Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 4 - ch. 4, 24 octobre 2023, n° 20/15530

PARIS

Arrêt

Autre

CA Paris n° 20/15530

24 octobre 2023

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 4

ARRET DU 24 OCTOBRE 2023

(n° , 6 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/15530 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CCSBT

Décision déférée à la Cour : Jugement du 15 Septembre 2020 -Juge des contentieux de la protection de TRIBUNAL JUDICIAIRE DE PARIS RG n° 1120000936

APPELANTE

S.A. GRDF ANCIENNEMENT GDF-SUEZ, agissant poursuite et diligences de ses représentants légaux domiciliés audit siège,

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée par Me Nadia BOUZIDI-FABRE, avocat au barreau de PARIS, toque : B0515

Assistée de Me Laetitia FAYON de TOPAZE AVOCATS, avocat au Barreau de Paris

INTIME

Monsieur [Y] [L]

[Adresse 7],

[Adresse 7]

[Localité 3]

Représenté par Me Céline FRETEL, avocat au barreau de PARIS, toque : C0900

INTERVENANTE

S.A.S. LAGUNE GARDEN, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège

[Adresse 5]

[Localité 4]

Représentée par Me Anne-marie MAUPAS OUDINOT, avocat au barreau de PARIS, toque : B0653

Assistée de Me Pierre-Louis PAOLI de la SELARL FRASSON-GORRET AVOCATS, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 12 Septembre 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Nicolette GUILLAUME, Présidente de chambre

Mme Marie MONGIN, Conseiller

M. Claude CRETON, Président magistrat honoraire

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Monsieur Claude CRETON dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Catherine SILVAN

ARRET :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Nicolette GUILLAUME, Présidente de chambre et par Gisèle MBOLLO, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

***

Par acte du 13 septembre 1994, EDF-GDF, aux droits duquel vient la société GRDF, a mis à la disposition de son agent, M. [L], à compter du 23 septembre 1994, un appartement situé à [Adresse 7], qu'elle louait à son propriétaire, la société Gérance générale foncière (la société GGF). Le loyer mensuel a été fixé à la somme de 3 770 francs, révisable, valeur au 1er juillet 1993. Il était en outre stipulé que cette mise à disposition était accessoire au contrat de travail liant M. [L] à EDF-GDF, que M. [L] bénéficiait d'un abattement de 7,5 % sur le montant du loyer ainsi que d'un écrêtement, que le loyer serait versé à EDF-GDF par prélèvement sur son salaire et que la mise à disposition du logement cesserait avec ses fonctions.

Le 3 janvier 1995, un contrat de bail portant sur ce logement a été conclu entre la société GGF et M. [L] moyennant un loyer du même montant que celui prévu par l'acte du 13 septembre 1994, avec un abattement de 7,5 %. La date d'entrée dans les lieux était fixée au 23 septembre 1994.

M. [L] ayant fait valoir ses droits à la retraite à compter du 1er juillet 2018, la société GRDF l'a informé le 3 octobre 2017 qu'il devait libérer le logement pour le 31 décembre 2018. Elle a précisé que le loyer ne pouvant plus être prélevé sur son salaire, M. [L], qui ne bénéficierait plus d'un écrêtement, devait effectuer un règlement à la société GRDF.

M. [L] ayant refusé de quitter le logement au motif que le bail du 3 janvier 1995 n'avait pas été conclu en corrélation avec ses fonctions au sein d'EDF-GDF, la société GRDF l'a assigné aux fins de constatation qu'il était occupant sans droit ni titre et en expulsion. Elle a en outre sollicité sa condamnation au paiement d'une indemnité d'occupation, de la somme de 5 914,88 euros au titre du solde de l'indemnité d'occupation courante, de la somme de 1 000 euros à titre de dommages-intérêts et de la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Par jugement du 15 septembre 2020, le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Paris a déclaré irrecevables l'action de la société GRDF et la demande reconventionnelle de M. [L].

Pour statuer ainsi, le tribunal a retenu que si les parties aux contrats du 13 septembre 1994 et du 3 janvier 1995 ne sont pas identiques, le bien objet de ces contrats est le même et le second contrat couvre la même période que le premier, de sorte que le contrat du 3 janvier 1995 semble se substituer à celui du 13 septembre 1994 par novation et changement de créancier. Il a ajouté que le contrat du 3 janvier 1995 ne fait plus référence au contrat de travail liant M. [L] à EDF-GDF. Constatant ensuite qu'est seul applicable le contrat du 3 janvier 1995 qui lie M. [L] à la société GGF, il a déclaré l'action de la société GRDF irrecevable faute de qualité pour agir, ainsi que la demande reconventionnelle formée par M. [L] qui sollicitait la fixation du loyer à la somme de 780,14 euros sans avoir mis en cause son bailleur.

