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Décisions

CA Aix-en-Provence, ch. 1-2, 21 septembre 2023, n° 22/11246

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Autre

CA Aix-en-Provence n° 22/11246

21 septembre 2023

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-2

ARRÊT

DU 21 SEPTEMBRE 2023

N°2023/552

Rôle N° RG 22/11246 - N° Portalis DBVB-V-B7G-BJ3UE

[X] [M]

Etablissement Public EUROMEDITERRANEE

C/

[L] [R]

[C] [N]

[Y] [N]

[E] [O]

[B] [P]

[T] [G]

[X] [M]

[B] [P]

[T] [G]

Copie exécutoire délivrée le :

à :

Me Joseph MAGNAN

Me Laurence HENRY

Décision déférée à la Cour :

Ordonnance de référé rendue par le Président du Juge des contentieux de la protection de MARSEILLE en date du 21 juillet 2022 enregistrée au répertoire général sous le n° 22/01875.

APPELANT

Etablissement Public EUROMEDITERRANEE pris en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège, demeurant [Adresse 4]

représenté par Me Joseph MAGNAN de la SCP PAUL ET JOSEPH MAGNAN, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

et assisté de Me Olivier BURTEZ-DOUCEDE, avocat au barreau de MARSEILLE substitué par Me Aleksy JANKOWIAK, avocat au barreau de MARSEILLE, plaidant

INTIMES

Monsieur [L] [R]

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2023-003066 du 19/05/2023 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de AIX-EN-PROVENCE)

né le 02 août 1983 en ROUMANIE, demeurant [Adresse 7]

Monsieur [C] [N]

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2023/3067 du 19/05/2023 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de AIX-EN-PROVENCE)

né le 21 janvier 1983 en ROUMANIE, demeurant [Adresse 7]

Madame [Y] [N]

née le 14 novembre 1975 à ROUMANIE, demeurant [Adresse 7]

Madame [E] [O]

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2023/3233 du 26/05/2023 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de AIX-EN-PROVENCE)

née le 11 avril 1984 en ROUMANIE, demeurant [Adresse 7]

Madame [X] [M]

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2023/3234 du 26/05/2023 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de AIX-EN-PROVENCE)

née le 25 mars 1983 en ROUMANIE, demeurant [Adresse 7]

Madame [B] [P]

bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2023/3237 du 26/05/2023 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de AIX-EN-PROVENCE

née le 23 août 1983 en ROUMANIE, demeurant [Adresse 7]

Madame [T] [G] épouse [R]

née le 20 novembre 1991 en ROUMANIE , demeurant [Adresse 7]

tous représentés par Me Laurence HENRY de la SELARL HENRY TIERNY AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de MARSEILLE, palidant

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 19 juin 2023 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Catherine OUVREL, Présidente, et Madame Myriam GINOUX, Conseillère, chargées du rapport.

Madame Myriam GINOUX, Conseillère, a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Mme Catherine OUVREL, Présidente

Mme Angélique NETO, Conseillère

Madame Myriam GINOUX, Conseillère rapporteur

Greffier lors des débats : Mme Julie DESHAYE.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 21 septembre 2023.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 21 septembre 2023.

Signé par Mme Catherine OUVREL, Présidente et Mme Julie DESHAYE, greffière auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOS'' DU LITIGE

L' Etablissement Public EUROMEDITERRANEE est propriétaire d'un ensemble de bâtiments industriels et commerciaux sis [Adresse 7], bâtiments érigés sur des parcelles cadastrées [Cadastre 5] section H n° [Cadastre 1],[Cadastre 2], et [Cadastre 3] [Adresse 9].

Un constat d'huissier dressé le 9 juin 2022 a révélé que les lieux étaient occupés par une douzaine d'enfants, et une quinzaine d'adultes dont sept d'entre eux étaient munis de pièces d'identité à savoir: M. [L] [R], M. [C] [N], Mme [Y] [N], Mme [E] [O], Mme [X] [M], Mme [B] [P], Mme [T] [G] épouse [R].

Par ordonnance du 10 juin 2022, le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Marseille, saisi d'une requête à cette fin, a autorisé l'Etablissement Public EUROMEDITERRANEE à faire assigner les dits occupants, en référé d'heure à heure, devant le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Marseille à l'audience du 16 juin 2022.

