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Décisions

CA Grenoble, ch. com., 28 septembre 2023, n° 22/01447

GRENOBLE

Arrêt

Autre

CA Grenoble n° 22/01447

28 septembre 2023

N° RG 22/01447 - N° Portalis DBVM-V-B7G-LKAL

C1

Minute N°

Copie exécutoire

délivrée le :

la SELARL COUTTON GERENTE LIBER MAGNAN

la SELARL SELARL RETEX AVOCATS

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE GRENOBLE

CHAMBRE COMMERCIALE

ARRÊT DU JEUDI 28 SEPTEMBRE 2023

Appel d'un jugement (N° RG 21/00002)

rendu par le TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de VALENCE

en date du 03 mars 2022

suivant déclaration d'appel du 11 avril 2022

APPELANTE :

S.C.I. ANGIE immatriculée au RCS de ROMANS sous le n° 824 448 831, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège.

[Adresse 9]

[Localité 3]

représentée par Me Maryline U'REN-GERENTE de la SELARL COUTTON GERENTE LIBER MAGNAN, avocat au barreau de GRENOBLE

INTIMÉE :

S.A.R.L. DUCROS CONTROLE immatriculée au RCS de ROMANS sous le n°440 517 597, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 5]

[Localité 4]

représentée par Me Céline CASSEGRAIN de la SELARL SELARL RETEX AVOCATS, avocat au barreau de VALENCE

COMPOSITION DE LA COUR :

LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Madame Marie-Pierre FIGUET, Présidente,

Mme Marie-Pascale BLANCHARD, Conseillère,

M. Lionel BRUNO, Conseiller,

Assistés lors des débats de Alice RICHET, Greffière,

DÉBATS :

A l'audience publique du 31 mai 2023, Mme BLANCHARD, conseillère, a été entendue en son rapport,

Les avocats ont été entendus en leurs conclusions,

Puis l'affaire a été mise en délibéré pour que l'arrêt soit rendu ce jour,

EXPOSE DU LITIGE :

Par acte sous seing privé du 1er juillet 2002, la SCI Navarro JE a donné à bail commercial à la SARL Contrôle Technique des Basseaux des locaux à usage commercial situés dans la zone artisanale [Adresse 8], pour une durée de neuf ans et moyennant un loyer annuel de 9156 euros hors taxes et hors charges.

Par acte authentique du 29 décembre 2016, la SCI Angie a fait l'acquisition des locaux loués.

Par acte d'huissier du 30 mai 2017, la bailleresse a fait délivrer à la SARL Contrôle Technique des Basseaux un congé avec offre de renouvellement du bail à compter du 1er janvier 2018, aux conditions antérieures, sauf fixation du loyer à 22.800 euros ht et hc.

Après notification d'un mémoire préalable daté du 18 décembre 2019 demeuré sans réponse, la SCI Angie a fait assigner la SARL Ducros Contrôle devant le juge des loyers commerciaux par acte d'huissier du 30 août 2021, aux fins de fixation du prix du bail.

Suivant acte du 7 mai 2021, la SARL Contrôle Technique des Basseaux, nouvellement dénommée «Ducros Contrôle», a cédé son fonds artisanal à la SARL A. Ducros Auto Contrôle.

Par jugement du 3 mars 2022, le juge des loyers commerciaux du tribunal judiciaire de Valence a :

- déclaré irrecevable l'action engagée par la SCI Angie à l'encontre de la société ayant pour raison sociale Ducros Contrôle et exerçant son activité sous l'enseigne SARL Contrôle Technique des Basseaux,

- condamné la SCI Angie à payer à la société ayant pour raison sociale Ducros Contrôle et exerçant son activité sous l'enseigne SARL Contrôle Technique des Basseaux, une indemnité de 1000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- rejeté toute prétention plus ample de la SARL Ducros Contrôle,

- condamné la SCI Angie aux dépens de l'instance.

Suivant déclaration au greffe du 11 avril 2023, la SCI Angie a relevé appel de cette décision en toutes ses dispositions, telles qu'elle les a énumérées dans son acte d'appel.

Prétentions et moyens de la SCI Angie :

Au terme de ses dernières écritures notifiées le 6 décembre 2022, la SCI Angie demande à la cour de :

- dire et juger recevable et bien fondé l'appel interjeté par la SCI Angie ;

- infirmer le jugement en toutes ses dispositions,

- statuant à nouveau :

- juger recevable l'action intentée par la SCI Angie contre la société Ducros Contrôle ;

- à titre principal :

- fixer à 22.800 euros charges et TVA en sus soit 1.900 euros charges et TVA en sus, le montant du loyer annuel des locaux à usage commercial sis [Adresse 10] à compter du 1er janvier 2018, les autres clauses et conditions du bail demeurant inchangées ;

- ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir ;

- à titre subsidiaire :

- désigner tel expert qu'il lui plaira avec pour mission de déterminer le montant de la valeur locative de l'immeuble considéré,

- fixer le montant du loyer provisionnel dû pendant l'expertise à la somme de 22.800 euros ht annuellement en principal,

- en tout état de cause :

- débouter la SARL Ducros Contrôle de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions,

- condamner la SARL Ducros Contrôle au paiement de la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens d'instance.

