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Décisions

CA Paris, Pôle 3 - ch. 1, 13 septembre 2023, n° 21/14201

PARIS

Arrêt

Autre

CA Paris n° 21/14201

13 septembre 2023

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 3 - Chambre 1

ARRET DU 13 SEPTEMBRE 2023

(n° 2023/ , 9 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/14201 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CEFBY

Décision déférée à la Cour : Jugement du 23 Juin 2021 -TJ de PARIS - RG n° 16/17015

APPELANT

Monsieur [U] [T]

né le 08 Janvier 1944 à [Localité 14]

[Adresse 1]

[Localité 3]

représenté par Me Antoine LAMBERT de la SELARL LYVEAS AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : E467

ayant pour avocat plaidant Me Antoine de la FERTE, avocat au barreau de VERSAILLES

INTIMES

Madame [R], [C] [T] épouse [K]

née le 19 Avril 1958 à [Localité 10] (92)

[Adresse 9]

[Localité 15] / AUTRICHE

Monsieur [E], [N] [T]

né le 17 Juillet 1942 à [Localité 14]

[Adresse 6]

[Localité 2]

Monsieur [F], [W] [T]

né le 25 Juillet 1964 à [Localité 10] (92)

[Adresse 4]

[Localité 7]

représentés et plaidant par Me Michèle ARNOLD, avocat au barreau de PARIS, toque : E0155

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 11 Avril 2023, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Sophie RODRIGUES, Conseiller, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Patricia GRASSO, Président

Mme Sophie RODRIGUES, Conseiller

Mme Isabelle PAULMIER-CAYOL, Conseiller

Greffier lors des débats : Mme Emilie POMPON

ARRÊT :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Mme Patricia GRASSO, Président et par Mme Emilie POMPON, Greffier.

***

EXPOSE DU LITIGE

[E] [T] et [S] [Z] se sont mariés le 9 janvier 1945 à [Localité 13], sans contrat de mariage préalable à leur union, de sorte qu'ils étaient soumis au régime matrimonial de la communauté de meubles et d'acquêts.

Par acte du 26 mai 1987, [E] [T] a institué son épouse donataire de tous les droits mobiliers et immobiliers composant sa succession, l'acte prévoyant qu'en cas d'existence au jour du décès du donateur d'un ou plusieurs héritiers, ayant la qualité de réservataire, cette donation serait réductible à celle des quotités disponibles entre époux alors permises par la loi et ce, au choix de la donataire.

[E] [T] est décédé le 6 décembre 1987 laissant pour lui succéder :

- [S] [Z], son épouse,

- MM. [E] et [U] [T] et Mme [R] [T], ses enfants nés de son union avec [S] [Z], et M. [M] [T], son fils aîné issu d'une précédente relation.

Dépendait notamment de sa succession la moitié des droits portant sur une boutique d'ébénisterie située [Adresse 5] à [Localité 12], l'autre moitié revenant à [S] [Z] dans le cadre de la liquidation du régime matrimonial.

Par acte du 15 avril 1991, [S] [Z] a déclaré opter pour un quart en pleine propriété et trois-quarts en usufruit de la succession de son époux.

Par acte du 7 mai 1991, M. [M] [T] a cédé à [S] [Z] tous les droits mobiliers et immobiliers lui revenant dans la succession de son père.

Par acte sous seing privé du 1er janvier 2006, [S] [Z] a consenti un bail commercial à son petit-fils, M. [F] [T], fils de M. [E] [T], sur la boutique du [Adresse 5] à [Localité 12], pour un loyer mensuel de 160 euros, toutes charges comprises, sans indexation.

Par testament olographe du 29 juin 2017, elle a pris les dispositions suivantes :

« Je ['] veux que mes biens en France soient partagés de la manière suivante : je désire léguer à mon petit-fils [F] [T] la part nécessaire pour qu'il puisse être attributeur en toute propriété de la boutique (lot 31) [Adresse 5] à [Localité 13] en effet c'est son outil de travail et il pourra continuer la tradition familiale.

Concernant le reste de mes biens, je désire qu'ils soient partagés par part égale entre mes enfants mais que soit attributaire :

- [E] [N] de l'appartement et la cave au [Adresse 8]

- [U] de l'appartement et la cave à [Localité 11], Drôme

- [R]-[C] de l'appartement et la cave du [Adresse 6] à [Localité 13] »

[S] [Z], dont le dernier domicile était en Autriche, est décédée le 26 septembre 2013. Elle laisse pour lui succéder ses enfants : MM. [E] et [U] [T] et Mme [R] [T].

