Décisions
CA Amiens, ch. économique, 26 octobre 2023, n° 22/02046
AMIENS
Arrêt
Autre
ARRET
N°
[F]
C/
[F]
[F]
[F] ÉPOUSE [N]
S.N.C. PHARMACIE DU PILORI
FLR
COUR D'APPEL D'AMIENS
CHAMBRE ÉCONOMIQUE
ARRET DU 26 OCTOBRE 2023
N° RG 22/02046 - N° Portalis DBV4-V-B7G-INSZ
JUGEMENT DU TRIBUNAL JUDICIAIRE D'AMIENS EN DATE DU 07 JANVIER 2022
PARTIES EN CAUSE :
APPELANT
Monsieur [P] [F]
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représenté par Me Eric POILLY substituant Me Jérôme LE ROY de la SELARL LEXAVOUE AMIENS-DOUAI, avocats au barreau d'AMIENS, vestiaire : 101
Plaidant par Me Sophie LAGAYETTE, avocat au barreau de LILLE
ET :
INTIMES
Monsieur [K] [F]
[Adresse 5]
[Localité 9]
Madame [Z] [F]
[Adresse 7]
[Localité 6]
Madame [I] [F] épouse [N]
[Adresse 4]
[Localité 8]
Représentés par Me Eric POILLY substituant Me Jérôme LE ROY de la SELARL LEXAVOUE AMIENS-DOUAI, avocats au barreau d'AMIENS, vestiaire : 101
Plaidant par Me Sophie LAGAYETTE, avocat au barreau de LILLE
Intimés au principal et Appelants incidents
S.N.C. PHARMACIE DU PILORI, agissant poursuites et diligences en son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 3]
[Localité 10]
Représentée par Me Arnaud EHORA de la SELARL S.FOUQUES,H.CABOCHE-FOUQUES ET A.EHORA, avocat au barreau d'AMIENS, vestiaire : 52
DEBATS :
A l'audience publique du 06 Juillet 2023 devant :
Mme Odile GREVIN, Présidente de chambre,
Mme Françoise LEROY-RICHARD, Conseillère,
et Mme Cybèle VANNIER, Conseillère,
qui en ont délibéré conformément à la loi, la Présidente a avisé les parties à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 26 Octobre 2023.
Un rapport a été présenté à l'audience dans les conditions de l'article 785 du Code de procédure civile.
GREFFIER LORS DES DEBATS : Mme Charlotte RODRIGUES
PRONONCE :
Le 26 Octobre 2023 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2ème alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile ; Mme Odile GREVIN, Présidente de chambre a signé la minute avec Mme Charlotte RODRIGUES, Greffier.
DECISION
Par acte authentique reçu le 6 février 1989 Mme [V] [L], veuve [F], et Mme [B] [F] ont consenti à Mme [J] [M] épouse [A], pharmacienne, à compter du 1er février 1989, le renouvellement d'un bail commercial du 4 février 1980, qui portait sur une maison d'habitation et de commerce, située [Adresse 3], moyennant un loyer mensuel de 4 000 francs ht et hc outre l'impôt foncier, ledit bail comportant une clause d'indexation triennale.
Mme [I] [F], épouse [N], M. [P] [F], M. [K] [F] et Mme [Z] [F] sont venus aux droits de Mme [V] [L], veuve [F] décédée.
Par acte authentique du 30 octobre 1989, Mme [J] [M], épouse [A] a cédé à l'Eurl Pharmacie du Pilori, ayant pour associé gérant, M. [O] [Y], le fonds de commerce d'officine de Pharmacie, avec tous les éléments le composant, dont le droit au bail commercial.
Par acte authentique du 6 août 2002, l'Eurl Pharmacie du Pilori a cédé son fonds de commerce à la SNC Pharmacie du Pilori, ayant pour co-gérants Mme [D] [T] et M. [O] [Y], le loyer étant alors de 4 974,91 francs.
Par acte du 2 octobre 2002, les consorts [F] ont consenti à l'Eurl Pharmacie du Pilori, le renouvellement du bail commercial pour 9 ans à compter du 1er août 2002, portant sur les locaux susdésignés, outre une cour intérieure comprenant deux bâtiments, une terrasse et un escalier extérieur, ainsi que deux caves, le tout moyennant un loyer de 15 552 € par an avec indexation triennale en fonction de l'indice INSEE du coût de la construction.
Mme [B] [F] est décédée.
Par acte du 21 janvier 2019, Mme [I] [F], épouse [N], M. [P] [F], M. [K] [F] et Mme [Z] [F] ont fait signifier à la SNC Pharmacie du Pilori, un congé à effet du 30 septembre 2019 avec offre de renouvellement moyennant un loyer révisé de 27 600 € par an.
Par LRAR du 25 janvier 2019, la SNC Pharmacie du Pilori a accepté le renouvellement du bail commercial, mais a contesté la révision du loyer, souhaitant le voir fixé à 18 000 € par an.
Par LRAR du 7 novembre 2019, la SNC Pharmacie du Pilori a notifié aux consorts [F] un mémoire préalable aux fins de fixation du loyer du bail renouvelé à la somme de 18 000 € par an à compter du 1er octobre 2019, de remboursement du trop-perçu et de condamnation des défendeurs aux dépens, ainsi qu'au paiement d'une indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Par actes d'huissier des 24 et 29 janvier 2020, la SNC Pharmacie du Pilori a fait assigner les consorts [F] devant le juge des loyers commerciaux du tribunal judiciaire d'Amiens.
Par actes d'huissier des 13 mars et 13 mai 2020, le preneur a fait dresser un état des lieux de l'immeuble.
Suivant ordonnance du 26 mai 2020, le juge des référés du tribunal judiciaire d'Amiens a ordonné une mesure d'expertise judiciaire afin d'examiner les désordres affectant les locaux donnés à bail commercial et d'évaluer les réparations incombant selon lui aux bailleurs en application de l'article 606 du code civil.
Suivant jugement avant-dire droit du 14 octobre 2020, le juge des loyers commerciaux du tribunal judiciaire d'Amiens a ordonné une mesure d'expertise judiciaire sur la valeur locative, désigné Mme [G] [W] pour la réaliser et fixé le loyer provisionnel à 19 893,84 € ht et hc par an.
L'expert judiciaire chargé d'examiner les désordres et d'évaluer les réparations incombant aux bailleurs a déposé son rapport le 26 mai 2021.
L'expert judiciaire chargé de la valeur locative a déposé son rapport le 11 juin 2021.