La société GRDF a interjeté appel de cette décision dont elle sollicite l'infirmation en ce qu'elle déclare son action irrecevable, rejette sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile et la condamne aux dépens. Elle a appelé en intervention forcée la société Lagune garden, actuelle propriétaire du logement litigieux, et demande à la cour de constater que M. [L] occupe sans droit ni titre ce logement, d'ordonner son expulsion et de le condamner au paiement d'une indemnité d'occupation mensuelle de 1 830,20 euros jusqu'à libération effective des lieux, ainsi que d'une somme de 38 865,20 euros au titre du solde de l'indemnité d'occupation due pour la période qui a couru depuis le mois d'avril 2019.

A titre subsidiaire, elle sollicite la condamnation solidaire de M. [L] et de la société Lagune garden à lui payer la somme de 52 897,86 euros au titre du différentiel de loyer qu'elle a indûment supporté depuis janvier 2018.

Elle réclame en fin la condamnation de M. [L] et de la société Lagune garden à lui payer la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

La société GRDF soutient d'abord qu'en exécution du contrat du 13 septembre 1994, elle est liée à M. [L] par une convention de mise à disposition du logement dont elle est elle-même locataire et que cette mise à disposition, qui est l'accessoire du contrat de travail conclu avec M. [L], a cessé avec ce contrat.

Elle ajoute que si la cour retient que le contrat applicable est celui du 3 janvier 1995, elle devra également retenir que ce contrat est indivisible de la convention de mise à disposition du 13 septembre 1994 à laquelle il fait référence, le contrat du 3 janvier 1995 n'ayant pas eu d'effet novatoire.

M. [L] soutient qu'est seul applicable le contrat du 3 janvier 1995, qui n'a aucun lien avec le contrat du 13 septembre 1994 à défaut de volonté des parties de lier ces deux contrats, celui-là s'étant substitué à celui-ci par novation, de sorte que l'action de la société GRDF doit être déclarée irrecevable faute de qualité pour agir. Il ajoute que si par acte du 9 février 2006 entre la société GGF et la société GDF, celle-ci est devenue locataire du logement litigieux, il doit en être déduit que jusqu'à cette date il était le locataire du logement et qu'en outre cet acte, auquel il n'est pas intervenu, a été conclu à son insu et en fraude de ses droits.

Il conclut en conséquence à la confirmation du jugement, sauf en ce qu'il déclare irrecevable la demande qu'elle forme contre la société GRDF, et demande à la cour, statuant à nouveau, de fixer le montant mensuel du loyer à 780,14 euros, de sorte qu'il est à jour du paiement du loyer et que la société GRDF doit être déboutée de toutes ses demandes, notamment de la demande en paiement d'une indemnité d'occupation.

A titre subsidiaire, il sollicite le plus large délai pour s'acquitter des sommes qu'il resterait devoir à la société GRDF.

Il réclame enfin la condamnation de la société GRDF et de la société Lagune garden à lui payer la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Lagune garden déclare s'en remettre à l'appréciation de la cour sur les mérites de l'appel de la société GRDF. Elle ajoute qu'aucun élément ne justifie sa mise en cause devant la cour d'appel et que l'action formée contre elle par la société GRDF doit être déclarée irrecevable. A titre subsidiaire, elle conclut au rejet de la demande en restitution à la société GRDF des loyers que celle-ci lui a versés et, plus subsidiairement encore, elle sollicite la condamnation de M. [L] à la garantir des condamnations qui pourraient être prononcées contre elle et à libérer sans délai le logement litigieux. Elle réclame enfin la condamnation de la société GRDF, ou à défaut de M. [L], à lui payer une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

SUR CE :

1 - Sur la recevabilité de l'intervention forcée de la société Lagune garden

Considérant que le tribunal ayant déclaré l'action de la société GRDF irrecevable au motif que M. [L] n'avait plus aucun lien avec cette société puisqu'il qu'il était devenu locataire de la société Lagune garden, qui vient aux droits de la société GGF, à la suite de la conclusion du contrat du 3 janvier 1995, la mise en cause de la société Lagune garden devant la cour d'appel est justifiée par l'évolution du litige, caractérisée par la révélation de cette circonstance de droit, née du jugement, qui a modifié les données du litige ; que cette mise en cause est donc recevable ;

2 - Sur la recevabilité et le bien fondé de l'action de la société GRDF contre M. [L]

Considérant que la novation, dont se prévaut M. [L], est une opération juridique qui a pour effet la substitution à une obligation ancienne, qui s'éteint, d'une obligation nouvelle par le changement du contenu ou des modalités de l'obligation ancienne, le changement du créancier ou le changement du débiteur ;

Considérant que, selon le contrat du 13 septembre 1994, EDF GDF a mis à la disposition de M. [L] à compter du 23 septembre 1994 un logement ; qu'il est stipulé que cette mise à disposition lui a été consentie en considération de sa 'qualité d'agent GDF et de son affection à EDF GDF Services-[Localité 6], au Service Technique Gaz', que le loyer, d'un montant mensuel de 3 770 francs, 'sera retenu sur (sa) feuille de paie mensuelle, étant précisé qu'il a été accordé à M. [L] un abattement de 7,5 % du montant du loyer' et que 'ce montant (...) sera lui-même écrêté, le cas échéant, suivant les dispositions des circulaires en vigueur au sein de l'établissement' ;

