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Décisions

CA Bordeaux, 3e ch. famille, 26 septembre 2023, n° 20/03443

BORDEAUX

Arrêt

Autre

CA Bordeaux n° 20/03443

26 septembre 2023

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

3ème CHAMBRE FAMILLE

--------------------------

ARRÊT DU : 26 SEPTEMBRE 2023

N° RG 20/03443 - N° Portalis DBVJ-V-B7E-LWLK

[W] [S]

[R] [S]

c/

[E] [S] épouse [B]

[O] [S]

[F] [P] veuve [S]

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2020/020792 du 17/12/2020 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de BORDEAUX)

Nature de la décision : AU FOND

28A

Grosse délivrée le :

aux avocats

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 21 juillet 2020 par le Tribunal de Grande Instance de BORDEAUX (RG n° 16/02092) suivant déclaration d'appel du 23 septembre 2020

APPELANTS :

[W] [S]

né le 20 Octobre 1970 à [Localité 14]

de nationalité Française

demeurant [Adresse 6]

[R] [S]

né le 15 Octobre 1972 à [Localité 14]

de nationalité Française

demeurant [Adresse 5]

Représentés par Me Laeticia CADY de la SELAS GAUTHIER-DELMAS, avocat au barreau de BORDEAUX et à l'audience par Me Estelle GATTEAUX

INTIMÉS :

[E] [S] épouse [B]

née le 17 Novembre 1956 à [Localité 16]

de nationalité Française

demeurant [Adresse 2]

[O] [S]

né le 11 Juillet 1958 à [Localité 15]

de nationalité Française

demeurant [Adresse 1]

Représentés par Me Lisiane FENIE-BARADAT, avocat au barreau de BORDEAUX, postulant, et par Me Euryale BOTTIER de la SELEURL BOTTIER AVOCAT, avocat au barreau de PARIS, plaidant

[F] [P] veuve [S]

née le 14 Avril 1964 à [Localité 8] (ALGERIE)

de nationalité Française

demeurant [Adresse 3] (ALGERIE)

Représentée par Me Aude LACLOTTE, avocat au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 13 juin 2023 en audience publique, devant la Cour composée de :

Président : Hélène MORNET

Conseiller: Danièle PUYDEBAT

Conseiller : Isabelle DELAQUYS

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Véronique DUPHIL

Le rapport oral de l'affaire a été fait à l'audience avant les plaidoiries.

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

* * *

EXPOSE DU LITIGE

M. [PL] ([SS] en famille) [S], né le 28 avril 1935 à [Localité 12] en Algérie, s'est marié à quatre reprises.

De sa première union avec Mme [N] [U] en1956, sont nés deux enfants :

- Mme [E] [S] épouse [B], née le 17 novembre 1956 à [Localité 16],

- M. [O] [S], né le 11 juillet 1958 à [Localité 15].

Il a divorcé et est parti vivre en Algérie où il a épousé Mme [BS] [H] dont il a également divorcé, aucun enfant n'étant né de cette union.

Le 25 octobre 1969, M. [PL] [S] s'est marié avec Mme [I] [M], dont il a ensuite divorcé.

De leur union sont nés :

- M. [W] [S], né le 20 octobre 1970 à [Localité 14],

- M. [R] [S], le 15 octobre 1972 à [Localité 14].

Puis il a épousé le 15 février 2007 Mme [F] [P], le mariage ayant été célébré à [Localité 11], sans contrat préalable.

M. [PL] [S] avait de son vivant effectué au profit de MM. [W] et [R] [S] les donations suivantes :

- donation par acte du 7 juillet 1995, en nue-propriété et en avancement d'hoirie, d'une maison située à [Localité 9], les droits sur celle-ci ayant été "restitués" à M. [PL] [S]

par acte du 11 mars 2005,

- donation par acte du 7 juillet 1995, en avancement de part successorale, de la nue-propriété de huit parts de la SCI Lagrua propriétaire d'un ensemble immobilier situé à [Localité 13],

- donation par acte en date du 23 janvier 1996 de l'usufruit de ces huit parts de la SCI Lagrua.

Monsieur [PL] [S] est décédé le 30 avril 2014 en Algérie laissant pour lui succéder :

- Madame [F] [P], en qualité de conjoint survivant,

- ses quatre enfants.

Mme [E] [B] et M. [O] [S] ont délivré à MM. [R] et [W] [S] une notification d'avoir à déclarer les donations reçues par eux.

