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Décisions

CA Orléans, ch. civ., 17 octobre 2023, n° 20/02716

ORLÉANS

Arrêt

Autre

CA Orléans n° 20/02716

17 octobre 2023

COUR D'APPEL D'ORLÉANS

C H A M B R E C I V I L E

GROSSES + EXPÉDITIONS : le 17/10/2023

la SELARL CELCE-VILAIN

la SCP LAVAL - FIRKOWSKI

ARRÊT du : 17 OCTOBRE 2023

N° : - 23

N° RG 20/02716 - N° Portalis DBVN-V-B7E-GINA

DÉCISION ENTREPRISE : Jugement TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP d'ORLEANS en date du 25 Novembre 2020

PARTIES EN CAUSE

APPELANTE :- Timbre fiscal dématérialisé N°: 1265264908334036

S.A. JOUVE immatriculée au RCS de LAVAL sous le n° B 382 131 264, agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège

[Adresse 1]

[Localité 4]

ayant pour avocat postulant Me Pascal VILAIN de la SELARL CELCE-VILAIN, avocat au barreau d'ORLEANS,

ayant pour avocat plaidant Me Louis GABIZON de l'AARPI AARPI LGJF GABIZON-FOIRIEN, avocat au barreau de PARIS

D'UNE PART

INTIMÉS : - Timbre fiscal dématérialisé N°: 1265264629835493

S.C.I. EMMATHOMAS prise en la personne de son représentant légal, domicilié en cette qualité au siège social

[Adresse 5]

[Localité 8]

ayant pour avocat postulant et plaidant Me Olivier LAVAL de la SCP LAVAL - FIRKOWSKI, avocat au barreau d'ORLEANS

Maître [D] [Z] ès qualité de mandataire ad'hoc de la SCI DU CHAMP DE MAÏS

[Adresse 2]

[Localité 3]

Non représenté, n'ayant pas constitué avocat

D'AUTRE PART

DÉCLARATION D'APPEL en date du :22 Décembre 2020

ORDONNANCE DE CLÔTURE du : 26 juin 2023

COMPOSITION DE LA COUR

Lors des débats, du délibéré :

Mme Anne-Lise COLLOMP, Présidente de chambre,

M. Laurent SOUSA, Conseiller,

Mme Laure Aimée GRUA, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles.

Greffier :

Mme Karine DUPONT, Greffier lors des débats et du prononcé.

DÉBATS :

A l'audience publique du 04 SEPTEMBRE 2023, ont été entendus Monsieur Laurent SOUSA, Conseiller, en son rapport et les avocats des parties en leurs plaidoiries.

ARRÊT :

Prononcé le 17 OCTOBRE 2023 par mise à la disposition des parties au Greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

***

FAITS ET PROCÉDURE

Par acte authentique du 9 décembre 2015, la SCI du champ de maïs, dont la société Jouve est associée, a vendu à la SCI Emmathomas un immeuble à usage industriel situé [Adresse 5] à [Localité 8] (45).

L'immeuble vendu a présenté un défaut d'alimentation en haute-tension qui n'a pu être résolu qu'au mois de juin 2016.

La SCI du champ de maïs a fait l'objet d'une liquidation amiable, son liquidateur étant M. [L] [K], et a été radiée du registre du commerce le 24 novembre 2016.

Par acte d'huissier en date du 14 décembre 2017, la SCI Emmathomas a fait assigner devant le tribunal de grande instance d'Orléans, M. [K] ès qualités de liquidateur de la SCI du champ de maïs et la société Jouve, aux fins d'indemnisation du préjudice subi.

Par ordonnance sur requête en date du 10 avril 2018, Me [D] [Z] a été désigné ès qualités d'administrateur ad'hoc de la SCI du champ de maïs.

