Livv
Décisions

CA Grenoble, ch. com., 28 septembre 2023, n° 21/00735

GRENOBLE

Arrêt

Autre

CA Grenoble n° 21/00735

28 septembre 2023

N° RG 21/00735 - N° Portalis DBVM-V-B7F-KXZJ

C1

Minute N°

Copie exécutoire

délivrée le :

Me Eric HATTAB

la SCP LSC AVOCATS

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE GRENOBLE

CHAMBRE COMMERCIALE

ARRÊT DU JEUDI 28 SEPTEMBRE 2023

Appel d'un jugement (N° RG )

rendu par le TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de GRENOBLE

en date du 14 décembre 2020

suivant déclaration d'appel du 08 février 2021

APPELANTE :

S.A.S.U. LE MEUBLE INTERNATIONAL au capital de 104 000,00 € immatriculée au RCS de PARIS sous le n° 301589412, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège ;

[Adresse 1]

[Localité 4]

représentée et plaidant par Me Eric HATTAB, avocat au barreau de GRENOBLE

INTIMÉE :

Association GOSPEL INSTITUT immatriculée au RCS de Grenoble, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux en exercice, domiciliés ès-qualités audit siège

[Adresse 3]

[Localité 2]

représentée par Me CAPDEVILLE de la SCP LSC AVOCATS, avocat au barreau de GRENOBLE

COMPOSITION DE LA COUR :

LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Madame Marie-Pierre FIGUET, Présidente,

Mme Marie-Pascale BLANCHARD, Conseillère,

M. Lionel BRUNO, Conseiller,

Assistés lors des débats de Alice RICHET, Greffière

DÉBATS :

A l'audience publique du 24 mai 2023, Mme BLANCHARD, conseillère, a été entendue en son rapport,

Les avocats ont été entendus en leurs conclusions et Me HATTAB en sa plaidoirie,

Puis l'affaire a été mise en délibéré pour que l'arrêt soit rendu ce jour, après prorogation du délibéré,

EXPOSE DU LITIGE :

Par acte sous seing privé du 28 mai 1998, Mme [J] [H] a donné à bail à l'association Gospel Institut un local situé [Adresse 3] à [Localité 2], à compter du 1er septembre 1998 et pour une durée d'un an.

A son terme, l'association Gospel Institut est demeurée dans les lieux.

Le 6 mars 2017, la SAS Le Meuble International a fait l'acquisition des locaux.

Suivant acte d'huissier du 24 octobre 2019, la bailleresse a fait délivrer à la locataire un congé pour le 30 avril 2020.

Sur l'assignation délivrée le 27 avril 2020 par l'association Gospel Institut et par jugement du 14 décembre 2020, le tribunal judiciaire de Grenoble a principalement :

- dit que le bail verbal liant les parties, initié le 1er septembre 1999, est soumis aux dispositions du code de commerce relatives aux baux commerciaux,

- dit que le congé sans offre de renouvellement délivré le 24 octobre 2019 par la SAS Le Meuble International à l'association Gospel Institut a mis fin, à compter du 30 avril 2020, au bail du 1er septembre 1999 portant sur les locaux situés au rez-de-chaussée de l'immeuble sis [Adresse 3] à [Localité 2],

- avant dire droit au fond sur le montant de l'indemnité d'éviction,

- ordonné une expertise, désigné en qualité d'expert Madame [D] [I], et détaillé sa mission.

Suivant déclaration au greffe du 8 février 2021, la société Le Meuble International a relevé appel de cette décision, en toutes ses dispositions, telles qu'elle les a énumérées dans son acte d'appel.

Prétentions et moyens de la société Le Meuble International :

Au terme de ses dernières écritures notifiées par voie électronique le 27 avril 2023, la société Le Meuble International demande à la cour de :

- infirmer le jugement en toutes ses dispositions,

- statuant à nouveau,

- à titre principal,

- déclarer prescrites l'intégralité des demandes de l'association Gospel Institut, - déclarer irrecevables l'intégralité des demandes de l'association Gospel Institut,

- débouter l'association Gospel Institut de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions compte tenu de la prescription,

- à titre subsidiaire,

- débouter l'association Gospel Institut de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions,

- en tout état de cause,

- dire que le congé signifié à l'association Gospel Institut le 24 octobre 2019 a valablement mis fin au bail et que l'association Gospel Institut est occupante sans droit ni titre,

- ordonner l'expulsion de l'association Gospel Institut et de tout occupant de son chef des locaux en cause situés [Adresse 3] à [Localité 2] 38000, sous astreinte définitive de 500 euros par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt à intervenir,

