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Décisions

CA Bordeaux, 2e ch. civ., 21 septembre 2023, n° 19/06398

BORDEAUX

Arrêt

Autre

CA Bordeaux n° 19/06398

21 septembre 2023

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

2ème CHAMBRE CIVILE

--------------------------

ARRÊT DU : 21 SEPTEMBRE 2023

N° RG 19/06398 - N° Portalis DBVJ-V-B7D-LLD2

[O] [G]

c/

[Z] [F] divorcée [W]

S.C.P. VINCENS DE TAPOL - LEBLOND ET JOUANDET

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

aux avocats

Décision déférée à la cour : jugement rendu le 22 octobre 2019 par le Tribunal de Grande Instance de BORDEAUX (chambre : 7, RG : 18/00616) suivant déclaration d'appel du 08 décembre 2019

APPELANT :

[O] [G]

né le 20 Mai 1988 à [Localité 17]

de nationalité Française,

demeurant [Adresse 1]

Représenté par Me MARGERIN substituant Me Dominique LAPLAGNE, avocat au barreau de BORDEAUX

INTIMÉ ES :

[Z] [F] divorcée [W]

née le 08 Juillet 1938 à [Localité 15]

de nationalité Française

Retraitée

demeurant [Adresse 2]

Représentée par Me BAREA substituant Me Fabienne AUGER, avocat au barreau de BORDEAUX

S.C.P. VINCENS DE TAPOL - LEBLOND ET JOUANDET

Notaires, société inscrite au RCS de Bordeaux sous le numéro 305 877 789 00027, domiciliée en cette qualité [Adresse 11].

sur appel provoqué de Mme [F] en date du 24.08.20

Représentée par Me Xavier LAYDEKER de la SCP LAYDEKER - SAMMARCELLI - MOUSSEAU, avocat au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 13 juin 2023 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Rémi FIGEROU, Conseiller, qui a fait un rapport oral de l'affaire avant les plaidoiries,

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Président : Madame Paule POIREL

Conseiller : Monsieur Rémi FIGEROU

Conseiller : Madame Christine DEFOY

Greffier : Madame Audrey COLLIN

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

* * *

FAITS ET PROCÉDURE :

Par acte sous seing privé du 30 mars 2017, M. [O] [G] a vendu à Mme [Z] [F] un appartement ainsi qu'un emplacement de parking constituant les lots 109 et 316 d'une copropriété dans un ensemble immobilier situé sur la commune de [Localité 14] '[Adresse 16]', au [Adresse 12], figurant au cadastre de ladite commune Section AH numéros [Cadastre 13],[Cadastre 3],[Cadastre 4],[Cadastre 5],[Cadastre 6],[Cadastre 7],[Cadastre 8],[Cadastre 9] et [Cadastre 10], moyennant la somme de 144 000 euros.

Cette vente était consentie sous la condition suspensive de la vente par Mme [F] de biens et droits immobiliers lui appartenant, sis à [Adresse 18] moyennant le prix de 300 000 euros payable comptant et dont la date de réalisation avait été fixée au plus tard au 27 avril 2017.

Il a été prévu que la signature de l'acte authentique de vente entre M. [G] et Mme [F] interviendrait au plus tard le 5 juin 2017.

Le 10 mai 2017, Mme [F] a prévenu son notaire de l'impossibilité de poursuivre l'acquisition eu égard aux charges fiscales auxquelles elle était soumise.

Partant, M. [G], par courrier du 7 juin 2017, a sollicité la mise en œuvre de la clause pénale prévue au sein de l'acte authentique d'un montant de 14 000 euros.

A défaut de réponse de Mme [F], par acte du 11 janvier 2018, M. [G] a assigné Mme [F] devant le tribunal de grande instance de Bordeaux aux fins de condamnation au paiement de dommages-intérêts au titre de la clause pénale.

Par acte du 9 octobre 2018, Mme [F] a assigné en intervention forcée la SCP Vincens de Tapol, Leblond et Jouandet, notaire, devant le tribunal de grande instance de Bordeaux.

Par jugement du 22 octobre 2019, le tribunal de grande instance de Bordeaux a :

- condamné Mme [F] à verser à M. [G] la somme de 1 000 euros au titre de la clause pénale,

- condamné la SCP Vincens de Tapol, Leblond et Jouandet à relever intégralement indemne Mme [F] de cette condamnation,

- condamné la SCP Vincens de Tapol, Leblond et Jouandet à verser à M. [F] la somme de 1 000 euros en réparation de son préjudice moral,

- condamné Mme [F] à verser à M. [G] la somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles,

- rejeté plus amples demandes au titre des frais irrépétibles,

- condamné Mme [F] aux dépens,

- condamné la SCP Vincens de Tapol, Leblond et Jouandet à intégralement relever indemne Mme [F] de ces condamnations aux frais et dépens,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire de la décision.

