Décisions
CA Montpellier, 3e ch. civ., 28 septembre 2023, n° 19/02608
MONTPELLIER
Arrêt
Autre
Grosse + copie
délivrées le
à
COUR D'APPEL DE MONTPELLIER
3e chambre civile
ARRET DU 28 SEPTEMBRE 2023
Numéro d'inscription au répertoire général :
N° RG 19/02608 - N° Portalis DBVK-V-B7D-ODP6
Décision déférée à la Cour :
Jugement du 26 mars 2019
TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE MONTPELLIER
N° RG 15/07068
APPELANTE :
SCI MKE
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social
RCS de SAINT PIERRE LA REUNION n°527 940 340
[Adresse 1]
[Localité 6]
Représentée par Me Jean-Marc NGUYEN-PHUNG de la SELARL SELARL PHUNG 3P, avocats au barreau de MONTPELLIER, substitué à l'audience par Me Mathilde IGNATOFF, avocat au barreau de MONTPELLIER
INTIMES :
Monsieur [U] [J]
né le 1er Février 1958 à [Localité 4]
de nationalité Française
[Adresse 5]
[Localité 3]
et
Madame [Y] [W]
née le 28 Septembre 1963 à [Localité 10]
de nationalité Française
[Adresse 5]
[Localité 3]
Représentés par Me Nicole LOUBATIERES, avocat au barreau de MONTPELLIER,
et assistés à l'instance par Me Mathieu CAUMETTE de la SELARL MCI, avocat au barreau de SAINT MALO
Maître [Z] [R]
de nationalité Française
[Adresse 7]
[Adresse 8]
[Localité 4]
et
SCP [R] BONNARY FOURNIER-MONTGIEUX CLARON DAUDET
[Adresse 7]
[Adresse 7]
[Localité 4]
Représentés par Me Gilles LASRY de la SCP D'AVOCATS BRUGUES - LASRY, avocat au barreau de MONTPELLIER
Ordonnance de clôture du 07 Juin 2023
COMPOSITION DE LA COUR :
En application de l'article 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 28 juin 2023, en audience publique, le magistrat rapporteur ayant fait le rapport prescrit par l'article 804 du même code, devant la cour composée de :
M. Gilles SAINATI, président de chambre
M. Thierry CARLIER, conseiller
Mme Emmanuelle WATTRAINT, conseillère
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme Henriane MILOT
ARRET :
- contradictoire ;
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
- signé par M. Gilles SAINATI, président de chambre, et par Mme Camille MOLINA, Greffière.
*
* *
EXPOSE DU LITIGE
Suivant acte authentique en date du 6 décembre 2010, la SCI MKE a acquis de monsieur [J] et madame [W] une maison d'habitation située [Adresse 2] à [Localité 9] moyennant le prix de 400 000 euros.
Le 29 septembre 2014, à la suite de violentes intempéries, le bien a subi une inondation. Une semaine plus tard, une nouvelle inondation avait lieu.
Suite à ces intempéries est intervenu, le 8 octobre 2014, un arrêté portant reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle.
Il s'agissait du douzième arrêté portant reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle depuis 1982 concernant la commune de [Localité 9], dont 6 pour inondations et coulées de boues.
Monsieur [J] figurait sur la liste des sinistrés des événements orageux des 11 et 12 décembre 2002.
Suivant exploit en date du 26 novembre 2015, la SCI MKE a fait assigner monsieur [J] et madame [W] devant le tribunal de grande instance de Montpellier.
Suivant exploit en date du 17 mai 2016, monsieur [J] et madame [W] ont appelé en garantie Me [R], notaire associé à [Localité 4], et la SCP [R] - Bonnary - Fournier Montgieux - Claron et Daudet (ci-après dénommée " la SCP notariale ").
Les deux procédures ont été jointes par le juge de la mise en état le 18 octobre 2016.
Par un jugement contradictoire rendu le 26 mars 2019, le tribunal de grande instance de Montpellier a :
- débouté la SCI MKE de l'ensemble de ses demandes,
- débouté M. [J] et Mme [W] de leur demande indemnitaire à l'encontre de la SCI MKE, de maître [R], notaire associé à [Localité 4] et de la SCP notariale,
- débouté Me [R], notaire associé à [Localité 4], et la SCP notariale de leur demande indemnitaire à l'encontre des consorts [J]-[W] pour procédure abusive,
- dit n'y avoir lieu à indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la SCI MKE aux dépens de l'instance et accordé aux avocats de la cause qui peuvent y prétendre le droit de recouvrement direct conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Par acte en date du 15 avril 2019, la SCI MKE a régulièrement interjeté appel du jugement.