Par jugement en date du 25 novembre 2020 assorti de l'exécution provisoire, le tribunal judiciaire d'Orléans a :

- donné acte à Me [Z], ès qualités de mandataire ad'hoc de la SCI du champ de maïs, de son intervention volontaire ;

- constaté que l'exception d'irrecevabilité soulevée est sans objet et qu'il n'est plus formulé de demandes contre M. [L] [K] ès-qualités de liquidateur de la SCI du champ de maïs ;

- déclaré la SCI Emmathomas recevable et bien fondée en son action ;

- condamné in solidum la SCI du champ de maïs prise en la personne de son mandataire ad'hoc Me [Z] et la société Jouve associée et venant aux droits de la SCI du champ de maïs à lui payer les sommes suivantes :

5 199,34 € au titre des frais de raccordement électrique ;

75 000 € au titre de la perte des loyers ;

3 000 € au titre du préjudice moral ;

- débouté M. [K] de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

- rejeté toutes autres demandes, plus amples ou contraires ;

- condamné in solidum la SCI du champ de maïs prise en la personne de son mandataire ad'hoc Me [Z] et la société Jouve son associée et venant à ses droits aux droits de la SCI du champ de maïs à payer à la SCI Emmathomas la somme de 4 500 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civil ;

- condamné in solidum la SCI du champ de maïs prise en la personne de son mandataire ad'hoc Me [Z] et la société Jouve son associée et venant aux droits de la SCI du champ de maïs aux dépens, et accordé à la SCP Olivier Laval et Joanna Firkowski, avocats, le bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Pour statuer ainsi, le tribunal a considéré que le vendeur a commis une réticence dolosive et que s'agissant d'un immeuble à usage industriel, l'absence de raccordement au réseau électrique constitue un manquement à l'obligation de délivrance conforme, justifiant la condamnation du vendeur et de l'associé indéfiniment responsable à indemniser l'acquéreur des préjudices subis.

Par déclaration du 22 décembre 2020, la société Jouve a interjeté appel de l'intégralité des chefs du jugement, en ne visant toutefois pas M. [K] ès qualités de liquidateur amiable de la SCI du champ de maïs.

Par acte d'huissier de justice du 17 février 2021, la société Jouve a fait signifier la déclaration d'appel à Me [D] [Z] ès qualités d'administrateur ad'hoc de la SCI du champ de maïs, l'acte ayant été remis à domicile. Me [Z] n'ayant pas constitué avocat devant la cour, l'arrêt sera prononcé par défaut.

Suivant conclusions notifiées par voie électronique le 12 février 2021, la société Jouve demande à la cour de :

- réformer le jugement en toutes ses dispositions ;

À titre principal,

- dire et juger que le raccordement électrique des bâtiments est un élément externe à la vente qui ne portait que sur la cession de l'immeuble et qu'en conséquence elle ne saurait être tenue à ce titre d'une quelconque obligation de délivrance de garantie de vices cachés ;

Subsidiairement,

- dire et juger que les clauses d'exclusion doivent trouver à s'appliquer, l'acquéreur ayant accepté de renoncer à toute garantie des vices cachés ayant déclaré avoir été lui-même à même d'effectuer toutes les vérifications techniques lui permettant d'évaluer l'état du bien ;

- dire et juger que la réticence dolosive du vendeur ne peut être retenu alors que la mauvaise foi ne peut se déduire d'une absence d'information portant sur un élément technique survenu plusieurs années avant la réalisation de la vente, dont il ne peut être établi que le représentant de la SCI du champ de maïs avait connaissance ;

Plus subsidiairement,

- dire et juger que le montant du préjudice allégué par la SCI Emmathomas ne saurait être calculé sur la base de loyers de convenance, seule la valeur locative objective du bien pouvant être retenue, laquelle ne saurait excéder 70 000 € annuels, soit 5 800 € par mois ;

En conséquence,

- déclarer la SCI Emmathomas mal fondée en toutes ses demandes, et l'en débouter ;

Très subsidiairement,

- réformer la décision dont appel concernant le montant des dommages alloués, ramener leur évaluation à la somme de 11 600 € ;

- condamner encore la SCI Emmathomas au paiement à son profit de la somme de 6 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de l'instance ;

- dire que, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile, Me Pascal Vilain pourra recouvrer directement les frais dont il a fait l'avance sans en avoir reçu provision.