N'ayant pas obtenu de réponse, ils les ont assignés en référé par actes en date des 9 et 11 février 2015 afin de voir désigner un administrateur en qualité de séquestre des huit parts indivises objet des donations de 1995 et 1996 de la SCI Lagrua et d'en percevoir les fruits.

Par ordonnance de référé en date du 29 juin 2015, il a été fait droit à leurs demandes et M. [L] a été désigné comme administrateur en qualité de séquestre de ces huit parts sociales.

Cette décision a été confirmée par un arrêt de la cour d'appel de Bordeaux en date du 16 novembre 2016.

Mme [E] [B] et M. [O] [S] ont, par actes en dates des 17 et 18 février 2016, assigné MM. [R] et [W] [S] aux fins de voir juger que le tribunal de grande instance de Bordeaux est compétent pour statuer sur la succession de M. [PL] ([SS]) [S], que la loi française est applicable à ladite succession et que les donations consenties à ces derniers doivent être rapportées et réduites.

Par jugement du 20 novembre 2018, le tribunal de grande instance de Bordeaux a déclaré irrecevable l'exception d'incompétence soulevée par MM. [R] et [W] [S] et ordonné le renvoi de la présente affaire à la mise en état afin que soit appelée à la cause Mme [F] [P] veuve [S] par les demandeurs à l'instance.

Par acte du 11 janvier 2019, Mme [E] [B] et M. [O] [S] ont appelé en intervention forcée Mme [F] [P].

La jonction des deux affaires a été ordonnée.

Par jugement en date du 21 juillet 2020, le tribunal judiciaire de Bordeaux a pour l'essentiel :

- constaté que MM. [W] et [R] [S] renoncent à soulever l'exception d'incompétence,

- dit que la loi française est applicable au présent litige,

- dit que la demande de réduction des libéralités formée par Mme [F] [P] est irrecevable,

- dit que la demande de rapport des libéralités formée par Mme [F] [P] est recevable,

- ordonné l'ouverture des opérations de compte, liquidation et partage de la succession de M. [PL], en famille [SS], [S], né le 28 avril 1935 à [Localité 12], en Algérie et décédé le 30 avril 2014 en Algérie et de la communauté ayant existé entre M. [PL], en famille [SS], [S], et Mme [F] [P],

- désigné pour y procéder le président de la Chambre des notaires de la Gironde avec faculté de délégation à tout notaire de cette chambre,

- désigné pour surveiller les opérations le juge de la mise en état de la première chambre civile du tribunal judiciaire de Bordeaux en qualité de juge commis,

- dit que la donation du 7 juillet 1995 a été résolue amiablement par acte du 11 mars 2005 concernant la nue-propriété de l'ensemble immobilier d'[Localité 9],

- débouté en conséquence Mme [E] [B], M. [O] [S] et Mme [F] [P] de leur demande de rapport et de recel de la donation du 7 juillet 1995 en ce qui concerne la nue propriété de l'ensemble immobilier d'[Localité 9],

- débouté MM. [W] et [R] [S] de leur demande de requalification des donations de la nue-propriété et de l'usufruit des parts sociales de la SCI Lagrua en date du 7 juillet 1995 et 24 janvier 1996,

- dit en conséquence que ces actes de donation du 7 juillet 1995 et 24 janvier 1996 doivent être rapportés à la succession concernant la nue-propriété et l'usufruit des parts sociales de la SCI Lagrua,

- rejeté la demande de recel formée au titre des donations du 7 juillet 1995 et 24 janvier 1996 concernant la nue-propriété et l'usufruit des parts sociales de la SCI Lagrua,

Préalablement aux opérations de partage judiciaire,

- désigné M. [V] [Y], diplômé d'expertise comptable, expert judiciaire près la cour d'appel de Bordeaux, exerçant au sein d'ACOM AUDIT, [Adresse 7], avec pour mission : d'évaluer la valeur actuelle de la nue-propriété et de l'usufruit des 8 parts sociales indivises données par M. [SS] [S] à ses fils, MM. [W] et [R] [S], d'après leur état au jour des actes de donation en date du 7 juillet 1995 et 24 janvier 1996,

- désigné pour suivre l'expertise, le juge de la mise en état de la première chambre civile du tribunal judiciaire de Bordeaux,

- ordonné le rapport de la donation déguisée consentie par M. [SS] [S] au profit de M. [W] [S] sur les 200 parts de la SARL GF3M,

- dit que M. [W] [S] s'est rendu coupable de recel concernant la donation déguisée des 200 parts de la SARL GF3M et qu'il sera, par conséquent privé de droits sur l'ensemble de cette libéralité en application de l'article 778 du code civil,

- rejeté la demande de rapport, recel et réduction des libéralités formulées au titre de la donation déguisée réalisée par M. [SS] [S] au profit de M. [R] [S] sur les 200 parts sociales de la société GF3M,

- rappelé qu'en application de l'article 920 du code civil, les libéralités consenties par M. [PL], [SS] en famille [S] seront soumises à réduction si elles portent atteinte à la réserve d'un ou plusieurs héritiers,

- rejeté la demande reconventionnelle de licitation du bien immobilier situé [Adresse 4] à [Localité 12] en Algérie,

- dit que Mme [F] [P] est redevable envers l'indivision successorale d'une indemnité d'occupation dudit bien immobilier situé à [Localité 12], et ce à compter du 30 avril 2014 et jusqu'au partage effectif ou de la fin de cette jouissance privative si celle-ci est antérieure,

- dit que le montant de l'indemnité d'occupation sera fixé au regard de la valeur locative du bien, amputée de 30 %, qui sera elle-même déterminée par le notaire commis, qui pourra, à son choix, se faire assister d'un sapiteur,

- dit que cette indemnité portera intérêt au taux légal à compter de la présente décision,

- rejeté la demande de main-levée des mesures provisoires d'administration-séquestre et de consignation des parts indivises,

- dit n'y avoir lieu à condamnation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire de la présente décision,

- dit que les dépens de l'instance constitueront des frais privilégiés de partage.

Procédure d'appel :

Par déclaration du 23 septembre 2020, MM. [R] et [W] [S] ont relevé appel limité du jugement en ce qu'il a ordonné le rapport de la donation déguisée consentie par M. [SS] [S] au profit de M. [W] [S] sur les parts de la SARL GF3M, dit que M. [W] [S] s'est rendu coupable de recel concernant la donation déguisée des 200 parts de la SARL GF3M et qu'il sera, par conséquent privé de droits sur l'ensemble de cette libéralité en application de l'article 778 du code civil.

Mme [E] [B] et M. [O] [S] ont formé appel incident, ainsi que Mme [F] [P].

Selon dernières conclusions du 30 mai 2023, MM. [R] et [W] [S] demandent à la cour de :

- réformer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Bordeaux le 21 juillet 2020 en ce qu'il a :

* ordonné le rapport de la donation déguisée consentie par M. [SS] [S] au profit de M. [W] [S] sur les parts de la SARL GF3M,

* dit que M. [W] [S] s'est rendu coupable de recel concernant la donation déguisée des 200 parts de la SARL GF3M et qu'il sera, par conséquent privé de droits sur l'ensemble de cette libéralité en application de l'article 778 du code civil,

- confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Bordeaux le 21 juillet 2020 pour le surplus,

Statuant à nouveau :

A titre principal :

- juger que les actes de cessions litigieux en date du 10 mars 1993 et du 18 avril 1995 ne sont pas constitutifs d'une donation déguisée de M. [SS] [S] en faveur de M. [W] [S],

En conséquence,

- débouter Mme [E] [B], M. [O] [S] et Mme [F] [P] de leur demande tendant à voir requalifier les cessions de parts sociales de la SAS GF3M litigieuses en donation déguisée,

- débouter Mme [E] [B], M. [O] [S] et Mme [F] [P] des demandes subséquentes de rapport et de recel successoral,

A titre subsidiaire :

- juger que la prétendue donation déguisée des parts sociales de la SAS GF3M sera rapportée en valeur à la masse à partager,

- juger que la prétendue donation déguisée des parts sociales de la SAS GF3M sera réunie fictivement à la masse de calcul et rapportée à la masse à partager selon la valeur desdites parts sociales au jour de leur aliénation, à savoir le 29 décembre 2004, et d'après leur état au jour de la donation,

- juger que M. [W] [S] n'a commis aucun acte constitutif de recel successoral,

- débouter Mme [E] [B], M. [O] [S] et Mme [F] [P] de leur demande tendant à voir condamner M. [W] [S] aux peines du recel successoral concernant la prétendue donation des parts sociales de la SAS GF3M,

En tout état de cause :

- relever d'office, au visa de l'article 564 du code de procédure civile, l'irrecevabilité des demandes formulées pour la première fois en cause d'appel par Mme [E] [B], M. [O] [S] et Mme [F] [P], à savoir :

* La demande tendant à voir condamner M. [R] [S] aux peines du recel successoral concernant la prétendue donation déguisée portant sur les parts sociales de la société GF3M que M. [W] [S] aurait reçue,

