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Décisions

CA Papeete, cabinet d, 12 octobre 2023, n° 21/00313

PAPEETE

Arrêt

Autre

CA Papeete n° 21/00313

12 octobre 2023

N° 376

GR

--------------

Copie exécutoire

délivrée à :

- Me Quinquis,

le 12.10.2023.

Copie authentique

délivrée à :

- Me Maisonnier,

le 12.10.2023.

REPUBLIQUE FRANCAISE

COUR D'APPEL DE PAPEETE

Chambre Civile

Audience du 12 octobre 2023

RG 21/00313 ;

Décision déférée à la Cour : jugement n° 53 - 3, rg n° 19/01 du Tribunal de Première Instance de Papeete, section détachée de Nuku-Hiva, du 7 avril 2021 ;

Sur appel formé par requête déposée et enregistrée au greffe de la Cour d'appel le 19 août 2021 ;

Appelante :

Mme [L] [B] épouse [K], née le 19 septembre 1937 à [Localité 6], de nationalité française, demeurant à [Localité 2] - [Localité 6] ;

Ayant pour avocat la Selarl Jurispol, représenté par Me Robin QUINQUIS, avocat au barreau de Papeete ;

Intimés :

M. [X] [A] [S], né le 27 septembre 1972 à [Localité 4], de nationalité française, [Adresse 3] - [Localité 2] ;

Mme [J] [G], née le 21 août 1981 à [Localité 2] ([Localité 6]), de nationalité française, BP 223 - [Localité 2] ;

Représentés par Me Michèle MAISONNIER, avocat au barreau de Papeete ;

Ordonnance de clôture du 28 avril 2023 ;

Composition de la Cour :

La cause a été débattue et plaidée en audience publique du 8 juin 2023, devant M. RIPOLL, conseiller désigné par l'ordonnance n° 57/OD/PP.CA/22 du premier président de la Cour d'Appel de Papeete en date du 7 novembre 2022 pour faire fonction de président dans le présent dossier, Mme BRENGARD, président de chambre, Mme TISSOT, vice-présidente placée auprès du premier président, qui ont délibéré conformément à la loi ;

Greffier lors des débats : Mme SUHAS-TEVERO ;

Arrêt contradictoire ;

Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 264 du code de procédure civile de Polynésie française ;

Signé par M. RIPOLL, président et par Mme SUHAS-TEVERO, greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

A R R E T,

FAITS, PROCÉDURE ET DEMANDES DES PARTIES :

[L] [B] épouse [K] a assigné [A] [S] et [J] [G] aux fins d'annulation de la vente d'un terrain pour vice du consentement.

Par jugement rendu le 7 avril 2021, le juge de la section détachée de Nuku-Hiva du tribunal de première instance de Papeete a :

débouté [L] [B] veuve [K] de l'ensemble de ses prétentions fins et conclusions,

rejeté tous les .autres chefs de demandes plus amples ou contraires,

condamné [L] [B] veuve [K] à payer à Monsieur [A] [D] [S] et [J] [G] la somme de 300 000 FCP sur le fondement de l'article 407 du Code de Procédure civile de la Polynésie française,

condamné [L] [B] veuve [K] aux entiers dépens de l'instance.

[L] [B] épouse [K] a relevé appel par requête enregistrée au greffe le 19 août 2021.

Il est demandé :

1° par [L] [B] épouse [K], appelante, dans ses dernières conclusions visées le 27 janvier 2023, de :

Vu les articles 1108, 1109, 1116, 1591 et 1674 du code civil,

Infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 7 avril 2021 par le Tribunal civil de première instance de PAPEETE section détachée de NUKU HIVA ;

Dire et juger que la vente par [L] [B] épouse [K] de la parcelle dépendante de la terre [N] figurant au cadastre sous les références Section DI [Cadastre 1] pour une contenance de 7 ha 21 a 91 ca sise à [Localité 6] à [A] [D] [S] et [J] [G] signée le 29 avril 2016 est entachée de nullité pour vice de consentement, subsidiairement pour lésion et de façon infiniment subsidiaire pour prix dérisoire ;

En conséquence, prononcer l'annulation de la vente de la parcelle DI [Cadastre 1] par acte notarié en date du 29 avril 2016, entre Madame [L] [B] épouse [K] d'une part, et Monsieur [A] [D] [S] et Mademoiselle [J] [G] d'autre part ;