Par ses conclusions enregistrées au greffe le 31 mai 2019, la SCI MKE demande à ce que la résolution de la vente soit prononcée.
En tout état de cause, elle demande à ce que la nullité de la vente soit prononcée et la condamnation des intimés à restituer l'intégralité du prix payé soit une somme de 400 000 euros outre les frais d'agence (20 000 euros) et de notaire (36 850 euros), soit un montant global de 456 850 euros.
En outre, elle demande leur condamnation in solidum au paiement de la somme de 60 033, 35 euros, au titre des intérêts qu'elle aurait pu percevoir si elle n'avait pas acquis ce bien mais avait placé cette somme de 456 850 euros à 2, 5%.
Par ailleurs, elle demande leur condamnation in solidum au paiement de la somme de 25 300 euros en réparation de cette période sinistrée.
Enfin, elle sollicite leur condamnation au paiement de la somme de 4 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Par leurs conclusions enregistrées au greffe le 9 août 2019, les consorts [J]-[W] sollicitent la confirmation du jugement et la condamnation de la SCI MKE au paiement de la somme de 3 600 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens, dont distraction au profit de Me Caumette au titre de l'article 699 du code de procédure civile.
Subsidiairement, ils sollicitent la condamnation in solidum de Me [R] et de la SCP notariale (dans l'hypothèse où la vente serait résolue ou annulée) à les relever et les garantir de toutes éventuelles condamnations prononcées à leur encontre. Par ailleurs, ils demandent la condamnation de la SCI MKE, de Me [R] et de la SCP Notariale au paiement de la somme de 3 600 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens, dont distraction au profit de Me Caumette au titre de l'article 699 du code de procédure civile.
Par leurs conclusions enregistrées au greffe le 21 août 2019, Me [R] et la SCP Notariale sollicitent la confirmation du jugement, la condamnation des consorts [J]-[W] au paiement de la somme de 3 500 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et la condamnation de tout succombant au paiement de la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
La clôture de la procédure a été prononcée par ordonnance en date du 7 juin 2023.
Pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, il est expressément renvoyé aux conclusions des parties et au jugement déféré.
MOTIFS
Sur la déclaration mensongère des vendeurs à l'acte de vente
La SCI MKE soutient que les vendeurs ont faussement déclaré lors de la vente ne pas avoir eu à déplorer sur le bien de sinistre lié à une catastrophe naturelle, et ce alors que le bien avait subi plusieurs inondations.
Les consorts [W]-[J] soutiennent avoir informé la SCI MKE par téléphone en avril ou mai 2011 de l'inondation de 2003.
Maître [Z] [R], notaire, souligne que le bien a été inondé en décembre 2002 et que les vendeurs ont été indemnisés pour ce sinistre et ont fait choix de dissimuler cette information.
Les éléments du dossier laissent clairement apparaître que l'information délivrée par les vendeurs lors de la vente (pièce 2 de la SCI MKE, page 15), selon laquelle ils n'avaient eu à déplorer aucun sinistre liée à une catastrophe naturelle, était erronée dès lors que lesdits vendeurs figurent sur la liste des sinistrés s'agissant du sinistre des 11 et 12 décembre 2012 (pièces 5 à 8 de la SCI MKE), et que l'inondation qu'ils ont subie avait provoqué de lourds dégâts matériels (pièces 9 et 10 de la SCI MKE).
C'est en vain que les consorts [W]-[J] évoquent une information sur ce sinistre par téléphone en avril ou mai 2011 puisque d'une part cette information ne résulterait que d'une simple conversation téléphonique dont la réalité, contestée par la SCI MKE, n'est pas démontrée aux travers des pièces du dossier, et que d'autre part cette information serait postérieure à l'acte authentique de vente, en date du 6 décembre 2010.
L'information donnée à l'acquéreur par les vendeurs lors de la vente apparaît dès lors clairement comme mensongère.