Par actes d'huissier des 26 septembre 2016 et 4 octobre 2016, M. [U] [T] a assigné MM. [F] et [E] [T] et Mme [R] [T] devant le tribunal de grande instance de Paris aux fins de :

- ordonner l'ouverture des opérations de compte liquidation et partage des successions de [E] [T] et de [S] [Z] et de leur régime matrimonial,

- prononcer la nullité de bail commercial consenti par [S] [Z] le 1er janvier 2006,

- subsidiairement, le déclarer inopposable aux coindivisaires de la boutique et notamment à lui-même,

- condamner M. [F] [T] à verser à l'indivision successorale une indemnité d'occupation du 1er janvier 2006 au 19 avril 2016

- condamner solidairement MM. [F] et [E] [T] et Mme [R] [T] à lui verser une somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Cette procédure a été enregistrée sous le n°RG 16/17015.

Parallèlement, M. [F] [T] a, le 19 avril 2016, assigné en délivrance de legs les héritiers de [S] [Z] veuve [T]. La procédure a été enregistrée sous le n°RG 16/10098.

Le tribunal de grande instance de Paris a, par jugement datée du 10 novembre 2017 :

- ordonné de délivrer à M. [F] [T] le bien immobilier suivant légué par [S] [T] : le lot 31 d'une copropriété sise [Adresse 5] à [Localité 12],

- condamné M. [U] [T] à verser à M. [F] [T] une indemnité de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné M. [U] [T] aux dépens,

- ordonné l'exécution provisoire.

Par déclaration du 13 décembre 2007, M. [U] [T] a interjeté appel de l'ensemble des chefs du jugement précité.

Par arrêt du 2 octobre 2019, la cour a confirmé le jugement entrepris en toutes ses dispositions et y ajoutant, a :

- dit que le legs par testament olographe du 29 juin 2007 est régulier,

- dit que les éléments nécessaires à la détermination de la masse de calcul de l'article 922 du code civil devront être identifiés et évalués dans le cadre des opérations de comptes, liquidation et partage de la succession de [S] [Z], et qu'il appartiendra au notaire de déterminer la quotité disponible et de procéder le cas échéant au calcul de la réduction du legs,

- rejeté les demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné M. [U] [T] aux dépens.

Dans la procédure n°RG 16/17015, le tribunal judiciaire de Paris a, par jugement du 23 juin 2021 notamment :

- ordonné l'ouverture des opérations de compte, liquidation et partage de la succession de [E] [T] entre MM. [U] et [E] [T] et Mme [R] [T],

- ordonné l'ouverture des opérations de compte, liquidation et partage de la succession de biens immobiliers situés en France de [S] [Z] entre MM. [U] et [E] [T] et Mme [R] [T],

- ordonné l'ouverture des opérations de compte, liquidation et partage de la succession des biens meubles de [S] [Z] entre MM. [U] et [E] [T] et Mme [R] [T],

- ordonné l'ouverture des opérations de compte, liquidation et partage du régime matrimonial des époux [Z]-[T],

- dit que la loi autrichienne est applicable à la succession mobilière de [S] [Z],

- dit que la loi française est applicable aux autres partages,

- désigné Me [B] [J], notaire, pour procéder à ces partages,

- déclaré recevable la demande en nullité de bail,

- débouté M. [U] [T] de ses demandes tendant à :

* prononcer la nullité du bail consenti par [S] [Z] le 1er janvier 2006,

* le déclarer inopposable aux coindivisaires de la boutique et notamment à M. [U] [T],

* condamner M. [F] [T] à verser à l'indivision successorale une indemnité d'occupation du 1er janvier 2006 au 19 avril 2016,

* condamner solidairement MM. [F] et [E] [T] et Mme [R] [T] à lui verser une somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté MM. [F] et [E] [T] et Mme [R] [T] de leurs demandes tendant à condamner M. [U] [T] à leur verser une somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné M. [U] [T] aux dépens exposés par M. [F] [T],

- ordonné le partage du surplus des dépens passés et à venir entre MM. [U] et [E] [T] et Mme [R] [T] à proportion de leurs parts respectives,

- constaté l'extinction de l'instance concernant M. [F] [T],

- renvoyé l'affaire à une audience du juge commis.