M. [G] a relevé appel du jugement le 8 décembre 2019 en ce qu'il :

- a condamné Mme [F] à lui verser la somme de 1 000 euros au titre de la clause pénale.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 20 janvier 2022, M. [G] demande à la cour de :

- voir déclarer recevable et bien fondé son appel formé à l'encontre du jugement rendu par le Tribunal de grande instance de Bordeaux sous le n° RG 18/00616 en date du 22 octobre 2019 et infirmer le jugement en ce qu'il a limité la condamnation de Mme [F] à 1 000 euros au titre de la modération de la clause pénale,

- voir condamner en conséquence Mme [F] à lui payer le montant de la clause pénale du fait de sa défaillance contractuelle, soit la somme de 14 000 euros à titre de dommages et intérêts,

- voir condamner Mme [F] au paiement d'une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre aux dépens dont distraction au profit de Me Dominique Laplagne, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,

- voir statuer sur ce que de droit au titre de l'appel en garantie formalisé par Mme [F] à l'encontre de la SCP Vincens de Tapol Leblond et Jouandet.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 21 septembre 2020, Mme [F] demande à la cour de :

- débouter M. [G] de son appel, en toutes ses prétentions,

- par voie d'appel incident, réduire à 1 euros le montant de l'indemnisation qui lui serait accordée en regard de la clause pénale,

- très subsidiairement et tout au plus, confirmer le montant alloué de ce chef par le tribunal,

En tout état de cause, par voie d'appel provoqué et incident,

- dire et juger que Mme [F] sera relevée indemne par la SCP Vincens de Tapol, Leblond et Jouandet de toutes sommes ou condamnations qui viendraient à être retenues à son encontre, et découlant de l'instance d'appel engagée par M. [G],

- condamner

-Condamner en outre la SCP Vincens de Tapol, Leblond et Jouandet a lui allouer une somme de 3 000 euros en réparation de son préjudice moral personnel,

- condamner la SCP Vincens de Tapol, Leblond et Jouandet en tous les dépens d'appel comme de 1ère instance, sinon à en garantir la concluante,

- la condamner au paiement d'une somme de 3 500 euros au bénéfice de Mme [F] en application des dispositions de l'art. 700 du code de procédure civile.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 21 octobre 2020, la SCP Vincens de Tapol, Leblond et Jouandet demande à la cour, sur le fondement des articles 1382 et 1231-5 du code civil, de :

- réformer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Bordeaux le 8 décembre 2019 en toutes ses dispositions et statuant à nouveau :

- débouter M. [G] de l'intégralité de ses demandes, fin et prétentions,

- débouter Mme [F] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétention,

A titre subsidiaire,

- réduire à 1 euro le montant de l'indemnisation qui lui serait accordée en regard de la clause pénale stipulée dans le compromis de vente du 30 mars 2017,

En tout état de cause,

- condamner toute partie succombante aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 30 mai 2023.

MOTIFS

Sur la clause pénale

Le tribunal pour fixer la clause pénale à la somme de 1000 euros a considéré que M. [G] avait revendu son bien rapidement et au prix initialement convenu avec Mme [F] alors que cette dernière avait été contrainte de renoncer à la vente en raison d'une erreur de calcul de son notaire sur les droits de succession qu'elle devrait acquitter.

M. [G] soutient que Mme [F] n'a pas régularisé la vente pour un motif autre que celui prévu au titre de la clause suspensive si bien qu'elle a manqué à ses obligations et la clause pénale qui a été convenue entre les parties doit s'appliquer alors qu'elle n'est pas excessive et qu'en outre l'immeuble objet de la vente est resté immobilisé pendant cinq mois pendant lesquels il a généré des charges et aucune ressource.

Mme [F] fait valoir qu'elle n'a pas été en capacité de réitérer son consentement à la vente en raison des frais de succession imprévus suite à la vente d'un bien légué. Aussi, le montant conventionnel de la clause pénale est disproportionné et doit être fixé à un euro en raison des préjudices inexistants pour le vendeur.

La SCP Vincens de Tapol Leblond et Jouandet expose que Mme [F] n'a commis aucune faute alors qu'elle n'avait pas les moyens financiers pour réitérer son consentement à la vente puisqu'elle n'a pas obtenu la somme espérée de la vente de la maison léguée en raison des droits de succession qu'elle a dû acquitter. En outre le vendeur ne connait pas de préjudice alors qu'il a vendu son bien pour le même montant rapidement.

***

L'article 1231-5 du code civil dispose : « Lorsque le contrat stipule que celui qui manquera de l'exécuter paiera une certaine somme à titre de dommages et intérêts, il ne peut être alloué à l'autre partie une somme plus forte ni moindre.

Néanmoins, le juge peut, même d'office, modérer ou augmenter la pénalité ainsi convenue si elle est manifestement excessive ou dérisoire.