Sur la demande en résolution de la vente au visa de l'article L.125-5-V du code de l'environnement :
Le premier juge a relevé qu'un état des risques naturels et technologiques avait été annexé à l'acte authentique de vente et que l'acquéreur avait reconnu dans l'acte de vente avoir été informé de cet état des risques naturels et technologiques et avait déclaré vouloir en faire son affaire personnelle. Il a également retenu qu'il était stipulé au sein de l'acte authentique de vente que l'acquéreur renonçait à poursuivre la résolution du contrat ou à demander au juge une diminution du prix.
La SCI MKE soutient au contraire avoir renoncé à se prévaloir des dispositions de l'article L 125-5 du code de l'environnement uniquement en ce qui concerne l'obligation d'information de l'existence d'un plan de prévention des risques, et non pas s'agissant du paragraphe IV du même article concernant les déclarations du vendeur relatives à un sinistre antérieur. Elle ajoute que l'information mensongère donnée par les vendeurs sur une absence de sinistre antérieure a en tout état de cause privé de valeur leur renonciation à poursuivre la résolution de la vente ou la diminution du prix.
Les consorts [J]-[W] affirment quant à eux que les diagnostics techniques n'étaient pas annexés au compromis ou à l'acte de vente, et que la responsabilité de l'agence immobilière et du diagnostiqueur aurait dû être recherchée par la SCI MKE. Elle souligne que la SCI MKE a expressément renoncé à l'application des dispositions de l'article L. 125-5-V du code de l'environnement.
La question de la responsabilité éventuelle de l'agence immobilière et du diagnostiqueur est sans incidence sur le présent litige, l'agence immobilière et le diagnostiqueur n'étant pas en la cause.
Aux termes de l'acte authentique de vente (page 15), il est indiqué à la rubrique 'plan de prévention des risques déclaration sur les sinistres antérieurs' au paragraphe 1 qu'en application de l'article L 125-5 I du code de l'environnement, un état des risques naturels et technologiques est annexé à l'acte, que l'acquéreur a été informé de cet état et déclare en faire son affaire personnelle, et qu'il renonce à poursuivre la résolution du contrat ou à demander au juge une diminution du prix, et au paragraphe II que le vendeur déclare que le bien n'a pas subi à sa connaissance de catastrophes naturelles, telles notamment des inondations.
Il apparaît ainsi que l'acquéreur a renoncé à une action en résolution de la vente ou en diminution du prix uniquement dans le cadre du paragraphe 1 qui concerne l'application de l'article L 125-5 I du code de l'environnement et non en ce qui concerne la déclaration des vendeurs quant aux sinistres antérieurs.
Ainsi, contrairement à l'analyse du premier juge, l'acquéreur peut en l'espère demander la résolution de la vente si les dispositions de l'article L 125-5 IV du code de l'environnement ne sont pas respectées, ce qui est le cas en l'espèce, le vendeur ayant faussement déclaré que le bien n'avait pas subi de sinistre lié à une catastrophe naturelle.
Dans ces conditions, la SCI MKE, qui a fait le choix d'une action en résolution de la vente et non en réduction du prix, est fondée en sa demande.
La résolution de la vente sera prononcée.
Sur la responsabilité de maître [Z] [R], notaire
Les consorts [J]-[W] reprochent à maître [R], notaire, de ne pas leur avoir demandé s'ils avaient bénéficié d'une indemnisation au titre d'une catastrophe naturelle, et de ne pas avoir vérifié le diagnostic annexé à l'acte de vente.
La SCI MKE estime pour sa part que maître [R] aurait du vérifier les déclarations faites par le vendeur, d'autant qu'il est domicilié à [Localité 9], où se trouve le bien litigieux, et connaît l'existence des arrêtés de catastrophe naturelle concernant cette commune.
Maître [Z] [R] souligne quant à lui que le compromis de vente a été signé sans son intervention. S'agissant de l'acte authentique, il précise que les consorts [W]-[J] ont signé une procuration pour vendre qui contenait toutes les informations nécessaires à la validité et à l'efficacité de l'acte, et notamment la clause litigieuse envisagée. Il ajoute être allé au delà de son obligation en annexant l'état des risques à l'acte de vente, alors que ce n'était pas nécessaire, ledit état ayant été annexé à la promesse de vente. Il précise enfin que l'état des risques mentionne que le bien ne se situe pas dans une zone inondable.
Il n'est pas contestable que le notaire n'est pas intervenu lors du compromis de vente, régularisé auprès d'une agence immobilière.