La SCI Angie fait valoir que le bail comporte une clause de garantie solidaire du cédant en cas de cession du fonds exploité dans les locaux loués et soutient qu'elle est recevable à agir contre la société Ducros Contrôle aux motifs que :

- l'obligation de garantie se distingue d'un cautionnement et nonobstant la cession de son fonds artisanal, la société Ducros Contrôle reste intéressée à la fixation du loyer du bail renouvelé,

- la fixation du loyer rétroagit à la date d'effet du nouveau bail soit le 1er janvier 2018 et elle ne pourra réclamer paiement des loyers antérieurs à la cession qu'à la société Ducros Contrôle,

- elle a valablement interrompu le délai de prescription par l'envoi de son mémoire le 17 décembre 2019 et l'assignation délivrée le 30 août 2021,

- la société Ducros Contrôle reste tenue à son égard du bon paiement du loyer après la cession de son fonds.

Concernant le montant du loyer, elle se prévaut de la durée du bail supérieure à douze années pour revendiquer le déplafonnement et la fixation à la valeur locative.

Elle fait état de l'évolution à la baisse de cette dernière rendant inutile la recherche de l'évolution notable des facteurs locaux de commercialité, et de quatre estimations émanant d'agences immobilières.

Prétentions et moyens de la société Ducros Contrôle :

Selon ses dernières conclusions notifiées le 21 avril 2023, la société Ducros Contrôle entend voir :

- à titre principal,

- confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré irrecevable l'action engagée par la SCI Angie à l'encontre de la société ayant pour raison sociale Ducros Contrôle et exerçant son activité sous l'enseigne SARL Contrôle Technique des Basseaux et l'a condamnée à lui verser la somme de 1.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens de l'instance,

- à titre subsidiaire,

- déclarer la SCI Angie mal fondée à agir à l'encontre de la SARL Ducros Contrôle,

- débouter la SCI Angie de l'ensemble de ses demandes,

- à titre infiniment subsidiaire,

- dire et juger que la SCI Angie supportera définitivement les frais d'expertise judiciaire, qu'elle aurait dû engager avant de saisir la présente juridiction,

- en tout état de cause,

- condamner la SCI Angie à verser à la SARL Ducros Contrôle la somme de 3.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.

La société Ducros Contrôle soutient que l'action en fixation du loyer est irrecevable à son encontre aux motifs que :

- l'acte de cession de son fonds artisanal a été signifié à la bailleresse appelée à y concourir, le rendant ainsi opposable à la SCI Angie,

- par cette signification, le cessionnaire est devenu seul preneur à bail,

- l'obligation de garantie ne porte que sur le paiement des loyers et de ses accessoires,

- à la date de son assignation, la bailleresse ne justifie d'aucune créance à l'encontre de la société Auto Contrôle,

- elle a été assignée en qualité de preneur en fixation du loyer et non de garant,

- la bailleresse a adressé un mémoire préalable à la SARL A. Ducros Auto Contrôle avant de la faire assigner en fixation du loyer le 6 juillet 2022, reconnaissant ainsi que son action ne pouvait être engagée qu'à l'encontre de cette dernière,

- il s'agit d'un aveu judiciaire irrévocable.

Elle ajoute que l'article L.145-16-1 du code de commerce impose au bailleur d'informer le cédant de tout défaut de paiement du locataire dans le délai d'un mois de la date d'exigibilité sous peine de perte du bénéfice de la clause de garantie.

Elle considère qu'en application de l'article 2243 du code civil, l'assignation délivrée le 30 août 2021 n'a pas valablement interrompu la prescription puisqu'elle a été déclarée irrecevable, sa demande étant ainsi définitivement rejetée.

A titre subsidiaire, elle fait valoir qu'en vertu de l'article L.145-16-1 du code de commerce, la bailleresse a perdu son recours en paiement contre elle, que les évaluations d'agences immobilières ne peuvent être retenues à défaut d'avoir été précédées d'une visite des locaux et d'être circonstanciées.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se référer aux conclusions susvisées pour un plus ample exposé des moyens des parties.

La procédure a été clôturée par ordonnance du 27 avril 2023.

MOTIFS DE LA DECISION :

1) sur la fin de non recevoir tirée du défaut de qualité pour agir de la société Ducros Contrôle :

Le congé avec offre de renouvellement a été délivré le 30 mai 2017 à la société Contrôle Technique des Basseaux, devenue Ducros Contrôle, pour prendre effet le 31 décembre 2017.

A cette date, elle était toujours locataire et occupante des locaux, la cession de son fonds de commerce n'étant intervenue que le 7 mai 2021.

La fixation du loyer du nouveau bail devant rétroagir à la date de sa prise d'effet, le 1er janvier 2018, et la société Ducros Contrôle restant tenue en sa qualité de locataire, du paiement des loyers entre la date de renouvellement du bail et la vente de son fonds, il est indifférent qu'elle ait été à jour de leur règlement à la date de la cession, de même que l'acte de cession contienne une clause selon laquelle le cessionnaire est informé de la procédure en fixation du loyer devant être poursuivie à son encontre et déclare en faire son affaire sans recours contre son cédant.

