CA Basse-Terre, 2e ch., 23 octobre 2023, n° 22/00358
BASSE-TERRE
Arrêt
Infirmation partielle
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Robail
Conseillers :
Mme Clédat, M. Habu Groud
Avocats :
Me Pancrel, Me Poribal-Gatibelza
FAITS ET PROCEDURE
M. [B] [O] et Mme [N] [M] se sont mariés le 7 décembre 1996, sans contrat préalable.
De leur union sont nés deux enfants, désormais majeurs.
Le 31 octobre 2002, les époux ont fait l'acquisition d'un terrain sur lequel ils ont ensuite fait construire une maison ayant constitué le logement familial.
A cette fin, les époux ont souscrit deux prêts immobiliers :
- un prêt n°2364995 de 22.867,35 euros remboursable en 244 mensualités jusqu'au 5 août 2023,
- un prêt n° 2364994 de 85.000 euros remboursable en 196 mensualités jusqu'au 5 octobre 2020.
Par ordonnance de non conciliation du 1er mars 2016, le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Pointe-à-Pitre a notamment attribué à M. [O] la jouissance du domicile conjugal et du mobilier le garnissant à titre gratuit, à charge pour lui de régler les mensualités du crédit, les charges et impositions y afférentes.
Le divorce des époux a été prononcé par jugement définitif du 06 avril 2017, régulièrement signifié à M. [O] par Mme [M] le 09 mai 2017.
Les époux ayant été renvoyés à procéder amiablement à la liquidation et au partage de leurs intérêts patrimoniaux, ils se sont rapprochés de Maître [G] [X], notaire à [Localité 3], qui a dressé le 18 novembre 2019 un procès-verbal de difficultés indiquant les points de désaccord entre les parties.
Par acte du 10 janvier 2020, Mme [M] a assigné M. [O] devant le juge aux affaires familiales du tribunal judiciaire de Pointe-à-Pitre aux fins de partage judiciaire de l'indivision post-communautaire.
Le père de Mme [M], M. [Y] [M], est intervenu volontairement à cette procédure afin de se voir reconnaître une créance de 22.867 euros à l'égard de l'indivision post-communautaire au titre d'un prêt qu'il déclarait avoir consenti aux époux durant le mariage.
Par jugement du 21 février 2022, le juge aux affaires familiales a principalement :
- déclaré recevable l'action de Mme [M] aux fins de partage,
- ordonné qu'il soit procédé aux opérations de liquidation et partage des intérêts patrimoniaux entre les parties,
- déclaré recevable l'intervention volontaire de M. [Y] [M],
- rejeté la demande formée par M. [Y] [M] au titre de son intervention volontaire, comme étant mal fondée,
- rejeté la demande de Mme [M] tendant à faire constater l'existence d'une créance de M. [Y] [M] à l'encontre de la communauté à hauteur de 22.867 euros,
- attribué à M. [B] [O] la maison sise à [Localité 1], sous réserve pour lui de procéder au versement d'une soulte à Mme [M] dont le montant sera déterminé lors des opérations de partage,
- rejeté les demandes de Mme [M] et M. [O] aux fins d'homologation du rapport d'expertise,
- constaté l'accord des parties pour voir fixer la valeur de l'immeuble à 179.706,06 euros et sa valeur locative mensuelle à 850 euros,
- dit que M. [O] est redevable d'une indemnité d'occupation à l'indivision à compter du 10 juin 2017,
- dit que le montant de l'indemnité d'occupation mensuelle due par M. [O] est fixé à 680 euros,
- dit que M. [O] est titulaire d'une créance à l'encontre de l'indivision post-communautaire au titre du règlement des mensualités des emprunts immobiliers, des impositions foncières et des assurances grevant le bien indivis à compter du 1er mars 2016, et que cette créance devra être prise en compte dans le cadre des opérations de liquidation,
- rejeté la demande de Mme [M] aux fins de voir fixer la créance de M. [O] envers l'indivision à la somme de 28.675,81 euros,
- rejeté la demande de M. [O] aux fins de voir fixer sa créance à l'encontre de l'indivision aux sommes de 4.196,46 euros et 55.085,19 euros,
- désigné Maître [X], notaire à [Localité 3], pour procéder aux opérations de liquidation et de partage, et rappelé sa mission,
- commis le juge aux affaires familiales du tribunal judiciaire de Pointe-à-Pitre, cabinet 3, pour veiller au bon déroulement des opérations de partage,
- rejeté les demandes respectives des parties au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- dit que les dépens seront utilisés en frais privilégiés de liquidation.