Suivant conclusions notifiées par voie électronique le 7 juin 2023, la SCI Emmathomas demande à la cour de :

- dire l'appel principal, formé par la société Jouve mal fondé et dire la SCI Emmathomas recevable et bien fondée en son appel incident ;

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré la SCI Emmathomas recevable et bien fondée en son action ;

- condamner in solidum la SCI du champ de maïs prise en la personne de son mandataire ad'hoc et la société Jouve à lui payer la somme de 155 199,34 € à titre de dommages et intérêts pour perte de loyers et travaux de remise en état outre 15 000 € pour préjudice matériel et moral ;

Subsidiairement,

- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions indemnitaires en sa faveur ;

- condamner, en toute hypothèse, in solidum, les intimés à lui payer la somme de 12 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel.

- débouter la SCI du champ de maïs et la société Jouve de toutes demandes, fins et prétentions contraires.

- les condamner in solidum aux entiers dépens de première instance et d'appel et accorder à la SCP Olivier Laval & Joanna Firkowski, le droit prévu à l'article 699 du code de procédure civile.

Pour un plus ample exposé des faits et des moyens des parties, il convient de se reporter à leurs dernières conclusions.

MOTIFS

Sur la réticence dolosive

Moyens des parties

L'appelante soutient que rien ne permet de juger que M. [K] aurait, de mauvaise foi, sciemment dissimulé quelque information que ce soit, et notamment le dé-raccordement au réseau électrique dont il ignorait le principe et les modalités mais également les conséquences que celui-ci pouvait avoir lors du rétablissement de la jonction au réseau ; que le courrier adressé par ERDF à la société Jouve le 3 décembre 2014, sollicitant l'autorisation de procéder au dé-raccordement pour des raisons de sécurité ne précisait aucunement comment cette opération serait réalisée, et notamment qu'elle consistait à couper les câbles enterrés ; que n'étant pas familière de ce domaine, elle ne pouvait que s'en remettre à l'appréciation d'ERDF pour procéder au dé-raccordement, et ne pouvait en aucun cas anticiper qu'une telle opération puisse nécessiter autre chose qu'une simple intervention légère à l'intérieur du transformateur, voire qu'une simple disjonction à l'intérieur de cet équipement ; que les obstacles et les délais auxquels la SCI Emmathomas prétend s'être trouvée confrontée pour obtenir son raccordement au réseau fait partie des aléas inhérents à la vente en l'état d'une installation à l'arrêt, qu'elle avait eu le loisir d'examiner et d'auditer en détail, alors qu'il était clairement exprimé qu'elle renonçait à tous recours reconnaissant expressément en prendre possession « en son état actuel en pleine connaissance de cause » ; que contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, l'existence d'un courrier aux termes duquel un technicien, ne faisant plus partie depuis plusieurs années de l'effectif de l'entreprise à la date de la vente, donnait son accord au dé-raccordement, ne saurait à elle seule caractériser la réticence dolosive.

La SCI Emmathomas réplique que le vendeur s'est bien gardé de préciser qu'il avait autorisé ERDF, moins d'un an avant la vente, à procéder au dé-raccordement de l'installation et que ce dé-raccordement consistait en fait à une section pure et simple de l'ensemble des câbles d'alimentation et à l'enfouissement de ces derniers ; que la clause selon laquelle le vendeur déclare avoir résilié le contrat de fourniture de fluide afférent à l'immeuble, ne saurait exonérer le vendeur de sa responsabilité ; que la résiliation d'un contrat d'abonnement est différente d'une autorisation de dé-raccordement, c'est-à-dire de la coupure totale et irréversible du réseau par destruction et enfouissement des câbles d'alimentation reliant initialement l'immeuble vendu au réseau public ; que toute clause exonératoire de garantie n'a aucune valeur lorsqu'elle est stipulée de mauvaise foi, comme cela est le cas en l'espèce ; que le contrat de vente laissait supposer qu'il n'y a pas eu de rupture de contrat de fourniture de fluide ou, qu'en tous les cas, l'immeuble était normalement alimenté en électricité ; qu'il a fallu de très longues et fastidieuses recherches pour découvrir, qu'en réalité, les câbles d'alimentation avaient été sectionnés et enfouis ; qu'elle a donc été victime d'un dol par réticence au sens de l'article 1116 ancien du code civil.