Ordonner la transcription de la décision à intervenir aux frais de [A] [D] [S] et de [J] [G] ;

Condamner solidairement Monsieur [A] [D] [S] et Mademoiselle [J] [G] à verser à Madame [L] [B] épouse [K] la somme de 4.000.000 XPF à titre de dommages et intérêts ;

Condamner solidairement Monsieur [A] [D] [S] et Mademoiselle [J] [G] à verser à Madame [L] [B] épouse [K] la somme de 2.500.000 XPF à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral ;

Condamner solidairement Monsieur [A] [D] [S] et Mademoiselle [J] [G] à verser à Madame [L] [B] épouse [K] la somme de 600.000 XPF au titre des frais irrépétibles en application de l'article 407 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance ;

2° par [A] [S] et [J] [G], intimés, dans leurs conclusions récapitulatives visées le 27 octobre 2022, de :

Vu les éléments de la cause, vu les pièces produites aux débats, vu les auditions de Madame [L] [B] veuve [K], de Madame [I] [T] [K], et de Madame [J] [G] par la brigade des [Localité 5]-CENTRE, vu l'audition de Mme [P] [U], 2me adjoint au Maire, vu l'audition d'[Y] dit [Z] [K], vu le procès-verbal de synthèse de la gendarmerie nationale, Compagnie des Archipels, vu les articles 1108 et 1116 du code civil,

Considérant qu'il ressort clairement des déclarations de Madame [L] [B] veuve [K] du 3 février 2017 devant la BTA de [Localité 6], qu'elle a décidé de vendre une parcelle de 7 hectares de la terre [C], sise sur l'île de [Localité 6], c'est-à-dire «la part» devant revenir à sa fille [I] [T] [K] pour rembourser ses dettes,

Considérant qu'il ressort des déclarations de [I] [T] [K] du 20 novembre 2017 devant la BTA [Localité 5] CENTRE qu'elle a été d'accord de vendre au prix de 4.000.000 FCP du fait des frais à exposer pour délimiter le terrain,

Considérant dès lors qu'il est clair qu'il y a eu un accord sur la superficie de la parcelle correspondant à la part dont devait hériter [I] [T] [K] et son prix de vente,

Considérant que ce n'est qu'a postériori, après la réconciliation entre Madame [L] [B] veuve [K] et son fils aîné, [Z] qui apparaît gérer les affaires de terre familiales, que cette dernière, culpabilisant, a porté plainte du chef d'abus de faiblesse prétendant avoir été abusée par les intimés,

Considérant que c'est, a posteriori, qu'elle vient soutenir que la parcelle, objet de la vente, devait porter seulement sur 1.000 m2,

Considérant que cette superficie ressort de l'estimation du prix de vente par l'agent immobilier Monsieur [R], le 7 mars 2017, qui a évalué le prix du m2 de la parcelle vendue à 400 FCP le m2,

Considérant que ceci est patent puisque, interrogée, Madame [L] [B] veuve [K] par la BTA [Localité 5] CENTRE, à la question : avant la mise en vente d'une parcelle de votre terre [C], connaissez-vous la surface de la parcelle que vous avez prévue de léguer à votre fille [I] [T], elle a répondu : «Je ne sais pas. J'ai fait un testament au nom de mes enfants, libre à eux de faire le partage de la terre [C]»,

Considérant d'ailleurs que lors de son audition, le 2 décembre 2017, par la BTA DES [Localité 5] CENTRE, elle a déclaré : «Ce qui a été convenu entre [A] et moi-même, c'était de vendre la parcelle de ma fille [T] ([I]). Celle-ci a des problèmes d'argent et c'est pour cela que je voulais vendre sa parcelle de terre. Je la vendais pour 4 millions»,

Considérant que cette déclaration fait foi de l'accord sur le prix et la chose,

Considérant dès lors que Madame [L] [B] veuve [K] n'établit pas que son consentement a été vicié et qu'elle aurait été victime d'un dol de la part des intimés,

Vu les articles 1674 et 1675 du code civil,

Considérant concernant la lésion invoquée, outre qu'elle est forclose, l'appelante n'établit pas le prix réel de la terre par la seule production non contradictoire d'une estimation d'un agent immobilier pressenti pour les besoins de la cause et qui n'apparaît pas s'être déplacé sur le site,

Par suite,

Débouter Madame [L] [B] veuve [K] de sa requête d'appel et de toutes ses prétentions, fins et conclusions ;

Confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

Condamner Madame [L] [B] veuve [K] à payer aux intimés, par application de l'article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française, la somme de 400.000 FCP au titre de la procédure d'appel ;

La condamner aux entiers dépens dont distraction.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 28 avril 2023.