Par déclaration du 21 juillet 2021, M. [U] [T] a interjeté appel de ce jugement en ce qu'il l'a :

- débouté de ses demandes tendant à :

* prononcer la nullité du bail commercial consenti par [S] [Z] le 1er janvier 2006,

* le déclarer inopposable aux coïndivisaires de la boutique et notamment à [U] [T],

* condamner M. [F] [T] à verser à l'indivision successorale une indemnité d'occupation du 1er janvier 2006 au 19 avril 2016,

* condamner solidairement MM. [F] et [E] [T] et Mme [R] [T] à lui verser une somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné aux dépens exposés par M. [F] [T].

Il a remis au greffe ses premières conclusions d'appelant le 21 octobre 2021.

Par ordonnance du 1er septembre 2021, le juge commis a déchargé Me [B] [J] de sa mission et désigné pour y procéder Me [V] [P].

Par leurs premières conclusions d'intimés remises au greffe et notifiées le 14 janvier 2022, les intimés ont formé un appel incident portant sur le rejet de leur demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.

Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe et notifiées le 24 mars 2022, l'appelant demande à la cour de :

- le recevoir en son appel et le déclarer bien fondé,

- infirmer le jugement du tribunal judiciaire de Paris en date du 23 juin 2021 en ce qu'il a:

* débouté M. [U] [T] de ses demandes tendant à :

> prononcer la nullité du bail commercial consenti par [S] [Z] le 1er janvier 2006,

> le déclarer inopposable aux coïndivisaires de la boutique et notamment à M. [U] [T],

> condamner M. [F] [T] à verser à l'indivision successorale une indemnité d'occupation du 1er janvier 2006 au 19 avril 2016,

> condamner solidairement MM. [F] et [E] [T] et Mme [R] [T] à lui verser une somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

* condamné M. [U] [T] aux dépenses exposées par M. [F] [T],

- le confirmer pour le surplus,

et statuant à nouveau :

à titre principal,

- annuler et dire de nul effet le bail commercial consenti par [S] [Z] veuve [T] seule sur le fondement de l'article 595 du code civil,

- annuler et dire de nul effet le bail commercial consenti par [S] [Z] veuve [T] seule sur le fondement de l'article 1729 du code civil en raison du montant dérisoire du loyer commercial,

à titre subsidiaire,

- déclarer inopposable aux coïndivisaires détenteurs des droits de propriété sur la boutique située [Adresse 5] à [Localité 13] (lot 31), et plus particulièrement à M. [U] [T], le bail commercial consenti par [S] [Z] veuve [T] seule sur le fondement de l'article 815-3 du code civil,

en tout état de cause,

- condamner M. [F] [T] à payer à l'indivision successorale une indemnité d'occupation depuis le 1er janvier 2006 par différence entre le loyer fixé au bail du 1er janvier 2006 de 160 euros par mois toutes charges comprises soit 128,64 HT ou 1 543,68 HT par an toutes charges comprises, et la valeur de l'indemnité d'occupation de 9 000 euros, représentant une différence de 7 456,32 euros HT par an, depuis le 1er janvier 2006 jusqu'au 19 avril 2016, date de l'assignation de ce dernier en délivrance de legs, soit 10 ans et 4 mois, soit 77 048,64 euros HT outre TVA au taux en vigueur,

subsidiairement,

- condamner M. [F] [T] à verser à l'indivision successorale une indemnité d'occupation évaluée sur la base de la valeur locative réelle de la boutique située [Adresse 5] à [Localité 13] (lot 31) du 1er janvier 2006 au 19 avril 2016, date de l'assignation de ce dernier en délivrance de legs,

- juger que Me [V] [P], notaire à [Localité 12] désigné par la juridiction de première instance, aura pour mission d'estimer l'indemnité d'occupation due par M. [F] [T] à partir de la valeur locative réelle de la boutique,

- condamner solidairement MM. [F] et [E] [T] et Mme [R] [T] épouse [K] au paiement de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner les mêmes, sous la même solidarité, aux entiers dépens,

- débouter MM. [F] et [E] [T] et Mme [R] [T] épouse [K] de leur appel incident et de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens.