* La demande tendant à ce que le rapport de cette prétendue donation déguisée soit de la valeur du bien immobilier prétendument subrogé au prix de cessions des parts sociales objet de la prétendue donation,

* La demande tendant à ce que l'indemnité de rapport qui serait prétendument due au titre de la donation en date du 7 juillet 1995, pourtant amiablement résolue, porte intérêts à compter du décès de M. [SS] [S],

Et les rejeter purement et simplement,

- débouter Mme [E] [B], M. [O] [S] et Mme [F] [P] de l'ensemble de leurs demandes,

- condamner Mme [E] [B], M. [O] [S] et Mme [F] [P] à régler à M. [R] [S] et M. [W] [S] la somme de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner Mme [E] [B], M. [O] [S] et Mme [F] [P] aux entiers dépens.

Selon dernières conclusions du 5 mai 2023, Mme [E] [B] et M. [O] [S] demandent à la cour de :

- confirmer les dispositions du jugement du 21 juillet 2020 sauf en ce qu'il a :

* Dit que la donation du 7 juillet 1995 a été résolue amiablement par acte du 11 mars 2005 concernant la nue-propriété de l'ensemble immobilier d'[Localité 9],

* Débouté en conséquence Mme [E] [B], M. [O] [S] et Mme [F] [P] de leur demande de rapport et de recel de la donation du 7 juillet 1995 en ce qui concerne la nue-propriété de l'ensemble immobilier d'[Localité 9],

* Rejeté la demande de recel formée au titre des donations du 7 juillet 1995 et 24 janvier 1996 concernant la nue-propriété et l'usufruit des parts sociales de la SCI Lagrua,

* Rejeté la demande de rapport, recel et réduction des libéralités formulées au titre de la donation déguisée réalisée par M. [SS] [S] au profit de M. [R] [S] sur les 200 parts de la société GF3M,

* Dit n'y avoir lieu à condamnation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Statuant à nouveau :

- débouter MM. [W] et [R] [S] de l'ensemble de leurs demandes,

- ordonner le rapport de la donation du 7 juillet 1995 portant sur la nue-propriété de la maison sise à [Localité 9],

- condamner MM. [W] et [R] [S] aux peines du recel successoral sur les rapports à effectuer,

- condamner M. [R] [S] aux peines du recel sur les 200 parts de la société GF3M données à M. [W] [S] en raison de sa complicité,

En conséquence,

- condamner MM. [W] et [R] [S] à une privation de tous droits sur les montants rapportés au titre des donations portant sur les parts de la SCI Lagrua, les parts de la société GF3M et la maison d'[Localité 9],

- condamner solidairement MM. [W] et [R] [S] à verser aux requérants la somme de 7.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner solidairement MM. [W] et [R] [S] aux entiers dépens pour le surplus, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Selon dernières conclusions du 17 mars 2021, Mme [P] demande à la cour de :

- Confirmer le jugement rendu le 21 juillet 2020 par le tribunal judiciaire de Bordeaux en ses dispositions sauf en ce qu'il a :

* Dit que la donation du 7 juillet 1995 a été résolue amiablement par acte du 11 mars 2005 concernant la nue-propriété de l'ensemble immobilier d'[Localité 9],

* Débouté en conséquence Mme [E] [B], M. [O] [S] et Mme [F] [P] de leur demande de rapport et de recel de la donation du 7 juillet 1995 en ce qui concerne la nue-propriété de l'ensemble immobilier d'[Localité 9],

* Rejeté la demande de recel formée au titre des donations du 7 juillet 1995 et 24 janvier 1996 concernant la nue-propriété et l'usufruit des parts sociales de la SCI Lagrua,

* Rejeté la demande de rapport, recel et réduction des libéralités formulées au titre de la donation déguisée réalisée par M. [SS] [S] au profit de M. [R] [S] sur les 200 parts sociales de la société GF3M,

* Dit que Mme [F] [P] est redevable envers l'indivision successorale d'une indemnité d'occupation dudit bien immobilier situé à [Localité 12], et ce, à compter du 30 avril 2014 et jusqu'au partage effectif ou de la fin de cette jouissance privative si celle-ci est antérieure,

* Dit que le montant de l'indemnité d'occupation sera fixé au regard de la valeur locative du bien, amputée de 30 % qui sera elle-même déterminée par le notaire commis, qui pourra, à son choix, se faire assister d'un sapiteur,

* Dit que cette indemnité portera intérêt au taux légal à compter de la présente décision,

* Dit n'y avoir lieu à condamnation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Statuant de nouveau,

- Ordonner le rapport de la donation du 07 juillet 1995 relative au bien immobilier situé à [Localité 9],

- Condamner MM. [W] et [R] [S] aux peines de recel successoral sur les rapports à effectuer,

- Condamner MM. [W] et [R] [S] aux peines du recel sur les 200 parts de la Société GF3M données à M. [W] [S] du fait de sa complicité,

- Dire et juger, en conséquence que MM. [W] et [R] [S] seront privés de tous droits sur les montants rapportés au titre des donations relatives au bien immobilier situé à [Localité 9], aux parts de la SCI Lagrua ainsi qu'aux parts de la Société GF3M,

- Dire et juger que Mme [F] [P] n'est pas redevable envers l'indivision successorale d'une indemnité d'occupation du bien immobilier situé à [Localité 12] (Algérie),

- Débouter MM. [W] et [R] [S] de leurs demandes,

- Condamner solidairement MM. [W] et [R] [S] à régler à Mme [F] [P] la somme de 6 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- Les condamner aux entiers dépens sous même solidarité.

Pour un plus ample exposé des moyens des parties, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux écritures déposées.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 31 mai 2023.

L'affaire a été mise en délibéré au 19 septembre 2023 prorogé au 26 septembre 2023.

MOTIVATION

Sur l'appel principal :

L'appel principal porte pour l'essentiel sur la réformation du jugement déféré, en ce qu'il a dit que l'opération ayant consisté en la cession, le 10 mars 1993, par M. [PL] [S] à M. [A] [G], de 200 parts sociales qu'il détenait au sein de la société GF3M, pour un prix de 20 000 francs, suivie de la cession, le 18 avril 1995, de ces mêmes parts sociales, par M. [G] à M. [W] [S], au même prix de 20 000 francs, était constitutive d'une donation déguisée de M. [PL] [S] en faveur de son fils [W], rapportable à la succession du donateur et justifiant la condamnation de M.[W] [S] pour recel, celle de M. [R] [S] pour complicité de recel.

L'article 843 du code civil énonce que «Tout héritier, même ayant accepté à concurrence de l'actif, venant à une succession, doit rapporter à ses cohéritiers tout ce qu'il a reçu du défunt, par donations entre vifs, directement ou indirectement ; il ne peut retenir les dons à lui faits par le défunt, à moins qu'ils ne lui aient été faits expressément hors part successorale».

Il en résulte que celui qui invoque une donation rapportable à la succession du de cujus doit établir la preuve de la libéralité, laquelle suppose un appauvrissement du disposant dans l'intention de gratifier son héritier.

Le déguisement ne se préume pas et doit être démontré par la partie qui invoque l'existence d'une donation déguisée.

Il résulte de l'article 850 du même code que le rapport ne se fait qu'à la succession du donateur.

En l'espèce, le jugement critiqué, a rappelé les conditions de création de la société GF3M, laquelle procède de la SARL FAF, créée en juillet 1984, par M. [X] [M], alors beau-frère de M. [S], et par [C] [T] épouse [D], le capital de la société étant de 20 000 francs, divisé en 200 parts sociales dont 196 parts détenues par M. [M].

La même année, M. [PL] [S] a fait un apport en numéraire de 20 000 francs dans cette société et Mme [T] a cédé ses 4 parts à M. [X] [M], les 500 parts sociales étant désormais réparties entre :

- M. [X] [M] pour 200 parts sociales,

- M. [PL] [S] pour 200 parts sociales,

- M. [K] [M], beau-père de M. [S], pour 100 parts sociales.

En 1992, la société FAF a changé de dénomination sociale pour devenir la société GF3M.

Par acte du 10 mars 1993,

- M. [R] [S], fils de Mme [I] [M], acquiert les 200 parts de M. [X] [M], au prix de 20 000 francs, et devient gérant de la société GF3M,

- M. [PL] [S] cède ses 20 parts de la société GF3M à M. [A] [G], au même prix de 20 000 francs .

Par acte du 18 avril 1995, M. [A] [G] cède les 200 parts sociales, acquises en 1993, qu'il détenait dans la société GF3M, à M. [W] [S] pour le prix de 20 000 francs.