Par acte en date du 14 juin 2022, l' Etablissement Public EUROMEDITERRANEE a fait assigner ces derniers, en référé, devant le tribunal judiciaire de Marseille, aux fins de voir constater cette occupation sans droit ni titre, voir ordonner leur expulsion ainsi que celle de tous occupants de leur chef, avec au besoin le concours de la force publique, dire que cette expulsion sera poursuivie sans délai dès la délivrance d'un commandement de quitter les lieux, les voir condamner in solidum à lui payer, à titre provisionnel, une indemnité d'occupation journalière de 300 € jusqu'à la libération des lieux, la somme de 1 000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, et les dépens.

Par ordonnance contradictoire du 21 juillet 2022, ce magistrat a :

- admis provisoirement à l'aide juridictionnelle les défendeurs,

- constaté l'occupation sans droit ni titre,

- ordonné leur expulsion et celle de tous occupants de leur chef, au besoin avec le concours de la force publique,

- dit que le délai prévu à l'article L 412-1 du code des procédures civiles d'exécution sera supprimé,

- dit qu'il ne pourra être procédé à l'expulsion avant l'expiration d'un délai de cinq mois à compter de l'ordonnance,

- dit n'y avoir lieu à référé sur le surplus,

- renvoyé les parties à se pourvoir au fond,

- condamné in solidum les défendeurs à payer à l'Etablissement Public EUROMEDITERRANEE une somme de 600 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné in solidum les défendeurs aux dépens,

- rappelé que la décision était exécutoire de plein droit.

Le premier juge a estimé que l'occupation sans droit ni titre était établie par les constatations de l'huissier, occupation non contestée par les défendeurs et constituant un trouble manifestement illicite que le juge a pour devoir de faire cesser, en l'espèce par l'expulsion de ces occupants.

Il a considéré que les défendeurs s'étaient introduits dans les lieux par effraction en dégradant la porte métallique d'entrée, que la découverte de cette effraction , concomitante au constat de l'occupation des lieux caractérisait une voie de fait imputable aux défendeurs, ce que ces derniers ne contestaient pas non plus.

Il a estimé en conséquence que cette voie de fait excluait le délai de deux mois prévu à l'article L 412-1 du code des procédures civiles d'exécution.

S'agissant des délais prévus à l'article L 412-3 du même code, ce magistrat a considéré qu'il résultait de l'ensemble des pièces produites par les défendeurs que ceux ci sont dans l'attente de la mise en place d'une solution d'hébergement par les pouvoirs publics, lesquels leur proposaient des terrains aménagés avec de l'habitat modulaire qui ne sont toujours pas en place ; que les lieux 'squattés' ont été sécurisés, qu'une attestation de 'Médecins du Monde' établit que plusieurs occupants présentent une situation de vulnérabilité importante en raison de pathologies cardiaques et pulmonaires ; qu'en conséquence leur relogement ne pourrait avoir lieu, à court terme, dans des conditions normales et sans risque.

Il a estimé que l'article 122-7 du code pénal, qui érige l'état de nécessité en cause d'irresponsabilité pénale, n'est pas applicable en l'espèce.

Il a également considéré que l' Etablissement Public EUROMEDITERRANEE ne justifiait pas, de son côté, de projet imminent relativement aux lieux occupés ; que ces éléments justifiaient d'accorder aux défendeurs un délai de cinq mois au cours desquels il ne pourra être procédé à leur expulsion.

Concernant l'indemnité d'occupation, il a rappelé la nature mixte de celle-ci, constituant une dette de jouissance correspondant à la valeur équitable des lieux et assurant en outre la réparation du préjudice qui en résulte ; qu'en l'espèce, il n'était produit aucune indication sur la valeur locative du bien, de sorte qu'en l'état d'une contestation sérieuse, il n'y avait pas lieu à référé.

Par déclaration reçue le 3 août 2022, l' Etablissement Public EUROMEDITERRANEE a interjeté appel de cette décision, en ce que l'ordonnance avait accordé un délai de cinq mois avant l'expulsion et l'avait débouté de sa demande d'expulsion sans délai.