Aux termes de leurs dernières conclusions remises au greffe et notifiées le 15 mars 2023, Mme [R] [T] épouse [K], M. [F] [T], M. [E] [T], intimés, demandent à la cour de :

- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a :

* débouté M. [U] [T] de la totalité de ses demandes visant à voir prononcer la nullité du bail commercial consenti par sa mère, [S] [Z], le 1er janvier 2006 à son neveu M. [F] [T],

* débouté M. [U] [T] de sa demande de nullité dudit bail sur le fondement des dispositions des articles 595 et 1729 du code civil,

* débouté M. [U] [T] de sa demande visant à voir déclarer inopposable aux coindivisaires, détenteurs des droits de propriété sur la boutique litigieuse, le bail commercial consenti par [S] [Z] sur le fondement de l'article 815-3 du code civil,

* débouté M. [U] [T] de sa demande visant à voir M. [F] [T] condamné à verser à l'indivision successorale une indemnité d'occupation évaluée sur la prétendue base de la valeur locative réelle de la boutique sur la période du 1er janvier 2006 au 19 avril 2016, date de l'assignation en délivrance de legs,

* débouté M. [U] [T] de sa demande visant à ce que MM. [F] et [E] [T] ainsi que Mme [R] [T] épouse [K] soient solidairement condamnés à lui verser une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que les entiers dépens,

* débouté M. [U] [T] de sa demande visant à ce que les intimés soient solidairement condamné aux dépens,

en tout état de cause,

- débouter M. [U] [T] de sa demande visant à ce que Me [P] estime le montant de l'indemnité d'occupation et la valeur locative « réelle » de la boutique litigieuse, cette demande étant nouvelle en cause d'appel,

- condamner M. [U] [T] aux entiers dépens de première instance et d'appel incluant les frais d'expertise des biens immobiliers de la succession de [S] [Z],

Recevant les concluants en leur appel incident,

- condamner M. [U] [T] à leur régler une somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner M. [U] [T] au paiement de la totalité du surplus des dépens passés et à venir.

Pour un plus ample exposé des moyens développés par les parties au soutien de leurs prétentions, il sera renvoyé à leurs écritures susvisées conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 4 avril 2023.

L'affaire a été appelée à l'audience du 11 avril 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur l'étendue de la saisine de la cour

En vertu de l'article 562 du code de procédure civile, l'appel ne défère à la cour que la connaissance des chefs de jugement qu'il critique expressément et de ceux qui en dépendent.

Dès lors, eu égard aux termes circonscrits de la déclaration d'appel et de l'appel incident découlant des premières conclusions des intimés, l'effet dévolutif n'a opéré que pour les chefs de dispositif relatifs au bail commercial consenti par [S] [Z] le 1er janvier 2006 et aux frais irrépétibles de première instance.

Ainsi, il n'y a même pas lieu de confirmer les autres chefs de dispositif.

Par ailleurs, il y a lieu de constater que les parties ne remettent pas en cause la compétence du juge français et l'application de la loi française aux points soumis à la cour.

Sur la demande de nullité du bail commercial

L'appelant fonde cette nullité :

- à titre principal, sur les dispositions de l'article 595 du code civil,

- à titre subsidiaire, sur l'article 1729 du code civil en raison du montant dérisoire du loyer commercial.

Sur la nullité fondée sur l'article 595 du code civil

Ce texte dispose que l'usufruitier ne peut, sans le concours du nu-propriétaire, donner à bail un fonds rural ou un immeuble à usage commercial, industriel ou artisanal, et qu'à défaut d'accord du nu-propriétaire, l'usufruitier peut être autorisé par justice à passer seul cet acte.

Le tribunal a jugé que l'article 595 du code civil n'était pas applicable en l'espèce parce que les droits de [S] [Z] sur le bien litigieux ne se réduisaient pas à un usufruit dans la mesure où elle en était également « nue-propriétaire indivise ».

Les intimés se contentent de soutenir cette motivation en soulignant que l'appelant admet que [S] [Z] disposait de droits en pleine propriété sur le bien abritant la boutique à hauteur de 23/32èmes.

Il est en effet constant qu'elle n'était usufruitière que pour le surplus.

Il en résulte cependant un démembrement de propriété pour les 9/32èmes des droits portant sur ce bien (et non 7/32èmes comme l'indique par erreur l'appelant, repris sur ce point par les intimés), chacun des enfants de [E] [T] ayant hérité de 3/32èmes en nue-propriété.

Ce démembrement, même partiel, rend l'article 595 du code civil applicable.

Il n'est pas contesté que le bail commercial consenti à M. [F] [T] le 1er janvier 2006 a été conclu par [S] [Z] seule, sans le concours des nus-propriétaires.

Les dispositions de l'article 595 du code civil ont ainsi été méconnues.