Réponse de la cour

L'article 1116 du code civil dans sa version antérieure à l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, applicable en l'espèce, dispose :

« Le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manœuvres pratiquées par l'une des parties sont telles, qu'il est évident que, sans ces manœuvres, l'autre partie n'aurait pas contracté.

Il ne se présume pas et doit être prouvé ».

La SCI Emmathomas justifie que, postérieurement à la vente, elle a été contrainte de solliciter le raccordement de l'immeuble, acquis de la SCI du champ de maïs, au réseau public de distribution d'électricité. Le 21 avril 2016, la société ERDF a ainsi formalisé une proposition de raccordement par l'intermédiaire d'un poste de livraison par la création d'un réseau souterrain neuf de 2 x 5 mètres.

Elle produit également un courrier recommandé en date du 3 décembre 2014, adressé par la société ERDF à la société Jouve, associée de la SCI du champ de maïs, ainsi rédigé :

« Le contrat de fourniture [...] alimenté par le poste de transformation « imprimerie nouvelle » dont vous êtes propriétaire à l'adresse « [Adresse 6] à [Localité 8] » est résilié depuis plus de 6 mois.

Conformément à l'article 18 du décret du 2 décembre 2011, et afin de garantir la sécurité du site, il est nécessaire de procéder au dé-raccordement de votre installation.

Nous vous demandons de bien vouloir nous faire parvenir votre accord par retour de courrier a'n que nous puissions programmer les travaux.

Sans réponse de votre part, pour des raisons de sécurité, nous procéderons au dé-raccordement de votre poste de livraison.

À l'issue des travaux, nous vous ferons parvenir la facture du montant de ses travaux, et, sans règlement de votre part, nous transmettrons ensuite le dossier à notre service contentieux qui entamera les démarches nécessaires pour recouvrer la somme.

Nous vous rappelons qu'il vous appartient de veiller au maintien en conditions opérationnelles de vos installations (accès, propreté, protection contre l'intrusion, étanchéité, etc) et de procéder à l'entretien, et éventuellement le renouvellement de vos installations selon les règles en vigueur ».

Le 10 décembre 2014, la société ERDF a adressé un courrier électronique comprenant la même demande, à M. [Y], responsable des services généraux/logistique industrie et technique de la société Jouve. Par courrier électronique du 17 décembre 2014, ce dernier a donné l'autorisation à la société ERDF de procéder au dé-raccordement électrique du site de [Localité 8].

La société Jouve allègue sans en justifier que M. [Y] ne faisait plus partie des effectifs de la société depuis plusieurs années « à la date de la vente », mais ne soutient pas qu'il n'était plus salarié au jour de l'autorisation délivrée à la société ERDF de procéder au dé-raccordement de l'installation de [Localité 8]. Il y a d'ailleurs lieu de relever que le courrier électronique du 17 décembre 2014 émane bien d'une adresse de messagerie de la société Jouve à laquelle la société ERDF avait écrit (« [Courriel 7]), et le courrier électronique comporte tant le logo que les coordonnées de la société Jouve .

La société Jouve était donc informée tant du dé-raccordement que de ses conséquences. En effet, la société Jouve a été informée à deux reprises par la société ERDF de la nécessité de procéder au dé-raccordement de l'installation, par un courrier adressé au siège de la société, et par un courrier électronique adressé au responsable des services généraux, M. [Y]. En outre, les courriers de la société ERDF évoquent sans ambiguïté un dé-raccordement, à savoir la suppression de la liaison électrique au réseau de distribution et des travaux dont le coût était à la charge de la société Jouve dont elle ne peut ignorer le montant.

La société Jouve avait conclu un mandat de recherche d'acquéreurs avec la société BNP Paribas Real Estate Transaction France, pour le site du [Adresse 5] à [Localité 8] le 1er juillet 2013.