Les consorts [F] ont repris la procédure selon mémoire notifié par voie électronique le 8 juillet 2021, en demandant la fixation du loyer du bail renouvelé à la somme de 26 752 € à compter du 1er octobre 2019, outre des intérêts moratoires, ainsi que la somme de 5 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens.
Suivant jugement contradictoire du 7 janvier 2022, le juge des loyers commerciaux du tribunal judiciaire d'Amiens a :
- déclaré recevable la demande de fixation du loyer du bail renouvelé directement à la valeur locative ;
- fixé le loyer du bail renouvelé dont la société SNC Pharmacie du Pilori devra s'acquitter à compter du 1er octobre 2019 à la somme totale de 20 408,90 € par an ht et hc, dont la somme de 14 250,74 € par an pour les locaux commerciaux en rez de chaussée, et la somme de 6 158,16 € hc par an pour les locaux en étage du bâtiment principal, et sans valorisation pour les bâtiments à usage de dépendances en fond de cour en l'absence de travaux, cour, dépendances et annexes intégrés dans les prix ci-dessus ;
- débouté la SNC Pharmacie du Pilori de sa demande de baisse du loyer et les consorts [F] du surplus de leur demande d'augmentation du loyer ;
- dit sans objet la demande de restitution d'un trop perçu présentée par la SNC Pharmacie du Pilori et dit que les intérêts moratoires de l'éventuel arriéré résultant de la présente décision seront décomptés à compter de la notification de son montant ;
- fait masse des frais et dépens d'expertise judiciaire et ordonné leur partage par moitié entre la SNC Pharmacie du Pilori et les consorts [F] ;
- condamné in solidum Mme [I] [F], épouse [N], M. [P] [F], M. [K] [F] et Mme [Z] [F] à payer une somme de 800 €w à la SNC Pharmacie du Pilori en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.
M. [P] [F] a relevé appel de cette décision selon déclaration du 25 avril 2022.
Mme [I] [F], M. [K] [F] et Mme [Z] [F] ont formé appel incident.
Aux termes de leurs dernières conclusions remises par voie électronique le 15 mai 2023, auxquelles il est expressément renvoyé pour un exposé détaillé des moyens développés, les consorts [F] demandent à la cour d'infirmer le jugement dont appel et statuant à nouveau
- de fixer le montant annuel du loyer du bail renouvelé à effet du 1er octobre 2019 à 28 752 ht, hc ;
à titre subsidiaire,
- de fixer le montant annuel du loyer du bail renouvelé à effet du 1er octobre 2019 à la somme annuelle de 25 694 € ht, hc, et a minima le fixer à une somme qui ne pourra être inférieure à 23 033 € ht et hc;
en tout état de cause,
- de dire que les intérêts légaux seront calculés à compter du 1er octobre 2019 sur la différence entre le loyer provisionnel et le loyer qui sera fixé par la décision à venir ;
- de débouter la SNC Pharmacie du Pilori de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
- de condamner la SNC Pharmacie du Pilori au paiement de la somme de 20 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens, en ce compris les frais de première instance et les frais d'expertise.
Aux termes de ses dernières conclusions remises par voie électronique le 1er février 2023, auxquelles il est expressément renvoyé pour un exposé détaillé des moyens développés, la SNC Pharmacie du Pilori demande à la cour :
- in limine litis, de prononcer l'irrecevabilité des prétentions ultérieures des appelants savoir : 'A titre subsidiaire, fixer le montant annuel du loyer du bail renouvelé à effet du 1er octobre 2019 à la somme annuelle de 25 694 € ht, hc, et a minima le fixer à une somme qui ne pourra être inférieure à 23 033 € ht hc'; et 'condamner la SNC Pharmacie du Pilori au paiement de la somme de 20 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile';
- de confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris.
Y ajoutant,
- de condamner in solidum Mme [I] [F], épouse [N], M. [P] [F], M. [K] [F] et Mme [Z] [F] à lui payer une somme de 10 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance d'appel.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 8 juin 2023, l'affaire ayant été fixée pour plaider à l'audience du 6 juillet 2023.
SUR CE :
Les appelants soutiennent qu'ils sont recevables en leurs prétentions portées dans leurs conclusions n°2 par lesquelles ils demandent subsidiairement à la cour de fixer le montant du loyer annuel du bail renouvelé à effet au 1er octobre 2019 à la somme de 25 694 € ht hc et de condamner la SNC Pharmacie du Pilori à 20 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Ils font valoir qu'il ne s'agit pas de demandes nouvelles au sens des articles 564 et 565 du code de procédure civile dans la mesure où ils se contentent de majorer l'indemnité au titre des frais irrépétibles et s'agissant de la demande portant sur la fixation du loyer qu'elle tend aux mêmes fins que les demandes principales.
La SNC Pharmacie du Pilori soutient que ces deux demandes sont irrecevables par application de l'article 910-4 du code de procédure civile qui impose aux parties de présenter des conclusions d'appel dans lesquelles sont contenues l'ensemble de leurs prétentions sur le fond. Elle fait remarquer que les demandes subsidiaires litigieuses ne se trouvaient pas dans les conclusions n°1.
En l'espèce les conclusions n°1 comportaient une demande de fixation du montant du bail renouvelé au 1er octobre 2019 et une demande de condamnation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Si les montants visés sont différents ou présentés à titre subsidiaire il s'agit des mêmes prétentions déjà présentées au fond de sorte qu'elle sont recevables.
***
Sur le fond, ils font valoir que s'agissant d'un bail déplafonné le loyer doit être fixé au montant de la valeur locative. Ils critiquent l'analyse faite par le premier juge des facteurs locaux de commercialité et des prix couramment pratiqués dans l'environnement.
Ils font valoir que si les facteurs locaux de commercialité sont dégradés comme le relève l'expert, ce constat ne se fait pas au détriment de la locataire qui ne produit pas ses bilans.
S'agissant de la partie commerciale ils acquiescent à la valeur de 222 € par m2 et par an calculée par l'expert comme correspondant à la moyenne de plusieurs valeurs et contestent le fait que le premier juge ait pu s'en affranchir pour retenir une somme moindre de 168,19 € ht hc/an/m2 en écartant artificiellement la valeur la plus haute et les références aux nouvelles locations de façon infondée. Ils font subsidiairement valoir que si les valeurs des baux conclus après 2019 devaient être écartées, il convient de retenir une valeur locative qui ne peut être inférieure à 190,60 €ht hc/m2, qui ramenée à la surface pondérée abouti à une valeur locative de 16 149,53 €.