Mme [M] a interjeté appel de cette décision, tant en son nom personnel qu'en qualité d'héritière de M. [Y] [M], décédé entretemps, par déclaration remise au greffe de la cour par voie électronique le 8 avril 2022, en limitant son appel aux chefs de jugement par lesquels le premier juge a :
- rejeté la demande formée par M. [Y] [M] au titre de son intervention volontaire, comme étant mal fondée,
- rejeté la demande de Mme [M] tendant à faire constater l'existence d'une créance de M. [Y] [M] à l'encontre de la communauté à hauteur de 22.867 euros,
- dit que M. [O] est titulaire d'une créance à l'encontre de l'indivision post-communautaire au titre du règlement des mensualités des emprunts immobiliers, des impositions foncières et des assurances grevant le bien indivis à compter du 1er mars 2016, et que cette créance devra être prise en compte dans le cadre des opérations de liquidation,
- rejeté la demande de Mme [M] aux fins de voir fixer la créance de M. [O] envers l'indivision à la somme de 28.675,81 euros.
La procédure a été orientée à la mise en état.
M. [O] a remis au greffe sa constitution d'intimé par voie électronique le 13 mai 2022.
Les deux parties ayant régulièrement conclu, l'ordonnance de clôture est intervenue le 15 mai 2023 et l'affaire a été fixée à l'audience du 26 juin 2023, date à laquelle la décision a été mise en délibéré au 23 octobre 2023.
PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Mme [N] [M], en son nom personnel et ès qualités d'héritière de M. [Y] [M], appelante :
Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 12 mai 2023 par lesquelles elle demande à la cour :
- de juger son appel recevable, tant en son nom personnel qu'en sa qualité d'héritière de M. [Y] [M],
- de réformer le jugement déféré en ce qu'il a :
- rejeté la demande formée par M. [Y] [M] au titre de son intervention volontaire, comme étant mal fondée,
- rejeté sa demande tendant à faire constater l'existence d'une créance de M. [Y] [M] à l'encontre de la communauté à hauteur de 22.867 euros,
- dit que M. [O] est titulaire d'une créance à l'encontre de l'indivision post-communautaire au titre du règlement des mensualités des emprunts immobiliers, des impositions foncières et des assurances grevant le bien indivis à compter du 1er mars 2016, et que cette créance devra être prise en compte dans le cadre des opérations de liquidation,
- rejeté sa demande aux fins de voir fixer la créance de M. [O] envers l'indivision à la somme de 28.675,81 euros,
- statuant de nouveau :
- de 'juger que l'aveu judiciaire de M. [O] reconnaissant le caractère de la nature de la dette de la somme de 22.867 euros ne résulte pas d'une erreur de fait et s'imposait au juge',
- de juger que l'indivision post-communautaire est débitrice de la somme de 22.867 euros envers l'héritière de feu [Y] [M] et de feue [E] [Z], son épouse,
- de juger que M. [O] n'est pas titulaire de récompense envers la communauté pour le remboursement du prêt n°2364995 de 22.867,35 euros,
- de juger que la gratuité de l'occupation de M. [O] pendant la procédure de divorce était la contrepartie sine qua non du paiement du prêt immobilier, des charges et impositions et ne donne pas lieu à récompense,
- de juger que M. [O] a droit à une récompense s'agissant du prêt n°2364994 à compter du 10 juin 2017,
- de débouter M. [O] de toutes ses demandes au titre de son appel incident,
- de le condamner à lui payer la somme de 3.797,50 euros TTC au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
M. [B] [O], intimé :
Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 17 mars 2023 par lesquelles l'intimé demande à la cour :
- de le recevoir en son appel incident limité au montant de l'indemnité d'occupation et au rejet de sa demande tendant à voir fixer d'ores et déjà le montant de sa créance contre l'indivision,