S'agissant de l'acte authentique, l'état des risques n'avait pas nécessairement à être annexé à l'acte de vente puisqu'il l'avait été au compromis, en application des dispositions de l'article L 271-4 I du code de la construction et de l'habitation.
Si le notaire est débiteur d'une obligation de vérification, cette obligation ne va pas jusqu'à remettre en doute les éléments techniques figurant sur un diagnostic.Or, en l'espèce, l'état des risques laissait apparaître que le bien ne se situait pas en zone inondable. Le risque d'inondation n'étant pas le même sur une même commune, puisque cartographié en zones, la connaissance de la commune par maître [R] est sans incidence.
S'agissant de l'obligation d'information, les pièces du dossier laissent apparaître, comme le soutient le notaire, que toutes les informations contenues dans l'acte de vente projeté figuraient dans la procuration que le notaire a adressée aux vendeurs, et notamment la clause litigieuse concernant l'absence antérieure de sinistre liée à une catastrophe naturelle.
Dès lors, aucune faute ne peut être imputée au notaire.
Les consorts [J]-[W] et la SCI MKE seront par conséquent déboutés de leurs demandes dirigées contre maître [R].
Sur les demandes indemnitaires de la SCI MKE :
La SCI MKE sollicite le paiement :
- du prix de vente (400 000 euros), outre les frais d'agence (20 000 euros) et de notaire (36 850 euros),
- de la somme de 60 033,35 au titre des intérêts qu'elle aurait pu percevoir si elle avait placé la somme ayant servi à financer l'acquisition,
- de la somme de 25 300 euros correspondant à la valeur locative de l'immeuble pendant la période où il était inhabitable du fait des inondations.
La résolution de la vente implique de replacer la SCI MKE dans l'état dans lequel elle se serait trouvée si la vente n'avait pas eu lieu.
Dès lors les demandes au titre du prix de vente, des frais d'agence et de notaire apparaissent justifier, ce qui n'est pas le cas de la demande au titre de la perte locative, puisque si la vente n'avait pas eu lieu, la SCI MKE n'aurait pu louer le bien, n 'en étant pas propriétaire.
Il en est de même des intérêts sollicités sur la somme ayant servi à financer l'acquisition, dès lors qu'aucun élément du dossier ne laisse apparaître que les fonds auraient été placés et non investis dans une autre opération.
Les consorts [J]-[W] seront condamnés à payer à la SCI MKE la somme de 456 850 euros.
Sur la demande reconventionnelle en dommages-intérêts pour procédure abusive :
Maître [R] soutient que l'appel en garantie des consorts [J]-[W] serait abusif, dès lors qu'ils seraient les seuls responsables de la situation découlant de leur mensonge.
Toutefois, aucun élément du dossier ne permet d'affirmer que l'appel en garantie des consorts [J]-[W], effectué en réaction à l'action de la SCI MKE à leur encontre, aurait dégénéré en abus de droit.
Maître [R] sera dès lors débouté de sa demande.
Sur les demandes accessoires
Les consorts [J]-[W], succombants, le jugement sera infirmé.
Les consorts [J]-[W] seront condamnés à payer à la SCI MKE la somme de 3 000 euros et à Maître [R] et la SCP [R] Bonnary Fournier-Montgieux Claron Daudet la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Ils seront condamnés aux entiers dépens de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Infirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 26 mars 2019 par le tribunal de grande instance de Montpellier ;
Statuant de nouveau,
Déboute monsieur [U] [J] et madame [Y] [W], ainsi que la SCI MKE de leurs demandes à l'encontre de maître [R], notaire ;
Déboute la SCI MKE de ses demandes au titre des intérêts et de la perte locative ;
Déboute maître [R] et la SCP [R] Bonnary Fournier-Montgieux Claron Daudet de leur demande de dommages et intérêts ;
Prononce la résolution de la vente passée le 6 décembre 2010 entre monsieur [U] [J] et madame [Y] [W] d'une part et la SCI MKE d'autre part portant sur un immeuble sis [Adresse 2] à [Localité 9] (34) ;
Condamne monsieur [U] [J] et madame [Y] [W] à payer à la SCI MKE la somme de 456 850 euros, avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision ;
Condamne monsieur [U] [J] et madame [Y] [W] à payer à la SCI MKE la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne monsieur [U] [J] et madame [Y] [W] à payer à Maître [R] et la SCP [R] Bonnary Fournier-Montgieux Claron Daudet la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne monsieur [U] [J] et madame [Y] [W] aux entiers dépens de première instance et d'appel.