S'agissant de la partie habitation ils demandent que soit retenue la moyenne des trois valeurs pratiquées pour des locaux d'habitation sur le secteur soit 9,29 € m2 au motif que l'expert a arbitairement retenu la somme de 6,45 € par m2/mois qui est la valeur la plus basse.
Subsidiairement ils demandent l'application du montant retenu par l'expert.
En tout état de cause ils s'opposent à ce qu'il soit fait une différenciation de valeur entre les appartements se trouvant aux différents étages et sollicitent l'application d'un coefficient de vétusté globale.
Ils en concluent que la valeur locative de la partie habitation doit être fixée à 9 942 € et subsidiairement à 6 884 €.
En somme ils considèrent que la valeur locative du bien loué (partie commerciale et d'habitation) doit être fixée à 28 752 € par an et subsidiairement à 25 694 € par an.
La SNC Pharmacie du Pilori prétend à la confirmation du jugement dont appel qu'elle considère particulièrement bien motivé.
Elle fait valoir notamment que si elle a dû agrandir les locaux d'exploitation, ce n'est pas en raison de l'accroissement du chiffre d'affaires mais en raison des nouvelles normes qui imposent à une officine de disposer d'une salle d'orthopédie, de vaccinations, de confidentialité, pour réaliser les tests, pour prise en charge globale des soins de chimiothérapie et une salle de déchets faisant observer qu'elle enregistre une baisse constante de son chiffre d'affaires et qu'elle en justifie.
Elle considère que c'est à juste titre que l'expert a retenu que les facteurs locaux de commercialité sur [Localité 10] ont évolué défavorablement à divers titres.
S'agissant de l'évaluation de la valeur locative portant sur le local commercial elle considère que le premier juge a à juste titre écarté les références que l'expert judiciaire a retenu concernant des baux conclus en 2020 postérieurement à la date de renouvellement du bail de même que les valeurs trop anciennes qui ne sont plus représentatives.
Pour la partie habitation elle relève que le premier juge a à juste titre tenu compte du fait que les parties se trouvant au dessus du commerce n'étaient pas utilisables pour une habitation décente, que la valeur de 6,45 €/m2 proposée par l'expert devait être assortie d'un coefficient de vétusté et un abattement supplémentaire pour les chambres situées aux 2ème et 3ème étage.
Elle fait observer que si des travaux d'agrandissement ont été réalisés par la réunion de deux rez-de-chaussée, elle a financé ces travaux à hauteur de 250 000 € seule alors que les bailleurs n'ont effectué aucun des travaux leur incombant depuis de longue date laissant l'immeuble se dégrader et devenir vétuste, qu'elle a dû prendre en charge l'entretien de la toiture le remplacement du chauffe eau et du brûleur de la chaudière mais également de renforcement de la tuyauterie au sous-sol.
Selon l'article L145-33 le montant des loyers des baux renouvelés ou révisés doit correspondre à la valeur locative.
A défaut d'accord, cette valeur est déterminée d'après :
1) Les caractéristiques du local considéré ;
2) La destination des lieux ;
3) Les obligations respectives des parties ;
4) Les facteurs locaux de commercialité ;
5) Les prix couramment pratiqués dans le voisinage.
Aux termes de l'article R.145-3, les caractéristiques propres au local s'apprécient en considération
1) De sa situation dans l'immeuble où il se trouve, de sa surface et de son volume, de la commodité de son accès pour le public ;
2) De l'importance des surfaces respectivement affectées à la réception du public, à l'exploitation ou à chacune des activités diverses qui sont exercées dans les lieux ;
3) De ses dimensions, de la conformation de chaque partie et de son adaptation à la forme d'activité qui y est exercée ;
4) De l'état d'entretien, de vétusté ou de salubrité et de la conformité aux normes exigées par la législation du travail ;
5) De la nature et de l'état des équipements et des moyens d'exploitation mis à la disposition du locataire.
L'article R.145-6 définit les facteurs locaux de commercialité comme dépendant principalement de l'intérêt que présente pour le commerce considéré l'importance de la ville du quartier ou de la rue où il est situé, du lieu de son implantation de la répartition des diverses activités dans le voisinage des moyens de transport de l'attrait particulier ou des sujétions que peut présenter l'emplacement pour l'activité considérée et des modifications que ces éléments subissent d'une manière durable ou provisoire.
En application de l'article R145-7 les prix couramment pratiqués dans le voisinage, par unité de surfaces, concernent des locaux équivalents eu égard à l'ensemble des éléments mentionnés aux articles R. 145-3 à R. 145-6.
A défaut d'équivalence, ils peuvent, à titre indicatif, être utilisés pour la détermination des prix de base, sauf à être corrigés en considération des différences constatées entre le local loué et les locaux de référence.
Les références proposées de part et d'autre portent sur plusieurs locaux et comportent, pour chaque local, son adresse et sa description succincte. Elles sont corrigées à raison des différences qui peuvent exister entre les dates de fixation des prix et les modalités de cette fixation.
L'article R145-8 prescrit que du point de vue des obligations respectives des parties, les restrictions à la jouissance des lieux et les obligations incombant normalement au bailleur dont celui-ci se serait déchargé sur le locataire sans contrepartie constituent un facteur de diminution de la valeur locative. Il en est de même des obligations imposées au locataire au-delà de celles qui découlent de la loi ou des usages. Les améliorations apportées aux lieux loués au cours du bail à renouveler ne sont prises en considération que si, directement ou indirectement, notamment par l'acceptation d'un loyer réduit, le bailleur en a assumé la charge.
Les obligations découlant de la loi et génératrices de charges pour l'une ou l'autre partie depuis la dernière fixation du prix peuvent être invoquées par celui qui est tenu de les assumer.
Il est aussi tenu compte des modalités selon lesquelles le prix antérieurement applicable a été originairement fixé.
Dans son rapport, l'expert désigné retient que pour déterminer la valeur locative du marché la plus juste il a utilisé la méthode par comparaison par analyse des loyers pratiqués dans la ville concernée, que compte tenu de ses développements il est retenu une valeur locative en octobre 2019 pour la partie commerciale de 222 € le m2 soit 84,73 m2 x 222 € = 18 810 € par an hc et hc et pour la partie habitation une valeur de 6,45 € X 0,5 (abattement) x 178,18 m2 soit 6 884 € soit au total 25 694 € par an.
Le premier juge a relevé une forte détérioration des facteurs locaux de commercialité également objectivé par l'expert, il a relevé l'état de l'offre concurrentielle en périphérie et dans la ville, les difficultés de circulation automobile et les travaux persistant ayant entrainé des nuisances pour aboutir à la piétonisation du centre ville.