- de déclarer irrecevable l'appel interjeté par Mme [M] en qualité d'héritière d'[Y] [M],
- de juger qu'il n'y a pas d'aveu de sa part sur le caractère de la somme virée sur son compte par [Y] [M] et son épouse, [E] [M], donnant lieu à remboursement,
- de juger que la preuve de la qualification de prêt de la somme ainsi virée n'est pas rapportée,
- de juger que, quelle que soit la qualification donnée à ce virement, toute demande de remboursement est prescrite,
- de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a :
- rejeté la demande formée par M. [Y] [M] au titre de son intervention volontaire, comme étant mal fondée,
- rejeté la demande de Mme [M] tendant à faire constater l'existence d'une créance de M. [Y] [M] à l'encontre de la communauté à hauteur de 22.867 euros,
- dit que M. [O] est titulaire d'une créance à l'encontre de l'indivision post-communautaire au titre du règlement des mensualités des emprunts immobiliers, des impositions foncières et des assurances grevant le bien indivis à compter du 1er mars 2016, et que cette créance devra être prise en compte dans le cadre des opérations de liquidation,
- rejeté la demande de Mme [M] aux fins de voir fixer la créance de M. [O] envers l'indivision à la somme de 28.675,81 euros,
- d'infirmer le jugement déféré en ce qu'il a :
- dit que le montant de l'indemnité d'occupation dont il est redevable est fixé à 680 euros,
- rejeté sa demande aux fins de voir sa créance contre l'indivision fixée aux sommes de 4.196,46 euros et 55.085,19 euros,
- statuant à nouveau :
- de fixer à 595 euros le montant de l'indemnité d'occupation dont il est redevable, jusqu'au partage définitif,
- en conséquence, de fixer à la somme de 37.901,50 euros le montant total de l'indemnité d'occupation dont il est redevable à l'égard de l'indivision pour la période du 10 juin 2017 au 30 septembre 2022, à parfaire jusqu'au partage définitif,
- de fixer à 69.823,79 euros le montant de sa créance à l'égard de l'indivision correspondant aux dépenses de conservation de l'immeuble commun (remboursement des emprunts, paiement des impôts fonciers et assurances) pour la période de mars 2016 à septembre 2022, à parfaire jusqu'au partage définitif,
- de condamner Mme [M] à lui payer la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, 'et aux entiers dépens de première instance et d'appel, dont distraction au profit de la SELARL Jurisdem,'
- 'de dire que les dépens de la procédure seront utilisés en frais privilégiés de la liquidation'.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se reporter aux dernières conclusions des parties pour un exposé détaillé de leurs prétentions et moyens.
MOTIFS DE L'ARRET
Sur la recevabilité de l'appel au regard des délais :
Il ne ressort d'aucun élément du dossier que l'appel interjeté par Mme [M] aurait pu être formé tardivement. Il est donc recevable en ce qui concerne les délais.
Sur la recevabilité de l'appel formé par Mme [M], ès qualités d'héritière de son père, [Y] [M] :
M. [O] demande à la cour de déclarer cet appel irrecevable dans la mesure où Mme [M] ne démontre pas qu'elle aurait accepté la succession d'[Y] [M], décédé le 18 novembre 2021.
Cependant, il convient de relever que M. [O] ne conteste aucunement la qualité d'héritière de Mme [M], fille du défunt.
Or, ainsi que l'indique l'appelante dans ses conclusions, l'article 724 du code civil dispose que les héritiers désignés par la loi sont saisis de plein droit des biens, droits et actions du défunt.
Un héritier peut donc exercer les droits et actions du défunt alors même qu'il n'a pas encore exercé l'option successorale prévue par l'article 768 du même code.
En conséquence, il n'y a pas lieu de déclarer irrecevable l'appel interjeté par Mme [M], ès qualités d'héritière d'[Y] [M].