La greffière, Le président,
délivrées le
à
COUR D'APPEL DE MONTPELLIER
3e chambre civile
ARRET DU 28 SEPTEMBRE 2023
Numéro d'inscription au répertoire général :
N° RG 19/02608 - N° Portalis DBVK-V-B7D-ODP6
Décision déférée à la Cour :
Jugement du 26 mars 2019
TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE MONTPELLIER
N° RG 15/07068
APPELANTE :
SCI MKE
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social
RCS de SAINT PIERRE LA REUNION n°527 940 340
[Adresse 1]
[Localité 6]
Représentée par Me Jean-Marc NGUYEN-PHUNG de la SELARL SELARL PHUNG 3P, avocats au barreau de MONTPELLIER, substitué à l'audience par Me Mathilde IGNATOFF, avocat au barreau de MONTPELLIER
INTIMES :
Monsieur [U] [J]
né le 1er Février 1958 à [Localité 4]
de nationalité Française
[Adresse 5]
[Localité 3]
et
Madame [Y] [W]
née le 28 Septembre 1963 à [Localité 10]
de nationalité Française
[Adresse 5]
[Localité 3]
Représentés par Me Nicole LOUBATIERES, avocat au barreau de MONTPELLIER,
et assistés à l'instance par Me Mathieu CAUMETTE de la SELARL MCI, avocat au barreau de SAINT MALO
Maître [Z] [R]
de nationalité Française
[Adresse 7]
[Adresse 8]
[Localité 4]
et
SCP [R] BONNARY FOURNIER-MONTGIEUX CLARON DAUDET
[Adresse 7]
[Adresse 7]
[Localité 4]
Représentés par Me Gilles LASRY de la SCP D'AVOCATS BRUGUES - LASRY, avocat au barreau de MONTPELLIER
Ordonnance de clôture du 07 Juin 2023
COMPOSITION DE LA COUR :
En application de l'article 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 28 juin 2023, en audience publique, le magistrat rapporteur ayant fait le rapport prescrit par l'article 804 du même code, devant la cour composée de :
M. Gilles SAINATI, président de chambre
M. Thierry CARLIER, conseiller
Mme Emmanuelle WATTRAINT, conseillère
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme Henriane MILOT
ARRET :
- contradictoire ;
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
- signé par M. Gilles SAINATI, président de chambre, et par Mme Camille MOLINA, Greffière.
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EXPOSE DU LITIGE
Suivant acte authentique en date du 6 décembre 2010, la SCI MKE a acquis de monsieur [J] et madame [W] une maison d'habitation située [Adresse 2] à [Localité 9] moyennant le prix de 400 000 euros.
Le 29 septembre 2014, à la suite de violentes intempéries, le bien a subi une inondation. Une semaine plus tard, une nouvelle inondation avait lieu.
Suite à ces intempéries est intervenu, le 8 octobre 2014, un arrêté portant reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle.
Il s'agissait du douzième arrêté portant reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle depuis 1982 concernant la commune de [Localité 9], dont 6 pour inondations et coulées de boues.
Monsieur [J] figurait sur la liste des sinistrés des événements orageux des 11 et 12 décembre 2002.
Suivant exploit en date du 26 novembre 2015, la SCI MKE a fait assigner monsieur [J] et madame [W] devant le tribunal de grande instance de Montpellier.
Suivant exploit en date du 17 mai 2016, monsieur [J] et madame [W] ont appelé en garantie Me [R], notaire associé à [Localité 4], et la SCP [R] - Bonnary - Fournier Montgieux - Claron et Daudet (ci-après dénommée " la SCP notariale ").
Les deux procédures ont été jointes par le juge de la mise en état le 18 octobre 2016.
Par un jugement contradictoire rendu le 26 mars 2019, le tribunal de grande instance de Montpellier a :
- débouté la SCI MKE de l'ensemble de ses demandes,
- débouté M. [J] et Mme [W] de leur demande indemnitaire à l'encontre de la SCI MKE, de maître [R], notaire associé à [Localité 4] et de la SCP notariale,
- débouté Me [R], notaire associé à [Localité 4], et la SCP notariale de leur demande indemnitaire à l'encontre des consorts [J]-[W] pour procédure abusive,
- dit n'y avoir lieu à indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la SCI MKE aux dépens de l'instance et accordé aux avocats de la cause qui peuvent y prétendre le droit de recouvrement direct conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Par acte en date du 15 avril 2019, la SCI MKE a régulièrement interjeté appel du jugement.