Il a déploré que les preneurs ne documentent pas l'évolution de leur chiffre d'affaires pour apprécier l'influence de la modification des facteurs locaux de commercialité sur le niveau d'activité et les prix pratiqués dans le voisinage.
Il considère que la proposition de fixation de la valeur locative par l'expert judiciaire aboutissant à une augmentation de 29,16 % du loyer est en contradiction avec le constat aux termes duquel les facteurs locaux de commercialité ont évolué défavorablement et le mauvais état des locaux d'habitation.
En l'espèce les parties sont d'accord pour admettre une évolution défavorable des facteurs locaux de commercialité
Ils ne discutent pas les valeurs pondérées de 84,73 m2 pour la partie commerciale et de 178,18 m2 pour la partie habitation.
Ils n'en tirent néanmoins pas les mêmes conséquences s'agissant de déterminer la valeur locative.
Il sera observé que dorénavant les preneurs produisent quelques documents comptables.
Ces documents renseignent sur une tendance baissière du chiffre d'affaires entre 2018 et 2010.
Si les besoins en soins et équipements pharmaceutiques peuvent être croissants en présence d'une population certes qui diminue mais dont l'âge augmente, il est établi que la tendance baissière du chiffre d'affaires est la conséquence d'une baisse de fréquentation en lien avec les nouveaux aménagements du centre ville, la fermeture de nombreux commerces et le développement de zones commerciales en périphérie accueillant également des fonds de commerce de pharmacie.
C'est donc à juste titre que l'expert a retenu que les facteurs locaux de commercialité sont différents de ceux de 2002 et moins favorables pour le commerce.
En revanche s'agissant de la fixation d'un loyer dans le cadre d'un bail renouvelé de la partie commerciale l'expert ne pouvait retenir 222 € du m2/an qu'il qualifie dans le corps de son rapport, de moyenne des nouvelles locations et plus particulièrement celles de 2020 postérieures à la date d'effet du bail renouvelé alors qu'en page 25 de son rapport il retient une moyenne de 190,60 €/m2 et /an dans la mesure où les prix couramment pratiqués dans le voisinage, s'entendent par unité de surfaces et concernent des locaux équivalents s'il en existe.
Il convient donc pour déterminer la valeur locative de la partie commerciale de tenir compte des références de loyers pratiqués pour des commerces équivalents et à défaut des autres références dont le bail a été renouvelé antérieurement à octobre 2019 et pour des surfaces équivalentes à l'exclusion comme l'a retenu le premier juge du bail renouvelé pour un commerce de bijouterie dont la fixation du loyer remonte à 2015 avant que soit établi la modification défavorable des facteurs locaux de commercialité.
Les éléments fournis par les parties en dehors du bail portant sur la bijouterie qui doit être écarté portent sur un commerce de boucherie de 36 m2 (151,11 € le m2), un commerce de pâtisserie chocolaterie de 61 m2 (197,26 € le m2) et un commerce d'optique (deux boutiques réunies) (145,55 € pour 32,4 m2 et 225 € pour 40 m2) dont le loyer a été fixé dans le cadre d'un renouvellement de bail entre les années 2017 et 2019.
Ces éléments sont pertinents car si les commerces de bouche sont des commerces qui ne sont pas équivalents ils peuvent recevoir la même clientèle que celle de la pharmacie qui continue à faire ses achats dans le centre ville étant observé que le commerce d'optique ne souffre pas de discussion car il pratique des analyses de vue et fournit des équipements de corrections et les produits accessoires de sorte qu'il peut être considéré comme un commerce équivalent.
En conséquence il sera retenu une valeur locative pour la partie commerciale de 179,73 € ht hc, correspondant à la moyenne des 4 valeurs sus indiquées, par an au 1er octobre 2019 soit 15 228 €.
Concernant les locaux d'habitation il n'est pas contesté que ces derniers sont constitués d'un grand appartement au premier étage et de deux autres logements au 2ème et 3ème étage et de dépendances, dont l'état est très vétuste comme le relève l'expert qui au demeurant a joint des photographies au rapport, état qui justifie l'importance des travaux de rénovation à réaliser.
Les parties s'entendent sur le fait que les dépendances n'ont pas été valorisées et que leur valeur locative est réputée nulle.
La valeur locative de 6,45 € proposée par l'expert désigné pour les appartements est pertinente et le fait qu'il faille appliquer un abattement de 50 % à cette valeur en raison de l'état des différents logements sans qu'il soit nécessaire de différencier l'état des logements sur les trois étages l'est également, le dit abattement permettant de tenir compte de la vétusté de la partie habitation louée dans sa globalité comme le relève les bailleurs.
En conséquence la valeur locative chiffrée par l'expert à hauteur de 6 884 € par an pour la partie habitation sera retenue.
Ainsi infirmant le jugement dont appel la valeur locative du bien loué est fixée à 22 112 € ht et hc à compter du 1er octobre 2019.
La valeur locative fixée étant supérieure à la valeur provisionnelle décidée par jugement avant-dire droit du 14 octobre 2020, la demande de restitution d'un trop perçu est sans objet, de sorte que le jugement est confirmé sur ce point.
Chaque partie succombant en première instance et en appel dans la mesure où les bailleurs proposaient de fixer une valeur locative trop élevée alors que la société preneur proposait une valeur manifestement trop basse il est fait masse des dépens de première instance et d'appel en ce compris les honoraires de l'expert, qui seront partagés par moitié entre les parties et pour les mêmes motifs il est dit que chaque partie gardera à sa charge les frais irrépétibles qu'elle a exposé devant le juge des loyers commerciaux et devant la cour.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant publiquement par arrêt contradictoire rendu par mise à disposition au greffe ;
Infirme le jugement du juge des loyers commerciaux sauf en ce qu'il a dit sans objet la demande de restitution d'un trop perçu, dit que les intérêts moratoires de l'éventuel arriéré seront décomptés à compter de la notification de son montant et fait masse des dépens des frais d'expertise judiciaire et ordonné leur partage par moitié entre les parties;
Statuant des chefs infirmés et y ajoutant ;
Fixe le loyer annuel du bail renouvelé dont la SNC Pharmacie du Pilori devra s'acquitter à compter du 1er octobre 2019 à la somme de 22 112 € hors taxes et hors charges ;
Fait masse des dépens d'appel ;
Dit qu'ils seront partagés par moitié entre la SNC Pharmacie du Pilori et les consorts [F] et que chaque partie gardera la charge des frais irrépétibles exposés devant le juge de loyers commerciaux et devant la cour d'appel.