Sur la créance d'[Y] [M] à l'égard de l'indivision :
Il ressort des pièces produites que le 9 novembre 2012, la somme de 22.867 euros a été virée sur un compte ouvert au nom de M. [O], en provenance d'un compte ouvert au nom de M. ou Mme [Y] [M]. La copie de l'ordre de virement était accompagnée d'un mot manuscrit libellé en ces termes : 'Ducos le 14/11/12. Chers enfants, bisous à tous. En vous souhaitant bonne réception. Papi x Mamie'.
Pour rejeter les demandes de Mme [M] et d'[Y] [M], qui soutenaient que cette somme correspondait à un prêt fait par ce dernier au profit de la communauté, le juge aux affaires familiales a retenu qu'ils échouaient à rapporter la preuve de l'existence du prêt allégué et du caractère remboursable de cette somme.
En cause d'appel, Mme [M] conteste cette analyse. Elle indique que si son père s'est trouvé dans l'impossibilité morale de se procurer un écrit pour prouver l'existence de ce prêt, le premier juge aurait dû tenir compte de l'aveu judiciaire contenu dans les premières conclusions de M. [O] en première instance, remises au greffe le 28 avril 2020, et, à défaut, des éléments de fait qui prouvent l'existence de ce prêt.
En réponse, M. [O] conteste l'existence d'un aveu judiciaire de l'existence d'un prêt dans ses premières conclusions. Il indique que sa déclaration sur ce point était erronée et équivoque. Pour le cas où elle serait néanmoins considérée comme un aveu, il soutient qu'il était en mesure de le rétracter car il avait commis une erreur de fait, rectifiée dès ses deuxièmes conclusions, et que les éléments du dossier démontrent que la somme remise était bien un don. Mais, en tout état de cause, il se prévaut de la prescription de la demande de remboursement au visa de l'article 2224 du code civil.
***
L'article 1359 du code civil dispose que l'acte juridique portant sur une somme ou une valeur excédant un montant fixé par décret doit être prouvé par écrit sous signature privée ou authentique.
L'article 1360 précise que cette règle reçoit exception en cas d'impossibilité matérielle ou morale de se procurer un écrit, s'il est d'usage de ne pas établir un écrit, ou lorsque l'écrit a été perdu par force majeure.
Par ailleurs, l'article 1362 dispose qu'il peut être suppléé à l'écrit par l'aveu judiciaire, le serment décisoire ou un commencement de preuve par écrit corroboré par un autre moyen de preuve.
En l'espèce, il est parfaitement établi qu'aucun écrit n'a été rédigé au moment du versement par les époux [M] de la somme de 22.867 euros à M. [O].
Cependant, compte tenu des relations familiales et de l'affection existant entre les parties, qui ressort des termes du mot d'accompagnement, les époux [M] se sont trouvés dans l'impossibilité morale de se procurer un écrit, quand bien même ils auraient entendu remettre cette somme à titre de prêt, et non de don.
Pour rapporter la preuve de cet acte juridique de prêt, Mme [M] se prévaut d'un aveu judiciaire de la part de M. [O].
Conformément aux dispositions de l'article 1383 du code civil, l'aveu est la déclaration par laquelle une personne reconnaît pour vrai un fait de nature à produire contre elle des conséquences juridiques. Il peut être judiciaire ou extrajudiciaire.
L'article 1838-2 précise que l'aveu judiciaire est la déclaration que fait en justice la partie ou son représentant spécialement mandaté. Il fait foi contre celui qui l'a fait. Il ne peut être divisé contre son auteur et il est irrévocable, sauf en cas d'erreur de fait.
En l'espèce, aux termes de ses conclusions responsives datées du 28 avril 2020, qui ont été remises au greffe dans le cadre de la première instance, M. [O] a expressément indiqué : 'C'est dans ce contexte que, le 9 novembre 2012, Monsieur [Y] [M] a consenti un prêt à la communauté'. Dans le dispositif de ses conclusions, M. [O] a donc expressément demandé au juge aux affaires familiales de 'dire et juger que l'indivision post-communautaire est redevable de la somme de 22.867 euros à l'égard de M. [Y] [M]'.
Dans ses conclusions postérieures, M. [O] n'a plus fait référence à un prêt mais à 'l'aide d'un grand-père soucieux du bien-être matériel de ses petits-enfants'.
Contrairement à ce qu'il soutient, il est parfaitement constant que le fait qu'un aveu judiciaire ne soit pas repris dans des conclusions postérieures n'empêche pas de l'invoquer à l'encontre de son auteur.
Par ailleurs, les termes de ses conclusions initiales concernant l'existence d'un prêt consenti à la communauté n'étaient en aucune façon équivoques.
Si M. [O] entend le rétracter, il doit rapporter la preuve d'une erreur de fait concernant la qualification à donner à la remise de cette somme et ne peut se contenter de l'alléguer.
A ce titre, ni le caractère affectueux de la note accompagnant l'ordre de virement, qui est adressée 'aux enfants', ni l'absence de demande de remboursement jusqu'à la présente instance ne suffisent à exclure le caractère remboursable de ce versement.
Le fait que les époux [M] aient pu par le passé aider financièrement Mme [M] et M. [O] en procédant pour eux au règlement de certaines sommes, comme l'a retenu le premier juge, ne saurait suffire à prouver que ce versement de 22.867 euros, dont le montant excède très largement l'aide préalablement apportée à hauteur de 2.256,25 euros et 3.353,88 euros, procédait d'une intention libérale.
Enfin, si M. [O] a fait délivrer une sommation interpellative à Mme [E] [Z] veuve [M] le 2 septembre 2022, quelques mois avant sa mort, aux termes de laquelle elle a répondu à l'huissier que la somme de 22.867 euros était un don, il convient de relever que Mme [N] [M] verse aux débats un certificat médical daté du 8 juin 2022 indiquant que Mme [Z] souffrait d'une altération de ses facultés mentales et qu'elle ne semblait plus en mesure de prendre des décisions adaptées au niveau bancaire et administratif.
Cet élément remet dès lors en cause la force probante qu'il convient d'attacher à cette sommation interpellative, d'autant plus que son contenu est strictement contraire à celui de l'attestation établie le 15 novembre 2019 par [Y] [M], produite en pièce 6 du dossier de l'appelante, qui affirmait qu'il avait prêté la somme de 22.687 euros à la demande de M. [O] pour rembourser un prêt relatif à la maison commune.
Dès lors, M. [O] échoue à rapporter la preuve d'une erreur de fait quand à la nature de la remise de la somme de 22.687 euros lui permettant de rétracter son aveu judiciaire relatif à l'existence d'un prêt.
La cour, à la différence du premier juge, retiendra donc que la somme en cause a bien été remise dans le cadre d'un prêt accordé à la communauté et qu'elle a vocation à être remboursée par cette dernière.
En ce qui concerne la prescription de cette créance, M. [O] soutient qu'elle est acquise dès lors qu'aucune demande de remboursement n'est intervenue dans le délai de cinq ans prévu par l'article 2224 du code civil.
Cependant, afin de pouvoir se prévaloir de cette prescription, il lui appartient de démontrer que le remboursement de ce prêt était exigible plus de cinq ans avant le demande formée par M. [Y] [M] dans ses conclusions d'intervenant volontaire du 16 avril 2021, ce qu'il échoue à faire, puisqu'il ne rapporte la preuve d'aucune modalité de remboursement de ce prêt.
En conséquence, il convient d'infirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté M. [Y] [M] et Mme [N] [M] de leurs demandes tendant à voir fixer le montant de la dette de la communauté au titre du remboursement de ce prêt et, statuant à nouveau, de dire que l'indivision post-communautaire est redevable de la somme de 22.867 euros à l'égard de la succession d'[Y] [M].
Sur la créance de M. [O] à l'égard de l'indivision post-communautaire:
Au visa des articles 255 6° et 815-13 du code civil, le juge aux affaires familiales a jugé que M. [O] était titulaire d'une créance envers l'indivision post-communautaire au titre du remboursement par ses soins des prêts ayant servi à l'acquisition du bien indivis, de la prise en charge de l'assurance et du paiement de la taxe foncière, à compter du 1er mars 2016. En revanche, il a débouté les parties de leurs demandes tendant à voir chiffrer cette créance, au motif que toutes les sommes dépensées ne pouvaient ouvrir droit à récompense et que le montant de cette dernière n'était pas définitif, puisqu'un prêt continuait d'être remboursé.