Par ses conclusions enregistrées au greffe le 31 mai 2019, la SCI MKE demande à ce que la résolution de la vente soit prononcée.
En tout état de cause, elle demande à ce que la nullité de la vente soit prononcée et la condamnation des intimés à restituer l'intégralité du prix payé soit une somme de 400 000 euros outre les frais d'agence (20 000 euros) et de notaire (36 850 euros), soit un montant global de 456 850 euros.
En outre, elle demande leur condamnation in solidum au paiement de la somme de 60 033, 35 euros, au titre des intérêts qu'elle aurait pu percevoir si elle n'avait pas acquis ce bien mais avait placé cette somme de 456 850 euros à 2, 5%.
Par ailleurs, elle demande leur condamnation in solidum au paiement de la somme de 25 300 euros en réparation de cette période sinistrée.
Enfin, elle sollicite leur condamnation au paiement de la somme de 4 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Par leurs conclusions enregistrées au greffe le 9 août 2019, les consorts [J]-[W] sollicitent la confirmation du jugement et la condamnation de la SCI MKE au paiement de la somme de 3 600 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens, dont distraction au profit de Me Caumette au titre de l'article 699 du code de procédure civile.
Subsidiairement, ils sollicitent la condamnation in solidum de Me [R] et de la SCP notariale (dans l'hypothèse où la vente serait résolue ou annulée) à les relever et les garantir de toutes éventuelles condamnations prononcées à leur encontre. Par ailleurs, ils demandent la condamnation de la SCI MKE, de Me [R] et de la SCP Notariale au paiement de la somme de 3 600 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens, dont distraction au profit de Me Caumette au titre de l'article 699 du code de procédure civile.
Par leurs conclusions enregistrées au greffe le 21 août 2019, Me [R] et la SCP Notariale sollicitent la confirmation du jugement, la condamnation des consorts [J]-[W] au paiement de la somme de 3 500 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et la condamnation de tout succombant au paiement de la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
La clôture de la procédure a été prononcée par ordonnance en date du 7 juin 2023.
Pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, il est expressément renvoyé aux conclusions des parties et au jugement déféré.
MOTIFS
Sur la déclaration mensongère des vendeurs à l'acte de vente
La SCI MKE soutient que les vendeurs ont faussement déclaré lors de la vente ne pas avoir eu à déplorer sur le bien de sinistre lié à une catastrophe naturelle, et ce alors que le bien avait subi plusieurs inondations.
Les consorts [W]-[J] soutiennent avoir informé la SCI MKE par téléphone en avril ou mai 2011 de l'inondation de 2003.
Maître [Z] [R], notaire, souligne que le bien a été inondé en décembre 2002 et que les vendeurs ont été indemnisés pour ce sinistre et ont fait choix de dissimuler cette information.
Les éléments du dossier laissent clairement apparaître que l'information délivrée par les vendeurs lors de la vente (pièce 2 de la SCI MKE, page 15), selon laquelle ils n'avaient eu à déplorer aucun sinistre liée à une catastrophe naturelle, était erronée dès lors que lesdits vendeurs figurent sur la liste des sinistrés s'agissant du sinistre des 11 et 12 décembre 2012 (pièces 5 à 8 de la SCI MKE), et que l'inondation qu'ils ont subie avait provoqué de lourds dégâts matériels (pièces 9 et 10 de la SCI MKE).
C'est en vain que les consorts [W]-[J] évoquent une information sur ce sinistre par téléphone en avril ou mai 2011 puisque d'une part cette information ne résulterait que d'une simple conversation téléphonique dont la réalité, contestée par la SCI MKE, n'est pas démontrée aux travers des pièces du dossier, et que d'autre part cette information serait postérieure à l'acte authentique de vente, en date du 6 décembre 2010.
L'information donnée à l'acquéreur par les vendeurs lors de la vente apparaît dès lors clairement comme mensongère.
Sur la demande en résolution de la vente au visa de l'article L.125-5-V du code de l'environnement :
Le premier juge a relevé qu'un état des risques naturels et technologiques avait été annexé à l'acte authentique de vente et que l'acquéreur avait reconnu dans l'acte de vente avoir été informé de cet état des risques naturels et technologiques et avait déclaré vouloir en faire son affaire personnelle. Il a également retenu qu'il était stipulé au sein de l'acte authentique de vente que l'acquéreur renonçait à poursuivre la résolution du contrat ou à demander au juge une diminution du prix.