Il est répondu dans les motifs aux moyens et arguments des parties, aux écritures desquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

L'appel a été interjeté dans les formes et délais légaux. Sa recevabilité n'est pas discutée.

Le jugement dont appel a retenu que :

-Il résulte de l'article 1116 du Code civil, dans sa version toujours applicable à la Polynésie française, que le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manœuvres pratiquées par l'une des parties sont telles, qu'il est évident que, sans ces manœuvres, l'autre partie n'aurait pas contracté. Il ne se présume pas, et doit être prouvé.

-Par ailleurs, il résulte de l'article 4 du code de procédure civile de la Polynésie française que les parties ont la charge d'établir conformément à la loi, la preuve des faits propres à justifier leurs demandes sous le contrôle du juge.

-Pour constituer un vice du consentement de nature à entraîner la nullité de la vente, il faut et il suffit que l'erreur provoquée par le dol ait déterminé le contractant victime à conclure la vente dans les termes où elle l'a été. Autrement dit, il faut et il suffit que la victime établisse que, sans les manœuvres, sans le mensonge ou sans le silence délibéré de son cocontractant, elle n'aurait pas vendu ou pas acheté le bien objet du contrat, ou du moins n'aurait pas conclu la vente aux conditions où elle a eu lieu. Il ressort de l'article 1116 que des «manœuvres» commises par l'un des contractants doivent être à l'origine de l'erreur commise par l'autre. La question de savoir si l'attitude d'un partenaire pour amener l'autre à contracter relève du texte est soumise au contrôle de la Cour de cassation (Civ. 30 mai 1927, DH 1927. 416). Il est entendu que la simple insistance pour convaincre un propriétaire de vendre son fonds de commerce n'est pas constitutive d'une manœuvre illicite, dès lors qu'elle consiste uniquement dans de fréquentes démarches de l'acquéreur et ne s'accompagne pas d'artifices, de fraude, de mensonges ou de tromperie (Com. 2 juin 1981, Bull. civ. IV, no 259).

-En l'espèce, Madame [L] [B] veuve [K] soutient qu'une fausse procuration lui aurait été extorquée, en vue de faire procéder, hors sa présence, à la vente non pas de 1000 m2 mais de l'intégralité de la terre de 7 hectares et pour le même prix convenu de 4 000 000 XPF. Elle ne rapporte la preuve d'aucun acte susceptible d'établir la matérialité de ses accusations, se contentant de faire valoir son âge (79 ans) et son manque de maîtrise de la langue française pour expliquer le caractère contraint de sa signature dans la procuration pour vendre établie le 11 avril 2016 par devant le commandant de gendarmerie de POU faisant fonction de Notaire. Elle n'était notamment pas accompagnée par un des acheteurs lors de l'établissement de cette procuration dont il n'est pas permis de douter qu'elle a été relue à l'intéressée par le commandant de gendarmerie. Il doit être relevé qu'aucun des contractants n'était présent lors de l'établissement de l'acte de vente notarié du 29 avril 2016, toutes les parties ayant donné procuration. Il n'est pas contesté, en outre, que c'est la propre fille de la demanderesse, Mme [I] [K], qui en janvier 2015, a pris l'initiative de démarcher le futur acquéreur, Monsieur [A] [D] [S]. De janvier 2015 à avril 2016, il n'est pas établi qu'il y ait eu de quelconques pressions des acquéreurs visant contraindre le consentement de Madame [L] [B] veuve [K]. Des attestations versées aux débats, même reçues avec précaution quant au contenu, il peut être déduit que les enfants de la demanderesse [I] et [F] [K] ont pris fréquemment attache avec les acquéreurs en se rendant au poste de police municipale. Autre élément qu'il est intéressant de noter, c'est qu'à l'occasion de son audition devant les gendarmes à l'occasion de son dépôt de plainte le 3 février 2017, Madame [L] [B] veuve [K] n'a fait montre d'aucune difficulté d'expression ou de compréhension. Elle a été capable, bien que non accompagnée, d'exposer les faits dans leur complexité et de signer sa déposition après relecture en langue française. Enfin, il résulte des propres déclarations de Madame [L] [B] veuve [K] devant les gendarmes que Monsieur [S] [A] a souhaité lui rendre son bien en échange de l'argent qu'il avait versé, ce qui apparaît comme un témoignage de bonne foi des acquéreurs. Elle a précisé qu'elle n'était plus en possession de cet argent qui avait servi à rembourser des crédits, ce qui tend à accréditer la thèse des défendeurs sur les motifs du présent litige.