- condamner l'association Gospel Institut à payer à la SAS Le Meuble International la somme de 278, 39 euros à titre d'indemnité d'occupation mensuelle jusqu'à la libération totale des lieux et la remise des clefs à la SAS Le Meuble International,

- ordonner la capitalisation des intérêts par application de l'article 1343-2 du code civil,

- à titre infiniment subsidiaire,

- débouter l'association Gospel Institut de son appel incident,

- en tout état de cause,

- condamner l'association Gospel Institut au paiement d'une indemnité de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner l'association Gospel Institut aux entiers dépens, en ce compris les frais d'expertise.

La société Le Meuble International se prévaut de la prescription biennale de l'article L.145-60 du code de commerce pour considérer que l'action en reconnaissance du statut des baux commerciaux engagée par la locataire est irrecevable à défaut d'avoir été engagée dans le délai de deux ans à compter la conclusion du bail.

Elle rappelle que le bail initial était soumis aux dispositions du code civil, que les parties n'ont pas entendues conclure un bail dérogatoire aux dispositions de l'article L.145-5 du code de commerce et que les lieux étaient destinés à l'exercice d'activités associatives.

Elle relève que l'association Gospel Institut ne se prévaut de l'existence d'un bail dérogatoire qu'à hauteur d'appel, alors que dans son assignation initiale, elle poursuivait la requalification des relations contractuelles en bail commercial et qu'étant à l'origine de l'action, elle a la qualité de demandeur et n'agit pas en défense.

Elle soutient que :

- le bail ne peut pas être qualifié de commercial en l'absence de preuves rapportées par la locataire de l'existence d'un fonds d'enseignement, notamment de cours dispensés à d'autres personnes que ses adhérents, dans le cadre d'une scolarité organisée, par des professeurs titulaires de diplômes adéquats et aboutissant à la présentation d'examens ;

- l'activité de la locataire relève de l'organisation des loisirs ou du temps libre;

- il n'est pas démontré qu'un enseignement soit dispensé dans les locaux donnés à bail.

Elle revendique l'application des dispositions de l'article 1748 du Code civil et de l'existence à compter du 1er septembre 1999, d'un nouveau bail verbal à durée indéterminée l'autorisant à donner congé à tout moment moyennant un préavis.

À titre subsidiaire, elle fait valoir que même délivré sans motif, le congé produit ses effets et met fin au bail commercial et conteste le montant de l'indemnité d'éviction sollicitée par la locataire sans aucun justificatif probant de son chiffre d'affaires.

Prétentions et moyens de l'association Gospel Institut :

Selon ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 9 août 2021, l'association Gospel Institut entend voir :

- à titre principal,

- confirmer le jugement en ce qu'il a dit que le bail verbal liant les parties, initié le 1er septembre 1999, est soumis aux dispositions du code de commerce relatives aux baux commerciaux,

- statuant à nouveau :

- juger que l'association Gospel Institut a formé une demande tendant à faire constater l'existence d'un bail soumis au statut des baux commerciaux et que cette demande est justifiée par le maintien en possession des lieux, à l'issue du bail dérogatoire initial conclu entre le 1er septembre 1998 et le 31 août 1999, - juger que ce type de demande n'est pas soumis à la prescription biennale de l'article L.145-60 du code de commerce,

- de surcroît,

- constater que dans le cadre de la procédure, l'association Gospel Institut agit en défense contre une demande visant à la faire reconnaître sans droit ni titre et à la faire expulser,

- juger que le délai de prescription biennal ne lui est pas opposable,

- en conséquence,

- juger que l'action de l'association Gospel Institut n'est pas prescrite,

- débouter la SAS Le Meuble International de toutes ses demandes à titre principal et à titre subsidiaire, à savoir :

«-déclarer prescrites l'intégralité des demandes de l'association Gospel Institut;

-déclarer, en conséquence, irrecevables l'intégralité des demandes de l'association Gospel Institut ;

- débouter l'association Gospel Institut de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions compte tenu de la prescription.