Le Greffier, La Présidente,
N°
[F]
C/
[F]
[F]
[F] ÉPOUSE [N]
S.N.C. PHARMACIE DU PILORI
FLR
COUR D'APPEL D'AMIENS
CHAMBRE ÉCONOMIQUE
ARRET DU 26 OCTOBRE 2023
N° RG 22/02046 - N° Portalis DBV4-V-B7G-INSZ
JUGEMENT DU TRIBUNAL JUDICIAIRE D'AMIENS EN DATE DU 07 JANVIER 2022
PARTIES EN CAUSE :
APPELANT
Monsieur [P] [F]
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représenté par Me Eric POILLY substituant Me Jérôme LE ROY de la SELARL LEXAVOUE AMIENS-DOUAI, avocats au barreau d'AMIENS, vestiaire : 101
Plaidant par Me Sophie LAGAYETTE, avocat au barreau de LILLE
ET :
INTIMES
Monsieur [K] [F]
[Adresse 5]
[Localité 9]
Madame [Z] [F]
[Adresse 7]
[Localité 6]
Madame [I] [F] épouse [N]
[Adresse 4]
[Localité 8]
Représentés par Me Eric POILLY substituant Me Jérôme LE ROY de la SELARL LEXAVOUE AMIENS-DOUAI, avocats au barreau d'AMIENS, vestiaire : 101
Plaidant par Me Sophie LAGAYETTE, avocat au barreau de LILLE
Intimés au principal et Appelants incidents
S.N.C. PHARMACIE DU PILORI, agissant poursuites et diligences en son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 3]
[Localité 10]
Représentée par Me Arnaud EHORA de la SELARL S.FOUQUES,H.CABOCHE-FOUQUES ET A.EHORA, avocat au barreau d'AMIENS, vestiaire : 52
DEBATS :
A l'audience publique du 06 Juillet 2023 devant :
Mme Odile GREVIN, Présidente de chambre,
Mme Françoise LEROY-RICHARD, Conseillère,
et Mme Cybèle VANNIER, Conseillère,
qui en ont délibéré conformément à la loi, la Présidente a avisé les parties à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 26 Octobre 2023.
Un rapport a été présenté à l'audience dans les conditions de l'article 785 du Code de procédure civile.
GREFFIER LORS DES DEBATS : Mme Charlotte RODRIGUES
PRONONCE :
Le 26 Octobre 2023 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2ème alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile ; Mme Odile GREVIN, Présidente de chambre a signé la minute avec Mme Charlotte RODRIGUES, Greffier.
DECISION
Par acte authentique reçu le 6 février 1989 Mme [V] [L], veuve [F], et Mme [B] [F] ont consenti à Mme [J] [M] épouse [A], pharmacienne, à compter du 1er février 1989, le renouvellement d'un bail commercial du 4 février 1980, qui portait sur une maison d'habitation et de commerce, située [Adresse 3], moyennant un loyer mensuel de 4 000 francs ht et hc outre l'impôt foncier, ledit bail comportant une clause d'indexation triennale.
Mme [I] [F], épouse [N], M. [P] [F], M. [K] [F] et Mme [Z] [F] sont venus aux droits de Mme [V] [L], veuve [F] décédée.
Par acte authentique du 30 octobre 1989, Mme [J] [M], épouse [A] a cédé à l'Eurl Pharmacie du Pilori, ayant pour associé gérant, M. [O] [Y], le fonds de commerce d'officine de Pharmacie, avec tous les éléments le composant, dont le droit au bail commercial.
Par acte authentique du 6 août 2002, l'Eurl Pharmacie du Pilori a cédé son fonds de commerce à la SNC Pharmacie du Pilori, ayant pour co-gérants Mme [D] [T] et M. [O] [Y], le loyer étant alors de 4 974,91 francs.
Par acte du 2 octobre 2002, les consorts [F] ont consenti à l'Eurl Pharmacie du Pilori, le renouvellement du bail commercial pour 9 ans à compter du 1er août 2002, portant sur les locaux susdésignés, outre une cour intérieure comprenant deux bâtiments, une terrasse et un escalier extérieur, ainsi que deux caves, le tout moyennant un loyer de 15 552 € par an avec indexation triennale en fonction de l'indice INSEE du coût de la construction.
Mme [B] [F] est décédée.
Par acte du 21 janvier 2019, Mme [I] [F], épouse [N], M. [P] [F], M. [K] [F] et Mme [Z] [F] ont fait signifier à la SNC Pharmacie du Pilori, un congé à effet du 30 septembre 2019 avec offre de renouvellement moyennant un loyer révisé de 27 600 € par an.
Par LRAR du 25 janvier 2019, la SNC Pharmacie du Pilori a accepté le renouvellement du bail commercial, mais a contesté la révision du loyer, souhaitant le voir fixé à 18 000 € par an.
Par LRAR du 7 novembre 2019, la SNC Pharmacie du Pilori a notifié aux consorts [F] un mémoire préalable aux fins de fixation du loyer du bail renouvelé à la somme de 18 000 € par an à compter du 1er octobre 2019, de remboursement du trop-perçu et de condamnation des défendeurs aux dépens, ainsi qu'au paiement d'une indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Par actes d'huissier des 24 et 29 janvier 2020, la SNC Pharmacie du Pilori a fait assigner les consorts [F] devant le juge des loyers commerciaux du tribunal judiciaire d'Amiens.
Par actes d'huissier des 13 mars et 13 mai 2020, le preneur a fait dresser un état des lieux de l'immeuble.
Suivant ordonnance du 26 mai 2020, le juge des référés du tribunal judiciaire d'Amiens a ordonné une mesure d'expertise judiciaire afin d'examiner les désordres affectant les locaux donnés à bail commercial et d'évaluer les réparations incombant selon lui aux bailleurs en application de l'article 606 du code civil.
Suivant jugement avant-dire droit du 14 octobre 2020, le juge des loyers commerciaux du tribunal judiciaire d'Amiens a ordonné une mesure d'expertise judiciaire sur la valeur locative, désigné Mme [G] [W] pour la réaliser et fixé le loyer provisionnel à 19 893,84 € ht et hc par an.
L'expert judiciaire chargé d'examiner les désordres et d'évaluer les réparations incombant aux bailleurs a déposé son rapport le 26 mai 2021.
L'expert judiciaire chargé de la valeur locative a déposé son rapport le 11 juin 2021.