Mme [M] demande à la cour d'infirmer le jugement en ce qu'il a retenu que M. [O] pourrait se prévaloir d'une créance pour la période courant du 1er mars 2016, date de l'ordonnance de non conciliation, au 10 juin 2017, date à laquelle le jugement de divorce est passé en force de chose jugée, au motif que l'occupation à titre gratuit du logement avait nécessairement pour contrepartie le fait que M. [O] assumerait les charges afférentes au bien commun, sans pouvoir se prévaloir d'une créance.
Elle s'oppose également à ce qu'une créance soit reconnue à M. [O] au titre du remboursement du prêt de 22.867,35 euros, puisqu'elle affirme que ce remboursement a été opéré grâce aux fonds qui avaient été prêtés à la communauté par son père.
De son côté, M. [O] sollicite la confirmation du jugement déféré en ce qu'il a fixé le principe de sa créance à compter du 1er mars 2016, mais il sollicite son infirmation en ce que le premier juge a refusé de fixer le montant de cette créance.
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Sur la créance de M. [O] durant la période du 1er juin 2016 au 10 juin 2017 :
Conformément aux dispositions de l'article 255 6° du code civil, le juge conciliateur peut notamment désigner celui ou ceux des époux qui devront assumer le règlement provisoire de tout ou partie des dettes.
Par ailleurs, l'article 815-13 dispose que lorsqu'un indivisaire a amélioré à ses frais l'état d'un bien indivis, il doit lui en être tenu compte selon l'équité, eu égard à ce dont la valeur du bien se trouve augmentée au temps du partage ou de l'aliénation. Il doit lui être pareillement tenu compte des dépenses nécessaires qu'il a faites de ses deniers personnels pour la conservation desdits biens, encore qu'elles ne les aient point améliorés.
Constituent des dépenses nécessaires à la conservation du bien indivis les impôts locaux, l'assurance habitation, mais également, de manière constante, le remboursement des échéances des emprunts grevant le bien indivis.
En vertu de ces textes, lorsqu'un époux a été désigné dans le cadre de l'ordonnance de non conciliation pour assumer le règlement de telles dettes, les règlements ne restent pas à sa charge à titre définitif mais viennent ultérieurement à son crédit au titre des comptes d'indivision.
Cette règle ne reçoit exception que lorsque le juge aux affaires familiales prévoit, dans le cadre des mesures provisoires, que la prise en charge des dettes, notamment le remboursement de l'emprunt, constitue une modalité de paiement de la pension alimentaire due au titre du devoir de secours. Cependant, cette exception doit être expresse.
Or, en l'espèce, le juge aux affaires familiales a prévu, dans le cadre de l'ordonnance de non conciliation, que M. [O] se verrait attribuer la jouissance du domicile conjugal et du mobilier le garnissant à titre gratuit, à charge pour lui de régler les mensualités du crédit, les charges et impositions y afférentes, sans aucune autre précision.
La lecture de cette décision permet de constater que Mme [M] n'avait formé aucune demande au titre du devoir de secours.
En conséquence, c'est à bon droit que le premier juge a retenu que la prise en charge par M. [O], du 1er mars 2016 au 10 juin 2017, du remboursement des emprunts, du paiement de la taxe foncière et de l'assurance, ne devait pas rester à sa charge définitive mais lui ouvrait droit à une créance envers l'indivision.
Sur le remboursement du prêt de 22.867,35 euros :
Alors que si Mme [M] soutient que ce prêt aurait été remboursé grâce à la somme de 22.687 euros prêtée par son père, n'ouvrant droit à aucune créance au profit de M. [O], force est de constater, à la lecture des relevés de comptes qu'il produit, qu'il procède toujours au remboursement de ce crédit à hauteur de 488,60 euros par mois, par prélèvements sur son compte bancaire.
Dans ces conditions, c'est à bon droit que le premier juge a retenu qu'il disposait d'une créance envers l'indivision post-communautaire au titre du remboursement de ce prêt depuis le 1er mars 2016.