Cette affaire a été enregistrée sous le n° RG 22/11246.

Par déclaration complémentaire du 5 août 2022, l'Etablissement Public EUROMEDITERRANEE critique l'ordonnance entreprise de chefs exactement identiques.

Cette affaire a été enregistrée sous le n° RG 22/11365.

Par ordonnance du 11 août 2022, ces deux affaires ont été jointes sous le seul numéro 22/11246.

Dans ses dernières conclusions transmises le 21 novembre 2022, l'Etablissement Public EUROMEDITERRANEE sollicite de la cour qu'elle:

- rectifie l'erreur matérielle affectant l'ordonnance en précisant les références cadastrales des parcelles occupées concernées par la mesure d'expulsion, à savoir les parcelles cadastrées [Cadastre 5] section H n° [Cadastre 1],[Cadastre 2] et [Cadastre 3] sises [Adresse 9],

- infirme l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a dit qu'il ne pourra être procédé à l'expulsion des occupants avant un délai de cinq mois à compter de l'ordonnance,

' statuant à nouveau,

- écarte le bénéfice du délai prévu à l'article L 412-3 du code des procédures civiles d'exécution

- supprime le bénéfice du sursis prévu à l'article L 412-6 du code des procédures civiles d'exécution ,

- ordonne l'expulsion sans délai des intimés et de tout occupant de leur chef,

- les déboute de toutes leurs demandes,

- les condamne au paiement de la somme de 2 000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ,

- les condamne aux entiers dépens.

Il rappelle que l' huissier a constaté le 9 juin au matin, l'effraction s'étant produite dans la nuit précédant, que les lieux étaient dans un état totalement inhabitable, délabré, le sol présentant des traces de pollution liées à la présence d'hydrocarbures, ce liquide stagnant sur le sol et en divers regards ; les bâtiments n'étant pas hors d'eau, plusieurs toitures étant partiellement effondrées, d'autres menaçant ruine ; que les squatters étaient en train de bricoler un branchement sauvage pour s'alimenter en eau ; et le site étant d'autant plus dangereux qu'il avait été révélé une présence d'amiante importante.

Il fait valoir également que les trois parcelles occupées font l'objet d'une promesse de vente consentie au bénéfice de BNP PARIBAS IMMOBILIER, pour un délai expirant au 20 décembre 2022, aux fins de construction de logements sociaux, et que le bien en conséquence doit être libre de toute occupation, le vendeur s'étant engagé à réaliser, deux mois avant la date de réalisation, la démolition des constructions présentes.

Qu'en conséquence, l'occupation illégale et le maintien des intimés dans ces lieux lui cause un préjudice grave et actuel.

Il rappelle que le délai prévu à l'article L 412-3 du code des procédures civiles d'exécution ne peut être accordé qu'en cas d'impossibilité de relogement dans des conditions normales ; qu'une solution de relogement en hôtel a été proposée, refusée par les intimés , alors que cette solution présente des caractères de salubrité, d'hygiène et de sécurité bien plus adaptées aux occupants, dont certains sont en mauvais état de santé et de surcroît accompagnés par des enfants, conditions bien plus décentes et normales que l'occupation d'un local insalubre et dangereux.

Il rappelle que les locaux en question sont des locaux industriels, pollués et presque à ciel ouvert, absolument inadaptés à la vie de famille et sans commune mesure avec des logements hôteliers du point de vue de la sécurité et du confort ; qu'il serait irresponsable de faire perdurer une telle situation.

Il conteste l'attestation de l'Association JUST, de juin 2022, indiquant que les bénévoles de cette association n'ont pas qualité ni compétence, pour évaluer sérieusement la dangerosité d'un tel site industriel désaffecté, et s'en rapporte au constat d'huissier du 9 juin 2022, ainsi qu'à l'étude attestant de la présence d'amiante sur ce site.

Il produit à ce titre, une ordonnance de référé rendue le 13 juillet 2022, concernant le même site et ordonnant l'expulsion sans délai des occupants compte tenu de la dangerosité des lieux.

Il estime que ceux-ci doivent être évacués de toute urgence avant la survenance d'un drame.