Les consorts [F] ont repris la procédure selon mémoire notifié par voie électronique le 8 juillet 2021, en demandant la fixation du loyer du bail renouvelé à la somme de 26 752 € à compter du 1er octobre 2019, outre des intérêts moratoires, ainsi que la somme de 5 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens.
Suivant jugement contradictoire du 7 janvier 2022, le juge des loyers commerciaux du tribunal judiciaire d'Amiens a :
- déclaré recevable la demande de fixation du loyer du bail renouvelé directement à la valeur locative ;
- fixé le loyer du bail renouvelé dont la société SNC Pharmacie du Pilori devra s'acquitter à compter du 1er octobre 2019 à la somme totale de 20 408,90 € par an ht et hc, dont la somme de 14 250,74 € par an pour les locaux commerciaux en rez de chaussée, et la somme de 6 158,16 € hc par an pour les locaux en étage du bâtiment principal, et sans valorisation pour les bâtiments à usage de dépendances en fond de cour en l'absence de travaux, cour, dépendances et annexes intégrés dans les prix ci-dessus ;
- débouté la SNC Pharmacie du Pilori de sa demande de baisse du loyer et les consorts [F] du surplus de leur demande d'augmentation du loyer ;
- dit sans objet la demande de restitution d'un trop perçu présentée par la SNC Pharmacie du Pilori et dit que les intérêts moratoires de l'éventuel arriéré résultant de la présente décision seront décomptés à compter de la notification de son montant ;
- fait masse des frais et dépens d'expertise judiciaire et ordonné leur partage par moitié entre la SNC Pharmacie du Pilori et les consorts [F] ;
- condamné in solidum Mme [I] [F], épouse [N], M. [P] [F], M. [K] [F] et Mme [Z] [F] à payer une somme de 800 €w à la SNC Pharmacie du Pilori en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.
M. [P] [F] a relevé appel de cette décision selon déclaration du 25 avril 2022.
Mme [I] [F], M. [K] [F] et Mme [Z] [F] ont formé appel incident.
Aux termes de leurs dernières conclusions remises par voie électronique le 15 mai 2023, auxquelles il est expressément renvoyé pour un exposé détaillé des moyens développés, les consorts [F] demandent à la cour d'infirmer le jugement dont appel et statuant à nouveau
- de fixer le montant annuel du loyer du bail renouvelé à effet du 1er octobre 2019 à 28 752 ht, hc ;
à titre subsidiaire,
- de fixer le montant annuel du loyer du bail renouvelé à effet du 1er octobre 2019 à la somme annuelle de 25 694 € ht, hc, et a minima le fixer à une somme qui ne pourra être inférieure à 23 033 € ht et hc;
en tout état de cause,
- de dire que les intérêts légaux seront calculés à compter du 1er octobre 2019 sur la différence entre le loyer provisionnel et le loyer qui sera fixé par la décision à venir ;
- de débouter la SNC Pharmacie du Pilori de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
- de condamner la SNC Pharmacie du Pilori au paiement de la somme de 20 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens, en ce compris les frais de première instance et les frais d'expertise.
Aux termes de ses dernières conclusions remises par voie électronique le 1er février 2023, auxquelles il est expressément renvoyé pour un exposé détaillé des moyens développés, la SNC Pharmacie du Pilori demande à la cour :
- in limine litis, de prononcer l'irrecevabilité des prétentions ultérieures des appelants savoir : 'A titre subsidiaire, fixer le montant annuel du loyer du bail renouvelé à effet du 1er octobre 2019 à la somme annuelle de 25 694 € ht, hc, et a minima le fixer à une somme qui ne pourra être inférieure à 23 033 € ht hc'; et 'condamner la SNC Pharmacie du Pilori au paiement de la somme de 20 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile';
- de confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris.
Y ajoutant,
- de condamner in solidum Mme [I] [F], épouse [N], M. [P] [F], M. [K] [F] et Mme [Z] [F] à lui payer une somme de 10 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance d'appel.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 8 juin 2023, l'affaire ayant été fixée pour plaider à l'audience du 6 juillet 2023.
SUR CE :
Les appelants soutiennent qu'ils sont recevables en leurs prétentions portées dans leurs conclusions n°2 par lesquelles ils demandent subsidiairement à la cour de fixer le montant du loyer annuel du bail renouvelé à effet au 1er octobre 2019 à la somme de 25 694 € ht hc et de condamner la SNC Pharmacie du Pilori à 20 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Ils font valoir qu'il ne s'agit pas de demandes nouvelles au sens des articles 564 et 565 du code de procédure civile dans la mesure où ils se contentent de majorer l'indemnité au titre des frais irrépétibles et s'agissant de la demande portant sur la fixation du loyer qu'elle tend aux mêmes fins que les demandes principales.
La SNC Pharmacie du Pilori soutient que ces deux demandes sont irrecevables par application de l'article 910-4 du code de procédure civile qui impose aux parties de présenter des conclusions d'appel dans lesquelles sont contenues l'ensemble de leurs prétentions sur le fond. Elle fait remarquer que les demandes subsidiaires litigieuses ne se trouvaient pas dans les conclusions n°1.
En l'espèce les conclusions n°1 comportaient une demande de fixation du montant du bail renouvelé au 1er octobre 2019 et une demande de condamnation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Si les montants visés sont différents ou présentés à titre subsidiaire il s'agit des mêmes prétentions déjà présentées au fond de sorte qu'elle sont recevables.
***
Sur le fond, ils font valoir que s'agissant d'un bail déplafonné le loyer doit être fixé au montant de la valeur locative. Ils critiquent l'analyse faite par le premier juge des facteurs locaux de commercialité et des prix couramment pratiqués dans l'environnement.
Ils font valoir que si les facteurs locaux de commercialité sont dégradés comme le relève l'expert, ce constat ne se fait pas au détriment de la locataire qui ne produit pas ses bilans.
S'agissant de la partie commerciale ils acquiescent à la valeur de 222 € par m2 et par an calculée par l'expert comme correspondant à la moyenne de plusieurs valeurs et contestent le fait que le premier juge ait pu s'en affranchir pour retenir une somme moindre de 168,19 € ht hc/an/m2 en écartant artificiellement la valeur la plus haute et les références aux nouvelles locations de façon infondée. Ils font subsidiairement valoir que si les valeurs des baux conclus après 2019 devaient être écartées, il convient de retenir une valeur locative qui ne peut être inférieure à 190,60 €ht hc/m2, qui ramenée à la surface pondérée abouti à une valeur locative de 16 149,53 €.