- à titre subsidiaire, débouter l'association Gospel Institut de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions»,

- infirmer le jugement en ce qu'il a dit que le congé sans offre de renouvellement délivré le 24 octobre 2019 par la SAS Le Meuble International à l'association Gospel Institut a mis fin, à compter du 30 avril 2020, au bail du 1er septembre 1999 portant sur les locaux situés au rez-de-chaussée de l'immeuble sis [Adresse 3] à [Localité 2],

- statuant à nouveau :

- prononcer la nullité du congé signifié le 24 octobre 2019 par la SAS Le Meuble International,

- débouter la SAS Le Meuble International de toutes ses demandes reconventionnelles, à savoir :

«-dire que le congé signifié à l'association Gospel Institut le 24 octobre 2019 a valablement mis fin au bail et que l'association Gospel Institut est occupante sans droit ni titre,

- ordonner l'expulsion de l'association Gospel Institut et de tout occupant de son chef des locaux en cause situés [Adresse 3] à [Localité 2] 38000, sous astreinte définitive de 500 euros par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt à intervenir,

- condamner l'association Gospel Institut à payer à la SAS Le Meuble International la somme de 278, 39 euros à titre d'indemnité d'occupation mensuelle jusqu'à la libération totale des lieux et la remise des clés à la SAS Le Meuble International,

- ordonner la capitalisation des intérêts par application de l'article 1343-2 du Code civil.

-condamner l'association Gospel Institut au paiement d'une indemnité de 3.000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile,

-condamner l'association Gospel Institut aux entiers dépens.»

- à titre subsidiaire,

- confirmer le jugement en ce qu'il a, avant dire droit sur le montant de l'indemnité d'éviction, ordonné une expertise,

- statuant à nouveau :

- juger que l'association Gospel Institut peut prétendre à une indemnité d'éviction,

- en conséquence,

- juger que l'association Gospel Institut est bien fondée à rester dans les locaux jusqu'au paiement de l'indemnité d'éviction par la société Le Meuble International,

- constater que la situation de l'association Gospel Institut est précaire depuis le 30 avril 2020, date de délivrance du congé par la société Le Meuble International,

- fixer le montant de l'indemnité d'occupation à la somme de 222, 71 euros par mois à compter du 30 avril 2020,

- condamner la société Le Meuble International au paiement de la somme de 60.000 euros au titre de l'indemnité d'éviction, somme à parfaire en fonction de l'expertise,

- débouter la société Le Meuble International de toutes ses demandes reconventionnelles,

- en tout état de cause :

- condamner la SAS Le Meuble International au paiement de la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre la prise en charge des entiers dépens distraits au profit de la SCP LSC Avocats, sur son affirmation de droit.

L'association Gospel Institut soutient que la prescription biennale édictée par l'article L.145-60 du code de commerce n'est pas applicable aux motifs que :

- l'action aux fins de constat de l'existence d'un bail soumis au statut, né du maintien dans les lieux du preneur au terme d'un bail dérogatoire, n'est pas soumise à la prescription biennale édictée par l'article L.145-60 du code de commerce,

- elle agit en défense à une action en expulsion au titre d'une occupation sans droit ni titre.

Elle fait valoir que la bailleresse a motivé son congé par l'article 1738 du code civil, en se référant aux dispositions applicables aux baux sans écrit et que seules les dispositions d'ordre public du code de commerce relatives aux baux commerciaux trouvent à s'appliquer.

Elle se prévaut de l'existence d'une mise à disposition de locaux contre paiement d'un loyer et revendique la qualité d'établissement d'enseignement, visé par l'article L.145-2 du code de commerce, et l'activité d'enseignement dispensée dans les locaux loués.

La locataire soutient que le congé est nul à défaut de comporter les mentions obligatoires de l'article L.145-9 du code de commerce et d'énoncer un motif.

A titre subsidiaire, elle revendique le droit à une indemnité d'éviction équivalente à la valeur de son fonds de commerce et au maintien dans les lieux jusqu'à son versement.

Elle considère que l'indemnité d'occupation doit être déterminée en fonction de la valeur locative du fonds et prendre en compte la précarité de son occupation, proposant de la fixer à hauteur du dernier loyer diminué d'un coefficient de précarité de 20%.

Il convient en application de l'article 455 du code de procédure civile de se référer aux conclusions susvisées pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties.

La procédure a été clôturée par ordonnance du 11 mai 2023.

MOTIFS DE LA DECISION :

1°) sur la fin de non recevoir tirée de la prescription :

Il résulte du dispositif de son assignation délivrée le 27 avril 2020 et de celui de ses conclusions devant la cour, que l'association Gospel Institut a saisi le tribunal judiciaire de [Localité 2], sur le fondement des articles L.145 et suivants du code de commerce, de demandes principales tendant à voir dire et juger qu'elle est liée à la société Le Meuble International par un bail commercial et que le congé signifié le 24 octobre 2019 est nul, et qu'elle maintient les termes de ces demandes devant la cour.