Qu'en conséquence, les délais prévus à l'article sus cité ne sont pas réunis.

De la même façon les délais de la 'trêve hivernale' résultant des dispositions de l'article 412-6 du code des procédures civiles d'exécution ne s'appliquent pas lorsque l'expulsion a été prononcée en raison d'une introduction sans droit ni titre dans le domicile d'autrui par voie de fait.

L'expulsion, à son sens, doit donc être ordonnée sans délai.

S'agissant de l'application du délai légal de deux mois prévu à l'article L 412-1 du code des procédures civiles d'exécution, l'état de necessité invoqué par les intimés ne s'applique pas à l'espèce, le droit civil ne prévoyant pas que cet état ferait obstacle à l'exclusion du délai de deux mois.

L'ordonnance devra être confirmée sur ce point.

Dans leurs dernières conclusions transmises le 31 mai 2023, auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé des faits et de la procédure et des moyens des parties, les intimés demandent à la cour qu'elle :

- confirme l'ordonnance entreprise en ce qu'elle leur a accordé l'aide juridictionnelle provisoire, leur a accordé cinq mois de délais avant expulsion, au titre des articles L 412-3 et 4 du code des procédures civiles d'exécution, rejeté la demande indemnitaire de l' Etablissement Public EUROMEDITERRANEE,

- infirme l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a supprimé le délai légal de deux mois, au titre de l'article 412-1 du code des procédures civiles d'exécution, les a condamnés à payer 600 € au titre des frais irrépétibles

'Statuant à nouveau,

- rejette les demandes de l' Etablissement Public EUROMEDITERRANEE,

- accorde de nouveaux délais sur le fondement des articles L 412-3 et 4 du code des procédures civiles d'exécution ,

- statue en équité sur les dépens et frais irrépétibles.

Ils rappellent, tout d'abord, qu'ils ont habité préalablement sur le site de Cazemajou, pendant près de quatre ans, lequel appartenait à l'Etablissement Public Foncier PACA et que c'est en raison d'une expulsion annoncée et en l'absence de relogement pourtant promis de la part du préfet, qu'ils ont du trouver un nouveau lieu d'habitation, proche, permettant d'assurer la pérennité du travail des associations les aidant et une meilleure continuité scolaire.

Ils ne contestent pas l'occupation manifestement illicite, et le principe de leur expulsion inéluctable, mais sollicitent l'octroi de délais en raison de leur situation personnelle, et leur droit à protection du domicile, contrôle de proportionnalité auquel doit se livrer le juge qui envisage l'expulsion.

Ils estiment que ce squat doit relever de la politique de résorption des squats et bidonvilles telle que définie par l'Etat.

Ils font valoir que l'hébergement en hôtel conventionné est un mode d'hébergement temporaire, et produisent des témoignages, évaluant trois hôtels conventionnés par le 115, où ont été constatés la présence de cafards et de punaises de lits, de moisissures, d'urine, avec des odeurs nauséabondes et des lieux très exigus ; qu'en conséquence cette solution proposée n'est pas une solution de logement normale et décente.

Ils précisent que l'étude ayant repéré la présence d'amiante sur site, ne vise pas précisément les bâtiments concernés.

Ils indiquent également que l'association JUST intervient dans le cadre d'une politique d'amélioration des conditions de vie en squats et bidonvilles, dans le respect de la dignité humaine ; que cette attestation a valeur probante et que si l' Etablissement Public EUROMEDITERRANEE la conteste, il lui appartient d'alerter les servies publics, et faire enquêter les services d'hygiène et de salubrité qui évacueront les habitants le cas échéant. En tout état de cause, ils produisent une nouvelle attestation de 'JUST' et également de' l'ONG SOLIDARITES INTERNATIONALES' en date des 21 mars et 7 avril 2023 témoignant de la sécurisation du site, conjointement avec les services architecturaux de la mairie et les marins pompiers du secteur.

Ils affirment ne pas vouloir s'installer durablement sur ce site mais y être, dans l'attente que les pouvoirs publics locaux, qui s'y sont engagés, trouvent les terrains leur permettant d'être hébergés de manière pérenne.

Une expulsion rapide ferait courir un danger en matière de scolarité des enfants et en matière de santé.

Ils considèrent qu'il y a lieu d'écarter la voie de fait en présence d'un état de nécessité au sens de l'article 122-7 du code pénal ; que par analogie avec la jurisprudence développée de manière constante par le juge pénal, l'état de nécessité doit être reconnu, dès lors que les intimés n'avaient, en raison des carences étatiques, d'autre choix que de s'installer dans un immeuble inoccupé.

Les délais de l'article L 412-3 et 4 du code des procédures civiles d'exécution sont applicables nonobstant l'existence d'une voie de fait, dès lors qu'il est établi qu'aucune solution normale de relogement ne leur a été proposée.

La procédure a été clôturée le 5 juin 2023.

Par soit transmis du 19 juin 2023, la cour a sollicité des conseils des parties leurs observations quant à l'irrecevabilité qu'elle envisageait de soulever d'office, relative à la demande de l'appelant quant à la suppression de la trêve hivernale, en application des dispositions de articles 564 et 565 du code de procédure civile, cette demande ayant été formulée pour la première fois en cause d'appel.

Par note en délibéré en date du 26 juin 2023, le conseil de l'Etablissement public EUROMEDITERRANEE fait valoir que cette demande, qui tend aux mêmes fins que la demande principale ne peut être considérée comme une demande nouvelle en cause d'appel et est parfaitement recevable.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la rectification d'erreur matérielle :

Aux termes des dispositions de l'article 462 du code de procédure civile, 'les erreurs et omissions matérielles qui affectent un jugement, même passé en force de chose jugée, peuvent toujours être réparés par la juridiction qui l'a rendu , ou celle à laquelle il est déféré, selon ce que le dossier révèle ou, à défaut, ce que la raison commande. '

En l'espèce, l'ordonnance entreprise ne précise pas les références cadastrales des parcelles appartenant à l'appelant et occupées par les intimés, informations nécessaires afin d'exécution régulière d'une décision de justice.

Les intimés ne font valoir aucune observation, ni contestation quant à cette demande.

En application des dispositions de l'article 462 du code de procédure civile sus cité, l'ordonnance sera complétée selon modalités précisées au dispositif du présent arrêt.

Sur le trouble manifestement illicite, l'expulsion sollicitée et les délais :

Aux termes de l'article 835 du code de procédure civile, le président du tribunal judiciaire ou le juge du contentieux de la protection, dans les limites de sa compétence, peuvent toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent soit pour prévenir un dommage imminent soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite : dans les cas ou l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, ils peuvent accorder une provision au créancier ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.

Aux termes de l'article 544 du code civil, la propriété est le droit de jouir et de disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements.

L'occupation sans droit ni titre du bien d'autrui constitue un trouble manifestement illicite qu'il appartient au juge des référés de faire cesser par toute mesure conservatoire ou de remise en état.

En l'espèce, le procès-verbal de constat d'huissier dressé le 9 juin 2022 établit que la porte d'entrée au site dont s'agit, [Adresse 9], est fracturée et déformée, son cadre métallique a été forcé, la serrure est manquante ; qu'une quinzaine d'adultes et une douzaine d'enfants sont assis sur des matelas de fortune posés à même le sol ; que s'agissant de locaux industriels voués à la destruction, les lieux sont totalement inhabitables et délabrés et présentent des traces de pollution.

Dans leurs écritures, les intimés ne contestent pas l'occupation sans droit ni titre du bien immobilier appartenant à l'Etablissement Public EUROMEDITERRANEE, ce qui caractérise le trouble manifestement illicite, et reconnaissent que leur expulsion est inéluctable.

L'expulsion sera en conséquence ordonnée et l'ordonnance entreprise, confirmée de ce chef.

Au regard des dispositions de l'article 8 de la CEDH et de l'article 3 de la CIDE, le juge des référés est tenu de procéder à un contrôle de proportionnalité de la mesure qu'il convient d'adopter, en confrontant les intérêts en cause, à savoir le droit de propriété de l' Etablissement Public EUROMEDITERRANEE au visa de l'article 544 du code civil, et les droits fondamentaux invoqués et garantis par les articles cités supra.