-Dès lors, en l'absence de preuve de l'existence de manœuvres frauduleuses caractérisant le dol ayant vicié le consentement de Madame [L] [B] veuve [K], la demande introduite de ce chef ne pourra qu'être rejetée. En conséquence, Madame [L] [B] veuve [K] sera déboutée de l'ensemble de ses prétentions fins et conclusions.

Les moyens d'appel sont : contrairement à ce qu'a retenu le premier juge, l'enquête préliminaire a établi que ce sont les acquéreurs qui ont présenté les actes et l'appelante n'en a jamais eu lecture ; le gendarme faisant office de notaire ne lui a pas lu la procuration alors que cette diligence est obligatoire ; il n'a pas exercé son devoir de conseil ; la légalisation des signatures a été faite dans sans procès-verbal ; l'appelante comprenait mal le français et n'était pas assistée d'un interprète ; la vente a porté sur 7 ha au lieu de 1000 m2 au prix dérisoire de 4 MF CFP ; les acquéreurs n'ont jamais proposé de restituer le terrain ; le vice du consentement pour erreur sur la substance et pour dol est établi ; il y a aussi eu lésion de plus des 7/12e sur le prix; la vente est nulle pour prix dérisoire ; les préjudices causés doivent être réparés.

Les moyens des intimés sont résumés dans le dispositif de leurs conclusions qui précède.

Sur quoi :

La vente en cause a été formalisée par un acte authentique passé le 29 avril 2016 par devant Me [M] [V], notaire à [Localité 4]. Les parties étaient représentées respectivement par un clerc de notaire ([L] [B] Vve [K]) et par un notaire assistant ([J] [G] et [A] [S]).

Il en résulte que le notaire instrumentaire n'a pas été en mesure d'exercer au moment de l'acte son devoir de conseil à l'égard des parties elles-mêmes. On relève sur l'acte que [L] [B] Vve [K] était âgée de 79 ans et que [J] [G] et [A] [S] étaient respectivement adjoint au chef de la police municipale et agent de police municipale à [Localité 2] (Ua-Pou, Marquises), où était aussi domiciliée la venderesse.

La représentation de [L] [B] Vve [K] à cet acte était formalisée par une procuration sous seing privé annexée en original. Il s'agit d'une procuration pour vendre dactylographiée datée manuscritement du 11 avril 2016 avec une signature, mention étant faite de la légalisation de celle-ci le même jour par l'adjudant-chef [E] commandant la gendarmerie de [Localité 6] et faisant fonction de notaire.

La procuration donnée par les acquéreurs a été faite le même jour et dans les mêmes conditions.

La procuration comprend la désignation du bien à vendre, sa superficie (7 ha 21 a 91 ha (sic) et le montant du prix en toutes lettres et en chiffres (4 000 000 F CFP).

L'article 8 de la délibération n° 99-54 du 22 avril 1999 portant refonte du statut du notariat en Polynésie française dispose que :

Dans les îles ou' aucun office notarial n'est établi, les commandants de brigade de gendarmerie qui y sont en fonctions peuvent, par arrête' pris en conseil des ministres sur proposition du Président du gouvernement de la Polynésie française et du procureur général, et après avis du commandant du groupement de gendarmerie en Polynésie française ou son remplaçant, être investis individuellement des fonctions notariales pour les actes courants d'importance réduite.

Les agents investis de la fonction notariale n'exercent que dans l'étendue de la juridiction ou de la circonscription administrative a' laquelle ils sont affectés.

Sauf urgence, ils ne peuvent recevoir que les testaments et les procurations.