Le 29 octobre 2015, la SCI du champ de maïs a conclu une promesse synallagmatique de vente des locaux professionnels situés à [Localité 8] avec M. [T], qui se fera substituer lors de la vente par la SCI Emmathomas, qui ne comporte aucune déclaration du vendeur sur l'absence de raccordement électrique. Le vendeur avait seulement indiqué avoir résilié le contrat de fournitures de fluides afférent à l'immeuble.

La promesse de vente comportait en outre les clauses suivantes :

« Les Parties déclarent que, préalablement à la signature de la Promesse le Vendeur a mis à la disposition de l'Acquéreur une documentation au titre de son devoir d'information.

Le Vendeur déclare que la documentation communiquée a l'Acquéreur a été constituée de bonne foi par ses soins, et qu'il a fait ses meilleurs efforts afin de réunir des éléments d'information aussi complets que possible.

Le Vendeur déclare cependant que, malgré ses meilleurs efforts, la documentation réunie pourrait être considérée sur certains points comme incomplète.

L'Acquéreur déclare en prendre acte, sans aucun recours contre le Vendeur, considérant que la documentation lui a permis de réaliser toute investigation nécessaire pour apprécier la situation juridique, fiscale, administrative, technique, et environnementale de l'immeuble ».

Il n'est ni allégué ni justifié que la documentation mise à la disposition de l'acquéreur comportait les informations sur le dé-raccordement de l'immeuble au réseau de distribution d'électricité. La clause relative au caractère incomplet de la documentation fournie à l'acquéreur et sur l'absence de recours de celui-ci à l'encontre du vendeur, ne saurait exonérer le vendeur de sa responsabilité pour avoir gardé sous silence une information déterminante du consentement de l'autre partie.

Le vendeur avait connaissance que l'immeuble vendu, à usage industriel, comprenant bureaux, locaux sociaux, ateliers et locaux de stockage, avait vocation à être exploité par l'intermédiaire de la SCI Emmathomas. Celle-ci a d'ailleurs conclu deux baux commerciaux à effet au 1er février 2016, portant sur les locaux acquis avec les sociétés Paage Packaging et Deret Cosmétique. L'alimentation en électricité du site était ainsi une condition déterminante du consentement de la SCI Emmathomas qui n'aurait pas acquis le bien si cette information avait été portée à sa connaissance ou l'aurait acquis à un prix moindre, en exigeant la réalisation de travaux de raccordement avant la signature de l'acte authentique.

Dès lors que le vendeur avait indiqué avoir procédé à la résiliation du contrat de fourniture d'électricité, l'acquéreur ne pouvait savoir, sans information délivrée par le vendeur, que le site ne pouvait pas être alimenté en électricité faute d'un raccordement au réseau de distribution. L'information gardée sous silence ne pouvait donc être connue de l'acquéreur même avec la réalisation de vérifications sommaires.

Il résulte de ces éléments que le vendeur a commis une réticence dolosive intentionnelle au préjudice de l'acquéreur, de sorte que la SCI Emmathomas est bien-fondée à rechercher sa responsabilité et celle de la société Jouve, associée indéfiniment responsable. Le jugement sera donc confirmé de ce chef. Il n'y a donc pas lieu d'examiner les mêmes demandes indemnitaires au titre de l'obligation de délivrance conforme du vendeur, la faute de celui-ci engageant sa responsabilité étant préexistante à l'obligation de délivrance.

Sur l'indemnisation de l'acquéreur

Moyens des parties

L'appelante soutient qu'aucun élément probant n'est fourni justifiant des diligences accomplies par la SCI Emmathomas pour diagnostiquer le dé-raccordement et pour obtenir le raccordement attendu auprès d'ERDF ; que l'argument selon lequel le diagnostic aurait été difficile ne peut être retenu, tant il apparaît évident qu'il suffisait d'interroger le prestataire dès lors qu'il était constaté que l'installation ne bénéficiait pas d'alimentation électrique ; que si la cour envisageait une indemnisation du préjudice allégué, celui-ci ne saurait être évalué à une somme supérieure à un mois de location ; que les sociétés locataires entretiennent des liens capitalistiques étroits avec la société Emmathomas, et le montant des loyers de convenance fixé apparaît particulièrement disproportionné avec le prix d'achat des locaux ; que le montant du loyer vont servir de base à l'évaluation d'une indemnisation ne saurait donc être supérieur à 70 000 € par an, soit 5 800 € par mois.