Lorsque l'engagement a été exécuté en partie, la pénalité convenue peut être diminuée par le juge, même d'office, à proportion de l'intérêt que l'exécution partielle a procuré au créancier, sans préjudice de l'application de l'alinéa précédent.

Toute stipulation contraire aux deux alinéas précédents est réputée non écrite.

Sauf inexécution définitive, la pénalité n'est encourue que lorsque le débiteur est mis en demeure. »

En l'espèce, s'il n'est pas contestable que Mme [F] a renoncé à acheter le bien de M. [G], non sur un coup de tête, mais en raison des droits de succession qu'elle devait acquitter ce dont elle n'avait pas été informée préalablement par son notaire, faute que ce dernier reconnait expressément ; la situation de la débitrice de la clause pénale ne doit pas entrer en considération pour apprécier le caractère manifestement excessif ou non de la clause pénale fixée entre les parties.

Ce caractère manifestement excessif ou non de ladite clause ne peut résulter que de la comparaison entre le préjudice effectivement subi par le créancier de cette clause et le montant de l'indemnité prévue.

En l'espèce, le préjudice allégué par M. [G] ne correspond pas à celui qu'il a effectivement subi.

En effet si la vente de son immeuble a été retardée de cinq mois, la seule perte financière dont il peut se prévaloir est l'absence de location de son bien pendant cette même période ce qu'il évalue à la somme de 3000 euros ( 600 X 5 mois) . Toutefois, son bien n'était pas loué au moment de la mise en vente de cet appartement, et cette estimation repose sur un avis de valeur locative d'un agent immobilier qui a précisé qu'un tel avis ne pouvait être assimilé à une expertise laquelle devait être établie par un expert. En conséquence, rien ne permet de considérer que cet appartement de 38 mètres carrés situé dans une résidence d'une centaine d'appartements à [Localité 14] aurait pu être loué facilement et au prix voulu par le bailleur. En conséquence, la perte de chance de louer cet appartement pendant cette période de cinq mois doit être fixée à la somme de 1000 euros seulement.

M. [G] ne peut faire valoir la perte de la taxe foncière et d'habitation qu'il devait assumer en toute hypothèse puisque celles-ci sont dues au 1er janvier de l'année en cours. Eventuellement il aurait pu exiger la prise en charge du prorata de la taxe foncière pendant cinq mois ce qui représente une somme de 333,33 euros, ainsi que le prorata des frais de copropriété d'un montant de 517,13 euros.

De même, les mensualités de crédit acquittées par M. [G] pendant ces cinq mois ne peuvent constituer un préjudice puisque l'amortissement du capital aurait dû de toute manière intervenir au moment de la vente. En définitive, seuls les intérêts sur ces mensualités pourraient constituer un préjudice mais l'appelant ne communique pas le tableau d'amortissement du prêt qui aurait permis de les connaitre.

En définitive, le jugement entrepris doit être confirmé en ce qu'il a réduit la clause pénale sauf à fixer celle-ci à la somme de 2000 euros au regard du préjudice subi par M. [G], toutes causes de préjudice confondues, et en raison du caractère manifestement excessif de celle conventionnellement fixée.

Sur la responsabilité du notaire

Le notaire ne conteste pas avoir commis une faute en indiquant à Mme [F] qu'elle disposerait d'une somme lui permettant d'acheter l'appartement de M. [G] alors qu'après paiement des droits de succession qu'elle devait assumer elle n'a pu en bénéficier, et ainsi n'a pas pu acheter l'appartement de M. [G] malgré ses engagements. ( page 5 des conclusions de la SCP Vincens de Tapol, Leblond et Jouandet)

Aussi, le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné la SCP Vincens de Tapol, Leblond et Jouandet à relever Mme [F] de sa condamnation au bénéfice de M. [G] et à lui verser la somme de 1000 euros au titre de son préjudice moral.

Sur les dépens et les frais non compris dans les dépens

la SCP Vincens de Tapol, Leblond et Jouandet sera condamné aux dépens d'appel. Par ailleurs, en raison de l'équité chaque partie conservera les frais qu'elle a exposés et qui ne sont pas compris dans les dépens.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a condamné Mme [F] à verser à M. [G] la somme de 1000 euros au titre de la clause pénale, et statuant à nouveau de ce seul chef réformé :

Condamne Mme [Z] [F] à verser à M. [O] [G] la somme de 2000 euros au titre de la clause pénale, y ajoutant :

Déboute les parties de leurs autres demandes ;

Condamne la SCP Vincens de Tapol, Leblond et Jouandet aux dépens d'appel.

Le présent arrêt a été signé par M. Rémi FIGEROU, conseiller en remplacement de Mme Paule POIREL, président légitimement empêché et par Mme Audrey COLLIN, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier, Le Conseiller,