S'agissant de la partie habitation ils demandent que soit retenue la moyenne des trois valeurs pratiquées pour des locaux d'habitation sur le secteur soit 9,29 € m2 au motif que l'expert a arbitairement retenu la somme de 6,45 € par m2/mois qui est la valeur la plus basse.
Subsidiairement ils demandent l'application du montant retenu par l'expert.
En tout état de cause ils s'opposent à ce qu'il soit fait une différenciation de valeur entre les appartements se trouvant aux différents étages et sollicitent l'application d'un coefficient de vétusté globale.
Ils en concluent que la valeur locative de la partie habitation doit être fixée à 9 942 € et subsidiairement à 6 884 €.
En somme ils considèrent que la valeur locative du bien loué (partie commerciale et d'habitation) doit être fixée à 28 752 € par an et subsidiairement à 25 694 € par an.
La SNC Pharmacie du Pilori prétend à la confirmation du jugement dont appel qu'elle considère particulièrement bien motivé.
Elle fait valoir notamment que si elle a dû agrandir les locaux d'exploitation, ce n'est pas en raison de l'accroissement du chiffre d'affaires mais en raison des nouvelles normes qui imposent à une officine de disposer d'une salle d'orthopédie, de vaccinations, de confidentialité, pour réaliser les tests, pour prise en charge globale des soins de chimiothérapie et une salle de déchets faisant observer qu'elle enregistre une baisse constante de son chiffre d'affaires et qu'elle en justifie.
Elle considère que c'est à juste titre que l'expert a retenu que les facteurs locaux de commercialité sur [Localité 10] ont évolué défavorablement à divers titres.
S'agissant de l'évaluation de la valeur locative portant sur le local commercial elle considère que le premier juge a à juste titre écarté les références que l'expert judiciaire a retenu concernant des baux conclus en 2020 postérieurement à la date de renouvellement du bail de même que les valeurs trop anciennes qui ne sont plus représentatives.
Pour la partie habitation elle relève que le premier juge a à juste titre tenu compte du fait que les parties se trouvant au dessus du commerce n'étaient pas utilisables pour une habitation décente, que la valeur de 6,45 €/m2 proposée par l'expert devait être assortie d'un coefficient de vétusté et un abattement supplémentaire pour les chambres situées aux 2ème et 3ème étage.
Elle fait observer que si des travaux d'agrandissement ont été réalisés par la réunion de deux rez-de-chaussée, elle a financé ces travaux à hauteur de 250 000 € seule alors que les bailleurs n'ont effectué aucun des travaux leur incombant depuis de longue date laissant l'immeuble se dégrader et devenir vétuste, qu'elle a dû prendre en charge l'entretien de la toiture le remplacement du chauffe eau et du brûleur de la chaudière mais également de renforcement de la tuyauterie au sous-sol.
Selon l'article L145-33 le montant des loyers des baux renouvelés ou révisés doit correspondre à la valeur locative.
A défaut d'accord, cette valeur est déterminée d'après :
1) Les caractéristiques du local considéré ;
2) La destination des lieux ;
3) Les obligations respectives des parties ;
4) Les facteurs locaux de commercialité ;
5) Les prix couramment pratiqués dans le voisinage.
Aux termes de l'article R.145-3, les caractéristiques propres au local s'apprécient en considération
1) De sa situation dans l'immeuble où il se trouve, de sa surface et de son volume, de la commodité de son accès pour le public ;
2) De l'importance des surfaces respectivement affectées à la réception du public, à l'exploitation ou à chacune des activités diverses qui sont exercées dans les lieux ;
3) De ses dimensions, de la conformation de chaque partie et de son adaptation à la forme d'activité qui y est exercée ;
4) De l'état d'entretien, de vétusté ou de salubrité et de la conformité aux normes exigées par la législation du travail ;
5) De la nature et de l'état des équipements et des moyens d'exploitation mis à la disposition du locataire.
L'article R.145-6 définit les facteurs locaux de commercialité comme dépendant principalement de l'intérêt que présente pour le commerce considéré l'importance de la ville du quartier ou de la rue où il est situé, du lieu de son implantation de la répartition des diverses activités dans le voisinage des moyens de transport de l'attrait particulier ou des sujétions que peut présenter l'emplacement pour l'activité considérée et des modifications que ces éléments subissent d'une manière durable ou provisoire.
En application de l'article R145-7 les prix couramment pratiqués dans le voisinage, par unité de surfaces, concernent des locaux équivalents eu égard à l'ensemble des éléments mentionnés aux articles R. 145-3 à R. 145-6.
A défaut d'équivalence, ils peuvent, à titre indicatif, être utilisés pour la détermination des prix de base, sauf à être corrigés en considération des différences constatées entre le local loué et les locaux de référence.
Les références proposées de part et d'autre portent sur plusieurs locaux et comportent, pour chaque local, son adresse et sa description succincte. Elles sont corrigées à raison des différences qui peuvent exister entre les dates de fixation des prix et les modalités de cette fixation.
L'article R145-8 prescrit que du point de vue des obligations respectives des parties, les restrictions à la jouissance des lieux et les obligations incombant normalement au bailleur dont celui-ci se serait déchargé sur le locataire sans contrepartie constituent un facteur de diminution de la valeur locative. Il en est de même des obligations imposées au locataire au-delà de celles qui découlent de la loi ou des usages. Les améliorations apportées aux lieux loués au cours du bail à renouveler ne sont prises en considération que si, directement ou indirectement, notamment par l'acceptation d'un loyer réduit, le bailleur en a assumé la charge.
Les obligations découlant de la loi et génératrices de charges pour l'une ou l'autre partie depuis la dernière fixation du prix peuvent être invoquées par celui qui est tenu de les assumer.
Il est aussi tenu compte des modalités selon lesquelles le prix antérieurement applicable a été originairement fixé.
Dans son rapport, l'expert désigné retient que pour déterminer la valeur locative du marché la plus juste il a utilisé la méthode par comparaison par analyse des loyers pratiqués dans la ville concernée, que compte tenu de ses développements il est retenu une valeur locative en octobre 2019 pour la partie commerciale de 222 € le m2 soit 84,73 m2 x 222 € = 18 810 € par an hc et hc et pour la partie habitation une valeur de 6,45 € X 0,5 (abattement) x 178,18 m2 soit 6 884 € soit au total 25 694 € par an.
Le premier juge a relevé une forte détérioration des facteurs locaux de commercialité également objectivé par l'expert, il a relevé l'état de l'offre concurrentielle en périphérie et dans la ville, les difficultés de circulation automobile et les travaux persistant ayant entrainé des nuisances pour aboutir à la piétonisation du centre ville.