En outre, la clause du bail constituant le locataire cédant garant solidaire, à l'égard du bailleur, du paiement des loyers et de l'exécution des conditions du bail par son cessionnaire, si elle n'est appelée à jouer que pour la période postérieure à la cession, constitue un motif supplémentaire pour attraire la société Ducros Contrôle à l'instance en fixation du loyer.

En conséquence, la société Ducros Contrôle a qualité pour défendre à cette instance et l'action engagée à son encontre est recevable.

Le jugement sera infirmé.

2°) sur la fin de non recevoir tirée de la prescription :

En application des dispositions de l'article L.145-60 du code de commerce, toutes les actions exercées en vertu des dispositions relatives au statut des baux commerciaux, se prescrivent par deux ans.

Concernant l'action en fixation du prix du bail renouvelé consécutive au congé délivré par le bailleur avec offre de renouvellement moyennant une modification du prix, le délai a pour point de départ le jour de la prise d'effet du nouveau bail, soit en l'espèce le 1er janvier 2018.

Le mémoire délivré par lettre recommandée du 18 décembre 2019 avec avis de présentation en date du 21 décembre suivant et de réception du 7 janvier 2020, a été suivi d'une saisine du juge des loyers commerciaux. Il a donc valablement interrompu la prescription de l'article L.145-60 du code de commerce.

L'assignation ayant été signifiée le 30 août 2021, soit avant l'expiration du délai de la prescription biennale, la demande en fixation du prix du bail renouvelé est recevable comme non atteinte par la prescription.

3°) sur la fixation du loyer du bail renouvelé :

Conformément aux dispositions de l'article L.145-33 du code de commerce, le montant des loyers des baux renouvelés doit correspondre à la valeur locative qui se détermine en fonction des caractéristiques des locaux, leur destination, les obligations des parties, les facteurs locaux de commercialité et les prix couramment pratiqués dans le voisinage, ces éléments s'appréciant dans les conditions énoncées par les article R.145-3 à R.145-11 du même code.

De plus, au cas particulier, par l'effet de sa prolongation tacite après son terme, le 30 juin 2011, la durée du bail excède douze années ce qui est de nature à entraîner le déplafonnement du loyer.

Si la SCI Angie verse aux débats quatre estimations de loyers réalisées par des agences immobilières et se référant à des locaux similaires, elles ne mettent pas en œuvre les principes gouvernant la détermination de la valeur locative.

Il y a donc lieu d'ordonner une mesure d'expertise avant dire droit, selon les modalités précisées au dispositif de l'arrêt.

PAR CES MOTIFS

La Cour statuant publiquement, contradictoirement, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile, après en avoir délibéré conformément à la loi,

INFIRME le jugement du juge des loyers commerciaux du tribunal judiciaire de Valence en date du 3 mars 2022, en toutes ses dispositions soumises à la cour,

statuant à nouveau,

DECLARE recevable l'action de la SCI Angie à l'encontre de la SARL Ducros Contrôle en fixation du loyer du bail renouvelé,

ORDONNE avant dire droit une mesure d'expertise,

DESIGNE en qualité d'expert Mme [X] [D] épouse [C],

[Adresse 6]

Tél : [XXXXXXXX01] Port. : [XXXXXXXX02]

Mèl : [Courriel 7]

avec mission, les parties ayant été convoquées et dans le respect du principe du contradictoire, de :

- se faire communiquer tous documents et pièces nécessaires à l'accomplissement de sa mission,

- visiter les lieux situés zone artisanale [Adresse 8], les décrire,

- déterminer la valeur locative des locaux donnés à bail en tenant compte des caractéristiques des locaux, de leur destination, des obligations des parties, des facteurs locaux de commercialité, des prix couramment pratiqués dans le voisinage et de leur évolution depuis la fixation initiale du loyer jusqu'au 1er janvier 2018,

DIT que l'expert effectuera sa mission conformément aux dispositions des articles 263 et suivants du code de procédure civile et déposera son rapport au greffe de la cour d'appel de Grenoble au plus tard le 30 mars 2024,

FIXE à la somme de 2000 euros la provision à valoir sur la rémunération de l'expert,

DIT que cette somme devra être consignée par la SCI Angie auprès de la Régie de la cour d'appel de Grenoble avant le 30 octobre 2023,

DIT que, faute de consignation de la provision dans ce délai, la désignation de l'expert sera caduque et privée de tout effet,

DESIGNE le conseiller de la mise en état de la chambre commerciale de la cour d'appel de Grenoble, en qualité de magistrat chargé du suivi de l'expertise,

RENVOIE l'affaire à l'audience de mise en état du jeudi 04 avril 2024 à 09 heures.

SURSEOIT à statuer sur les dépens et les demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile

SIGNÉ par Mme FIGUET, Présidente et par Mme RICHET, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La Greffière La Présidente