La sanction de cette violation est la nullité du bail ; il s'agit d'une nullité relative qui ne peut être sollicité que par le nu-propriétaire.

M. [U] [T] ayant la qualité de nu-propriétaire du bien concerné, il y a lieu d'infirmer le jugement entrepris et de prononcer la nullité du bail commercial conclu le 1er janvier 2006.

Sur la demande d'indemnité d'occupation

A titre liminaire, il y a lieu de rappeler qu'en vertu de l'article 954 du code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions figurant au dispositif des dernières conclusions des parties et n'examine les moyens que s'ils sont invoqués dans la discussion.

Pour l'appelant, si la nullité du bail commercial est prononcée, M. [F] [T] est occupant sans droit ni titre et doit donc une indemnité d'occupation.

Il soutient que celle-ci sera due jusqu'à la date de l'assignation en délivrance de legs, par application de l'article 1014 du code civil.

Les intimés, qui concluent à la confirmation du rejet de la demande de nullité, se bornent à faire valoir que, celle-ci ne pouvant être retenue, aucune indemnité d'occupation ne peut être réclamée à M. [F] [T]. Ils ajoutent que l'article 1014 du code civil ne saurait fonder une demande d'indemnité d'occupation et que le principe de la délivrance du legs à M. [F] [T] ne peut plus être contesté après l'arrêt du 2 octobre 2019.

Il y a lieu de constater que la demande d'indemnité d'occupation de l'appelant n'est nullement fondée sur les dispositions de l'article 1014 du code civil mais sur le principe, dégagé par la jurisprudence, selon lequel la nullité du contrat de bail commercial fait du locataire un occupant sans droit ni titre qui est dès lors débiteur d'une indemnité d'occupation.

Les intimés ne font valoir aucun moyen de nature à apporter une exception à ce principe.

Il est toutefois constant que M. [F] [T] dispose, en vertu du legs particulier qui lui a été accordé, d'un autre titre d'occupation que celui résultant du bail annulé.

C'est à cet égard qu'il convient de se référer aux dispositions de l'article 1014 du code civil selon lesquelles :

« Tout legs pur et simple donnera au légataire, du jour du décès du testateur, un droit à la chose léguée, droit transmissible à ses héritiers ou ayants cause.

Néanmoins le légataire particulier ne pourra se mettre en possession de la chose léguée, ni en prétendre les fruits ou intérêts, qu'à compter du jour de sa demande en délivrance, formée suivant l'ordre établi par l'article 1011, ou du jour auquel cette délivrance lui aurait été volontairement consentie. »

Il résulte de ce texte d'une part que le légataire à titre particulier devient dès l'ouverture de la succession le propriétaire de la chose léguée, et d'autre part qu'il est néanmoins tenu pour faire reconnaître son droit de demander la délivrance du legs.

Il est admis qu'il ne peut alors prétendre aux fruits et intérêts de la chose léguée qu'à compter du jour de sa demande en délivrance ou du jour où cette délivrance lui a été volontairement consentie.

L'article 1015 du code civil prévoit deux exceptions à ce différé :

1° lorsque le testateur aura expressément déclaré sa volonté, à cet égard, dans le testament,

2° lorsqu'une rente viagère ou une pension aura été léguée à titre d'aliments.

Aucune de ces hypothèses ne correspond à la situation d'espèce.

Puisque l'indemnité d'occupation se substitue aux fruits que le bien immobilier légué aurait pu produire, il y a lieu de faire application de l'article 1014 du code civil précité.

Le droit de propriété de M. [F] [T] n'étant pas reconnu avant sa demande en délivrance, il ne lui confère pas un titre suffisant, avant la date de son assignation à cette fin, pour le dispenser d'une indemnité d'occupation.

Il est donc redevable d'une indemnité d'occupation à compter du 1er juin 2006 et jusqu'au 19 avril 2016.

Les intimés n'ont pas conclu sur le montant de cette indemnité.

L'appelant se fonde sur une expertise privée réalisée à leur demande pour retenir une différence entre la valeur locative de la boutique et le loyer fixé par le contrat de bail de 7 456,32 euros hors taxes par an.