Pour qualifier cette opération de donation déguisée, le tribunal a retenu que les modalités mêmes de cette opération laissent penser qu'elle dissimule en réalité une donation du de cujus en faveur de son fils [W], en raison notamment des éléments suivants :

- la revente des 200 parts sociales par M. [G], deux ans après les avoir acquises, s'est faite au prix de leur acquisition,

- M. [G], sur sommation de communiquer les conditions de cette cession, n'a donné aucune explication,

- les formalités de publicité de cet acte n'ont pas été respectées auprès du registre du commerce et des sociétés,

- les défendeurs n'expliquent pas pourquoi les parts ont été cédées à M. [G], puis revendues par celui-ci à M. [W] [S], plutôt qu'à son père.

Il demeure que, pour quaifier cette opération de donation, il convient de démontrer :

- l'appauvrissement du patrimoine du donateur au profit de celui du donataire,

- l'intention libérale du donateur en faveur du donataire.

En l'espèce, les actes de cession (pièces n° 23 et 24) donnent l'un et l'autre quittance aux acquéreurs de l'acquittement du prix de cession, sans qu'il soit par ailleurs démontré par les intimés, auxquels revient la charge de la preuve, que ces valeurs n'auraient pas été acquittées.

Par ailleurs, les intimés estiment que l'opération doit s'analyser en une donation par interposition de personne, M. [G] n'ayant été qu'un homme de paille permettant à M. [W] [S] d'éviter l'action en réduction.

Toutefois, dès lors que l'opération litigieuse s'analyse en deux cessions successives, les 200 parts sociales prétenduement données ayant quitté, en 1993 le patrimoine de M. [S] au profit de M. [G], puis ayant été revendues en 1995 par ce dernier à M. [W] [S], il ne peut être prétendu que le donateur s'est dépouillé irrévocablement desdites parts, ni en 1993, ni en 1995, en faveur de son fils [W], sauf à établir que dès 1993, la cession des parts n'était pas réelle et dissimulait dès cette date une donation en faveur de [W].

Les éléments retenus par le tribunal comme indices du déguisement de la donation n'apparaissent toutefois pas suffisants à caractériser ni l'élement matériel de la donation, à savoir le transfert direct de la valeur des parts du patrimoine de M. [S] à celui de son fils [W], ni l'élément intentionnel en faveur du donataire,dès lors que :

- le non-paiement du prix de cession n'est pas démontré par les pièces versées, et ne ressort pas des actes de cession eux-mêmes,

- le prix de cession des parts sociale et l'identité de prix de cession, dans un intervalle de deux années, soumises à l'analyse d'un expert-comptable, M. [Z], expert judiciaire près la cour d'appel d'Agen, par les appelants, certes dans le cadre d'une demande d'expertise non contradictoire, mais qui constitue néanmoins un élément d'appréciation par un professionnel, critiqué par les intimés sans support chiffré contradictoire, ne sont pas apparus sous-évalués à cet expert,

- le non-respect des formalités de publicité des cessions litigieuses, alors même que celles-ci apparaissent bien dans les procès-verbaux d'assemblée générale de la société, ne constitue pas, en lui-même un indice en faveur de la donation alléguée,

- l'appauvrissement de M. [PL] [S] au profit de son fils [W] n'est pas démontré, sa volonté d'organiser son insolvabilité et de se séparer de ses actifs alors que sa société SA CMG, qui avait donné en 1992 en location-gérance, une branche de son activité à la société FAF, était en cessation de paiement, demeurant une thèse non étayée et restant, en tout état de cause, sans incidence sur la démonstration d'un transfert direct de ses parts au profit de son fils [W],

- les intimés, au travers de ces indices, ne parviennent pas à caractériser l'intention libérale de M. [S] en faveur de son fils [W], étant rappelé qu'à la date de la 1ère cession, son autre fils [R] devenait gérant de ladite société, par acquisition des 200 parts détenues par M. [X] [M], leur oncle, les intimés ayant été en première instance déboutés de leur demande de requalification de cette cession en donation déguisée et ne contestant plus ce débouté en appel.

Ainsi, les intimés ne démontrant pas la réalité de la donation déguisée, la décision déférée sera infirmée à ce titre.

Il en résulte qu'il convient de débouter les intimés de leurs demandes subséquentes relatives au rapport,ainsi qu'à la qualification de recel opposée à M. [W] [S], à celle de complicité de recel à l'égard de M. [R] [S], cette dernière demande ne pouvant être déclarée irrecevable comme constituant une demande nouvelle en appel, dès lors qu'elle constitue l'accessoire de la demande principale de recel opposée aux deux frères [W] et [R] [S] en première instance.