Conformément à l'article L.145-60 du code de commerce, toutes les actions exercées en vertu des dispositions relatives au statut des baux commerciaux, se prescrivent par deux ans.

Il est cependant de principe que l'action visant à voir constater l'existence d'un bail soumis au statut né du fait du maintien en possession du preneur à l'issue d'un bail dérogatoire et résultant du seul effet de l'article L.145-5 du code de commerce, n'est pas soumise à cette prescription biennale.

En application de l'article L.145-5 du code de commerce, les parties peuvent déroger à la durée légale de neuf ans prévue par le statut des baux commerciaux, en concluant un bail d'une durée maximale de trois ans et si à l'issue, le preneur est laissé en possession, il s'opère un nouveau bail dont l'effet est alors réglé par le statut.

Ce mécanisme légal de substitution automatique ne joue que pour autant que le contrat de location entre dans le champ d'application de l'article L.145-1 du code de commerce.

Or selon les termes du bail signé le 28 mai 1998 et à effet du 1er septembre suivant, la location était expressément stipulée comme relevant des seules dispositions du code civil, à l'exclusion de tout régime particulier.

Les parties ayant soumis leur relations contractuelles au droit commun du bail, le constat de l'existence d'un bail commercial rend nécessaire la requalification préalable de la convention d'origine en bail commercial dérogatoire, qui se heurte dès lors à la prescription biennale, dont le point de départ est la prise d'effet du contrat initial, le 1er septembre 1998.

A défaut de pouvoir se prévaloir des effets de l'article L.145-5 du code de commerce, l'association est, pour le même motif tenant à la prescription biennale, irrecevable à poursuivre la requalification en bail commercial du nouveau bail ayant pris effet le 1er septembre 1999.

En conséquence, l'association Gospel Institut est irrecevable en sa demande de constat de l'existence d'un bail commercial.

Le jugement sera infirmé en ce qu'il a considéré cette demande recevable et dit que le bail verbal liant les parties depuis le 1er septembre 1999 est soumis au statut des baux commerciaux.

2°) sur la validité du congé et l'indemnité d'éviction :

Le bail conclu le 28 mai 1998 s'est trouvé tacitement reconduit à compter du 1er septembre 1999 et régi par les dispositions du code civil relatives au bail verbal.

La société Le Meuble International a fait délivrer congé à sa locataire pour le 30 avril 2020 par acte d'huissier du 24 octobre 2019.

L'association Gospel Institut ne pouvant revendiquer l'application du statut des baux commerciaux, elle ne peut se prévaloir des dispositions de l'article L.145-9 du code de commerce exigeant à peine de nullité que le congé doit préciser les motifs pour lesquels il est donné et indiquer le délai de deux ans dans lequel le preneur peut saisir le tribunal en contestation du congé ou en paiement d'une indemnité d'éviction.

Le congé a, en conséquence, été valablement délivré et le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté l'association Gospel Institut de sa demande de nullité.

La locataire ne peut non plus revendiquer le paiement de l'indemnité d'éviction prévue par l'article L.145-14 du code de commerce, ce qui conduira la cour à infirmer le jugement en ce qu'il a ordonné une expertise aux fins de déterminer le montant de cette indemnité, prétention dont l'association Gospel Institut sera déboutée.

PAR CES MOTIFS

La Cour statuant publiquement, contradictoirement, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile, après en avoir délibéré conformément à la loi,

CONFIRME le jugement du tribunal judiciaire de Grenoble en date du 14 décembre 2020 en ce qu'il a dit que le congé délivré le 24 octobre 2019 par la SAS Le Meuble International à l'association Gospel Institut a mis fin, à compter du 30 avril 2020, au bail du 1er septembre 1999 portant sur les locaux situés au rez-de-chaussée de l'immeuble sis [Adresse 3] à [Localité 2],

L'INFIRME en toutes ses autres dispositions soumises à la cour,

statuant à nouveau,

DECLARE l'association Gospel Institut irrecevable en ses demandes visant à voir dire que le bail est de nature commerciale et soumis au statut des baux commerciaux,

DEBOUTE l'association Gospel Institut de sa demande d'indemnité d'éviction,

y ajoutant,

CONDAMNE l'association Gospel Institut à verser à la SAS Le Meuble International la somme de 3000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE l'association Gospel Institut aux dépens de première instance et d'appel.

SIGNÉ par Mme FIGUET, Présidente et par Mme RICHET, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La Greffière La Présidente