Sur la fixation du montant de la créance :
M. [O] demande à la cour de fixer le montant de sa créance envers l'indivision au titre du remboursement des prêts, du paiement des assurances et de la taxe foncière depuis le 1er mars 2016, jusqu'au 21 septembre 2022, en retenant la dépense faite.
Cependant, la cour de cassation rappelle, de manière constante, au visa de l'article 815-13 précité, que, pour le remboursement des impenses nécessaires à la conservation des biens indivis, il doit être tenu compte, selon l'équité, de la plus forte des deux sommes que représentent la dépense faite et le profit subsistant.
Il est constant que le profit subsistant au titre du remboursement de l'emprunt souscrit pour l'acquisition d'un bien indivis est égal à la contribution du patrimoine créancier du chef du remboursement de l'emprunt, rapportée à la valeur du bien au jour de son acquisition, le tout multiplié par la valeur du bien au jour de la liquidation.
Telle est la raison pour laquelle le premier juge a très justement rappelé que l'époux ayant réglé le crédit n'avait pas nécessairement vocation à être indemnisé à hauteur de l'intégralité des sommes versées.
Dans la mesure où M. [O] ne produit pas d'éléments suffisants pour déterminer la valeur du bien au jour de son acquisition, dès lors qu'il s'agit d'un terrain sur lequel a été édifiée une maison, la cour ne dispose pas des éléments nécessaires pour procéder au calcul du profit subsistant et, partant, pour déterminer le montant de sa créance, qui doit correspondre, en tenant compte de l'équité, à la plus forte des deux sommes que représentent la dépense faite et le profit subsistant.
En conséquence, il convient, avant dire droit, d'inviter les parties à faire valoir leurs observations sur ce point et à produire tous les éléments nécessaires à la détermination de la créance de M. [O] conformément au calcul précédemment indiqué. Sur ce seul point, les débats seront repris dans le cadre de la mise en état, l'ordonnance de clôture étant en conséquence révoquée.
Sur l'indemnité d'occupation :
Conformément aux dispositions de l'article 815-9 du code civil, 'chaque indivisaire peut user et jouir des biens indivis conformément à leur destination, dans la mesure compatible avec le droit des autres indivisaires et avec l'effet des actes régulièrement passés au cours de l'indivision. A défaut d'accord entre les intéressés, l'exercice de ce droit est réglé, à titre provisoire, par le président du tribunal.
L'indivisaire qui use ou jouit privativement de la chose indivise est, sauf convention contraire, redevable d'une indemnité.'
En l'espèce, après s'être vu attribuer la jouissance du domicile conjugal, qui dépend désormais de l'indivision post-communautaire, à titre gratuit durant la procédure de divorce, M. [O] est redevable d'une indemnité depuis le 10 juin 2017, date à laquelle le jugement de divorce est passé en force de chose jugée, jusqu'au partage définitif.
Les parties sont d'accord sur la valeur locative de ce bien, évaluée à 850 euros par mois.
Elles admettent également que l'indemnité d'occupation doit être déterminée en appliquant un coefficient de réduction à la valeur locative du bien, afin de tenir compte du caractère précaire de l'occupation du copropriétaire indivis, dont le statut est moins protecteur que celui d'un locataire.
En revanche, elles s'opposent sur le coefficient de réduction à appliquer, Mme [M] sollicitant la confirmation du jugement déféré en ce qu'il a retenu un coefficient de 20%, et M. [O] sollicitant l'application d'un coefficient de 30%.
A cette fin, il fait valoir qu'il occupe le bien avec les deux enfants du couple, désormais majeurs, qui ont été à sa charge exclusive depuis la séparation puisque Mme [M] a toujours refusé que la résidence alternée qui avait été fixée par le juge aux affaires familiales dans le cadre de l'ordonnance de non conciliation, puis reconduite dans le cadre du divorce, soit mise en oeuvre.
Contrairement à ce que soutient Mme [M], il est admis de manière constante que la présence des enfants peut amener le juge à réduire, voire à supprimer, l'indemnité pour jouissance privative due par l'époux occupant, cette réduction constituant alors une modalité d'exécution, par l'époux avec lequel les enfants ne résident pas, de son devoir de contribuer à leur entretien et à leur éducation. Cette possibilité n'est pas limitée à la présence d'enfants mineurs.