L'article 12 alinéa 1 de la délibération n° 99-54 dispose que :

Toutes les fois qu'une personne ne parlant pas la langue française est partie ou témoin dans un acte, le notaire doit être assiste' d'un interprète assermente', qui explique l'objet de la convention avant toute écriture, explique de nouveau l'acte rédigé', le traduit littéralement et signe comme témoin additionnel.

En l'espèce, le commandant de gendarmerie faisant office de notaire n'a pas accompli un acte notarié, mais la formalité de légalisation d'une signature. La légalisation consiste pour un agent public compétent à attester la véracité de la signature sur un acte.

La procuration est un écrit qui constate un mandat et qui permet au mandataire de justifier de son pouvoir. L'existence du mandat impose, comme pour tout contrat, le consentement certain et non vicié du mandant et du mandataire.

Mais la procuration établie le 11 avril 2016 n'a pas traduit l'existence d'un consentement certain et non vicié, par erreur, dol ou violence, de [L] [B] Vve [K], pour donner mandat de vendre le terrain mentionné au prix spécifié. En effet :

La procuration est dactylographiée en langue française. Seule la date et la signature sont manuscrites. Mais elle ne mentionne pas qu'elle a été traduite à [L] [B] Vve [K] dans une langue qu'elle comprend.

Or, le Dr [O] [H], qui la traite depuis 2011, a établi le 4 mai 2021 un certificat médical relatant que : «Cette patiente n'est jamais venue en consultation ou en hospitalisation seule. Elle a été systématiquement accompagnée par sa fille ou des membres de sa famille compte tenu du fait qu'elle ne parle pas le français mais uniquement le marquisien et que ces déplacements sont difficiles compte tenu de son handicap orthopédique.» La nécessité d'un accompagnement a été confirmée par le Dr [W] dans un certificat médical du 7 juillet 2020.

Pas plus que la procuration, le compromis de vente en date du 12 janvier 2016 avec légalisation de signature par le 2e adjoint au maire de la commune de [Localité 6] ne mentionne qu'il a été traduit à [L] [B] Vve [K] dans une langue qu'elle comprend.

Une plainte de [L] [B] Vve [K] au procureur de la République a été classée sans suite le 22 février 2018 pour faits insuffisamment caractérisés. L'enquête préliminaire de gendarmerie a toutefois constaté que la procuration pour vendre avait été établie et formalisée par le notaire à partir des éléments communiqués uniquement par l'acquéreur [A] [S], lequel s'est déplacé au domicile de [L] [B] Vve [K] pour le lui faire signer, et que la légalisation de la signature s'est faite de la même façon. L'enquête a relevé que «le gendarme et l'élue ont manqué de discernement dans leur action» sans qu'une infraction puisse pour autant être caractérisée.

Ces éléments sont concordants pour corroborer les déclarations de [L] [B] Vve [K] aux enquêteurs avec l'assistance d'un interprète le 2 décembre 2017 à propos de sa signature de ces deux documents : «J'ai signé ces documents, je précise à la maison, mais je n'ai rien compris de tout ce qui est écrit dans ces deux documents. J'ai fait confiance au Mutoi (policier municipal, [A] [S])». «[A] m'a menti, il m'a trompée.»

Aux termes des articles 1109 et 1110 du code civil en vigueur en Polynésie, il n'y a pas de consentement valable si celui-ci n'a été donné que par erreur sur la substance même de la chose qui est l'objet de la convention.

En l'espèce, l'erreur a pour objet la substance de l'immeuble vendu quant à sa superficie de 7 ha 21 a 91 ca. [L] [B] Vve [K] a déclaré aux enquêteurs : «Seul un lot devait être vendu à [A] pour le prix de 4 millions. Ce lot est délimité par les piquets que nous avons moi et mon fils [Z] placés. Un de ces piquets est bien celui que l'on peut voir sur vos photos». Il ne s'agit pas d'une simple erreur sur la valeur.

L'erreur résulte de la situation dans laquelle [L] [B] Vve [K] s'est trouvée de signer à l'instigation des seuls acquéreurs des documents rédigés dans une langue qu'elle ne maîtrise pas, alors que son handicap et son âge la rendaient vulnérable et encline à faire toute confiance à des acheteurs qui sont des policiers de sa commune. Aucun élément ne permet de retenir que l'erreur commise dans ces conditions soit inexcusable. La valeur de la parcelle DI[Cadastre 1] vendue au prix de 4 000 000 F CFP a été estimée en 2017 par l'agence immobilière JCM au montant de 28 876 400 F CFP.