Les mesures à prendre doivent répondre notamment aux dispositions des articles L 412-1, 2, 3, 4, 5, 6 du code des procédures civiles d'exécution à savoir, en l'espèce :

- L 412-1 du code des procédures civiles d'exécution : si l'expulsion porte sur un lieu habité par la personne expulsée ou par tout occupant de son chef, elle ne peut avoir lieu qu'à l'expiration d'un délai de deux mois qui suit le commandement sans préjudice des dispositions des articles L 412-3 à L 412-7. Toutefois, le juge peut, notamment lorsque la procédure de relogement effectuée en application de l'article L 442-4-1 du code de la construction et de l'habitation n'a pas été suivie d'effet du fait du locataire, réduire ou supprimer ce délai.

Le délai prévu au premier alinéa du présent article ne s'applique pas lorsque le juge qui prononce l'expulsion constate que les personnes dont l'expulsion a été ordonnée sont entrées dans les locaux par voie de fait.

- L 412-3 : le juge peut accorder des délais renouvelables aux occupants de lieux habités ou de locaux à usage professionnel, dont l'expulsion a été ordonnée judiciairement, chaque fois que le relogement des interessés ne peut avoir lieu dans des conditions normales, sans que ces occupants aient à justifier d'un titre à l'origine de l'occupation.

Le juge qui ordonne l'expulsion peut accorder les mêmes délais, dans les mêmes conditions.(...)

- L 412-4 : la durée des délais prévus à l'article L 412-3 ne peut, en aucun cas, être inférieure à trois mois ni supérieure à trois ans. Pour la fixation de ces délais, il est tenu compte de la bonne ou mauvaise volonté manifestée par l'occupant dans l'éxecution de ses obligations, des situations respectives du propriétaire et de l'occupant, notamment en ce qui concerne l'âge, l'état de santé, la qualité de sinistré par faits de guerre, la situation de famille ou de fortune de chacun d'eux, les circonstances atmosphériques, ainsi que des diligences que l'occupant justifie avoir faites en vue de son relogement. Il est également tenu compte du droit à un logement décent et indépendant, des délais liés aux recours engagés selon les modalités des articles L 441-2-3 et L 441-2-3-1 du code de la construction et de l'habitation et du délai prévisible de relogement des interessés.

- L 412-6 : nonobstant toute décision d'expulsion passée en force de chose jugée, et malgré l'expiration des délais accordés en vertu de l'article L 412-3 , il est sursi à toute mesure d'expulsion non exécutée à la date du 1er novembre de chaque année jusqu'au 31 mars de l'année suivante à moins que le relogement des familles soit assuré dans des conditions suffisantes respectant l'unité et les besoins de la famille.

Par dérogation au premier alinéa du présent article, ce sursis ne s'applique pas lorsque la mesure d'expulsion a été prononcée en raison d'une introduction sans droit ni titre dans le domicile d'autrui par voies de fait.

Le juge peut supprimer ou réduire le bénéfice du sursis mentionné au premier alinéa lorsque les personnes dont l'expulsion a été ordonnée sont entrées dans tout autre lieu que le domicile à l'aide des procédés mentionnés au premier alinéa.'

S'agissant du délai de deux mois de l'article L 412-1 du code des procédures civiles d'exécution sus-cité et la voie de fait :

Il est établi que, le 9 juin 2022, au matin, la porte métallique donnant accès aux bâtiments [Adresse 9], est fracturée et déformée, son cadre métallique a été forcé, le ciment a éclaté autour des pattes de fixation manquantes ; la serrure est également manquante.

A juste titre, le premier juge a relevé que la découverte de l'effraction était concomittante du constat d'occupation des lieux, et que les défendeurs ne contestent pas l'imputabilité de ces dégradations.

Par ailleurs, l'état de nécessité, érigé en cause d'irresponsabilité pénale au visa de l'article 122-7 n'est pas applicable à l'espèce.

La voie de fait est ainsi caractérisée.

C'est donc à bon droit que le premier juge, faisant application des dispositions légales sus citées, a dit n'y avoir lieu au bénéfice du délai de deux mois.

L'ordonnance sera confirmée de ce chef.

Sur les délais de l'article L 412-3 et L 412-4 du code des procédures civiles d'exécution :

L' Etablissement Public EUROMEDITERRANEE est incontestablement propriétaire du bien immobilier en cause, et justifie d'une promesse de vente synallagmatique avec BNP PARIBAS IMMOBILIER, laquelle prévoit d'y construire notamment des logements sociaux. Cette promesse de vente expirait le 20 décembre 2022 et le vendeur s'était obligé à procéder à la démolition des constructions présentes sur la parcelle.

Aucune information n'a été donnée à la cour, quant à l'issue de cette promesse de vente, expirée et aucun projet imminent n'est à ce jour démontré.

Il résulte du procès verbal de constat d'huissier dressé le 9 juin 2022, que les locaux investis par les intimés se situent dans une zone de chantiers de démolition de bâtiments industriels. Les lieux sont décrits comme étant totalement inhabitables car délabrés, le sol du bâtiment principal présente des traces de pollution concrétisées par des nappes de liquide sombre avec reflets liés à la présence d'hydrocarbures, ces nappes sont nombreuses sur toute la superficie du hangar ; le sol apparaît défoncé, troué par endroit de manière profonde, un regard sans grille de protection est rempli de liquide noirâtre ; plusieurs toitures sont partiellement effondrées, les autres menacent ruine puisque charpentes et fermes en bois sont dégradées et que des infiltrations d'eau pluviales ont provoqué également l'effondrement de plusieurs cellules administratives. Les photographies annexées illustrent cet état, des poutres métalliques en équilibre précaire sur la toiture, crevée en de multiples endroits, des amoncellements de bois et de tuiles en tôle au sol, des fissures et crevasses au mur.Au moment du constat, des squatters étaient en train de bricoler un branchement sauvage en eau.

Le dossier de diagnostic technique, en date du 7 décembre 2021, produit par L' Etablissement Public EUROMEDITERRANEE a repéré au sein du site en question, des matériaux et produits contenant de l'amiante notamment dans le revêtement de sol de plusieurs bureaux, précisant que l'opérateur n'a pu mener à son terme la mission, devant faire réaliser des investigations approfondies et mettre en oeuvre des moyens d'accès spécifiques, notamment pour le sous sol et les éléments en hauteur.

Dans la semaine qui a suivi le constat d'huissier, l'association JUST a dressé un rapport de visite sur place, témoignant de l'organisation des espaces de vie, la condamnation des espaces à risques et accès à des espaces toxiques (amiante) nettoyage et entretien des espaces collectifs, débouchage des évacuations, pas de constat de présence massive d'hydrocarbures mais de résidus d'huile d'olive liés à l'ancienne activité, l'ensemble de ces travaux étant réalisés par les habitants.

Il est joint à ce rapport, des photographies du sol du hangar plus propre, de trous rebouchés avec des morceaux de gravats, de portes barricadés. Aucune phographie n'illustre les lieux de vie, à ce moment, des occupants.

Il est versé par les intimés des photographies, non datées, ne permettant pas de cerner précisèment les lieux occupés, s'agissant de sols en carrelage, de murs impeccablement repeints, de lieux de vie très propres et très correctement meublés mais qui ne s'apparentent en rien aux autres photographies du site que l'on a ainsi du mal à reconnaître.

L'Association JUST établit une deuxième attestation en date du 21 mars 2023, précisant la mise en place d'installations électriques, financées par Euromed et installées par une entreprise agréée, de raccordement en eau, sécurisation des fondations fragiles, présence d'amiante purgée, création d'une sortie sécurisée en cas d'incendie, en relais avec les marins pompiers du secteur.

L'association 'Solidarités International' atteste en date du 7 avril 2023, la présence d'un accès en eau sur le site et confirme travailler à l'assainissement de ce dernier, réparation de toilettes, mise en place de toilettes sèches. Elle déplore que malgré ses nombreuses demandes, auprès des services compétents de la Métropole, le dispositif de gestion de déchets reste insuffisant en l'état de la présence d'une unique benne à ordures.

Il ressort de ces éléments que malgré le danger que présentait incontestablement ce site à l'origine, des mesures de sécurisation et d'assainissement ont été et continuent à être mises en place.