Considérant que le contrat du 3 janvier 1995, conclu entre la société GGF, bailleresse, représentée par E.G. MO-Energie gérance immobilière, et M. [L] a pour objet la location à ce dernier du même logement, également à compter du 23 septembre 1994, avec un loyer annuel de 45 242 francs, soit 3 770 francs par mois, identique à celui stipulé par le contrat du 13 septembre 1994 ; qu'il est également prévu qu'un abattement de 7,5 % sera appliqué à ce loyer payable 'à E.G. MO par virement ou versement à son compte de chèques postaux ou par remise d'un chèque bancaire ou, à défaut, par tout moyen ayant reçu l'agrément des deux parties' ;

Considérant que cet acte n'a pu avoir d'effet novatoire, en l'espèce par changement du créancier des loyers et du débiteur de l'obligation de mise à disposition du logement à M. [L], l'intention de nover, qui ne peut être présumée mais peut être tacite, n'étant pas caractérisée ; qu'en effet, EDF GDF non seulement n'est pas intervenu à l'acte pour consentir à ce que la société GGF lui soit substituée en sa qualité de créancier de M. [L], mais en outre a continué à percevoir le loyer par prélèvement sur le salaire de celui-ci qui a continué à bénéficier de l'écrêtement applicable aux agents occupant un logement 'appartenant à EDF, au GDF, à leurs filiales ou pris à bail auprès de tiers', conformément à la décision du 18 février 1966, alors même que le bénéfice de cet écrêtement n'avait pas été prévu par le contrat du 3 janvier 1995 ; qu'en outre, la mise à disposition à M. [L] du logement a continué à être assurée par EDF GDF, puis par la société GRDF, locataires principales de ce logement, ainsi qu'il résulte d'un acte du 23 janvier 2006 dont l'objet était la substitution de la société GRDF à EDF GDF en leurs qualités de locataires du logement appartenant à la société GGF ; qu'en l'absence d'effet novatoire de l'acte du 3 janvier 1995, les relations entre M. [L] et EDF GDF, puis la société GRDF, ont continué à être régies par le contrat du 13 septembre 1994, de sorte que celle-ci a qualité pour agir contre M. [L], son sous-locataire, que son action doit être déclarée recevable comme celle de M. [L] contre la société GRDF ;

Considérant qu'en vertu du contrat du 13 septembre 1993, la mise à disposition de M. [L] du logement litigieux était l'accessoire de son contrat de travail ; qu'il était en outre stipulé que dans le cas où M. [L] '(viendrait) à quitter (son) emploi' pour quelque cause que ce soit, il s'engage à 'libérer les lieux dans un délai de trois mois à compter de la notification qui (lui) en serait faite' ; que M. [L] ayant été invité à libérer le logement au plus tard le 31 décembre 2018, puis au 31 mars 2019, celui-ci est devenu occupant sans droit ni titre de l'appartement depuis cette dernière date ; qu'il doit en conséquence être condamné à libérer le logement et qu'à défaut il y a lieu d'ordonner son expulsion ; qu'en outre, il est tenu de payer à la société GRDF une indemnité d'occupation qui doit être fixée à un montant correspondant à la valeur locative de l'appartement que celle-ci a justement évaluée à 1 830,20 euros par mois conformément au loyer et à la provision sur charges qu'elle règle à son bailleur sur la base de la valeur locative de l'appartement ;

Considérant que compte tenu de l'importance de l'arriéré dû par M. [L] au titre de l'indemnité d'occupation et de ses revenus actuels, il convient de lui accorder un délai de paiement de deux ans ;

PAR CES MOTIFS : statuant publiquement, par arrêt contradictoire

Infirme le jugement en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau :

Déclare recevables l'action de la société GRDF contre M. [L], l'action de M. [L] contre la société GRDFet la mise en cause de la société Lagune garden par la société GRDF ;

Constate que M. [L] est occupant sans droit ni titre depuis le 1er avril 2019 du logement, situé à [Adresse 7] ;

Condamne en conséquence M. [L] à libérer ce logement ainsi que de tous occupants de son chef ;

A défaut de libération volontaire des lieux, ordonne l'expulsion de M. [L] avec le concours de la force publique ;

Condamne M. [L] au paiement d'une indemnité d'occupation d'un montant de 1 830,20 par mois à compter du 1er avril 2019, dont à déduire les sommes réglées depuis cette date par M. [L] à la société GRDF au titre du loyer et des charges ;

Accorde à M. [L] un délai de paiement de deux ans pour s'acquitter du solde dû et qu'il devra s'acquitter avant le 10 de chaque mois, à l'issue d'un délai d'un mois suivant la signification de l'arrêt, d'une somme d'au moins 1 700 euros, le solde restant dû devant être réglé lors de la 24ème mensualité ;

Rejette toutes les autres demandes ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette l'ensemble des demandes ;

Condamne M. [L] aux dépens de première instance et d'appel.

LE GREFFIER, LA PRÉSIDENTE,