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Décisions

CA Paris, Pôle 1 - ch. 2, 5 octobre 2023, n° 23/02486

PARIS

Arrêt

Autre

CA Paris n° 23/02486

5 octobre 2023

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 1 - Chambre 2

ARRÊT DU 05 OCTOBRE 2023

(n° , 5 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/02486 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CHCDR

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 25 Novembre 2022 -Président du TJ de PARIS - RG n° 22/55701

APPELANTE

S.A.R.L. CAM, RCS de Paris sous le n°328 620 943, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 2]

[Localité 5]

Représentée par Me Christophe VOITURIEZ, avocat au barreau de PARIS, toque : E1619

Substitué à l'audience par Me Aaron KRAWIEC, avocat au barreau de PARIS

INTIMEE

S.A.S. CICERONE, RCS de PARIS sous le n°844 771 857, agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représentée et assistée par Me Philippe JULIEN de la SCP P D G B, avocat au barreau de PARIS, toque : U0001

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 804, 805 et 905 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 05 Juillet 2023, en audience publique, les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre

Thomas RONDEAU, Conseiller,

Michèle CHOPIN, Conseillère,

Qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Saveria MAUREL

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre et par Saveria MAUREL, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

****

EXPOSE DU LITIGE

La société CAM est propriétaire d'un local commercial situé [Adresse 3] et [Adresse 1] à [Localité 4], qu'elle a donné à bail à la société Indiana [Adresse 3] selon acte du 5 avril 2023. Ce bail avait pour terme le 4 avril 2022 et prévoyait un loyer annuel d'un montant en dernier lieu de 126.482 euros hors taxes et hors charges.

La société Cicerone a acquis le fonds de commerce auprès de la société Indiana [Adresse 3] selon acte du 28 décembre 2018, venant ainsi aux droits de cette dernière.

La société Cicerone a été placée en redressement judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Paris en date du 27 février 2020. Dans ce cadre, elle a mandaté le cabinet d'expertise [H] pour déterminer la valeur locative des lieux loués.

Se fondant sur le rapport d'expertise de M. [H] en date du 2 décembre 2021, par courrier recommandé du 2 décembre 2021 la société Cicerone a adressé à sa bailleresse une demande de renouvellement du bail en application de l'article L 145-10 du code de commerce, avec fixation d'un nouveau loyer à la valeur déterminée par M. [H].

Par acte extrajudiciaire en date du 23 février 2022, la société CAM a signifié à la société Cicerone son refus de renouveler le bail et offert le paiement d'une indemnité d'éviction conformément aux dispositions de l'article L 145-14 du code de commerce.

Par acte d'huissier de justice en date du 4 juillet 2022, la société Cicerone a assigné la société CAM devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris aux fins d'obtenir :

- la désignation d'un expert pour évaluer le montant de l'indemnité d'éviction due par le bailleur au preneur et le montant de l'indemnité d'occupation due par le preneur au bailleur jusqu'au versement de l'indemnité d'éviction,

- le report partiel du paiement de l'indemnité d'occupation,

- la fixation d'une indemnité d'occupation provisionnelle de 5.012,75 euros par mois soit 60.1253 euros par an hors taxes à compter du 5 avril 2022,

- la condamnation de la société CAM aux dépens.

Par ordonnance contradictoire du 25 novembre 2022, le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris a :

- fixé l'indemnité d'occupation à titre provisionnel due à compter du 5 avril 2022 par la société Cicerone à la somme de 22.000 euros hors taxes et hors charges par trimestre,

- débouté la société Cicerone de sa demande de report partiel de paiement de l'indemnité d'occupation,

- débouté la société Cicerone de sa demande de dissociation de l'expertise judiciaire,

- ordonné une expertise aux frais partagés des parties et désigné en qualité d'expert M. [G],

- dit que chaque partie gardera la charge de ses dépens,

- rejeté le surplus des demandes.

Par déclaration du 26 janvier 2023, la société CAM a interjeté appel de cette décision sur le montant de l'indemnité d'occupation.

La société Cicerone a formé un appel incident sur ce même point.

Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 19 juin 2023, la société CAM demande à la cour de :

- juger que les prétentions de la société Cicerone relatives à la fixation de l'indemnité d'occupation étaient sérieusement contestables ;

En conséquence,

- infirmer l'ordonnance entreprise mais uniquement en ce qu'il a fixé le montant de l'indemnité d'occupation à la somme de 22.000 euros trimestriels HT/HC ;

- juger que l'indemnité d'occupation sera fixée, dans l'attente d'une décision judiciaire définitive à intervenir, à la somme annuelle de 115.000 euros HC/HT conformément aux recommandations de Mme [S] [U], soit à la somme trimestrielle de 28.750 euros HT/HC, le loyer étant dû trimestriellement ;

- condamner la société Cicerone au paiement en faveur de la société CAM d'une somme de 2.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 19 juin 2023, la société Cicerone demande à la cour de :