La SCI Emmathomas fait valoir qu'elle demande le remboursement du coût des frais de raccordement électrique à hauteur d'une somme de 5 199,34 euros, de sorte que le jugement sera confirmé sur ce point ; qu'à raison du délai nécessaire pour diagnostiquer et exécuter les travaux, elle n'a pu, immédiatement, avoir une jouissance normale des lieux et les mettre à disposition de ses locataires qu'à partir de juillet 2016 ; qu'elle a ainsi subi une perte de loyer de février à mai/juin 2016, et non sur trois mois seulement comme l'a retenu à tort le tribunal ; qu'elle a bien subi une perte hors taxe de 25 000 euros par mois de loyer sur 6 mois, de sorte que la somme de 150 000 euros réclamée est tout à fait justifiée ; que le dommage est certain nonobstant les dénégations des défendeurs ; que les loyers payés par Deret Cosmétique sont les mêmes que ceux qu'elle payait dans des locaux précédents ce qui prouve bien qu'ils correspondent à la valeur du marché et aux besoins de son activité ; que si la société Paage Packaging a le même dirigeant que la SCI bailleresse, les deux sociétés sont pour autant des personnes juridiques distinctes ; que les sociétés Jouve et SCI du champ de maïs représentée par son mandataire ad'hoc devront également être condamnées à réparer le préjudice matériel et moral accessoire subi compte tenu des nombreux tracas qu'elle aura dû assumer, à hauteur de 15 000 euros et non seulement 3 000 euros tel qu'arbitré par le tribunal.

Réponse de la cour

La SCI Emmathomas justifie avoir été contrainte de dépenser la somme de 5 199,34 euros au titre des travaux de raccordement électrique des locaux à usage professionnel acquis auprès de la SCI du champ de maïs. Cette dépense étant en lien direct avec la réticence dolosive commise par le vendeur, il convient de la retenir au titre du préjudice subi par l'acquéreur.

La SCI Emmathomas justifie avoir conclu deux baux commerciaux à effet au 1er février 2016, portant sur les locaux acquis, l'un avec la société Paage Packaging pour un loyer annuel de 110 214 euros HT, et le second avec la société Deret Cosmétique pour un loyer annuel de 225 342 euros HT.

Or, il est établi que le bien immobilier a été vendu alors qu'il n'était plus raccordé au réseau électrique haute-tension.

La SCI Emmathomas a ainsi évoqué le défaut de raccordement électrique des locaux dans un courrier électronique du 7 janvier 2016, adressé à la société Jouve, avec copie au notaire instrumentaire :

« Je me permets de tous vous contacter et vous mettre en copie car je rencontre un problème plus qu'important avec le bâtiment de [Localité 8].

« En effet, la réouverture électrique de ce bâtiment est un calvaire et ceci depuis le 14 décembre 2015.

À ce jour l'électricité n'est toujours pas dans ce bâtiment. La raison est apparemment que l'ancien propriétaire a reçu il y a 1 an et demi un courrier de Edf ou Erdf lui indiquant que sans réponse de leur part ils coupaient le câble bien avant le transformateur.

Je n'ai pas été informé de ce courrier.

Je rencontre aujourd'hui les pires difficultés à mettre l'électricité ».

La société Jouve n'allègue ni ne justifie avoir répondu à ce courrier. Elle ne peut reprocher à l'acquéreur le délai pour diagnostiquer le défaut de raccordement électrique et obtenir un nouveau raccordement, alors qu'elle n'a pas informé la SCI Emmathomas tant lors de la vente que postérieurement à celle-ci de la coupure des câbles souterrains haute-tension, justifiant la réalisation d'investigations pour identifier et remédier au problème d'alimentation électrique.

En conséquence, la société Jouve doit réparer la perte de loyers subie par la SCI Emmathomas à compter du 1er février 2016, date d'effet des baux, les locataires n'ayant pu entrer en possession des lieux.

Le tribunal a retenu que les locaux étaient disponibles dès le 1er mai 2016 sans qu'il n'existe de pièce établissant la fin des travaux de raccordement à cette date. Au contraire, la proposition de raccordement électrique établie par ERDF le 21 avril 2016 mentionne un délai prévisionnel de réalisation des travaux de 20 semaines à compter de la date de réception de l'accord de la SCI Emmathomas, de sorte que les travaux ne pouvaient pas être achevés pour le 1er mai 2016.

Il résulte en revanche des pièces versées aux débats que la SCI Emmathomas a facturé à ses deux locataires des loyers pour le site du [Adresse 5] à [Localité 8] (45), à compter du mois de juin 2016, soit 22 612,20 euros pour la société Deret Cosmétique et 11 021,40 euros pour la société Paage packaging, de sorte que le dommage allégué a cessé le 1er juin 2016.

Aucun élément ne démontre le caractère disproportionné des loyers fixés lors de la conclusion des baux commerciaux, ni même qu'il s'agirait de loyers de convenance.

Il convient en conséquence d'indemniser la perte de loyers subie par la SCI Emmathomas à la somme totale de 134 534,40 euros (4 mois x (22612,20 + 11021,40)). Me [Z] ès qualités de mandataire ad'hoc de la SCI du champ de maïs et la société Jouve seront donc condamnés in solidum à payer cette somme à la SCI Emmathomas en réparation du préjudice de perte de loyers.

Le tribunal a justement fixé l'indemnité destinée à réparer le préjudice moral subi à la somme de la SCI Emmathomas à la somme de 3 000 euros, de sorte que l'appel incident de l'intimé sur ce point n'est pas fondé.

Le jugement sera infirmé sur le chef statuant sur la perte de loyers, mais confirmé en ses chefs statuant sur le coût de raccordement électrique et le préjudice moral.

Sur les frais de procédure

Compte tenu de la solution donnée au litige, le jugement sera confirmé en ses chefs statuant sur les dépens et les frais irrépétibles.

Il convient de condamner in solidum Me [Z] ès qualités de mandataire ad'hoc de la SCI du champ de maïs et la société Jouve aux dépens d'appel avec distraction au profit de la SCP Olivier Laval & Joanna Firkowski, et à payer à la SCI Emmathomas la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles d'appel.

Les demandes formées par la société Jouve au titre des dépens et frais irrépétibles seront rejetées.

PAR CES MOTIFS,

Statuant publiquement, par arrêt rendu par défaut et en dernier ressort,

INFIRME le jugement en ce qu'il a condamné in solidum la SCI du champ de maïs prise en la personne de son mandataire ad'hoc Me [Z] et la société Jouve associée et venant aux droits de la SCI du champ de maïs à lui payer la somme de 75 000 euros au titre de la perte des loyers ;

LE CONFIRME en ses autres dispositions ;

STATUANT À NOUVEAU sur le chef infirmé :

CONDAMNE in solidum Me [Z] ès qualités de mandataire ad'hoc de la SCI du champ de maïs et la société Jouve à payer à la SCI Emmathomas la somme de 134 534,40 euros au titre de la perte de loyers ;

Y AJOUTANT :

DÉBOUTE la société Jouve de ses demandes formées au titre des dépens et des frais irrépétibles ;

CONDAMNE in solidum Me [Z] ès qualités de mandataire ad'hoc de la SCI du champ de maïs et la société Jouve à payer à la SCI Emmathomas la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE in solidum Me [Z] ès qualités de mandataire ad'hoc de la SCI du champ de maïs et la société Jouve aux entiers dépens d'appel ;

DIT que la SCP Olivier Laval & Joanna Firkowski pourra recouvrer directement contre la partie condamnée ceux des dépens dont elle a fait l'avance sans en avoir reçu provision.

Arrêt signé par Madame Anne-Lise COLLOMP, Présidente de Chambre et Mme Karine DUPONT, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT