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Décisions

CA Nîmes, 2e ch. A, 28 septembre 2023, n° 21/02215

NÎMES

Arrêt

Autre

CA Nîmes n° 21/02215

28 septembre 2023

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

ARRÊT N°

N° RG 21/02215 - N° Portalis DBVH-V-B7F-ICJU

LM

TJ HORS JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP D'AVIGNON

25 mars 2021 RG :19/02851

[Z]

C/

[M]

Grosse délivrée

le

à SCP Lexmap

Selarl Lexavoue

COUR D'APPEL DE NÎMES

CHAMBRE CIVILE

2ème chambre section A

ARRÊT DU 28 SEPTEMBRE 2023

Décision déférée à la Cour : Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP d'AVIGNON en date du 25 Mars 2021, N°19/02851

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :

Mme Laure MALLET, Conseillère, a entendu les plaidoiries en application de l'article 805 du code de procédure civile, sans opposition des avocats, et en a rendu compte à la cour lors de son délibéré.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Mme Anne DAMPFHOFFER, Présidente de chambre

Mme Laure MALLET, Conseillère

Madame Virginie HUET, Conseillère

GREFFIER :

Mme Céline DELCOURT, Greffière, lors des débats et du prononcé de la décision

DÉBATS :

A l'audience publique du 05 Janvier 2023, où l'affaire a été mise en délibéré au 23 Mars 2023 prorogé à ce jour.

Les parties ont été avisées que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d'appel.

APPELANT :

Monsieur [K] [Z]

né le 14 Août 1959 à [Localité 10]

[Adresse 4]

[Localité 10]

Représenté par Me Valérie HILD de la SCP LEXMAP&ASSOCIES, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de CARPENTRAS

INTIMÉE :

Madame [U] [M] épouse [V]

née le 12 Janvier 1956 à [Localité 11]

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée par Me Emmanuelle VAJOU de la SELARL LEXAVOUE NIMES, Postulant, avocat au barreau de NIMES

Représentée par Me Quentin FOUREL-GASSER de la SCP GASSER-PUECH-BARTHOUIL-BAUMHAUER, Plaidant, avocat au barreau d'AVIGNON

ORDONNANCE DE CLÔTURE rendue le 15 Décembre 2022

ARRÊT :

Arrêt contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe de la Cour et signé par Mme Anne DAMPFHOFFER, Présidente de chambre, le 28 septembre 2023,

EXPOSE DU LITIGE

Mme [U] [M] épouse [V] est propriétaire d'un immeuble bâti de rapport élevé d'un étage sur rez-de-chaussée comprenant 9 logements à usage d'habitation, situé [Adresse 3] à [Localité 10] (Vaucluse), cadastré section IK n°[Cadastre 5] et [Cadastre 8].

Se plaignant d'une perte de vue et d'ensoleillement suite aux travaux d'extension de l'immeuble voisin appartenant à M. [K] [Z], cadastré section IK n°[Cadastre 6], [Cadastre 7] et [Cadastre 9], consistant en la transformation du perron d'accès à l'étage de la propriété en terrasse et construction en dessous d'une chaufferie, Mme [M] a obtenu du juge des référés une expertise judiciaire, par ordonnance du 18 mai 2015.

L'expert judiciaire, M. [Y], a déposé son rapport le 4 avril 2016.

Par acte d'huissier du 12 janvier 2017, Mme [M] a fait assigner M. [Z] devant le tribunal de grande instance d'Avignon en démolition de l'extension de l'habitation sous astreinte de 100 € par jour de retard passé un délai de 6 semaines à compter de la signification du jugement outre sa condamnation et à titre subsidiaire de lui verser la somme de 21 000 € à titre de dommages et intérêts, assortie des intérêts légaux à compter de l'assignation et à lui payer la somme de 4 000 € au titre des frais irrépétibles ainsi que les entiers dépens.

Par jugement contradictoire du 25 mars 2021, tel que rectifié par jugement rectificatif du 22 avril 2021, le tribunal judiciaire d'Avignon, a :

- condamné M. [K] [Z] à démolir l'extension de son habitation dans un délai de 3 mois à compter de la signification du présent jugement,

- dit n'y avoir lieu d'assortir cette condamnation d'une astreinte,

- débouté Mme [U] [M] épouse [V] de sa demande en paiement de la somme de 840 euros par an depuis le mois de janvier 2015 jusqu'à la démolition,

- condamné M. [K] [Z] à payer à Mme [U] [M] épouse [V], divorcée [I], la somme de 1 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné M. [K] [Z] aux entiers dépens en ce compris les frais d'expertise judiciaire,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.

Par déclaration du 8 juin 2021, M. [K] [Z] a relevé appel de ce jugement.

Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 7 décembre 2022, auxquelles il est expressément référé, M. [K] [Z] demande à la cour de :

Rejetant toutes demandes, fins et conclusions contraires,

- déclarer recevable et bien fondé l'appel interjeté par M. [K] [Z],

Y faire droit,

- réformer le jugement entrepris,

Et statuant à nouveau,

- juger qu'il n'existe pas de troubles anormaux de voisinage,

- débouter Mme [M] épouse [V] [U] de toutes ses demandes,

- condamner Mme [M] épouse [V] [U] à payer à M. [K] [Z] la somme de 5 000 € pour le préjudice subi du fait des aléas procéduraux initiés par la demanderesse,

- condamner Mme [M] épouse [V] [U] à payer à M. [K] [Z] la somme de 4 000 € par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

A titre subsidiaire,

- juger que la déconstruction devra être seulement partielle sur la base d'une démolition de 1 mètre environ du mur actuel,

A titre infiniment subsidiaire,

- accorder à M. [Z] un délai minimal de 12 mois pour la réalisation de travaux de déconstruction,

- dire que Mme [M] épouse [V] assumera les entiers dépens de la procédure de référé et de fond en ce compris les frais d'expertise.

Dans ses dernières conclusions, contenant appel incident, remises et notifiées le 21 octobre 2021, auxquelles il est expressément référé, Mme [M] épouse [V] demande à la cour de :

Vu les pièces communiquées sous bordereau annexé aux présentes,

Statuant sur l'appel formé par M. [K] [Z] à l'encontre du jugement rendu le 25 mars 2021 par le tribunal judiciaire d'Avignon,

- débouter M. [K] [Z] de toutes ses demandes, fins et prétentions plus amples ou contraires,

- confirmer le jugement en tant qu'il a condamné M. [K] [Z] à démolir l'extension de son habitation,

- dire que cette démolition devra intervenir dans les trois mois à compter de la signification de l'arrêt à intervenir,

- confirmer le jugement en tant qu'il a condamné M. [Z] au paiement de la somme de 1 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles exposés en première instance,

- le confirmer en tant qu'il condamne M. [K] [Z] aux entiers dépens en ce compris les frais d'expertise judiciaire.

Sur appel incident,

- infirmer le jugement en tant qu'il a rejeté la demande de Mme [M] de sa demande en paiement de la somme de 840 € par an depuis le mois de janvier 2015 jusqu'à la démolition pour la perte de valeur locative,

- condamner en conséquence M. [K] [Z] à régler la somme de 840 € par année à compter du mois de janvier 2015 jusqu'à la démolition de l'extension de son immeuble.

Subsidiairement,

- condamner M. [K] [Z] à titre de dommages et intérêts au paiement de la somme de 80 950 € au titre de la perte de valeur de l'immeuble de Mme [M] épouse [V],

En tout état de cause,

- débouter M. [K] [Z] de toutes ses demandes, fins et conclusions plus amples ou contraires,

- condamner M. [K] [Z] à payer à Mme [U] [M] épouse [V] la somme de 3 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de 1ère instance et d'appel, en ce compris les frais d'expertise.

La clôture de la procédure est intervenue le 15 décembre 2022.

MOTIFS DE LA DECISION

Il ne ressort pas des pièces du dossier d'irrecevabilité de l'appel que la cour devrait relever d'office et les parties n'élèvent aucune discussion sur ce point.

Sur le trouble anormal de voisinage,

Le droit de propriété, défini par l'article 544 du code civil comme « le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements », est limité par le principe selon lequel nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage.

En application de ce principe, la partie à l'origine d'un trouble anormal de voisinage en doit réparation, indépendamment de toute faute.

Le trouble de voisinage ne donne lieu à réparation que s'il excède la limite des inconvénients normaux du voisinage.

Le respect des dispositions légales n'exclut pas l'existence éventuelle de trouble anormal excédant les inconvénients normaux de voisinage.

En effet, l'existence du trouble s'apprécie indépendamment du problème de la régularité de la construction au regard des règles d'urbanisme ou de droit privé.

