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Décisions

CA Riom, 1re ch., 24 octobre 2023, n° 22/00461

RIOM

Arrêt

Autre

CA Riom n° 22/00461

24 octobre 2023

COUR D'APPEL

DE RIOM

PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE

Du 24 octobre 2023

N° RG 22/00461 - N° Portalis DBVU-V-B7G-FYR7

-PV- Arrêt n° 454

[H] [I] / G.A.E.C. DU CHALARD

Jugement au fond, origine Tribunal paritaire des baux ruraux de RIOM, décision attaquée en date du 25 Janvier 2022, enregistrée sous le n° 51-20-0002

Arrêt rendu le MARDI VINGT QUATRE OCTOBRE DEUX MILLE VINGT TROIS

COMPOSITION DE LA COUR lors des débats et du délibéré :

M. Philippe VALLEIX, Président

M. Daniel ACQUARONE, Conseiller

Mme Laurence BEDOS, Conseiller

En présence de :

Mme Céline DHOME, greffier lors de l'appel des causes et du prononcé

ENTRE :

M. [H] [I]

[Adresse 1]

[Localité 2]

Assisté de Maître Cyril DUBREIL de la SCP OUEST AVOCATS CONSEILS, avocat au barreau de NANTES

APPELANT

ET :

G.A.E.C. DU CHALARD

[Adresse 6]

[Localité 3]

Assistée de Maître Frédéric DELAHAYE, avocat au barreau de CLERMONT- FERRAND

INTIME

DÉBATS : A l'audience publique du 04 septembre 2023

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 24 octobre 2023 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

Signé par M. VALLEIX, président et par Mme DHOME, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE :

M. [H] [I] est propriétaire de deux parcelles rurales cadastrées section ZO numéros [Cadastre 4] et [Cadastre 5], une superficie respective de 4 ha 84 a 60 ca et de 4 ha 69 a 60 ca, situées sur le territoire de la commune de [Localité 8] (Puy-de-Dôme). Il en est propriétaire par succession de ses parents, M. [Y] [I] et Mme [F] [I] respectivement décédés les 18 et 30 novembre 2014, après en avoir été nu-propriétaire par donation du 3 novembre 1992. Ces terres agricoles sont actuellement exploitées par le GAEC DU CHALARD dans le cadre d'un bail à ferme dont la conclusion verbale remonte à plusieurs années au temps de M. [Y][I] et Mme [F] [I]. Une procédure contentieuse oppose actuellement M. [H] [I] à M. [W] [I] devant le tribunal judiciaire de Clermont-Ferrand à propos de la succession de leurs parents.

Le GAEC DU CHALARD affirme avoir régulièrement acquitté l'ensemble des fermages afférents à ce bail à ferme, directement auprèsde M. FélixASTAIX et Mme [F] [I] jusqu'à leur placement en maison de retraite puis, soit auprès de M. [W] [I], soit auprès du notaire chargé du règlement de la succession blessée par M. FélixASTAIX et Mme [F] [I]. M. [H] [I] considère de son côté qu'il est directement et exclusivement créancier depuis le décès de ses parents de la somme 537,60 € sur le fermage annuel de 840,00 € dû par le GAEC DU CHALARD au titre de ce bail à ferme s'appliquant à un ensemble de parcelles rurales dont les deux parcelles litigieuses ZO-[Cadastre 4]&[Cadastre 5].

Se prévalant d'une situation de non-paiement des fermages de 2014 à 2009, après avoir envoyé en ce sens au preneur une mise en demeure de payer par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 18 novembre 2019, et demandant en conséquence de prononcer la résiliation de ce bail rural et l'expulsion du GAEC DU CHALARD des parcelles qui en font l'objet ainsi que la condamnation de ce dernier au paiement d'arriérés locatifs, M. [H] [I] a saisi le 25 janvier 2022 le tribunal paritaire des baux ruraux de Riom qui, suivant un jugement n° RG/51-20-000002 rendu le 25 janvier 2022 :

- l'a débouté de l'intégralité de ses demandes ;

- l'a condamné à payer au profit du GAEC DU CHALARD une indemnité de 1.000,00 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- a débouté les parties du surplus de leurs demandes ;

- l'a condamné aux dépens de l'instance.

Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 16 février 2022, reçue au greffe le 24 février 2022, le conseil de M. [H] [I] a interjeté appel du jugement susmentionné, l'appel portant sur l'ensemble de la décision.

' Par dernières conclusions d'appelant notifiées par le RPVA le 24 octobre 2022, M. [H] [I] a demandé de :

' au visa de l'article L.411-31 du code rural et de la pêche maritime et des articles 1342-2 et 1156 du Code civil ;

' infirmer le jugement rendu le 5 janvier 2022 par le tribunal paritaire des baux ruraux de Riom ;

' débouter le GAEC DU CHALARD de l'ensemble de ses demandes ;

' prononcer la résiliation du bail rural portant sur les deux parcelles susmentionnées ZO-[Cadastre 4] et ZO-[Cadastre 5], lui appartenant ;

' ordonner l'expulsion immédiate du GAEC DU CHALARD des deux parcelles susmentionnées ;

' condamner le GAEC DU CHALARD :

' « (') au paiement d'une astreinte provisoire de 15 € par jour, à compter du 1er jour du mois suivant l'arrêt à intervenir » ;

' à lui payer les fermages afférents aux deux parcelles susmentionnées à hauteur de 537,60 € par an pour les années 2014 à 2019, soit [537,60 € x 6 années = 3.225,60 €], dont à déduire la somme de 529,50 € réglée au titre du fermage 2019, soit la somme totale nette de 2.696,10 € ;

' « (') outre 1/5ème de la taxe foncière et la moitié de la taxe de la chambre d'agriculture pour les années 2014 à 2019, sauf à parfaire » ;

' à lui payer « (') une indemnité d'occupation égale à 2 fois le montant du fermage à compter du prononcé de la résiliation du bail » ;

' à lui payer une indemnité de 3.000,00 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

' condamner le GAEC DU CHALARD aux entiers dépens de l'instance.

' Par dernières conclusions d'intimé notifiées par le RPVA le 9 mai 2023, le GAEC DU CHALARD a demandé de :

' débouter M. [H] [I] de l'intégralité de ses demandes ;

' infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

' condamner M. [H] [I] à payer au profit du GAEC DU CHALARD une indemnité de 4.000,00 € titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

' condamner M. [H] [I] aux entiers dépens de l'instance.

Par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, les moyens développés par chacune des parties à l'appui de leurs prétentions respectives sont directement énoncés dans la partie MOTIFS DE LA DÉCISION.

Après évocation de cette affaire et clôture des débats lors de l'audience civile collégiale du 4 septembre 2023 à 14h00, au cours de laquelle chacun des conseils des parties a réitéré ses précédentes écritures, la décision suivante a été mise en délibéré au 24 octobre 2023, par mise à disposition au greffe.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

L'article L.411-31 du code rural et de la pêche maritime dispose notamment que « (') le bailleur ne peut demander la résiliation du bail [rural] que s'il justifie de l'un des motifs suivants : / 1° Deux défauts de paiement de fermage ou de la part de produits revenant au bailleur ayant persisté à l'expiration d'un délai de trois mois après mise en demeure postérieure à l'échéance. Cette mise en demeure devra, à peine de nullité, rappeler les termes de la présente disposition ; / (') ».

L'article 1342-2 du Code civil dispose que « Le paiement doit être fait au créancier ou à la personne désignée pour le recevoir. / Le paiement fait à une personne qui n'avait pas qualité pour le recevoir est néanmoins valable si le créancier le ratifie ou s'il en a profité. / Le paiement fait à un créancier dans l'incapacité de contracter n'est pas valable, s'il n'en a tiré profit. » tandis que l'article 1342-3 du Code civil dispose que « Le paiement fait de bonne foi à un créancier apparent est valable. ».