A titre principal,

- infirmer l'ordonnance rendue uniquement en ce qu'elle a fixé le montant de l'indemnité d'occupation à titre provisionnel à la somme de 22.000 euros HT/HC par trimestre ;

- confirmer l'ordonnance rendue pour le surplus ;

Y faisant droit et statuant de nouveau,

- fixer à titre provisionnel le montant de l'indemnité d'occupation due par Cicerone à compter du 5 avril 2022 à la somme de 15.038,25 euros HT/HC par trimestre soit la somme de 60.153 euros HT/HC par an, conformément au rapport de M. [H] ;

A titre subsidiaire,

- confirmer l'ordonnance rendue dans son intégralité ;

Y faisant droit et statuant de nouveau,

- fixer à titre provisionnel le montant de l'indemnité d'occupation due par la société Cicerone à compter du 5 avril 2022, à la somme de 22.000 euros HT/HC par trimestre soit la somme de 88.000 euros HT/HC par an ;

En tout état de cause,

- débouter la société CAM de ses demandes ;

- condamner la société CAM à lui verser la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens.

Pour l'exposé des moyens des parties, il est renvoyé à leurs conclusions susvisées conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

SUR CE, LA COUR

La cour n'est saisie que du montant provisionnel de l'indemnité d'occupation due par le preneur au bailleur jusqu'à la fixation et le paiement de l'indemnité d'éviction.

Le premier juge a fixé cette indemnité à un montant annuel de 88.000 euros, soit un montant intermédiaire entre le montant du loyer annuel et le montant de la valeur locative tel que retenu par l'expert [H].

En cause d'appel, la société bailleresse produit sa propre expertise extrajudiciaire non contradictoire qu'elle a fait établir par Mme [U], expert judiciaire près la cour d'appel de Paris, qui fixe la valeur locative annuelle à 127.790,10 euros et l'indemnité d'occupation annuelle à 115.000 euros, après application d'un abattement d'usage de 10%.

La société CAM demande à la cour de fixer l'indemnité d'occupation provisionnelle à la somme de 115.000 euros telle que fixée par son expert.

La société Cicerone considère pour sa part que l'indemnité d'occupation doit être provisionnellement fixée à un montant annuel de 60.153 euros tel que déterminé par l'expert [H], lequel a retenu une valeur locative de 66.837 euros et une indemnité d'occupation de 60.153 euros après l'abattement d'usage de 10%.

En application de l'article 835 alinéa 2 du procédure civile, le juge des référés peut accorder une provision au créancier dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable.

Le montant de la provision en référé n'a d'autre limite que le montant non sérieusement contestable de la dette alléguée.

Une contestation sérieuse est caractérisée lorsque l'un des moyens de défense opposés aux prétentions du demandeur n'apparaît pas immédiatement vain et laisse subsister un doute sur le sens de la décision au fond qui pourrait éventuellement intervenir par la suite sur ce point si les parties entendaient saisir les juges du fond.

En l'espèce, les parties critiquent chacune l'évaluation opérée par l'expert de l'autre partie.

Il convient de rappeler qu'il n'appartient pas au juge des référés, juge de l'évidence d'apprécier le bien fondé de l'analyse de ces deux experts ni de fixer la valeur locative de l'indemnité d'occupation, ce qui incombe au juge du fond qui se déterminera sur la base de l'expertise judiciaire en cours confiée à M. [G].

Il revient seulement au juge des référés, sur le fondement du texte précité, de déterminer à titre provisoire la part non sérieusement contestable de l'obligation de paiement du preneur au titre de l'occupation des lieux, en l'attente de sa détermination définitive sur la base de l'expertise judiciaire.

En application de l'article L 145-28 du code de commerce, l'indemnité d'occupation doit être fixée à la valeur locative.

En présence de deux rapports d'expertise extrajudiciaire divergents sur cette valeur, qui ne peuvent être analysés par le juge des référés sans excéder ses pouvoirs, c'est le montant de la valeur minimale commune à ces deux rapports qui doit être retenue à titre de valeur locative non sérieusement contestable, soit la somme de 60.153 correspondant à l'évaluation, la plus basse, de M. [H].

L'ordonnance entreprise sera infirmée et le montant de l'indemnité d'occupation provisionnelle due par la société Cicerone à la société CAM sera fixée à la somme annuelle de 60.153 hors taxes et hors charges.

La nature du litige commande de laisser à chaque partie la charge de ses dépens et frais irrépétibles de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Statuant dans les limites de sa saisine,

Infirme l'ordonnance entreprise sur le montant provisionnel de l'indemnité d'occupation due par la société Cicerone à la société CAM,

Statuant à nouveau de ce chef,

Fixe à la somme annuelle de 60.153 euros hors taxes et hors charges l'indemnité d'occupation due à titre provisionnel par la société Cicerone à la société CAM,

Confirme l'ordonnance pour le surplus,

Y ajoutant,

Dit que chaque partie conservera la charge de ses dépens et frais irrépétibles exposés à hauteur d'appel.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE