

- dire et juger mal fondées les demandes de M. [R] [S] et de la SCI AMS et les en débouter,

A titre infiniment subsidiaire,

- compléter la mission de l'expert qui, en point 3 avant la détermination de la valeur locative, devra :

' fournir tous les éléments permettant d'apprécier le principe d'un éventuel déplafonnement selon les critères des articles L 145-33 et L 145-34 du code de commerce,

- dire et juger que l'expertise se fera aux frais avancés du bailleur,

En tout état de cause,

- condamner M. [R] [S] et la SCI AMS à lui payer la somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner M. [R] [S] et la SCI AMS en tous les dépens de première instance et d'appel.

La clôture de la procédure a été prononcée par ordonnance du 4 avril 2023.

SUR CE

Pour déclarer irrecevables les demandes d'expertise et de fixation d'un loyer provisionnel, le premier juge s'est fondé sur les dispositions des articles R 145-23, R 145-26 et R 145-27 du code de commerce relatifs à la procédure en fixation du prix du bail révisé ou renouvelé et il a considéré que l'absence de mémoire régulièrement notifié, situation qui inclut l'hypothèse de la notification à un destinataire erroné, s'agissant en l'espèce du conseil du preneur dépourvu de mandat, constitue une irrégularité de fond qui peut être soulevée à tout moment et qui entraîne la nullité de l'acte sans qu'il soit nécessaire de justifier d'un grief.

Au soutien de leur appel, les bailleurs prétendent avoir bien notifié leur mémoire par voie recommandée à la SNC Pharmacie Centrale préalablement à la saisine du juge des loyers, conformément à l'article R 145-47 du code de commerce.

Ils font valoir que deux courriers de notification ont été adressés, l'un à la SNC Pharmacie Centrale

et l'autre à son conseil, qui mentionnent les bonnes adresses de chacune des parties, mais que le bordereau d'envoi du recommandé destiné à la Pharmacie Centrale comporte une erreur puisque dans la case destinataire il mentionne ' Pharmacie Centrale [Adresse 5]', de sorte que le courrier a été distribué au cabinet de Me [G], alors qu'il ne comporte pas l'identité du cabinet, les deux courriers ayant ainsi été distribués au cabinet d'avocat.

Ils soutiennent que, contrairement à ce qu'a retenu le premier juge, l'irrégularité résultant de la notification d'un mémoire à une mauvaise adresse mais au bon destinataire n'est pas une irrégularité de fond, l'erreur d'adresse dans un acte de procédure constituant une irrégularité de forme.

Ils en déduisent qu'il n'y a pas eu d'absence de notification du mémoire, ce dernier ayant pu être réceptionné par l'avocat du preneur qui a pu valablement le remettre à ce dernier, et qu'il n'existe aucun grief pour la SNC Pharmacie Centrale qui a nécessairement reçu l'acte.

L'intimée objecte qu'elle n'a pas été rendue destinataire par le bailleur du mémoire préalable à la saisine du juge prévu par l'article R 145-27 du code de commerce car l'adresse indiquée sur les avis postaux n'est pas son adresse mais celle de son avocat et l'accusé de réception de la lettre recommandée de notification est signé par la secrétaire du cabinet d'avocat.

Elle fait valoir que seule la SELARL [G]-Baudry a été rendue destinataire du mémoire préalable qui ne lui a pas été notifié directement ni à une personne mandatée à cet effet, en précisant que le cabinet d'avocat ne peut pas être considéré comme habilité à recevoir le mémoire pour son compte à défaut d'élection de domicile, de mandat précis et de constitution.

Elle approuve le premier juge d'avoir retenu qu'il s'agit d'une irrégularité de fond au sens de l'article 117 du code de procédure civile et que l'absence de mémoire préalable est sanctionnée par l'irrecevabilité de la saisine du juge des loyers.

Selon l'article R 145-26 du code de commerce, les mémoires sont signés par les avocats des parties et ils sont notifiés par chacune des parties à l'autre par lettre recommandée avec demande d'avis de réception.

L'article R 145-27 du même code précise que le juge ne peut, à peine d'irrecevabilité, être saisi avant l'expiration d'un délai d'un mois suivant la réception par son destinataire du premier mémoire établi.

Il appartient à celui qui se prévaut de la notification du mémoire d'en rapporter la preuve.

Or, en l'espèce, il résulte des pièces produites que le mémoire notifié par les bailleurs le 15 juillet 2020 à la SNC Pharmacie Centrale n'a pas été adressé au [Adresse 1] à [Localité 6] mais au [Adresse 5], qui est l'adresse du conseil du preneur.

Si, comme l'a rappelé le premier juge, la notification à un destinataire erroné est une irrégularité de fond entraînant la nullité de l'acte, la notification du mémoire des bailleurs était bien destinée à la SNC Pharmacie Centrale mais elle est intervenue à une adresse erronée, alors qu'il n'est pas contesté que le conseil du preneur ne disposait d'aucun mandat pour réceptionner le mémoire.

L'erreur commise quant au lieu de délivrance du mémoire est constitutive d'une irrégularité de forme et, conformément aux prévisions de l'article 114 du code de procédure civile, elle ne peut entraîner la nullité de la notification qu'à charge pour celui qui l'invoque de prouver le grief que lui cause l'irrégularité.

Or, en l'espèce, le preneur prétend que le mémoire notifié au cabinet de son conseil ne lui a pas été transmis et aucune des pièces produites par les appelants ne démontre que la SNC Pharmacie Centrale a bien reçu le mémoire un mois avant la délivrance de l'assignation le 19 septembre 2020, étant observé que la notification est intervenue durant la période des vacances estivales.

C'est donc à bon droit que le premier juge a considéré que l'acte de notification était nul et, qu'en l'absence de mémoire régulièrement notifié dans les conditions de l'article R 145-27 du code de commerce, les demandes des bailleurs étaient irrecevables, le jugement déféré méritant d'être confirmé en toutes ses dispositions.

M. [S] et la SCI AMS qui succombent en leur appel seront condamnés aux dépens de la procédure.

Il n'est par ailleurs pas inéquitable de mettre à leur charge une partie des frais de procédure exposés par l'intimée et non compris dans les dépens.

Ils seront ainsi condamnés à lui verser la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme le jugement rendu le 7 juillet 2021 par le juge des loyers commerciaux du Tribunal judiciaire de Dijon en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Condamne M. [S] et la SCI AMS à payer à la SNC Pharmacie Centrale la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,en cause d'appel,

Condamne M. [S] et la SCI AMS aux dépens d'appel.

Le Greffier, Le Président,