Les intimés produisent, dans le cadre du contrôle de proportionnalité, des attestations émanant d'associations témoignant de la réalité de la présence de familles avec de jeunes enfants, justificatifs de démarches afin de scolarisation des enfants, la mise en place de structures sociales afin d'accompagnement des familles, pièces parfaitement actualisées.

Une attestation de 'Médecins du Monde' en date du 15 juin 2022 fait valoir l'état de vulnérabilité de plusieurs occupants de ce squat avec des pathologies pulmonaires ou cardiaques.

Il n'est pas contesté qu'une solution de relogement a été proposée aux intimés, en hôtels conventionnés, proposition refusée $, en raison de l'exiguité des chambres ne pouvant loger une famille, l'impossibilité d'y cuisiner ce qui génère un surcoût financier impossible à supporter, et l'état de ces hôtels conventionnés étant souvent indigne, ceux-ci infestés de nuisibles, ce qui est validé par l'attestation de 'Rencontres Tsiganes' du 15 juin 2022 et celle commune avec 'Médecins du Monde' en date du 20 octobre 2022, s'appuyant sur les nombreux témoignages qu'ils ont reçus et le fait que ce type d'hébergement entraînerait des risques de ruptures de parcours de soins et ce, alors que chaque déplacement nouveau induit un stress important.

Il ressort de manière précise et circonstanciée des attestations de l'association ' Rencontres tsignanes ' des 15 juin 2022 et 31 mai 2023, que la plupart des familles occupant ces locaux, sont éligibles prioritairement à l'habitat et que l'Etat, en partenariat avec la ville de [Localité 8] et la Métropole [Localité 8] [Localité 6] s'est engagé à leur trouver des terrains avec de l'habitat modulaire ; que ce projet est en phase de réalisation, un terrain appartenant à l'Etat ayant été identifié, une demande de permis de construire déposée et un architecte missionné pour l'aménagement du terrain, l'ouverture étant prévue pour début 2024. Cette association précise qu'une cellule de veille est prévue le 14 juin 2023 afin de suivre l'avancement du projet.

Au regard des situations respectives des parties telles que reprises plus haut, de la perspective d'une solution d'hébergement, à moyen terme, par les pouvoirs publics, c'est à juste titre que le premier juge a décidé d'accorder aux défendeurs un délai de cinq mois, à compter de son ordonnance, au cours desquels, il ne pourra être procédé à leur expulsion.

L'ordonnance entreprise sera en conséquence confirmée de ces chefs.

Sur les délais de l'article 412-6 du code de procédure civile :

L'article 564 du code de procédure civile dispose : 'A peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou la révélation d'un fait.'

L'article 565 précise : les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes finsue celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent.

L'article 566 du code de procédure civile dispose que 'les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.'

L'appelant a sollicité la suppression du délai de 'trêve hivernale' pour la première fois en cause d'appel, et la cour a recueilli les observations des parties par notes en délibéré suite à son soit-transmis du 19 juin 2023.

En l'espèce, dans la mesure où cette demande tend aux mêmes fins que la prétention principale, à savoir l'expulsion sans délai des occupants du site concerné, elle doit, en application des dispositions de l'article 565 du code de procédure civile, pré-cité, être déclarée recevable.

Il est établi que les intimés se sont introduits sans droit ni titre, sur les lieux, par voie de fait. En conséquence, en application des dispositions de l'article L 412-6 alinéa 2 du code des procédures civiles d'exécution, sus-cité, le délai de 'trêve hivernale' doit être supprimé.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile :

L'ordonnance entreprise doit être confirmée en ses dispositions relatives aux dépens et frais irrépétibles.

L' Etablissement Public EUROMEDITERRANEE qui succombe, à titre principal, supportera la charge des dépens d'appel.

L'équité ne justifie pas l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Confirme l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions querellées ;

y ajoutant,

Dit que les parcelles concernées par l'expulsion sont cadastrées [Cadastre 5] section H n° [Cadastre 1], [Cadastre 2] et [Cadastre 3] [Adresse 9],

Dit que le délai prévu à l'article L 412-6 du code des procédures civiles d'exécution sera supprimé,

Condamne l'appelant aux dépens d'appel,

Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

la greffière la présidente