Le rapport de M. [M] [A] en date du 30 janvier 2014, versé aux débats tant par l'appelant que par les intimés, a effectivement été établi à la demande de ceux-ci pour s'opposer à la demande de nullité pour vil prix formée par M. [U] [T]. L'expert privé a retenu, comme le soulignent les intimés, une « mauvaise situation sur une voie sans commercialité », une « impression d'ensemble : moyenne voire passable » et un « état d'entretien général moyen ». Ces éléments dépréciatifs ont dûment été pris en considération pour retenir « un prix unitaire de 300 € » et en conséquence une valeur locative de 9 000 euros. S'il ne précise pas la périodicité de ce loyer, il ressort des calculs opérés par l'appelant sur cette base en page 15 de ses conclusions qu'il s'agit d'une valeur locative annuelle.

L'indemnité d'occupation ne saurait cependant correspondre exactement à cette valeur locative, eu égard à la précarité relative de l'occupant sans droit ni titre. Un abattement de 20 % sera dès lors appliqué. Il convient de retenir un montant de l'indemnité d'occupation annuelle de 7 200 euros, soit 600 euros par mois.

L'appelant souligne que le loyer mis à la charge de M. [F] [T] par le contrat de bail du 1er juin 2006 comprenait toutes charges et en déduit que l'indemnité d'occupation à fixer doit être majorée de la TVA, les loyers à déduire devant quant à eux être minorés du montant de cette taxe.

Celle-ci n'a cependant pas à être prise en considération pour la fixation d'une indemnité d'occupation au plan civil dans le cadre d'un litige entre héritiers.

Pour la période de 10 ans, 3 mois et 19 jours pour laquelle l'indemnité d'occupation est due, le montant total dont M. [F] [T] est redevable s'élève à 74 180 euros [123 x 600 + (19 x 600 / 30)].

Devra en être déduit la somme totale de 19 781,33 euros [123 x 160 + (19 x 160 / 30)].

Par conséquent, par infirmation du jugement entrepris et conformément à la demande de M. [U] [T] sous réserve d'une autre appréciation des montants à prendre en compte, il sera dit que M. [F] [T] doit à l'indivision successorale, pour la jouissance du local situé [Adresse 5] à [Localité 12] sur la période du 1er janvier 2006 au 19 avril 2016, une indemnité d'occupation d'un montant total de 74 180 euros dont devra être déduite la somme totale de 19 781,33 euros au titre des loyers dus au titre du bail commercial annulé.

Sur les frais et dépens

Aux termes de l'article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie.

Il convient, eu égard à la nature du litige et alors qu'il n'est que partiellement fait droit aux prétentions de l'appelant, de dire que les dépens seront employés en frais privilégiés de partage et supportés par les parties à proportion de leurs droits dans le partage.

A défaut de condamnation d'une partie aux dépens, il ne saurait être fait application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de l'autre.

Eu égard à l'issue de ce litige et à la décision concernant les frais irrépétibles de la procédure d'appel, il n'y a pas lieu d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté M. [U] [T] de sa demande tendant à voir condamner solidairement MM. [F] et [E] [T] et Mme [R] [T] à lui verser une somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, comme le sollicite l'appelant principal, ni en ce qu'il a débouté MM. [F] et [E] [T] et Mme [R] [T] de leurs demandes tendant à condamner M. [U] [T] à leur verser une somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, comme le sollicitent les intimés, appelants incidents sur ce point.

PAR CES MOTIFS

Infirme le jugement prononcé le 23 juin 2021 par le tribunal judiciaire de Paris en ce qu'il a débouté M. [U] [T] de ses demandes tendant à :

- prononcer la nullité du bail commercial consenti par [S] [Z] le 1er janvier 2006,

- condamner M. [F] [T] à verser à l'indivision successorale une indemnité d'occupation du 1er janvier 2006 au 19 avril 2016 ;

Statuant à nouveau,

Annule le bail commercial conclu entre [S] [Z] veuve [T] et M. [F] [T] par acte du 1er janvier 2006 ;

Dit que M. [F] [T] doit à l'indivision successorale, pour la jouissance du local situé [Adresse 5] à [Localité 12] sur la période du 1er janvier 2006 au 19 avril 2016, une indemnité d'occupation d'un montant total de 74 180 euros dont devra être déduite la somme totale de 19 781,33 euros au titre des loyers dus au titre du bail commercial annulé ;

Confirme le jugement prononcé le 23 juin 2021 par le tribunal judiciaire de Paris en ses autres chefs de dispositif dévolus à la cour ;

Dit que les dépens de la procédure d'appel seront employés en frais privilégiés de partage et supportés par les parties à proportion de leurs droits dans le partage ;

Rejette les demandes formées au titre l'article 700 du code de procédure civile.

Le Greffier, Le Président,