En l'espèce, il n'est pas contesté que la résidence alternée qui avait été ordonnée, tant dans le cadre de l'ordonnance de non conciliation que dans le cadre du jugement de divorce, n'a jamais été mise en oeuvre et que les deux enfants du couple ont toujours résidé avec M. [O] dans le logement familial.
Dans la mesure où, en raison de la résidence alternée, aucune contribution à leur entretien et à leur éducation n'avait été prévue, Mme [M] s'est trouvée dispensée de toute contribution financière durant de nombreuses années.
M. [O] démontre, par les pièces qu'il produit, que [I] et [P] sont toujours à charge, et il n'est pas contesté qu'ils vivent toujours avec lui dans le bien indivis.
En conséquence, il convient d'infirmer le jugement déféré en ce qu'il a fixé le montant de l'indemnité d'occupation dont il est redevable depuis le 10 juin 2017 à 680 euros par mois et, après mise en oeuvre d'un coefficient de réduction de 30 %, de fixer ce montant à 595 euros par mois.
Il n'y a pas lieu, ainsi qu'il le demande, de fixer le montant provisoire de la créance de M. [O] arrêtée au 30 septembre 2022, dès lors que ce montant évoluera, sur les bases précédemment indiquées, jusqu'au partage définitif.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile :
Compte tenu de la réouverture des débats ordonnée, les demandes formées à ce titre seront réservées en fin de cause.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Déclare recevable l'appel formé par Mme [N] [M], tant en son nom personnel qu'en sa qualité d'héritière de M. [Y] [M],
Dans les limites de l'appel principal et de l'appel incident,
Infirme le jugement déféré en ce qu'il a :
- rejeté la demande formée par M. [Y] [M] au titre de son intervention volontaire, comme étant mal fondée,
- rejeté la demande de Mme [M] tendant à faire constater l'existence d'une créance de M. [Y] [M] à l'encontre de la communauté à hauteur de 22.867 euros,
- dit que le montant de l'indemnité d'occupation due par M. [O] est fixé à 680 euros,
Statuant à nouveau de ces chefs,
Dit que l'indivision post-communautaire est redevable de la somme de 22.867 euros envers la succession d'[Y] [M],
Dit que le montant de l'indemnité d'occupation due par M. [O] est fixé à 595 euros par mois depuis le 10 juin 2017,
Confirme le jugement déféré en ce qu'il a dit que M. [O] est titulaire d'une créance à l'encontre de l'indivision post-communautaire au titre du règlement des mensualités des deux emprunts immobiliers, des impositions foncières et des assurances grevant le bien indivis à compter du 1er mars 2016, et que cette créance devra être prise en compte dans le cadre des opérations de liquidation,
Sursoit à statuer pour le surplus,
Ordonne la réouverture des débats en ce qui concerne le calcul de la créance de M. [O] à l'égard de l'indivision post-communautaire,
Révoque par suite l'ordonnance de clôture du 15 mai 2023 et renvoie cause et parties à la mise en état,
Dit que l'affaire sera appelée à l'audience virtuelle de mise en état du 20 novembre 2023 à 9 heures,
Invite les parties à faire valoir leurs observations sur le moyen relevé d'office tiré des modalités de calcul de la créance de M. [O] à l'égard de l'indivision post-communautaire qui doit correspondre, en tenant compte de l'équité, à la plus forte des deux sommes que représentent la dépense faite et le profit subsistant,
Invite les parties à produire tous les éléments nécessaires à la détermination du profit subsistant, qui est égal à la contribution du patrimoine créancier du chef du remboursement de l'emprunt, rapportée à la valeur du bien au jour de son acquisition, le tout multiplié par la valeur du bien au jour de la liquidation, et notamment tous les éléments permettant la détermination de la valeur du bien au jour de son acquisition,
Réserve en fin de cause les demandes formées au titre des frais irrépétibles et des dépens de l'instance d'appel.
Et ont signé,