Il incombe au voisin qui se prévaut d'un trouble anormal de voisinage de prouver qu'il existe un trouble anormal, qu'il subit un préjudice et qu'il existe un lien de causalité entre le préjudice et le grief invoqué au titre du trouble, en l'espèce, la construction édifiée.

Le caractère anormal du trouble s'apprécie habituellement en fonction de sa gravité, de sa durée, et en se référant notamment à l'environnement et à la destination des lieux.

En l'espèce, l'espace libre entre les deux bâtiments propriétés de Mme [M] et de M.[Z] forme une cour de 6,86 m x 3,78 m, cette dernière appartenant à l'appelant.

L'immeuble de l'intimée comporte des fenêtres et des fenestrons qui donnent sur cette courette où se trouve le perron d'accès à la maison de M. [Z].

Avant les travaux de janvier 2015, l'accès à la maison de M.[Z] se faisait par un perron de 2 m x 3 m environ et de 2,24 m de hauteur, supporté par des piliers en maçonnerie dans les angles. Le garde-corps était une balustrade classique avec piliers et main courante en maçonnerie. Un escalier en maçonnerie longeant la façade Nord-Est permettait d'atteindre le perron.

Il n'est pas contesté par les parties que les deux piliers étaient garnis par le feuillage de deux chèvrefeuilles.

M.[Z] a réalisé des travaux consistant en un agrandissement du perron vers le Nord-Ouest et le Nord-Est sur la cour et la fermeture par des murs en agglomérés du vide sous le perron.

Mme [M] se plaint d'un trouble anormal de voisinage expliquant que ses studios numéros 2 et 5 ont subi du fait de la construction une perte ensoleillement, de luminosité et de vue.

M.[Z] réplique que la perte d'ensoleillement n'est pas établie et ne constitue pas un trouble anormal de voisinage puisque :

- les lieux sont situés en plein centre-ville d'[Localité 10] avec une forte densité de population aux alentours de la [Adresse 12] et que les deux immeubles en litige sont particulièrement rapprochés

-avant l'exécution des travaux litigieux, la vue et l'ensoleillement des fenêtres de rez de chaussée des deux studios de la demanderesse, donnant sur cette cour, étaient déjà très restreints par l'effet de l'importante végétation de deux chèvrefeuilles grimpants à feuillage persistant, couvrant le perron d'une hauteur totale de 3,67 mètres,

-il n'existe pas d'aggravation de perte de vue ou d'ensoleillement et qu'en tout état de cause cette perte ne serait que partielle pendant seulement certaines périodes de l'année ( hiver ),

-une étude de M. [R] réalisée à la demande de M.[Z] démontre plutôt un gain d'ensoleillement.

Il ressort du rapport expertise judiciaire :

-s'agissant de la perte de vue, d'ensoleillement et de luminosité du studio, n° 5 que la fenêtre donnant sur la propriété de M. [Z] est la seule ouverture vers l'extérieur de la pièce principale, et que la réalisation des travaux de modification du perron entraîne une perte de vue importante de la fenêtre du studio n° 5, une diminution de 42 % environ de l'ensoleillement qui était déjà limité avant les travaux, et une diminution de luminosité estimée à 20%.

-s'agissant de studio n°2, les deux fenestrons de la salle de bain et de la cuisine donnent sur la propriété de M.[Z] et que la réalisation des travaux de modification du perron entraîne une perte de vue importante pour le fenestron de la cuisine et faible pour le fenestron de la salle de bains.

L'analyse des nombreuses photographies et plans annexés au rapport d'expertise et celles produites par les parties révèle que le studio n°5 est très impacté puisque son unique ouverture fait face à un mur plein situé à un mètre, la vue étant obstruée en quasi-totalité du fait de la construction.

Quant à l'ensoleillement et par suite la luminosité, l'expert indique qu'ils sont fortement réduits de février à mai, puis d'août à octobre, soit pendant 7 mois dans l'année.

L'étude de M [R] produite aux débats par M.[Z] non soumise à l'expert judiciaire ne peut remettre en cause ses constatations d'autant que ce technicien ne s'est pas déplacé sur les lieux.

Par ailleurs, il ne peut être sérieusement comparé la présence de chèvrefeuilles sur les deux piliers du perron antérieurement aux travaux, dont aucun élément ne permet de démontrer l'impact sur la vue et l'ensoleillement des studios et surtout du studio n°5, avec celle d'un mur obstruant quasiment l'intégralité de la fenêtre, étant de plus noté qu'a cette époque l'espace sous le perron n'était pas muré évitant dès lors cette sensation de confinement.

L'expert judiciaire explique pertinemment qu' avant les travaux de M.[Z] le pilier le plus proche de la fenêtre du studio n° 5 était à 2,17 m de la fenêtre et sensiblement dans l'axe du bord du tableau gauche de la fenêtre et que le deuxième pilier était à plus de 5 m de la fenêtre alors que le mur réalisé par M.[Z] est à 1,01 m de la fenêtre et est situé en grande partie devant l'ouverture de cette fenêtre.

Même s'il s'agit d'un logement situé dans un quartier urbain mais cependant résidentiel et non localisé en centre ville, le trouble engendré dépasse les inconvénients normaux de voisinage.

D'ailleurs, la locataire qui occupait le studio n°5, a dès le 6 février 2015, donné congé à sa bailleresse pour ce motif.

En conséquence, le trouble anormal de voisinage consistant en une perte de vue, d'ensoleillement et de luminosité du fait de la construction réalisée par M. [Z] est caractérisé.

Il est constant et non contesté que Mme [M] a donné en location les studios objet du litige.

Pour autant, un propriétaire non-occupant est recevable à agir en réparation d'un trouble dont, par hypothèse, il ne subit pas les effets.

Il convient de rappeler que les juges du fond a un pouvoir souverain d'appréciation des modalités de réparation du dommage et que la réparation du préjudice doit être intégrale.

En l'espèce, la démolition de l'extension est la seule solution pour mettre fin au préjudice de Mme [M] dont la gravité a été démontrée ci-avant en l'absence de démonstration d'une solution technique alternative réalisable .

M.[Z] soutient que la démolition est disproportionnée au regard de l'investissement réalisé pour la construction( 28 33 €) et entraînerait une fragilisation du perron.

Cependant, M [Z] ne verse aucun élément justifiant que les conséquences tant économiques que techniques seraient disproportionnées en considération du dommage subi, se contentant de procéder par affirmation d'autant que l' extension ne constitue pas un élément essentiel à l'habitabilité de son logement.

En conséquence, la mesure de démolition n'apparaît pas comme une mesure disproportionnée.

Il y donc lieu de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a condamné M. [K] [Z] à démolir l'extension de son habitation sauf à préciser que cette démolition devra intervenir dans un délai de 8 mois à compter du présent arrêt.

Mme [M] ne formule aucune critique du jugement déféré en ce qu'il a dit n'y avoir lieu d'assortir la condamnation d'une astreinte.

Concernant la demande de Mme [M] en paiement de la somme de 840 euros par an depuis le mois de janvier 2015 jusqu'à la démolition, le jugement déféré sera également confirmé.

En effet, si effectivement le préjudice supporté est susceptible d'entraîner une baisse de loyer, Mme [M], qui admet aux termes de ses conclusions que les biens sont reloués, ne rapporte pas la preuve que les loyers ont été moindres et dans quelle ampleur, ne produisant aucun des contrats de location.

La démolition ayant été ordonnée, il n'y a pas lieu de statuer sur la demande au titre de la perte de valeur du bien.

Les dispositions du jugement déféré au titre des dépens et des frais irrépétibles de première instance seront confirmées.

Eu égard à la présente décision, la demande de dommages et intérêts de M.[Z] n'est pas justifiée. Il en sera débouté.

En application de l'article 696 du code de procédure civile, M.[Z] supportera les dépens d'appel.

Il n'est pas équitable de laisser supporter à Mme [M] ses frais irrépétibles d'appel. Il lui sera alloué la somme de 1 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR :

Après en avoir délibéré conformément à la loi,

La cour, statuant après débats en audience publique par mise à disposition au greffe, contradictoirement, en matière civile et en dernier ressort,

Dans la limite de sa saisine,

Confirme le jugement déféré en l'ensemble de ses dispositions, sauf à préciser que la démolition devra intervenir dans un délai de 8 mois à compter du présent arrêt,

Y ajoutant,

Déboute M. [K] [Z] de sa demande de dommages et intérêts,

Condamne M. [K] [Z] à payer à Mme [U] [M] épouse [V] la somme de 1 500 € au titre des frais irrépétibles d'appel,

Condamne M. [K] [Z] aux dépens d'appel.

Arrêt signé par la présidente et par la greffière.

LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,