La SCI MKE soutient au contraire avoir renoncé à se prévaloir des dispositions de l'article L 125-5 du code de l'environnement uniquement en ce qui concerne l'obligation d'information de l'existence d'un plan de prévention des risques, et non pas s'agissant du paragraphe IV du même article concernant les déclarations du vendeur relatives à un sinistre antérieur. Elle ajoute que l'information mensongère donnée par les vendeurs sur une absence de sinistre antérieure a en tout état de cause privé de valeur leur renonciation à poursuivre la résolution de la vente ou la diminution du prix.
Les consorts [J]-[W] affirment quant à eux que les diagnostics techniques n'étaient pas annexés au compromis ou à l'acte de vente, et que la responsabilité de l'agence immobilière et du diagnostiqueur aurait dû être recherchée par la SCI MKE. Elle souligne que la SCI MKE a expressément renoncé à l'application des dispositions de l'article L. 125-5-V du code de l'environnement.
La question de la responsabilité éventuelle de l'agence immobilière et du diagnostiqueur est sans incidence sur le présent litige, l'agence immobilière et le diagnostiqueur n'étant pas en la cause.
Aux termes de l'acte authentique de vente (page 15), il est indiqué à la rubrique 'plan de prévention des risques déclaration sur les sinistres antérieurs' au paragraphe 1 qu'en application de l'article L 125-5 I du code de l'environnement, un état des risques naturels et technologiques est annexé à l'acte, que l'acquéreur a été informé de cet état et déclare en faire son affaire personnelle, et qu'il renonce à poursuivre la résolution du contrat ou à demander au juge une diminution du prix, et au paragraphe II que le vendeur déclare que le bien n'a pas subi à sa connaissance de catastrophes naturelles, telles notamment des inondations.
Il apparaît ainsi que l'acquéreur a renoncé à une action en résolution de la vente ou en diminution du prix uniquement dans le cadre du paragraphe 1 qui concerne l'application de l'article L 125-5 I du code de l'environnement et non en ce qui concerne la déclaration des vendeurs quant aux sinistres antérieurs.
Ainsi, contrairement à l'analyse du premier juge, l'acquéreur peut en l'espère demander la résolution de la vente si les dispositions de l'article L 125-5 IV du code de l'environnement ne sont pas respectées, ce qui est le cas en l'espèce, le vendeur ayant faussement déclaré que le bien n'avait pas subi de sinistre lié à une catastrophe naturelle.
Dans ces conditions, la SCI MKE, qui a fait le choix d'une action en résolution de la vente et non en réduction du prix, est fondée en sa demande.
La résolution de la vente sera prononcée.
Sur la responsabilité de maître [Z] [R], notaire
Les consorts [J]-[W] reprochent à maître [R], notaire, de ne pas leur avoir demandé s'ils avaient bénéficié d'une indemnisation au titre d'une catastrophe naturelle, et de ne pas avoir vérifié le diagnostic annexé à l'acte de vente.
La SCI MKE estime pour sa part que maître [R] aurait du vérifier les déclarations faites par le vendeur, d'autant qu'il est domicilié à [Localité 9], où se trouve le bien litigieux, et connaît l'existence des arrêtés de catastrophe naturelle concernant cette commune.
Maître [Z] [R] souligne quant à lui que le compromis de vente a été signé sans son intervention. S'agissant de l'acte authentique, il précise que les consorts [W]-[J] ont signé une procuration pour vendre qui contenait toutes les informations nécessaires à la validité et à l'efficacité de l'acte, et notamment la clause litigieuse envisagée. Il ajoute être allé au delà de son obligation en annexant l'état des risques à l'acte de vente, alors que ce n'était pas nécessaire, ledit état ayant été annexé à la promesse de vente. Il précise enfin que l'état des risques mentionne que le bien ne se situe pas dans une zone inondable.
Il n'est pas contestable que le notaire n'est pas intervenu lors du compromis de vente, régularisé auprès d'une agence immobilière.
S'agissant de l'acte authentique, l'état des risques n'avait pas nécessairement à être annexé à l'acte de vente puisqu'il l'avait été au compromis, en application des dispositions de l'article L 271-4 I du code de la construction et de l'habitation.