[L] [B] Vve [K] n'aurait ni donné procuration, ni contracté au même prix et aux mêmes conditions si elle avait pu vérifier par elle-même la substance et le prix du bien vendu, ce que la non-traduction des actes et son absence devant le notaire et les officiers publics ne lui a pas permis de faire, sans qu'il y ait eu faute inexcusable de sa part.

La procuration pour vendre du 11 avril 2016 doit donc être annulée pour vice du consentement de la mandante en raison d'une erreur commise par celle-ci sur la substance de la chose devant être vendue.

Il en résulte que l'acte de vente authentique du 29 avril 2016 doit également être annulé pour défaut de pouvoir de la personne représentant [L] [B] Vve [K] en vertu d'une procuration annulée.

La proposition des acquéreurs de restituer l'immeuble sous indemnités a été constatée par l'enquête préliminaire. La valeur locative de ce terrain n'est pas indiquée et la cour ne dispose pas d'éléments permettant de caractériser un préjudice de jouissance ou matériel. En revanche, les restitutions en suite de l'annulation de la vente seront ordonnées comme précisé dans le dispositif de l'arrêt.

La vente avait pour objet un terrain familial. [L] [B] Vve [K] était une personne vulnérable. Elle justifie ainsi d'un préjudice moral dont la réparation intégrale sera faite par l'attribution d'une somme de 100 000 F CFP.

Le jugement sera par conséquent infirmé. Il sera fait application des dispositions de l'article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française au bénéfice de l'appelante. La partie qui succombe est condamnée aux dépens.

PAR CES MOTIFS,

La Cour, statuant contradictoirement et en dernier ressort ;

En la forme, déclare l'appel recevable ;

Au fond, infirme le jugement entrepris ;

Statuant à nouveau :

Annule la procuration pour vendre en date du 11 avril 2016 pour cause de vice du consentement de la mandante [L] [B] Vve [K] en raison d'une erreur commise par elle sur la substance de la chose devant être vendue ;

Annule par voie de conséquence, pour défaut de pouvoir de la personne représentant [L] [B] Vve [K] en vertu d'une procuration annulée, l'acte de vente authentique en date du 29 avril 2016 de la parcelle dépendante de la terre [N] figurant au cadastre sous les références Section DI [Cadastre 1] pour une contenance de 7 ha 21 a 91 ca sise à [Localité 6] à [A] [D] [S] et [J] [G] ;

Condamne [A] [S] et [J] [G] à restituer l'immeuble et ses accessoires à [L] [B] Vve [K] ;

Condamne [L] [B] Vve [K] à restituer le prix de la vente à [A] [S] et [J] [G] ;

Condamne dès à présent [L] [B] Vve [K] à indemniser [A] [S] et [J] [G] des dépenses faites par eux qui étaient nécessaires à la conservation de l'immeuble et de ses accessoires et de celles qui en ont augmenté la valeur, dans la limite de la plus-value estimée au jour de la restitution par un expert désigné d'accord parties ou sinon par un expert désigné en justice ;

Dit et juge que [A] [S] et [J] [G] feront leur affaire de l'exonération des droits d'enregistrement dont ils ont bénéficié sous les conditions stipulées dans l'acte authentique, et que chaque partie conservera la charge des frais et honoraires qu'elle a exposés pour conclure la vente ;

Condamne solidairement [A] [S] et [J] [G] à payer à [L] [B] Vve [K] les sommes de :

100 000 F CFP à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral ;

600 000 F CFP en application des dispositions de l'article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française devant le tribunal et devant la cour ;

Rejette toute autre demande ;

Ordonne la transcription de l'arrêt à la conservation des hypothèques de [Localité 4] aux frais de [L] [B] Vve [K] ;

Met à la charge de [A] [S] et [J] [G] les dépens de première instance et d'appel, lesquels pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 409 du Code de procédure civile de la Polynésie française.

Prononcé à Papeete, le 12 octobre 2023.

Le Greffier, Le Président,

Signé : M. SUHAS-TEVERO Signé : G. RIPOLL