Sur l'appel incident de Mme [E] [S] et de M. [O] [S] :

Les intimés contestent le débouté de leurs demandes de :

- rapport à la succession des sommes reçues par leurs demi-frères [R] et [W] [S] au titre de la donation, en date du 7 juillet 1995,de la nue-propriété d'un ensemble immobilier '[Adresse 10]' situé commune d' [Localité 9] et de [Localité 13],

- recel successoral des donations portant sur les 8 parts sociales de la SCI Lagrua, par actes des 7 juillet 1995 et 24 janvier 1996.

Sur la donation de l'ensemble immobilier '[Adresse 10]' :

Il est constant et ressort des actes notariés établis par Maître [J] [AH], notaire à [Localité 14] (Gironde) que :

- par acte régulièrement publié en date du 7 juillet 1995 (pièce n° 7), M. [PL] [S] a fait donation entre vifs, en avancement d'hoirie, à ses fils [W] et [R] [S], de la nue-propriété de fractions d'un ensemble immobilier connu sous le nom de '[Adresse 10]',

- par acte authentique du 11 mars 2005, signé par M. [S] et ses deux fils [W] et [R], rappelant les termes de la donation du 7 juillet 1995, les parties ont décidé de procéder à la résolution amiable de l'acte de donation du 7 juillet 1995, sur les biens et droits immobiliers de l'ensembler '[Adresse 10]'.

Pour contester la qualification de l'acte du 11 mars 2005 d'acte de résolution de la donation et écarter la demande de rapport des biens donnés, les intimés font valoir :

- le caractère irrévocable de la donation, sous réserve des dispositions de l'article 953 du code civil,

- la nullité de la révocation, en considération de sa cause illicite comme destinée à contourner les dispositions de l'article 922 du code civil et éviter une action en réduction.

L'article 953 du code civil énonce que la donation entre vifs ne pourra être révoquée que pour cause d'inexécution des conditions sous lesquelles elle aura été faite, pour cause d'ingratitude, et pour cause de survenance d'enfants.

Le tribunal a justement rappelé, par motifs adoptés que la cour fait siens, que le Conseil d'Etat, dans son arrêt du 19 novembre 2004 (Lebon 430, conclusions Devys) a précisé que les dispositions de l'article 953 du code civil interdisent uniquement la révocation unilatérale par le donateur et ne font pas obstacle à une révocation par consentement mutuel.

Il a par ailleurs, sur le fondement de l'article 1134, valablement retenu que l'acte notarié du 11 mars 2005 valait consentement mutuel de donateur et des donataires de procéder à la révocation de la donation réalisée en 1995 et ne pouvait être qualifié d'acte de vente, terme utilisé sur l'état hypothécaire comme suite à la vente dubien immobilier par M. [S], mais qui mentionne bien, par ailleurs, la donation de la nue-propriété, pour une valeur de 75 000 euros.

Au demeurant, les intimés ne démontrent pas davantage qu'en première instance que leurs demi-frères aient perçu cette somme de 75 000 euros, ni que la valorisation du bien au jour de sa vente contredise le caractère gratuit de l'acte de résolution.

La qualification de révocation de la donation étant retenue,et le caractère frauduleux de l'acte écarté, la cour ne peut suivre les intimés dans leur demande de nullité fondée sur les dispositions d'ordre public de l'article 922 du code civil, dès lors qu'aucune atteinte aux droits des héritiers ne peut résulter de cette révocation, intervenue précisément, des propres termes de l'acte 'Messieurs [W] et [R] [S] n'étant pas ses seuls enfants, ladite donation étant susceptible d'encourir une action en réduction', ne revêtant aucun caractère illicite ou simplement contraire à l'égalité dans le partage.

Il convient, en conséquence, de confirmer le jugement de ce chef.

Sur le recel successoral des donations portant sur les 8 parts de la SCI Lagrua, en date des 7 juillet 1995 et 24 janvier 1996 :

Le tribunal a débouté les intimés de leur demande de recel concernant les donations enregistrées par actes des 7 juillet 1995 et 24 janvier 1996 portant sur la nue-propriété et l'usufruit des 8 parts sociales de la SCI Lagrua, donnés par M. [PL] [S] à ses fils [W] et [R] [S], après avoir rappelé :

- les exigences de l'article 778 du code civil qui impose à ceux qui invoquent l'existence du recel successoral de démontrer tant l'élément matériel du recel, soit la soustraction ou la dissimulation de la donation par le bénéficiaire à ses cohéritiers, que l'élément intentionnel, soit l'intention fraudulaeuse de porter atteinte à l'égalité du partage.