Il convient d'abord de constater qu'il n'est pas contesté par le GAEC DU CHALARD, d'une part que ce dernier est redevable du paiement d'un fermage en contrepartie d'un bail verbal dont il bénéficie depuis plusieurs années sur les parcelles litigieuses ZO-[Cadastre 4]&[Cadastre 5] et qui leur a été consenti par M. [Y] [I] et Mme [F] [I], actuellement décédés, et d'autre part que le montant annuel de ce fermage portant sur ces seules deux parcelles est de 537,60 €.

En l'espèce, le GAEC DU CHALARD conteste avoir été en tant que preneur à bail un débiteur négligeant et de mauvaise foi, précisant avoir procédé au règlement des fermages litigieux dans les conditions suivantes :

- directement auprès de M. [Y] [I] et Mme [F] [I] du vivant de ces derniers ;

- auprès de M. [W] [I] concernant l'échéance 2014 ;

- auprès de Me [K] [N], notaire à [Localité 7] (Puy-de-Dôme) chargé du règlement de la succession laissée par M. [Y] [I] et Mme [F] [I], de l'échéance 2015 à l'échéance de 2018 ;

- auprès de M. [H] [I] concernant l'échéance 2019 à concurrence de la somme de 529,50 € puis postérieurement à cette échéance.

Il n'est pas contesté que l'ensemble des fermages litigieux a été matériellement payé sans aucun retard aux échéances usuelles convenues. Pour autant ces paiement n'ont pas été diligentés pendant la période litigieuse directement au profit de M. [H] [I], la question juridique étant dès lors de déterminer s'ils ont constitué des paiements libératoires à l'égard du GAEC DU CHALARD. M. [Y] [I] et Mme [F] [I] étant respectivement décédés les 18 et 30 novembre 2014, seuls les fermages à compter de l'année 2015 doivent être pris en considération quant à l'appréciation de leur caractère libératoire jusqu'à l'année 2018 auprès du notaire instrumentaire chargé du règlement de la succession litigieuse. En effet, à compter de l'année 2019, il n'est pas contesté que les fermages ont été normalement réglés au profit de M. [H] [I]. Me [K] [N], notaire chargé de ce règlement successoral, a d'ailleurs communiqué au GAEC DU CHALARD une attestation de versement pour chacun des fermages des années 2015 à 2018. Il convient ici de préciser que ce fermage s'applique à un ensemble parcellaire relevant de la succession de M. [Y] [I] et Mme [F] [I], dans lequel s'intègrent les parcelles litigieuses ZO-[Cadastre 4]&[Cadastre 5].

M. [H] [I] considère que l'ensemble de ces paiements effectué de 2014 à 2019 n'est pas libératoire et que la résiliation du bail est dès lors encourue. Il a fait délivrer par acte d'huissier de justice du 3 juin 2016 au GAEC DU CHALARD une sommation interpellative, rappelant notamment à ce dernier qu'il est le propriétaire des parcelles ZO-[Cadastre 4]&[Cadastre 5] faisant l'objet de ce bail et estimant de ce fait que cette sommation vaut information de sa seule et véritable qualité de propriétaire et que le jugement de première instance doit être infirmé pour cette seule raison.

En l'occurrence, en dépit du caractère portable et non quérable de l'obligation contractuelle au paiement du loyer, il ne peut sérieusement être objecté que ces paiements de fermage auraient été effectués de manière non libératoire au profit d'un tiers dans la mesure où ils l'ont été à destination du notaire en tant qu'officier ministériel chargé du règlement successoral intervenant entre M. [W] [I] et M. [H] [I], à charge pour ce notaire instrumentaire d'en restituer la part revenant à M. [H] [I] au titre des parcelles ZO-[Cadastre 4]&[Cadastre 5] sur lesquelles il bénéficie d'un droit exclusif de propriété personnelle. Compte tenu de la périodicité de ces encaissements entre 2015 et 2018 et de la délivrance systématique de reçus de la part de ce notaire, le GAEC DU CHALARD était légitimement enclin à penser que celui-ci agissait alors pour diligenter ces recouvrements dans le cadre d'un mandat apparent, même si ce notaire a ultérieurement établi le 22 janvier 2021 une attestation mentionnant qu'il n'avait reçu aucun mandat pour intervenir ainsi sur la gestion intégrée des parcelles litigieuses ZO-[Cadastre 4]&[Cadastre 5].

De plus, si cette sommation interpellative du 3 juin 2016 précise explicitement au GAEC DU CHALARD que M. [H] [I] affirme être le propriétaire exclusif des parcelles ZO-[Cadastre 4]&[Cadastre 5] depuis la mort de ses parents les 18 et 30 novembres 2014 en application de l'acte de donation-partage du 3 novembre 1992, il n'en demeure pas moins que le litige judiciaire opposant ce dernier à son frère M. [W] [I] à propos de l'ensemble de la succession de leurs parents pouvait laisser subsister un doute inclinant à effectuer de préférence et par prudence ces paiements auprès du notaire chargé du règlement de l'ensemble de cette succession, ce dernier ayant procédé à l'ensemble des encaissements et des délivrances de reçus nécessaires. Au-delà du mandat apparent auquel il était exposé, il ne lui appartenait pas par ailleurs de se renseigner sur l'exacte teneur du pouvoir de gestion que semblait alors détenir ce notaire dans le cadre du règlement général de cette succession.

Par ailleurs, M. [H] [I] ne peut en toute objectivité justifier d'aucun grief sur ce mode de paiement indirect intervenu au titre des années 2015 à 2018, dans la mesure où le notaire instrumentaire lui a nécessairement restitué ou va nécessairement lui restituer les parts de fermage lui revenant au prorata des superficies des parcelles ZO-[Cadastre 4]&[Cadastre 5].

Enfin, l'objection de M. [H] [I] suivant laquelle le paiement de ce fermage global serait fixé unilatéralement dans son montant par le GAEC DU CHALARD, de manière identique et sans aucune réévaluation au fil des ans et de surcroît largement sous-évaluée par rapport à la valeur réelle des parcelles faisant l'objet de ce bail est sans incidence sur l'application de la sanction de l'obligation de paiement à terme du loyer. En effet, outre le fait qu'il s'agit d'un bail simplement verbal, la valeur locative des biens litigieux peut toujours faire l'objet d'une procédure distincte de revalorisation à l'initiative de la partie la plus diligente. En l'état actuel de la procédure, il ne peut donc être établi que l'ensemble des paiements ayant été jusqu'ici effectué par le GAEC DU CHALARD dans le cadre de son obligation au versement du fermage ne constituerait qu'un acompte sur les sommes dues et donc un paiement partiel qui ne serait pas libératoire.

Dans ces conditions, le jugement de première instance sera confirmé en ce qu'il a débouté M. [H] [I] de l'ensemble de ses demandes formé à l'encontre du GAEC DU CHALARD aux fins de résiliation du bail rural susmentionné et d'expulsion sous astreinte de ce dernier des parcelles litigieuses, et par voie de conséquence de l'ensemble de ces réclamations pécuniaires formé à l'encontre du GAEC DU CHALARD.

Le jugement de première instance sera confirmé en son application des dispositions de l'article 700 du code procédure civil et en son imputation des dépens de première instance.

Il serait effectivement inéquitable, au sens des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, de laisser à la charge du GAEC DU CHALARD les frais irrépétibles qu'il a été contraint d'engager à l'occasion de cette procédure d'appel et qu'il convient d'arbitrer à la somme de 3.000,00 €.

Enfin, succombant à l'instance, M. [H] [I] sera purement et simplement débouté de sa demande de défraiement formée au visa de l'article 700 du code de procédure civile et en supportera les entiers dépens.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement et contradictoirement,

CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement n° RG/51-20-000002 rendu le 25 janvier 2022 par le tribunal paritaire des baux ruraux de Riom dans l'instance opposant M. [H] [I] au GAEC DU CHALARD.

Y ajoutant.

CONDAMNE M. [H] [I] à payer au profit du GAEC DU CHALARD une indemnité de 3.000,00 € en dédommagement de ses frais irrépétibles prévus à l'article 700 du code procédure civile.

REJETTE le surplus des demandes des parties.

CONDAMNE M. [H] [I] aux entiers dépens de l'instance.

Le greffier Le président