Si le notaire est débiteur d'une obligation de vérification, cette obligation ne va pas jusqu'à remettre en doute les éléments techniques figurant sur un diagnostic.Or, en l'espèce, l'état des risques laissait apparaître que le bien ne se situait pas en zone inondable. Le risque d'inondation n'étant pas le même sur une même commune, puisque cartographié en zones, la connaissance de la commune par maître [R] est sans incidence.
S'agissant de l'obligation d'information, les pièces du dossier laissent apparaître, comme le soutient le notaire, que toutes les informations contenues dans l'acte de vente projeté figuraient dans la procuration que le notaire a adressée aux vendeurs, et notamment la clause litigieuse concernant l'absence antérieure de sinistre liée à une catastrophe naturelle.
Dès lors, aucune faute ne peut être imputée au notaire.
Les consorts [J]-[W] et la SCI MKE seront par conséquent déboutés de leurs demandes dirigées contre maître [R].
Sur les demandes indemnitaires de la SCI MKE :
La SCI MKE sollicite le paiement :
- du prix de vente (400 000 euros), outre les frais d'agence (20 000 euros) et de notaire (36 850 euros),
- de la somme de 60 033,35 au titre des intérêts qu'elle aurait pu percevoir si elle avait placé la somme ayant servi à financer l'acquisition,
- de la somme de 25 300 euros correspondant à la valeur locative de l'immeuble pendant la période où il était inhabitable du fait des inondations.
La résolution de la vente implique de replacer la SCI MKE dans l'état dans lequel elle se serait trouvée si la vente n'avait pas eu lieu.
Dès lors les demandes au titre du prix de vente, des frais d'agence et de notaire apparaissent justifier, ce qui n'est pas le cas de la demande au titre de la perte locative, puisque si la vente n'avait pas eu lieu, la SCI MKE n'aurait pu louer le bien, n 'en étant pas propriétaire.
Il en est de même des intérêts sollicités sur la somme ayant servi à financer l'acquisition, dès lors qu'aucun élément du dossier ne laisse apparaître que les fonds auraient été placés et non investis dans une autre opération.
Les consorts [J]-[W] seront condamnés à payer à la SCI MKE la somme de 456 850 euros.
Sur la demande reconventionnelle en dommages-intérêts pour procédure abusive :
Maître [R] soutient que l'appel en garantie des consorts [J]-[W] serait abusif, dès lors qu'ils seraient les seuls responsables de la situation découlant de leur mensonge.
Toutefois, aucun élément du dossier ne permet d'affirmer que l'appel en garantie des consorts [J]-[W], effectué en réaction à l'action de la SCI MKE à leur encontre, aurait dégénéré en abus de droit.
Maître [R] sera dès lors débouté de sa demande.
Sur les demandes accessoires
Les consorts [J]-[W], succombants, le jugement sera infirmé.
Les consorts [J]-[W] seront condamnés à payer à la SCI MKE la somme de 3 000 euros et à Maître [R] et la SCP [R] Bonnary Fournier-Montgieux Claron Daudet la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Ils seront condamnés aux entiers dépens de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Infirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 26 mars 2019 par le tribunal de grande instance de Montpellier ;
Statuant de nouveau,
Déboute monsieur [U] [J] et madame [Y] [W], ainsi que la SCI MKE de leurs demandes à l'encontre de maître [R], notaire ;
Déboute la SCI MKE de ses demandes au titre des intérêts et de la perte locative ;
Déboute maître [R] et la SCP [R] Bonnary Fournier-Montgieux Claron Daudet de leur demande de dommages et intérêts ;
Prononce la résolution de la vente passée le 6 décembre 2010 entre monsieur [U] [J] et madame [Y] [W] d'une part et la SCI MKE d'autre part portant sur un immeuble sis [Adresse 2] à [Localité 9] (34) ;
Condamne monsieur [U] [J] et madame [Y] [W] à payer à la SCI MKE la somme de 456 850 euros, avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision ;
Condamne monsieur [U] [J] et madame [Y] [W] à payer à la SCI MKE la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne monsieur [U] [J] et madame [Y] [W] à payer à Maître [R] et la SCP [R] Bonnary Fournier-Montgieux Claron Daudet la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne monsieur [U] [J] et madame [Y] [W] aux entiers dépens de première instance et d'appel.
La greffière, Le président,