Le jugement déféré a justement écarté le recel, s'agissant des donations desdites parts de SCI, dès lors qu'elles ont été reçues par actes authentiques régulièrement publiés, et que les défendeurs ne peuvent en invoquer l'ignorance, ayant, dès après le décès de leur auteur, survenu le 29 avril 2014, sollicité un expert afin d'évaluer précisément le montant de ces huit parts sociales ; dès le dépôt du rapport d'expertise, leur conseil par courrier du 5 juin 2014, interpellait [W] [S] sur 'le rapport à la succession que vous devez réaliser des donations qui vous ont été consenties du vivant de votre auteur commun.....nous avons d'ores et déjà fait réaliser par un expert judiciaire près la cour d'appel de Montpellier, dont je détiens le rapport, l'évaluation des parts de la SCI Lagrua'; le conseil de M. [R] [S] y répondait par courrier officiel du 23 juillet 2014, prenant acte de l'évaluation non contradictoire des parts sociales et estimant la démarche prématurée, alors qu'aucun acte de notoriété n'avait encore été établi ni aucune déclaration de succession réalisée.

Mme [E] [S] et M. [O] [S] ont ensuite fait sommation aux appelants de déclarer les donations réalisées à leur profit, les 27 octobre et 12 novembre 2014.

Dans le cadre de l'instance en appel relative à la désignation d'un administrateur séquestre pour ces 8 parts de la SCI Lagrua, la cour a pu rappeler, dans son arrêt du 16 novembre 2016, que 'les consorts [E] et [O] [S] ne peuvent se prévaloir du défaut de réponse à leurs sommations sus-visées pour en déduire l'intention des consorts [R] et [W] [S] de se soustraire à l'obligation de rapporter les parts à la succession'.

En conséquence, le jugement déféré a justement rejeté la demande au titre du recel, pour défaut de dissimulation desdites donations et d'intention de dissiper celles-ci du règlement de la succession de leur auteur.

Il convient de le confirmer de ce chef.

Sur l'appel incident de Mme [F] [P] :

Le jugement déféré a condamné Mme [F] [P] ,épouse du de cujus au jour de son décès, sur le fondement des dispositions de l'article 815-9 du code civil, au paiement d'une indemnité d'occupation, en raison de son occupation privative, à compter du décès de M. [PL] [S], de la maison sis à [Localité 12], bien propre du défunt.

Alors même que Mme [P] n'avait pas contesté cette demande en première instance, elle en demande l'infirmation en cause d'appel, au motif que les demandeurs sont défaillants à prouver le caractère privatif de l'occupation.

Toutefois, Mme [P] ne produit aucun document permettant de contredire son occupation dudit bien, reconnue par elle-même devant les premiers juges, ni le caractère exclusif de cette jouissance.

Il convient, en conséquence, de confirmer le principe et le point de départ de l'indemnité d'occupation mise à sa charge.

Sur les dépens et les frais irrépétibles :

Les intimés, qui échouent dans leur appel incident, seront condamnés aux entiers dépens de la présente procédure.

L'issue du litige commande en outre de les condamner, in solidum, à acquitter in solidum à chacun des appelants la somme de 2 500 euros.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Déclare recevables l'ensemble des demandes des parties devant la cour ;

Infirme le jugement déféré, en ce qu'il a :

- ordonné le rapport de la donation déguisée consentie par M. [SS] ([PL]) [S] au profit de M. [W] [S] sur les 200 parts de la SARL GF3M,

- dit que M. [W] [S] s'est rendu coupable de recel concernant la donation déguisée des 200 parts de la SARL GF3M et quil sera par conséquent privé de droits sur l'ensemble de cette libéralité en application de l'article 778 du code civil ;

Statuant à nouveau de ces chefs,

Dit que l'opération de cession des 200 parts de la SARL GF3M ne constitue pas une donation déguisée entre M. [PL] ([SS] en famille) et M. [W] [S] ;

Dit, en conséquence, n'y avoir lieu à rapport et à la qualification de recel ;

Déboute les intimés de leurs demandes à ce titre ;

Confirme le jugement déféré pour le surplus ;

Y ajoutant,

Condamne in solidum Mme [E] [S], épouse [B], M. [O] [S] et Mme [F] [P], aux entiers dépens de l'appel ;

Les condamne in solidum, à verser à M. [W] [S] et à M. [R] [S], à chacun d'eux, la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Déboute les parties de toute autre demande.

Le présent arrêt a été signé par Hélène MORNET, présidente, et par Véronique DUPHIL, greffière, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier, Le Président,