Livv
Décisions

CA Rouen, 1re ch. civ., 6 septembre 2023, n° 22/01422

ROUEN

Arrêt

Autre

CA Rouen n° 22/01422

6 septembre 2023

N° RG 22/01422 - N° Portalis DBV2-V-B7G-JCCL

COUR D'APPEL DE ROUEN

1ERE CHAMBRE CIVILE

ARRET DU 6 SEPTEMBRE 2023

DÉCISION DÉFÉRÉE :

21/03282

Tribunal judiciaire de Rouen du 20 janvier 2022

APPELANTE :

Sarl BATÎ SERVICE 76

RCS B 504 317 371

[Adresse 1]

[Localité 4]

représentée et assistée par Me Akli AIT-TALEB, avocat au barreau de Rouen substitué par Me VIRELIZIER

INTIME :

Monsieur [I] [T]

né le 3 mars 1946 à [Localité 5]

[Adresse 2]

[Localité 3]

représenté et assisté par Me Renaud DE BEZENAC de la SELARL DE BEZENAC ET ASSOCIÉS, avocat au barreau de Rouen

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 22 mai 2023 sans opposition des avocats devant M. Jean-François MELLET, conseiller, rapporteur,

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour composée de :

Mme Edwige WITTRANT, présidente de chambre

M. Jean-François MELLET, conseiller

Mme Magali DEGUETTE, conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme [X] [W]

DEBATS :

A l'audience publique du 22 mai 2023, où l'affaire a été mise en délibéré au 6 septembre 2023

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 6 septembre 2023, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

signé par Mme WITTRANT, présidente de chambre et par Mme CHEVALIER, présente lors de la mise à disposition.

*

* *

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

Par devis 1192011-0280B du 19 octobre 2011, M. [T] a confié à la Sarl Bâti services 76, pour un prix total de 52 000 euros TTC, des travaux d'extension du sous-sol de son habitation.

Par ordonnance du 18 octobre 2016, le juge des référés, saisi par le maître de l'ouvrage au titre de plusieurs désordres, notamment un défaut d'étanchéité, a confié une mesure d'expertise judiciaire à M. [N] [G], qui a déposé son rapport le 23 décembre 2019.

Par jugement du 20 janvier 2022, le tribunal judiciaire de Rouen, saisi par

M. [T], a :

- condamné la Sas Bâti services 76 à payer à M. [I] [T] la somme de

3l 633,99 euros au titre des travaux de reprise, avec indexation en fonction de l'évolution de l'indice BT01, valeur décembre 2019, date du dépôt du rapport d'expertise jusqu'à complet paiement, outre les intérêts au taux légal à compter du 28 avril 2013 ;

- dit que les intérêts seront capitalisés en application de l'article 1343-2 du code civil ;

- condamné la Sas Bâti services 76 à payer à M. [I] [T] la somme de

5 000 euros au titre du préjudice de jouissance ;

- condamné la Sas Bâti services 76 à payer à M. [I] [T] la somme de

3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- rappelé que la décision était exécutoire par provision ;

- rejeté le surplus des demandes ;

- condamné la Sas Bâti services 76 aux dépens, en ce compris les dépens de la procédure de référé et les frais d'expertise judiciaire.

Par déclaration reçue au greffe le 28 avril 2022, la Sarl Bâti services 76 a interjeté appel de la décision.

EXPOSE DES PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Par dernières conclusions notifiées le 10 juillet 2022, la Sarl Bâti services 76 demande à la cour, au visa des articles 1147, 1792 du code civil, 555 et suivants du code de procédure civile de :

- lui donner acte de ce qu'elle appellera prochainement dans la cause conformément à l'article 555 du code de procédure civile la Sa Axa France Iard aux fins de la garantir contre toute condamnation ;

- dire recevable son appel et de réformer la décision entreprise ;

statuant à nouveau,

- infirmer la décision entreprise en ce qu'elle l'a condamnée à payer à M. [I] [T] la somme de 31 633,99 euros au titre des travaux de reprise, avec indexation en fonction de l'évolution de l'indice BT01, valeur décembre 2019, date du dépôt du rapport d'expertise jusqu'à complet paiement, outre les intérêts au légal à compter du 28 avril 2013 ;

- infirmer la décision entreprise en ce qu'elle a dit que les intérêts seront capitalisés en application de l'article 1343-2 du code civil et débouter M. [I] [T] en conséquence ;

- infirmer la décision entreprise en ce qu'elle l'a condamnée à payer à M. [I] [T] la somme de 5 000 euros au titre du préjudice de jouissance et débouter M. [I] [T] en conséquence ;

- infirmer la décision entreprise en ce qu'elle l'a condamnée à payer à M. [I] [T] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et débouter M. [I] [T] en conséquence ;

- infirmer la décision entreprise en ce qu'elle l'a condamnée aux entiers dépens, en ce compris les dépens de la procédure de référé et les frais de l'expertise et débouter M. [I] [T] en conséquence ;

- dire que la Sa Axa France Iard la garantira pour toute condamnation indemnitaire qui pourrait être prononcée à son encontre au profit de M. [I] [T] ;

- condamner M. [I] [T] aux entiers dépens ;

subsidiairement,

- réduire à de plus justes proportions les condamnations mises à sa charge par le jugement du 20 janvier 2022.

Par dernières conclusions notifiées le 10 octobre 2023, M. [T] demande à la cour de confirmer le jugement, débouter la Sarl Bati services 76 de l'ensemble de ses demandes, et à titre subsidiaire, vu les articles 1792 et suivants du code civil, de :

- condamner la Sarl Bâti services 76 à lui payer la somme de 3l 633,99 euros au titre des travaux de reprise, avec indexation en fonction de l'évolution de l'indice BT01, valeur décembre 2019, date du dépôt du rapport d'expertise jusqu'à complet paiement, outre les intérêts au taux légal à compter du 28 avril 2013,

- ordonner la capitalisation des intérêts en application de l'article 1343-2 du code civil,

- condamner la Sarl Bâti services 76 à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de son préjudice de jouissance,

- débouter la Sarl Bâti services 76 de l'ensemble de ses demandes,

en toutes hypothèses,

- condamner la Sarl Bâti services 76 à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la Sarl Bâti services 76 aux entiers dépens d'appel.

Pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions des parties, il est renvoyé aux écritures visées ci-dessus conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 2 mai 2023.

MOTIFS

Sur la responsabilité encourue par la Sarl Bâti services 76

Selon l'article 1792 du code civil, tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination. L'article 1792-6 du même code précise que la réception est l'acte par lequel le maître de l'ouvrage déclare accepter l'ouvrage avec ou sans réserves. Elle intervient à la demande de la partie la plus diligente, soit à l'amiable, soit à défaut judiciairement. Elle est, en tout état de cause, prononcée contradictoirement.

A défaut de mise en oeuvre de la garantie décennale susvisée, le maître d'ouvrage peut agir sur le fondement de la responsabilité contractuelle.

Selon l'article 1147 ancien du code civil, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part.

Ainsi, après avoir considéré que les travaux litigieux n'avait pas fait l'objet d'une réception, le tribunal a fait application des dispositions relatives à la responsabilité contractuelle de droit commun.

La Sarl Bâti services 76 fait plaider l'existence d'une réception tacite, compte tenu de la prise de possession et du paiement des factures de travaux qu'elle a émises.

L'historique de la relation contractuelle, reprise par l'expert dans son commémoratif, et corroborée par les échanges de courriers entre les parties, confirme néanmoins l'absence de volonté de réceptionner l'ouvrage.

Les travaux ont débuté à la fin du mois d'octobre 2011. Après de très nombreux échanges s'étalant sur plus de trois ans, aux termes desquels les maîtres de l'ouvrage demandaient à la Sarl Bâti Services de réaliser les travaux conformes au devis,

M. [T] a expressément refusé la réception par courrier recommandé en date du 7 mai 2015, au regard de l'absence de finition de l'ouvrage, motif dont le bien-fondé a été confirmé par l'expertise.

Par courrier recommandé du 12 août 2015, soit près de 4 ans après le début des travaux, le maître de l'ouvrage a mis en demeure l'appelante de reprendre une liste de malfaçons et non-façons. La principale réponse concrète de la Sarl Bâti services 76 aura été, dans un courrier du 12 août 2015, de réclamer le paiement de sa facture de 7 437,63 euros encore en suspens ainsi que la réalisation d'un procès-verbal de réception. Il n'a pas été fait droit à cette demande, le maître de l'ouvrage sollicitant la désignation d'un expert par l'assureur puis par le juge des référés.

L'ensemble de ces éléments permettent d'établir l'absence de réception de l'ouvrage, dont l'expertise a permis de confirmer qu'il était atteint de nombreuses malfaçons et non-façons.

Le tribunal a donc pu, par motifs propres, retenir l'application de l'ancien article 1147 du code civil, et se référer à l'obligation de résultat à laquelle la Sarl Bati services 76 était astreinte.

Ainsi que le tribunal l'a retenu, la réalité des malfaçons et non-façons est établie tant par le rapport d'expertise protection juridique contradictoire du 9 juillet 2015 que par le rapport d'expertise judiciaire du 23 décembre 2019.

Il n'est d'ailleurs pas contesté en appel que :

- l'écran d'étanchéité de la toiture terrasse est inadapté à une étanchéité extérieure, l'expert concluant que l'ouvrage de terrasse n'a pas été réalisé dans les règles de l'art, ce qui entraîne des infiltrations, des traces de gouttelettes et de condensation sur les poutres ;

- il existe des remontées capillaires sur la base des piliers de la trémie d'escalier en l'absence d'étanchéité à la base du garde-corps ;

- l'escalier d'accès au sous-sol est dangereux à raison de la hauteur des marches, de leur largeur, de la disposition de l'arrivée au sous-sol, du positionnement de l'évacuation des eaux ainsi que de son revêtement et de l'absence de main courante ;

- le portillon présente un défaut de fermeture et n'est pas parallèle à la première contremarche ;

- l'évacuation des eaux de pluie et de ruissellement n'est pas conforme aux règles de l'art, puisque l'accès au puisard de récupération a été condamné, l'acrodrain est mal positionné et la sortie d'eau pluviale sous dimensionnée ;

- les règles de l'art concernant la mise en oeuvre de la membrane d'étanchéité n'ont pas été respectées.

L'expert judiciaire précise que ces inexécutions sont imputables à la Sarl Bâti services 76 à raison de plusieurs manquements aux règles de l'art. La responsabilité de cette entreprise est donc établie, ce qu'elle ne conteste pas.

L'indemnité pour reprise du préjudice matériel est conforme aux données du rapport d'expertise et n'est pas contestée.

Il n'y a donc pas lieu d'infirmer le montant de la condamnation prononcée après imputation du reliquat de facture.

Il ressort de l'attestation de valeur versée par M. [T] que la valeur locative de la maison avec extension peut être estimée à 1 050 euros. Ce dernier aurait dû pouvoir jouir de l'extension à compter du terme de réalisation des travaux, qui n'est pas précisé dans le devis du 19 octobre 2011, mais peut être fixé au 1er octobre 2012 au plus tard, délai raisonnable compte tenu de leur ampleur. Même si la surface de l'extension rapportée à la surface totale n'est pas précisée, il résulte des photographies jointes au rapport qu'elle accueille plusieurs pièces de vie.

Le préjudice de jouissance sera donc fixé à 100 euros par mois à compter du 1er octobre 2012, compte tenu de l'impossibilité de jouir de cette extension dans des conditions de sécurité et de salubrité normales, jusqu'à la décision de première instance.

Afin de ne pas statuer ultra petita, la décision sera dès lors confirmée en ce qu'elle accorde une somme de 5 000 euros au titre de ce poste de préjudice.

L'anatocisme est de droit en application de l'article 1343-2 du code civil.

Il n'y a pas lieu de donner acte à l'appelante qu'elle entend appeler l'assureur en garantie : elle n'y a pas procédé avant la clôture des débats. Elle ne saurait davantage, dans ces conditions, obtenir la condamnation de la Sa Axa France Iard, non partie à l'instance.

Sur les frais de procédure

Les dispositions du jugement relatives aux dépens et frais irrépétibles n'appellent pas de critique.

La Sarl Bâti service 76 succombe et sera condamnée aux dépens d'appel, outre une somme pour frais irrépétibles qu'il est équitable de fixer à 3 000 euros.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe,

Confirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour ;

Y ajoutant,

Condamne Sarl Bâti services 76 à payer à M. [I] [T] la somme de

3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Déboute les parties de leurs autres demandes ;

Condamne la Sarl Bati services 76 aux dépens d'appel.

Le greffier, La présidente de chambre,