Il a déploré que les preneurs ne documentent pas l'évolution de leur chiffre d'affaires pour apprécier l'influence de la modification des facteurs locaux de commercialité sur le niveau d'activité et les prix pratiqués dans le voisinage.
Il considère que la proposition de fixation de la valeur locative par l'expert judiciaire aboutissant à une augmentation de 29,16 % du loyer est en contradiction avec le constat aux termes duquel les facteurs locaux de commercialité ont évolué défavorablement et le mauvais état des locaux d'habitation.
En l'espèce les parties sont d'accord pour admettre une évolution défavorable des facteurs locaux de commercialité
Ils ne discutent pas les valeurs pondérées de 84,73 m2 pour la partie commerciale et de 178,18 m2 pour la partie habitation.
Ils n'en tirent néanmoins pas les mêmes conséquences s'agissant de déterminer la valeur locative.
Il sera observé que dorénavant les preneurs produisent quelques documents comptables.
Ces documents renseignent sur une tendance baissière du chiffre d'affaires entre 2018 et 2010.
Si les besoins en soins et équipements pharmaceutiques peuvent être croissants en présence d'une population certes qui diminue mais dont l'âge augmente, il est établi que la tendance baissière du chiffre d'affaires est la conséquence d'une baisse de fréquentation en lien avec les nouveaux aménagements du centre ville, la fermeture de nombreux commerces et le développement de zones commerciales en périphérie accueillant également des fonds de commerce de pharmacie.
C'est donc à juste titre que l'expert a retenu que les facteurs locaux de commercialité sont différents de ceux de 2002 et moins favorables pour le commerce.
En revanche s'agissant de la fixation d'un loyer dans le cadre d'un bail renouvelé de la partie commerciale l'expert ne pouvait retenir 222 € du m2/an qu'il qualifie dans le corps de son rapport, de moyenne des nouvelles locations et plus particulièrement celles de 2020 postérieures à la date d'effet du bail renouvelé alors qu'en page 25 de son rapport il retient une moyenne de 190,60 €/m2 et /an dans la mesure où les prix couramment pratiqués dans le voisinage, s'entendent par unité de surfaces et concernent des locaux équivalents s'il en existe.
Il convient donc pour déterminer la valeur locative de la partie commerciale de tenir compte des références de loyers pratiqués pour des commerces équivalents et à défaut des autres références dont le bail a été renouvelé antérieurement à octobre 2019 et pour des surfaces équivalentes à l'exclusion comme l'a retenu le premier juge du bail renouvelé pour un commerce de bijouterie dont la fixation du loyer remonte à 2015 avant que soit établi la modification défavorable des facteurs locaux de commercialité.
Les éléments fournis par les parties en dehors du bail portant sur la bijouterie qui doit être écarté portent sur un commerce de boucherie de 36 m2 (151,11 € le m2), un commerce de pâtisserie chocolaterie de 61 m2 (197,26 € le m2) et un commerce d'optique (deux boutiques réunies) (145,55 € pour 32,4 m2 et 225 € pour 40 m2) dont le loyer a été fixé dans le cadre d'un renouvellement de bail entre les années 2017 et 2019.
Ces éléments sont pertinents car si les commerces de bouche sont des commerces qui ne sont pas équivalents ils peuvent recevoir la même clientèle que celle de la pharmacie qui continue à faire ses achats dans le centre ville étant observé que le commerce d'optique ne souffre pas de discussion car il pratique des analyses de vue et fournit des équipements de corrections et les produits accessoires de sorte qu'il peut être considéré comme un commerce équivalent.
En conséquence il sera retenu une valeur locative pour la partie commerciale de 179,73 € ht hc, correspondant à la moyenne des 4 valeurs sus indiquées, par an au 1er octobre 2019 soit 15 228 €.
Concernant les locaux d'habitation il n'est pas contesté que ces derniers sont constitués d'un grand appartement au premier étage et de deux autres logements au 2ème et 3ème étage et de dépendances, dont l'état est très vétuste comme le relève l'expert qui au demeurant a joint des photographies au rapport, état qui justifie l'importance des travaux de rénovation à réaliser.
Les parties s'entendent sur le fait que les dépendances n'ont pas été valorisées et que leur valeur locative est réputée nulle.
La valeur locative de 6,45 € proposée par l'expert désigné pour les appartements est pertinente et le fait qu'il faille appliquer un abattement de 50 % à cette valeur en raison de l'état des différents logements sans qu'il soit nécessaire de différencier l'état des logements sur les trois étages l'est également, le dit abattement permettant de tenir compte de la vétusté de la partie habitation louée dans sa globalité comme le relève les bailleurs.
En conséquence la valeur locative chiffrée par l'expert à hauteur de 6 884 € par an pour la partie habitation sera retenue.
Ainsi infirmant le jugement dont appel la valeur locative du bien loué est fixée à 22 112 € ht et hc à compter du 1er octobre 2019.
La valeur locative fixée étant supérieure à la valeur provisionnelle décidée par jugement avant-dire droit du 14 octobre 2020, la demande de restitution d'un trop perçu est sans objet, de sorte que le jugement est confirmé sur ce point.
Chaque partie succombant en première instance et en appel dans la mesure où les bailleurs proposaient de fixer une valeur locative trop élevée alors que la société preneur proposait une valeur manifestement trop basse il est fait masse des dépens de première instance et d'appel en ce compris les honoraires de l'expert, qui seront partagés par moitié entre les parties et pour les mêmes motifs il est dit que chaque partie gardera à sa charge les frais irrépétibles qu'elle a exposé devant le juge des loyers commerciaux et devant la cour.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant publiquement par arrêt contradictoire rendu par mise à disposition au greffe ;
Infirme le jugement du juge des loyers commerciaux sauf en ce qu'il a dit sans objet la demande de restitution d'un trop perçu, dit que les intérêts moratoires de l'éventuel arriéré seront décomptés à compter de la notification de son montant et fait masse des dépens des frais d'expertise judiciaire et ordonné leur partage par moitié entre les parties;
Statuant des chefs infirmés et y ajoutant ;
Fixe le loyer annuel du bail renouvelé dont la SNC Pharmacie du Pilori devra s'acquitter à compter du 1er octobre 2019 à la somme de 22 112 € hors taxes et hors charges ;
Fait masse des dépens d'appel ;
Dit qu'ils seront partagés par moitié entre la SNC Pharmacie du Pilori et les consorts [F] et que chaque partie gardera la charge des frais irrépétibles exposés devant le juge de loyers commerciaux et devant la cour d'appel.
Le Greffier, La Présidente,